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La justice rouvre l’enquête sur l’assassinat d’Henri Curiel

mardi 16 janvier 2018

Par Karl Laske pour Médiapart

Une juge d’instruction a été désignée dans l’affaire de l’assassinat du militant tiers-mondiste de 65 ans, abattu à Paris, le 4 mai 1978. La justice a pris en compte les aveux posthumes d’un membre du commando, René Resciniti de Says, et cherche désormais à identifier ses complices et commanditaires présumés. Ce groupe aurait aussi exécuté, un an plus tard, l’ancien braqueur, écrivain et militant d’extrême gauche Pierre Goldman.

C’est un crime impuni, un « dossier non résolu », vieux de quarante ans, que la justice a décidé de rouvrir. Le 9 janvier, une juge d’instruction, Laurence Lazerges, a été désignée dans l’affaire de l’assassinat d’Henri Curiel, militant tiers-mondiste de 65 ans, abattu dans l’ascenseur de son immeuble, à Paris, le 4 mai 1978. Classé en juillet 1992, le dossier avait déjà été rouvert durant quelques mois puis refermé à deux reprises par le parquet de Paris en 2000, puis en 2008, à la suite d’enquêtes journalistiques.

Cette fois, saisie par la famille du militant, la justice a pris en compte les aveux posthumes d’un membre du commando, René Resciniti de Says, ancien parachutiste d’extrême droite, retranscrits par un journaliste ami, Christian Rol, dans un livre paru en avril 2015, Le roman vrai d’un fasciste français (La Manufacture). Selon une plainte avec constitution de partie civile déposée en octobre 2015 par le fils et deux cousines d’Henri Curiel, le livre de Rol « contient des informations déterminantes de nature à fonder l’ouverture d’une nouvelle information, en particulier les aveux de M. Resciniti de Says ainsi que des précisions essentielles sur les circonstances de l’assassinat ».

Henri Curiel lorsqu’il militait en faveur du FLN algérien. © DR

Selon Rol, René de Says, dit René Poitevin, surnommé « Néné », aurait lui-même exécuté Curiel de trois balles tirées à bout portant dans l’ascenseur de son immeuble. Un complice se penche brièvement sur la victime puis ordonne de filer. Les deux hommes descendent rapidement la rue Monge, et repassent l’arme du crime, un colt 45, à un troisième homme. Le revolver « aurait été extrait de la Préfecture de police, de l’autre côté de la Seine, et remis à sa place, parmi les armes saisies sur les affaires judiciaires antérieures ».

« Pourquoi tu l’as fait ? » interroge Rol. « Parce que c’est la guerre froide. Curiel nous est présenté comme un super-agent de la subversion – même si à l’époque il n’avait aucune activité en France », résume de Says. « Nous, on ne se pose pas de questions : un agent de Moscou à refroidir, qui plus est traître à la France en Algérie, c’est dans le cahier des charges. (…) Curiel, pour moi et les autres – nous sommes tous nationalistes –, c’est une cible politique à éliminer qu’on nous désigne. Il n’y a rien de personnel. »

En réalité, Henri Curiel, militant communiste né en Égypte, a été le chef d’un réseau de soutien du FLN algérien, dit des « porteurs de valises », avant de créer « Solidarité », une structure clandestine d’appui à différents mouvements de libération du tiers-monde, qui, durant les années qui précèdent son assassinat, agace les autorités françaises.

Et c’est auprès d’un service secret parallèle, très proche du pouvoir en place, que René de Says s’active avec un groupe de militants d’extrême droite. L’ancien para avoue en effet « bosser » pour Pierre Debizet, le patron du Service d’action civique (SAC) du mouvement gaulliste, « point final ». Une confession qui confirme aux yeux des plaignants « l’existence de donneurs d’ordre ». « L’assassinat d’Henri Curiel est bien le fait d’un groupe organisé ayant des ramifications qu’il appartiendra à l’enquête de mettre au jour », note la plainte.

« Quarante ans après, la vérité des faits et l’identification des auteurs et des donneurs d’ordre semblent désormais possibles, se félicite l’avocat de la famille, Me William Bourdon. D’autant que bien des indices nous poussent à croire qu’il s’agit d’un crime d’État. »

Lors de la première phase de l’enquête judiciaire, le patron de la Direction de la surveillance du territoire (DST), Marcel Chalet, oppose d’ailleurs le secret défense au juge. Et lorsque ce dernier se rend au siège des services spéciaux – l’ancien SDECE, aujourd’hui DGSE –, un « refus de coopérer » lui est notifié. L’enquête fait pourtant apparaître que des agents de la DST ont tenté de sonoriser l’appartement de Curiel.

