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Jean Salem : "Lutter pour de belles causes, c’est déjà le chemin du bonheur"

dimanche 21 janvier 2018

Décédé dans la nuit de samedi à dimanche à l’âge de 65 ans, le philosophe, pilier de la Sorbonne, était un expert mondialement reconnu de Démocrite, Épicure ou Lucrèce. Fidèle aux idéaux de Marx, il dénonçait la perte de repères d’une gauche envoûtée par les sirènes libérales.

Nous vous proposons de relire l’entretien qu’il avait accordé le 13 février 2015 à Diègo Chauvet pour l’Humanité Dimanche.

Le philosophe et grand intellectuel marxiste, professeur de philosophie à Paris-Panthéon la Sorbonne est mort le 14 janvier à l’âge de 65 ans. Ses principaux travaux de recherche portent sur la philosophie des atomes et sur la pensée du plaisir. Il était le fils d’Henri Alleg qui avait publié pendant la guerre d’Algérie, La Question, le premier grand livre sur la torture, qui fut longtemps censuré. Nous vous proposons de relire l’entretien qu’il avait accordé le 13 février 2015 à l’Humanité Dimanche.

Arrivé, comme il le dit, à l’âge des « anecdotes », le philosophe épicurien livre dans son nouvel ouvrage ses réflexions sur l’état du monde, la dégénérescence des gauches en Europe, mais aussi ses propres passions intellectuelles. Il juge aussi avec sévérité les évolutions de son parti, le PCF, ces trente dernières années. Jean Salem ne se sent pas obligé d’être optimiste dans une époque qu’il qualifie de décadente. Mais il propose des voies pour construire un bonheur durable. Entretien.

HD. Vous avez choisi la forme d’un entretien pour ce nouveau livre. Pourquoi ?

Jean Salem. Peut-être à cause du penchant narcissique à raconter sa vie... et au fait que je suis arrivé à l’âge de l’« anecdotage ». Ça a aussi été une proposition d’Aymerick Monville, mon éditeur.

HD. En dehors de l’âge des anecdotes, la période tourmentée que nous traversons a-t-elle justifié la publication de ce livre ?

J. S. J’ai écrit un certain nombre de livres : sur le bonheur, sur Lénine, le matérialisme antique, Maupassant... Et outre de multiples voyages universitaires, depuis cinq ou six ans, j’ai fait beaucoup de voyages « académicopolitiques » ou de militant. En Corée du Sud notamment, où je travaille avec des camarades dont le parti a été interdit en décembre 2014 (le Parti progressiste unifié, marxiste – NDLR).

Durant ces trente dernières années, on nous a expliqué que l’Union soviétique, c’était pire que le nazisme. Que de notre histoire à nous, les communistes, nous ne pourrions qu’avoir honte. Aujourd’hui, avec le séminaire sur Marx que j’anime à la Sorbonne depuis 2005, je vois revenir l’intérêt pour le marxisme alors que les étudiants avaient tendance à poser leur stylo lorsqu’on l’évoquait... J’observe en même temps un regain militant au sein du PCF, notamment la création de cercles de jeunesses communistes très actifs.

Issu d’une famille qui s’est réfugiée en Union soviétique, mais ayant été peu élevé par mes parents du fait des années de clandestinité et d’emprisonnement de mon père, j’ai été aussi influencé par la partie de ma famille qui n’était pas communiste, qui estimait merveilleux qu’Israël existe.

J’ai pensé que ça pouvait servir à comprendre qu’arriver au communisme, aux idées justes, est un cheminement : on enlève des oeillères, on oublie sa tribu et ses soi-disant racines... Le « cinéma » identitaire court les rues. Et on manque d’organisations qui fédèrent tout le monde sur des idées générales et pas sur la basquitude, la corsitude... Je ne suis pas contre ces revendications, mais on s’est égaré dans une telle fragmentation de revendications parcellaires, de victimisations, que la pensée unique n’a plus de mal à nous dominer tous.

On doit beaucoup de choses à Robespierre, à la révolution soviétique, et on doit encore plus de choses à l’histoire du mouvement ouvrier au XXe siècle. On va droit dans le mur si on ne rappelle pas ces hauts faits.

Cependant, je pense qu’il y a un redressement en ce moment au sein du PCF. Nous avons besoin d’une organisation de combat pour le renforcer.

HD. Vous êtes en accord avec l’essai écrit par Domenico Losurdo sur « l’autophobie des communistes » à la fin du XXe siècle, que vous citez. Vous consacrez un passage à ceux que vous qualifiez de « liquidateurs » du PCF dans les années 1990. Quel est votre regard sur l’évolution du Parti aujourd’hui ?

