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Résister au confinement de la pensée, réfléchir et s’enrichir des autres, refuser l’ignorance libérale

jeudi 23 avril 2020 par Francis Arzalier (ANC)

Je suis de ceux qui ne croient pas, n’en déplaise à Monsieur Macron et à ses sbires libéraux, qu’il existe une nation Européenne. Mais il existe depuis longtemps des Nations d’Europe, et leurs cultures ont une riche histoire avec des points communs, qui leur furent apportés en vagues successives, amenant chaque fois des progrès, des bouleversements dont nous sommes les héritiers.

Ce fut en 1500 la "Renaissance", redécouvrant l’antiquité pré-chrétienne, et les apports venus d’Asie ou d’Amérique. Puis le rationalisme occidental, qui du Français Descartes au Flamand Spinoza, bouleversa morale et sentiments en les déconnectant de Dieu par la raison critique.
Et leur progéniture au 18ème siècle, les " Lumières", qui, des Français Rousseau, Voltaire et d’Alembert à leurs émules russes, surent appliquer cette lucidité critique aux tares sociales de leur temps.
Et ce sont ces idées de libertés civiles, incarnées d’abord à Paris en 1789, qui balayèrent chaque nation du continent l’une après l’autre, permettant aux 19ème et 20ème siècles d’accoucher des Socialismes, de Marx à Lénine ou Jaurès. Dans leur diversité, leurs contradictions et leurs impuissances, ces idéologies concourraient ont toutes concouru à la libération des hommes, à leur égalité, malgré des échecs successifs.

Mais, n’oublions pas que la transmission d’un peuple de l’Europe à l’autre de ces idéaux de progrès s’est faite au fil des âges grâce à un progrès humain décisif, l’alphabétisation, la possibilité de lire, de tirer profit collectivement des grands initiateurs.
Ainsi, quand les bourgeoisies de France ou d’Allemagne, au 16ème siècle, ont su lire en français ou allemand, une partie d’entre elles a rompu la soumission au seul clergé catholique pour réfléchir enfin par soi-même.
Au dix-neuvième siècle, c’est quand les écoles donnèrent aux paysans et aux ouvriers la possibilité de lire, qu’ils découvrirent les idées socialistes. Et cette diffusion des idées progressistes grâce à la lecture fut encore une réalité majeure de l’histoire des nations d’Europe jusqu’au cœur du 20ème siècle.

Encore après le deuxième massacre mondial, et la défaite du Nazisme qui brûlait en public les livres des auteurs allemands Marx, Heine et Thomas Mann, les Nations libérées comme la France, donnaient au monde entier l’exemple de leurs grands écrivains- prophètes, annonçant comme disait Ferrat " il est temps que le malheur succombe " : Zola, Romain Rolland, Barbusse, Malraux, Aragon, Sartre, poètes et écrivains, dans leur diversité, et leurs contradictions, ces penseurs de progrès étaient lus, de l’école au chez soi, ils étaient des maîtres à penser de millions de lecteurs, chacun savait s’enrichir d’eux et n’en allait que mieux

Il fallut arriver en fin de siècle 20 pour voir se répandre jusqu’en France une pandémie née en grande partie outre Atlantique, une " modernité" véhiculée par les médias, télévisions, télématique et "réseaux sociaux", où l’image fugace remplace l’écrit, l’échange personnel succinct ( le tweet ) remplace le dialogue, et l’invective tue la réflexion.

Pourquoi dès lors lirait-on puisqu’on n’a pas besoin de la pensée de l’autre ?

Cette "révolution médiatique", essentiellement individualiste, se justifie de mutations technologiques (primauté de l’image sur l’écrit, rapidité des échanges, etc). Elle est en fait une utilisation de la technique au service de l’idéologie, et plus précisément de la contre-révolution libérale qui balaie nos pays et le monde depuis 50 ans.

