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Guerre d’Algérie. Communistes et nationalistes, le grand malentendu

vendredi 8 février 2019 par Jean Penichon

« Les communistes et l’Algérie, 1920-1962 », d’Alain Ruscio [1] · Comment un Parti communiste puissant, promoteur d’un internationalisme prolétarien affirmé et un mouvement nationaliste revendiquant l’indépendance de l’Algérie pouvaient-ils se comprendre ? Malentendus, brouilles et désaccords...

Le communisme français et le nationalisme algérien sont nés presque au même moment, au lendemain de la première guerre mondiale. Leur cohabitation en Algérie et en France des années 1920 aux années 1960 n’a pas été un long fleuve tranquille. Mettant le tout — la révolution mondiale — au-dessus de la partie, l’Internationale communiste était aux antipodes du nationalisme algérien qui sacralisait l’intérêt national — la partie — par rapport au tout — la révolution.

Entre ces deux visions, l’internationalisme et le nationalisme, au-delà de rapprochements tactiques et temporaires comme d’une répression coloniale inégalement partagée, l’opposition était presque de principe. Elle a été accentuée par trois initiatives majeures et malheureuses du Parti communiste français (PCF) : l’épreuve du Front populaire en 1936, le traumatisme de Sétif en 1945, et la méfiance réciproque en 1954-56 avec le vote des pouvoirs spéciaux au gouvernement de gauche de Guy Mollet, secrétaire général de la section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), le parti socialiste d’alors.
D’abord, le Front populaire

En juin 1936, avec l’avènement du Front populaire, l’optimisme est de mise dans les deux camps. L’Étoile nord-africaine (ENA) née en 1926 avec l’aide active du PCF est de la fête. Son leader Messali Hadj, autorisé à rentrer en Algérie, y tient des meetings qui rassemblent des foules considérables et marquent le début de l’emprise du nationalisme radical sur une majorité des musulmans d’Algérie.

Un ancien gouverneur général de l’Algérie, Maurice Viollette, par ailleurs parlementaire radical et ministre d’État dans le cabinet de Léon Blum, est chargé de proposer un nouveau statut pour les trois départements. Son intention première est d’enrôler une bonne partie de la maigre élite musulmane dans la citoyenneté française ; cela représente 12 à 14 % d’électeurs supplémentaires. La réforme est marginale, mais elle mécontente les Européens, très attachés à leurs petites combines électorales, et leurs alliés à la chambre des députés et déçoit les musulmans.

Messali n’a pas attendu pour condamner le projet Blum-Viollette et le 26 janvier 1937, la sanction tombe : les organisations nationalistes des trois pays du Maghreb, le Comité d’action marocain, le Néo-Destour tunisien et l’ENA algérienne sont dissoutes. Le PCF, qui ne s’est pas mobilisé pour la réforme, se félicite de l’arrestation de Messali en août 1937, dénoncé comme un agent de l’administration…

Entre nationalistes et communistes, le fossé n’a jamais été aussi grand depuis quinze ans. Les uns revendiquent plus ou moins ouvertement l’indépendance, les autres, derrière leur secrétaire général Maurice Thorez, imaginent une hypothétique « nation formation » qui fusionnerait à terme Européens et musulmans dans un même pays. Cette spéculation naïve tiendra lieu pendant une vingtaine d’années de théorie du PCF sur l’Algérie, au détriment de l’audience du Parti communiste algérien (PCA) naissant dans les milieux autochtones.
« Frapper les populations rebelles »

Deuxième moment tragique, le massacre de Sétif le 8 mai 1945 — jour de la victoire sur l’Allemagne nazie — est fondateur, deux ans à peine après l’effacement complet du régime de Vichy et la libération des prisonniers politiques communistes et nationalistes. Durant ces deux années, une immense espérance gagne les masses musulmanes, surtout urbaines.

L’indépendance est perçue comme proche. La défaite française de 1940 et l’étalage sur place de la puissance américaine après le débarquement de novembre 1942 achèvent de convaincre les impatients et la jeunesse des trop rares collèges et lycées nouvellement ouverts après le Front populaire.

Le 8 mai 1945 à Sétif, petite ville de l’est algérien, un commissaire de police tue un manifestant qui, pour fêter l’événement, brandissait le drapeau du PPA devenu depuis l’emblème national. L’émeute éclate, suivie d’une répression impitoyable qui fera des milliers, voire des dizaines de milliers de morts.