J. S. Dans les réunions de cellule, auxquelles j’ai pu assister ces dernières années, j’ai surtout vu des gens des classes moyennes... La tactique de Front de gauche a « fait ses preuves » dans des pays comme l’Espagne : Izquierda Unida apparaît comme un parti corrompu comme les autres... Chez nous, ça n’a pas pris la même tournure. Mais si le Front de gauche a créé un mouvement qui a permis une belle campagne à quelqu’un qui ne vient pas de chez nous, qui a fait se redresser la tête à beaucoup de gens en France, ce front électoral s’est ensuite écroulé. Cependant, je pense qu’il y a un redressement en ce moment au sein du PCF. Nous avons besoin d’une organisation de combat pour le renforcer.

HD. Vous citez l’exemple du Front de gauche. Vous n’épargnez pas Syriza en Grèce... Maintenant qu’ils sont au pouvoir, est-ce un événement positif ?

J. S. Il ne faut pas avoir raison trop tôt. Tous les révolutionnaires merveilleux que je peux connaître dans le monde me signalent que tous ceux qui ont quitté le parti communiste grec pour en dire le plus grand mal sont membres de Syriza. Les gens du PASOK qui ont senti le vent tourner aussi... Mais à mon avis, Syriza n’est qu’une variante de la social-démocratie adaptée à 2015, à l’époque de la colère des peuples.

Je pense que l’on doit comprendre que le modèle qui tend à donner de l’importance à l’État, à collectiviser certaines activités économiques, permet de lutter contre l’individualisme, les guerres, la vénalité, la capacité à vendre tout et n’importe quoi, y compris les êtres humains...

Si Marx n’a plus été au programme de l’agrégation pendant quarante ans, il est redevenu un véritable phénomène. Les rééditions de ses ouvrages partent comme des petits pains.

HD. Ce qui signifie pour vous que les compromis sont impossibles ?

J. S. Dans une période de crise totale, on ne peut pas refaire le monde. Il faut être dans la société. Le PCF ne cesse de le répéter et il a raison, mais il faut aussi rappeler le passé et les intérêts que servent ceux avec qui l’on peut s’allier.

HD. Vous ne vous sentez pas obligé d’être optimiste aujourd’hui, comme on pouvait ne pas l’être en 1938 ou en 1914, écrivez-vous... La veille des deux guerres mondiales ?

J. S. Dans « Lénine et la Révolution », j’écris que nous sommes dans une sorte de pièce de Tchekhov. On ne sait pas ce qui va venir, mais on sent que ça va venir. Guerre ? Fascisme ? Révolution ? Des dirigeants comme Hugo Chavez ou Fidel Castro ont souligné ces dangers qui montent d’un peu partout.

HD. Pour le philosophe marxiste et épicurien que vous êtes, existe-t-il dans une telle période des raisons d’être heureux ?

J. S. Dans nos sociétés de plus en plus sombres, atomisées, on ne cesse de parler de repli sur la famille. Paradoxalement, il y a de plus en plus de personnes isolées. Je ne veux pas jouer les professeurs de bonheur, mais je crois qu’il faut savoir lutter contre tous ces petits plaisirs frelatés qui nous tombent dessus pour nous donner trois minutes de bonheur, et s’efforcer de trouver du bonheur dans la durée. Il n’est pas seulement celui de la famille, il peut être aussi celui d’un travail passionnant, du voyage... Mais je parle bien de sources de plaisir solide, durable.

Ensuite, lutter pour de belles causes est source d’un bonheur spécifique. Malgré l’atomisation des luttes, je vois des choses magnifiques. J’admire ces gens, souvent chrétiens, qui, dans le nord de la France, risquent des années de prison en hébergeant des frères venus du bout du monde et traqués par la police parce que sans papiers. Pour moi qui ai pas mal de chances, au pluriel, un de mes plaisirs c’est de retrouver des militants qui ressemblent à ceux de générations précédentes, ou à ces jeunes communistes dont j’ai parlé précédemment...

HD. Comment expliquez-vous le regain d’intérêt pour Marx dans un contexte où, selon la pensée unique que vous combattez, le bonheur ne peut être qu’individuel ?

J. S. Si Marx n’a plus été au programme de l’agrégation pendant quarante ans, il est redevenu un véritable phénomène. Les rééditions de ses ouvrages partent comme des petits pains. On s’accorde aujourd’hui à constater que le délire néolibéral est en fin de course. Au moins sur le plan idéologique. Plus personne ne peut supporter le discours qui fait de nous des sortes de grands singes mus uniquement par la concurrence et l’envie d’être le premier.

À force d’entendre prôner une société de rentabilité maximale, les gens ont commencé à faire le bilan. Dans une société où il n’y a besoin que d’entrepreneurs, on considère que ne sont pas rentables la philosophie, l’histoire, la musique, l’humour, l’amour...

Mais les gens sont des humains.

Et les humains ne sont pas du tout cet homme abstrait défini de façon délirante par le néolibéralisme. En philosophie, on n’en a rien à faire de la concurrence. On lit les livres passionnants, et plus il y en a, mieux on se porte.

Pour en savoir plus : son livre Ici

Photo logo  : Jean Salem, en novembre 2009. Photo Olivier Roller. Divergence

   

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