Bien sûr, il serait démagogique de nier les évolutions nécessaires des techniques de diffusion des connaissances, le poids de l’image et du son, et même qu’une bande dessinée peut être tout aussi riche de sens qu’une page de Montaigne. Mais est-ce une raison pour jeter ce dernier aux oubliettes au profit du rap ?

Le constat est en effet sans appel en 2020 : une progressive disparition des journaux écrits quotidiens, qui, même sous leur forme informatique, ne touchent plus guère qu’une " élite " bourgeoise auto- proclamée. Et, surtout, une dégringolade drastique de la lecture des auteurs ayant d’autres ambitions que le tirage.

Quels romanciers vivants ou morts, quels poètes, quels philosophes, sont Ils connus du public français en 2020 ? Lequel pourrait encore être une aide à penser pour nos contemporains ? La notoriété n’est aujourd’hui conférée que par le passage à la télévision, où les "réseaux sociaux", dont les ambitions culturelles sont souvent proche de zéro. Les émissions de critique littéraire y ont disparu, remplacées par cuisine, ou jeux bêtifiants.

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Selon tous les bavards qui ont un accès perpétuel à nos télévisions, la cohorte "d’experts" plus ou moins diplômés de l’ENA ou Sciences-Po qui forment la Cour du Monarque, le temps est depuis longtemps révolu des "intellectuels engagés" du 20ème siècle.
Mais cette affirmation est pure hypocrisie de leur part, car, justement, ils sont engagés, et très souvent rétribués, pour imposer partout une idéologie unique, celle attachée au dogme libéral, la liberté d’exploiter son prochain et d’en tirer profit et soumission si on dispose du capital nécessaire.

C’est ainsi qu’a été promu il y a vingt ans Philosophe par nos médias Bernard Henri Lévy (BHL), nullité de salons mondains, le chantre des bombardiers de l’OTAN en Yougoslavie et Libye, au détriment des rationalistes et marxistes, interdits, eux, des petits écrans, comme l’était Bourdieu.

Plus près de nous, c’est un Michel Onfray, un Julliard, qui sont à la mode, traités en intellectuels modèles, de Libération jusqu’au Monde et au Nouvel Observateur. Tous deux expriment une haine féroce pour les maîtres à penser que suivaient nos parents, Jean Paul Sartre, Louis Aragon, poètes et romanciers, auteurs de théâtre et d’idées, qui prétendaient, fi donc, être aussi militants politiques. Ce qu’ils ne leur pardonnent pas, d’autant que l’un et l’autre furent anticapitalistes, anticolonialistes, et, suprême pêché, souvent proches des Communistes dans leurs luttes.

Julliard, cuistre jusqu’au bout, définit Sartre " mauvais romancier, dramaturge injouable, philosophe prolixe sans originalité. C’est un libertaire qui a encensé toutes les dictatures, pourvu qu’elles se réclament du socialisme." (Le Figaro, 1/7/2019 ). Il est vrai que Monsieur Julliard, s’il ne créa pas la pensée contemporaine, est à l’Académie Française !

Quant à Onfray, qui passa parfois pour un trublion pour avoir été ignoré de l’Université, il publie dans Le Point du 5 janvier 2012 un texte intitulé " le philosophe qui ne s’est jamais trompé ( sic ! ). Comment Sartre a essayé de tuer Camus ".
Le ridicule, semble-t-il, ne tue plus, mais cette outrance révèle pourquoi Albert Camus est devenu pour nos intellectuels de Cour du 21ème siècle un héros : il est l’antithèse de Sartre, d’Aragon, ou de Bourdieu...