Trois jours plus tard, le gouvernement du général de Gaulle — auquel participent des ministres communistes — ordonne de « frapper les populations rebelles du Nord-Constantinois ». Durant des semaines, l’aviation, la marine, la Légion étrangère et les troupes coloniales s’acharnent contre les villageois, aidés par des milices d’Européens, dont des militants du PCA et de la CGT.

C’est la « haine raciale » dénonce un résistant, le docteur José Aboulker, un des artisans du débarquement réussi des troupes américaines à Alger en novembre 1942.

À Paris, on ne sait pas grand-chose, la censure veille et l’opinion française est très mal informée, la presse néglige l’évènement et la thèse officielle s’impose presque « naturellement ». Le 11 mai, L’Humanité, le quotidien national du PCF, publie sans commentaire le communiqué du gouvernement sous le titre « À Sétif, attentat fasciste le jour de la victoire ».

Au fil des jours, la version se précise, l’affaire est une provocation des « faux » nationalistes et la répression est la seule réponse à opposer aux émeutiers… Cette condamnation sans nuances pèsera lourd dans les années suivantes. Toute une génération marquée au rouge par le traumatisme de Sétif se prépare activement à la guerre, le congrès du PPA en 1947 décide la création de l’Organisation spéciale (OS) dont les cadres seront à l’origine du 1er Novembre 1954 [1].

C’est une surprise pour les communistes comme pour le reste de la classe politique française. Qui sont les meneurs de cette insurrection ? Qu’est-ce que le FLN ? Si elle ne reprend pas le mot d’ordre de François Mitterrand, ministre de l’intérieur : « La négociation, c’est la guerre ! », la direction communiste sous-estime gravement l’importance du combat pour l’indépendance.

Dans le contexte intérieur et international de l’époque, il passe après la défense du communisme réel, c’est-à-dire le bloc de l’Est, contre les États-Unis et leurs alliés, et aussi, loin derrière, la lutte sociale destinée à défendre « les intérêts de classe » du prolétariat. Il passe aussi après « l’unité de la gauche » un instant espérée au printemps 1956.
« La responsabilité du peuple français »

Le FLN se moque de l’internationalisme ouvrier et joue la carte américaine sans complexe. Les Algériens se retirent de la CGT pour rejoindre une nouvelle centrale nationaliste indépendante. Ils adhèrent à l’ American Federation of Labour-Congress of Industrial Organisations (AFL-CIO), la grande rivale occidentale de la Fédération syndicale mondiale (FSM) procommuniste.

Sur le terrain, le parti ne parvient pas à mobiliser ses propres troupes pour la « paix en Algérie », les manifestations sont boudées et le PCF y voit la conséquence des formes de lutte privilégiées par le FLN en France même. La sanglante bataille entre ses groupes de choc et les restes du PPA fidèles à Messali coûte la vie à plus de 4 000 Algériens et le spectacle de fusillades entre les deux camps à la porte des usines ne favorise pas la solidarité.

La décision nationaliste de porter la guerre en France est un pas de plus, la direction FLN ne croit pas à l’influence des masses françaises dans l’évolution des choix de leur gouvernement et dans son appel du 26 août 1958 à la veille des attentats contre des centres économiques métropolitains, sa Fédération de France dénonce « la responsabilité quasi unanime du peuple français, complice par passivité de la poursuite barbare de la guerre d’Algérie ».

Le FLN lui propose de l’aider, mais sans droit de regard sur ses choix politiques, et le PCF ne saurait accepter d’être ravalé au rang de « coopérant technique instrumentalisé » (selon l’expression d’un grand historien de la guerre d’Algérie, Gilbert Meunier). L’accord est impossible. Si le parti se prononce clairement pour l’indépendance de l’Algérie et l’ouverture de négociations, il fait campagne de fait pour la « paix en Algérie ».

Dans les premières années, l’opinion française qui ignore tout de l’Algérie et de ses problèmes, adhère à la version officielle : « l’Algérie c’est la France ». Ce n’est qu’à partir de 1960, des putschs militaires, de l’attitude courageuse du contingent et des manifestations populaires dans les villes algériennes, que l’opinion française évolue.

La richesse du livre d’Alain Ruscio, hier militant et aujourd’hui historien reconnu de la décolonisation, son érudition et son honnêteté intellectuelle sur un sujet longtemps polémique, en font une contribution majeure à un sujet qui reste à découvrir pour l’essentiel : l’attitude des forces politiques françaises, de la droite à la gauche, face au problème algérien en général et à la guerre en particulier.


[12ditions La Découverte - 664 pages - 28 €

   

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