Issus comme lui de l’extrême droite, les camarades de René de Says, et certains de ses complices, sont identifiés dans le livre par leurs prénoms ou pseudos. Plusieurs d’entre eux sont passés au service des phalanges chrétiennes libanaises en 1976, pépinière de cette génération de mercenaires français. Outre Philippe, un ancien para du 1er RPIMA, le groupe comprend deux policiers « officiellement dans la boutique » : « Charly », « ancien condisciple de René du 9e RPC », alors inspecteur à la DST, et « Tango », membre des renseignements généraux. « Alfredo » n’est autre que le militant néofasciste italien Stefano delle Chiaie – inculpé dans l’affaire de l’attentat de la piazza Fontana puis finalement acquitté faute de preuves –, qui permet à René et Philippe de « mettre les voiles » en 1980. Tandis que « Charly » était envoyé prêter main forte aux commandos anti-basques, dans le Sud-Ouest.

Ce qui rend plus décisif l’aveu posthume de René de Says, c’est qu’il a témoigné de son vivant de l’action de son commando, au sujet d’un autre crime non résolu : sous pseudonyme, le visage flouté et la voix déformée, dans un reportage diffusé par Canal+ en janvier 2010, intitulé « Comment j’ai tué Pierre Goldman ». Deux ans avant sa mort, le 17 avril 2012, il détaillait les circonstances de l’assassinat de l’ancien braqueur et militant d’extrême gauche, le 20 septembre 1979, à Paris, avec deux complices, les fonctionnaires de police du groupe. Le premier homme avait interpellé Goldman, avant de lui tirer dessus, plusieurs balles de son colt 45. Sur les lieux du crime, René montrait l’emplacement où Goldman s’était écroulé, place de l’Abbé-Georges-Hénocque, dans le XIIIe arrondissement. Il précisait qu’il l’avait « fini » avec un calibre 38. Des armes qui auraient été également « empruntées » à la préfecture de police.

« Quand on fait la guerre, on est obligé de tuer, s’était-il justifié. Ce n’est pas une action de mercenaire, ni de tueur à gages, ça s’inscrit dans un combat qui pour nous est politique. »

Dans ce reportage aussi, Pierre Debizet était désigné comme le commanditaire. Selon René de Says, le patron du SAC lui avait précisé qu’il n’acceptait pas l’acquittement de Pierre Goldman dans l’affaire du braquage d’une pharmacie boulevard Richard-Lenoir – un policier avait été blessé et deux pharmaciennes tuées – et qu’il avait « revendiqué l’action en haut lieu », auprès de Victor Chapot, conseiller du président Valéry Giscard d’Estaing.

D’autres mobiles ont circulé, plus directement liés à l’activisme de Goldman qui songeait à la création d’un groupe d’action antifasciste et aurait envisagé de fournir des armes à des amis basques de l’ETA. Son meurtre est en tout cas revendiqué par un groupe baptisé « honneur de la police ». L’assassinat de Curiel était signé « Delta ». Cette dernière signature reliait l’action à un autre attentat, le meurtre de Laïb Sebaï, le gardien de l’Amicale des Algériens en Europe tué le 2 décembre 1977, et revendiqué par « Delta ».

Le corps de Pierre Goldman, place de l’Abbé-Georges-Hénocque à Paris©DR

Au moment de la diffusion de l’émission de Canal +, l’assassinat de Pierre Goldman était juridiquement prescrit, aucun acte d’instruction n’ayant été effectué depuis 1985, à moins de plaider une requalification en acte de terrorisme, chemin sur lequel la famille n’a pas souhaité s’engager.

Si la justice ne s’en est pas saisie, les aveux télévisés de René de Says, et les coups de fil passés aux anciens membres de son groupe, n’ont pas été sans conséquences. « C’était un homme traqué, Néné, raconte un ami. Et les réalisateurs du film ont quand même été menacés par des hommes de main… C’était pas du cinéma. On a affaire à des gens très dangereux, qu’il ne faut pas aller chatouiller. »

Mais René de Says, « constamment entouré » par ses camarades de l’Action française, assumait. Sans trop se poser la question de la prescription. « Il s’était dit que le temps avait passé, et qu’il pouvait parler », explique un autre proche joint par Mediapart.


Voir en ligne : https://www.mediapart.fr/journal/fr...

   

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