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Les Carnets de Camus (1935-42 ), chronique plus intime que ses autres écrits, parce qu’ils n’étaient pas destinés à la publication, sont révélateurs d’un personnage très différent de sa légende actuelle, l’humaniste au grand cœur, le militant défenseur des opprimés, pour lequel toute position doit découler d’une morale intransigeante, une sorte de saint laïque.
A l’inverse, les Carnets (1935-42), suite de notations parfois elliptiques, sont une suite parfois décousue de situations, de personnages, de paysages, en guise de pense-bête pour une œuvre ultérieure, notamment théâtrale, qui était son activité essentielle alors. Elles donnent l’impression d’un intellectuel un peu désincarné exclusivement préoccupé de se construire une œuvre littéraire, une carrière.
Durant 7 ans particulièrement riches en bouleversements, Camus est totalement déconnecté de la réalité sociale et politique qu’il traverse : rien sur l’Algérie urbaine bousculée par les grèves en 1936 et le premier essor du mouvement national les années suivantes ; rien sur la "drôle de guerre" en 1940, la défaite, l’Armistice et l’accès au pouvoir du Maréchal Pétain, qu’il vit à Paris, à Clermont, puis Lyon, avant de retourner à Alger en janvier 41....cette sorte d’autisme s’éclaire à la lecture d’une phrase des carnets de novembre 1937 :
" La politique et le sort des hommes sont formés par des hommes sans idéal et sans grandeur. Ceux qui ont une grandeur en eux ne font pas de politique. Ainsi de tout. Mais il s’agit maintenant de créer en soi un nouvel homme. Il s’agit que les hommes d’action soient aussi des hommes d’idéal et les poètes industriels. Il s’agit de vivre ses rêves, de les agir. Avant, on y renonçait, ou bien on s’y perdait. Il ne faut pas s’y perdre et n’y pas renoncer."

Rappelons que l’opinion de gauche en France et à Alger est alors préoccupée par les prémices de l’effondrement du Front Populaire, initié par "la pause" des réformes et la " non-intervention" alors que la République Espagnole est menacée de subversion par Franco, Hitler et Mussolini.
Clairement, Camus ne se sent pas concerné.
Cette proclamation d’apolitisme, est aussi nourrie d’individualisme d’inspiration libérale, et légèrement méprisante pour ses contemporains.

Ce qui amène à relativiser la présentation couramment admise en 2020 de l’enquête sur la Kabylie réalisée par Camus en 1938 et publiée par Le journal Alger Républicain (dirigé alors par Pascal Pia, il n’a rien à voir avec son homonyme d’après 1944, animé par le Communiste Henri Alleg). Ce reportage, repris dans Actuelles III, raconte la misère des villageois kabyles, si indéniable qu’elle pouvait entraîner des troubles, elle ne met aucunement la colonisation en accusation contrairement au mythe camusien fabriqué après depuis. Pas plus que n’est anticolonialiste "l’Etranger", ce petit chef d’œuvre rédigé par Camus en 1940, et publié par Gallimard en 42.

Certes, il sera dès lors des "écrivains résistants", et c’est d’un Réseau que naîtra à la Libération le quotidien Combat dont il sera le patron exclusif, après le départ de certains des initiateurs, comme Sartre. Il suivra alors une ligne politique plutôt centriste et anticommuniste, entre des succès littéraires mérités (la Peste, 1947. Le mythe de Sisyphe, 1951) qui lui vaudront le Prix Nobel en 1957. Mais à cette date, il est surtout connu pour condamner le soulèvement algérien de 1954, à l’inverse d’autres " Européens d’Algérie, qui le paieront parfois de leur vie, comme Maurice Audin.

C’est bien longtemps après sa mort accidentelle en 1960, que commencera à se construire le mythe d’un Camus anticolonial, ennemi farouche de toutes les oppressions sociales et politiques. En fait, Camus est devenu un héros pour les libéraux français du XXIème siècle parce qu’il est l’anti-Sartre, l’anti-Aragon, le modéré anticommuniste, le "grand écrivain" dans sa tour d’ivoire, exact inverse des intellectuels "engagés" dans leur époque et au service de leur peuple, comme il ne faut plus qu’il en existe selon la troupe de Macron.

