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La révolte des pauvres ébranle le régime en Iran

vendredi 9 février 2018 par Azadeh Kian pour Orient XXI

Les autorités iraniennes ont réussi à mater les manifestations sociales qui ont ébranlé le pays en décembre-janvier. Pourtant, les émeutes ont confirmé la fragilisation du pouvoir que confirme le mouvement de désobéissance civile de femmes qui se dévoilent en public pour protester contre son port obligatoire.

La corruption, l’inefficacité économique du gouvernement d’un jurisconsulte (velayat-e faqih)  [1] associées à la répression des libertés civiles et politiques légitimes ont épuisé la population et provoqué les manifestations les plus importantes des années postrévolutionnaires.

Dans sa déclaration, Abolfazl Ghadyani, célèbre et courageuse personnalité de gauche islamique, ancien prisonnier politique sous le chah comme sous la République, attribuait au Guide Ali Khamenei la responsabilité des révoltes qui ont secoué le pays pendant une dizaine de jours, entre la fin décembre 2017 et le début janvier 2018.

L’intervention des forces de répression et le déploiement des Gardiens de la révolution ont provisoirement mis fin aux rassemblements de milliers de manifestants issus des classes populaires qui ont ébranlé plus de 70 villes de province. Vingt-cinq tués, entre quatre et sept mille arrestations selon les estimations et trois manifestants décédés en prison dans des circonstances douteuses constituent le bilan de ces journées de colère.

Les tenants du régime islamique dont le Guide — cible privilégiée des manifestants avec des slogans comme « Mort à Khamenei » ou « À bas le dictateur » — et le président « modéré » Hassan Rohani se sont félicités d’avoir maîtrisé des « fauteurs de troubles », assimilés à une minorité infiltrée par des opposants du régime à l’étranger et par les États-Unis, l’Arabie saoudite et Israël. Pourtant, deux jours après le début des manifestations, Rohani avait reconnu dans son allocution la légitimité des revendications populaires qui selon lui ne se résumaient d’ailleurs pas à des demandes d’ordre économique, mais étaient également sociales et politiques.

Cependant le président a reculé, une fois de plus, face aux diktats du Guide Khamenei qui a tenté d’attribuer la responsabilité des conflits sociaux aux étrangers en qualifiant les manifestants de saboteurs à la solde des puissances extérieures.

Un profond sentiment d’injustice

Sans nier les tentatives d’instrumentalisation par les ennemis de la République islamique d’Iran ou les opposants du régime à l’étranger, ces révoltes spontanées auxquelles nombre de jeunes femmes ont participé expriment l’aspiration au changement des classes populaires et moyennes inférieures, aussi bien au plan économique que social et politique.

Frappées de plein fouet par le chômage, la précarité, la misère et sans perspective d’avenir, ces populations sont aussi habitées par un profond sentiment d’injustice lié à la corruption et au pillage de la richesse nationale par une minorité au pouvoir.

Mohammed Maljou, un économiste iranien qui avait prédit la possibilité des émeutes du pain des citadins précarisés (sans abris, migrants ruraux, chômeurs, ouvriers journaliers, marchants ambulants), considérait dans une interview au site Etemad les récentes manifestations comme les premières « révoltes de classe » depuis la révolution2.

En effet, ces manifestations sont différentes de celles du Mouvement vert de 2009. Politique, structuré, porté par les classes moyennes urbaines, celui-ci avait émergé dans l’espace social avec des leaders issus du régime — qui sont toujours en résidence surveillée. Ses acteurs, dotés d’un capital tant social qu’économique rejetaient la violence, aspiraient à des changements pacifiques, cherchaient à établir des bases démocratiques pour tenter de transformer le système de l’intérieur par le biais des élections et de la participation à un espace politique institutionnalisé.

L’existence, depuis la Révolution, d’un large éventail de tendances au sein du régime islamique avec des idéologies et des intérêts différents, voire divergents, laissait présager la possibilité d’une alternance politique et la viabilité d’une démocratisation du système.

Les manifestants de 2018 n’ont au contraire rien à perdre et ils en veulent à l’ensemble des institutions et aux responsables du régime, réformateurs comme conservateurs. La prise de position contre eux de la majorité des personnalités réformistes, Mohammed Khatami en tête, associée à la grande déception d’un électorat qui a réélu Rohani en 2017 dans l’espoir d’une ouverture politique et économique du pays a mis fin à la possibilité d’une évolution graduelle.

Et on risque d’assister à la généralisation des exigences de justice sociale et d’une meilleure répartition de la richesse nationale, d’une limitation du pouvoir économique, financier et politique des structures monopolistiques (liées à la maison du Guide, aux institutions religieuses, aux fondations ou aux Gardiens de la révolution), de transparence, de protection de l’environnement, de respect des libertés individuelles et collectives, de séparation de la religion et de l’État.

Ou encore d’organisation d’un référendum pour déterminer la nature du régime souhaité par la majorité des électeurs qui semblent rejeter l’islam politique et revendiquer une République iranienne — et non plus islamique.

Une aristocratie cléricale qui refuse de voir et d’entendre

L’aristocratie cléricale, qui refuse de reconnaitre les problèmes sociaux et politiques à l’origine des mécontentements populaires, ne fera que radicaliser les discours, revendications et actions, polarisant la société entre une minorité liée aux cercles du pouvoir qui s’est enrichie depuis la révolution et une majorité qui n’a pas profité de la distribution de la manne pétrolière. Les tensions grandissantes pourront conduire à la déstabilisation du pays dans un contexte régional et international où les États-Unis, Israël et l’Arabie saoudite ont scellé une alliance contre l’Iran.

Contrairement aux conservateurs, unanimes pour condamner les manifestants, les émeutes ont provoqué des dissensions au sein des réformistes : une majorité dite modérée s’est rangée du côté du pouvoir et une minorité a pris ses distances. Mohammed Taghi Fazel Meibodi, enseignant à l’école théologique de Qom appartient à cette dernière.

Après avoir sévèrement critiqué Kazem Sedighi, imam dirigeant la prière du vendredi dans une mosquée de Téhéran pour avoir qualifié les manifestants d’« ordures », Meibodi a affirmé : J’estime que le clergé ne connait pas véritablement la population et ne comprend pas ses problèmes ni ses souffrances. Si l’imam de la prière du vendredi vivait sous le seuil de pauvreté, il ne s’exprimerait pas de la même façon. Ce groupe jouit d’un niveau de vie très confortable, ne subit aucunement les pressions économiques et ignore donc la vie difficile de ceux qui descendent dans la rue pour crier leurs souffrances.

Suite de l’Article Ici.

Légende de la photo : Manifestation à Machhad. Aftab via Les Lettres persanes.


Voir en ligne : https://orientxxi.info/magazine/la-...


[1Le velayat-e faqih ou « gouvernement du docte » est défendu par une partie seulement de la hiérachie chiite. Selon la doctrine du chiisme duodécimain, après la mort du prophète Muhammad et des douze imams qui lui ont succédé, le dernier d’entre eux s’est « retiré » tout en restant en vie. En attendant la fin des temps et le retour de l’« imam caché », durant la période de la « Grande Occultation », qui doit guider la communauté des croyants. Selon l’ayatollah Khomeini et les partisans du velayat-e faqih, ce rôle revient au faqih, au docte, vicaire de l’« imam caché » et délégataire de la souveraineté divine.

   

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