Lisons "La Peste" et "l’Étranger" de Camus pour ce que fut leur auteur, un maître de la langue nationale, c’est déjà bien, même s’il fut un discutable penseur politique.

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Il est temps de redire à nos contemporains ce que furent réellement les écrivains du XXème siècle, ces porte-voix de la Nation française d’après-guerre, que les communicants macroniens vouent aujourd’hui aux gémonies, et au silence.

À commencer par Louis Aragon, le plus délibérément occulté, alors qu’il fut et restera l’un des plus admirables romanciers de France (des "Cloches de Bâle" aux "Communistes", "d’Aurelien" à la "Semaine Sainte"), explorateur sans concession de l’histoire et la société françaises, poète dont le verbe a la grandeur de nos cathédrales gothiques (des sulfurances dadaïstes d’avant-guerre aux hymnes résistants de la "Diane Française"). Comment supporter sans envie de vomir ces foules empressées de communicants-publicistes, qui viennent aujourd’hui uriner leurs rancœurs de roquets, le long du cadavre immense d’ Aragon ?

Quand à Sartre, faut-Il le dire ? Il restera, n’en déplaise à tous ceux qui lui aboient aux chausses, l’immortel prosateur des "Mémoires" et de la "Nausée", l’homme du théâtre qui sut ne pas parler pour ne rien dire, le philosophe inventeur de libertés humaines (" l’Être et le Néant" ), et le parrain de Frantz Fanon, combattant résolu avec lui l’impérialisme et le racisme colonial, ces deux pêchés occidentaux modernes.

Faudrait-il ajouter en nos temps de Me Too, qui propagent la guerre des sexes entre l’homme violeur potentiel permanent et la femme réduite à l’état de putain, que ces deux écrivains ont construit leur œuvre en collaboration avec leurs compagnes, Elsa Triolet, l’amante d’Aragon, et Simone de Beauvoir celle de Sartre. Et elles ne furent pas que muses, les romans d’Elsa sont de petits chefs d’œuvre bien oubliés ("le Monument"1957), et le "Deuxième Sexe" (1949) de Beauvoir fut une belle avancée vers l’égalité entre hommes et femmes.
Ils se sont parfois fourvoyés, diront les sceptiques, et ils auront raison. Aragon dadaïste alla compisser la tombe du Soldat inconnu pour démontrer les crimes impérialistes, et ne reconnut que plus tard sa bévue. Et ses postures de Pape des Lettres françaises en 1950 était fort discutable. Et Sartre malencontreusement risqua fort de ne plus être cru quand il se commettait avec les incontrôlés d’un maoïsme dévoyé.

Mais le premier sut parrainer la réflexion du PCF sur la liberté de pensée, à l’issue d’un Djanovisme desséchant, et Sartre vit son appartement plastiqué par les tueurs fascisants de l’OAS : bien d’autres, lâches ou complaisants, ne méritèrent pas la même distinction.
Ils se trompèrent donc. Sauf que l’erreur de bonne foi est signe de pensée humaine, et la certitude butée marque de l’imbécile.

Lisez, camarades, lisez, nos temps de pandémie s’y prêtent. Lisez ces géants morts dont les idées sont jeunes, entre un tweet pensée courte, et une série saison 7, somnolent sur le canapé. Sartre, Aragon, mais aussi ceux qui furent de même taille au début du 20ème siècle, Anatole France, Romain Rolland, Malraux ; et leurs prédécesseurs du 19ème , Stendhal, Balzac, Flaubert, Maupassant, Hugo, Valles et Zola, et Karl Marx et Friedricn Engels, et Dickens et Marc Twain, qui bien que Germaniques et Anglo-saxons, surent dénoncer tous avec vigueur les maux de leur société, en risquant l’exil et les procès.

Vous vous enrichirez d’idées et de savoirs, de mémoires de luttes et de joies, et n’en serez que plus heureux et combattifs.
La vraie modernité est là, simple et tranquille.

Photo de Une : Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir chez Fidel Castro.

   

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