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« Du côté des politiques, plus grand-monde n’ose aborder la question du logement, pourtant fondamentale »

mardi 28 septembre 2021 par Basta Mag

Encadrement des loyers, logement social, rénovation... Alors que les confinements ont mis en exergue les inégalités de logement, Manuel Domergue, de la Fondation Abbé Pierre, convoque ces enjeux historiques à l’approche des présidentielles.

Et pour encore mieux comprendre les "ficelles" du pouvoir pour éviter de prendre ses responsabilités, lire l’article de Charles Hoareau ICI : L’APL parlons-en… Justement !!

Basta ! : Les expulsions locatives ont repris cet été. Près de 30 000 ménages sont menacés. Quelles conséquences de la crise sanitaire observez-vous sur la difficulté de se maintenir dans le logement ?

Manuel Domergue [1] : Les conséquences sociales sont encore à déterminer, dans la mesure où la crise sanitaire n’est pas finie. Pour l’instant, les victimes sociales de cette crise sont essentiellement les personnes déjà fragilisées, qui avaient du mal à payer leur loyer. La crise leur a maintenu la tête sous l’eau : elles ont eu plus de mal à trouver des arrangements avec leurs bailleurs, à commencer à régler leurs dettes, et à sortir des procédures d’expulsion par le haut.

Dans les mois qui viennent, peut-être y aura-t-il davantage de nouveaux pauvres : certaines entreprises qui se maintiennent encore grâce aux aides publiques pourraient couler... Dans toutes les crises, les conséquences sociales s’observent sur le long terme ; et il faut parfois des années avant que cela se transforme en expulsions locatives.
Entre la perte d’emploi, puis la fin de droits, et enfin le moment où les ménages n’arrivent plus à payer leurs loyers, il s’écoule toujours des mois, voire des années. Ceci étant, au vu des files d’attente pour les distributions alimentaires, il y a déjà de la casse sociale.

Le gouvernement a annoncé le maintien de 43 000 places d’hébergement d’urgence, même hors période hivernale, et ce jusqu’en mars 2022. La ministre du logement Emmanuelle Wargon vient d’annoncer, le 6 septembre, un travail autour d’une loi de programmation pluriannuelle des places d’hébergement.

Assiste-t-on à une rupture avec la traditionnelle gestion au thermomètre ?

Chaque année, jusqu’à la fin de la période hivernale, on ne sait pas si les places d’hébergement seront pérennisées : cela créé de l’incertitude pour les personnes. Cette annonce ministérielle, en visant à pérenniser des places, relève d’une bonne orientation. Mais elle n’engage pas à grand-chose. D’abord, ce n’est que l’acceptation de travailler ensemble sur le sujet. Ensuite, elle arrive en fin de mandat [2], alors que tout l’intérêt d’une loi de programmation pluriannuelle est d’être établie en début de quinquennat.

Par ailleurs, il y a une limite au maintien des places : il n’équivaut pas au maintien des personnes. Il peut y avoir du turn-over, des remises à la rue pour faire entrer d’autres personnes : nous n’avons pas de garantie que la continuité de l’hébergement soit respectée. Par-dessus tout, l’objectif n’est pas de laisser les personnes pendant des mois dans de l’hébergement précaire, des hôtels parfois surpeuplés, où enfants et parents dorment dans le même lit, en périphérie des villes...

On peut se féliciter que les personnes ne soient pas à la rue, mais on ne peut pas s’en contenter. Cela ne respecte pas l’ambition affichée par la politique du Logement d’Abord [le programme social lancé par Emmanuel Macron après son élection, qui vise à reloger les personnes sans domicile, ndlr]. Dans l’idéal, il faudrait une loi qui planifie les dépenses de l’État sur le logement social et le Logement d’Abord.

Justement, à moins d’un an de la fin du quinquennat, quel bilan faites-vous du plan Logement d’Abord ? Lancé par ce gouvernement, il visait précisément à mettre fin aux parcours sinueux dans l’hébergement pour favoriser l’accès direct au logement.

Le bilan est assez critique.
Sur le papier, c’était à saluer : beaucoup de mesures reprenaient les préconisations des associations, deux appels à manifestation d’intérêt en 2018 et 2020 ont permis à 46 collectivités de s’approprier cette politique. Un consensus s’est créé. Chaque année, ​​davantage de ménages sortent de leur situation de sans-domicile pour aller vers un logement pérenne.

Mais il y a des signaux contradictoires.

Dans la plupart des collectivités engagées, on a augmenté un peu les objectifs de logements très sociaux, créé une ou deux pensions de famille... On reste dans une dimension expérimentale, marginale. Quant au gouvernement, il n’a pas du tout mis les moyens à la hauteur de son plan. Ceux-ci ont été cannibalisés par l’hébergement d’urgence, à l’opposé des objectifs du Logement d’Abord.

Surtout, ce gouvernement a coupé dans les politiques traditionnelles servant à faire du Logement d’Abord – même lorsque cela ne s’appelait pas encore ainsi. C’est très paradoxal de demander aux bailleurs sociaux d’accueillir les ménages qui viennent de la rue, d’éviter les expulsions, tout en leur coupant les vivres. Cela a été le cas avec la réforme des APL, ou encore avec le dispositif de réduction du loyer de solidarité – une ponction de 1,3 milliard par an.
Alors que les bailleurs sociaux devraient être les acteurs principaux du Logement d’Abord…

Aujourd’hui, comment décririez-vous la santé financière des bailleurs sociaux ?

Avant le début du quinquennat, ils étaient plutôt en bonne santé financière. Et heureusement, car on en a besoin ! Cette bonne santé financière ne se traduit pas par des dividendes ou des stock-options, puisque ce sont des acteurs à but non lucratif, ou à la lucrativité très encadrée.

Depuis quinze ans, celle-ci leur a permis de faire de la rénovation urbaine, de doubler la production HLM, d’accueillir des ménages de plus en plus pauvres, dans un contexte où les aides à la pierre avaient quasiment disparu.

Aujourd’hui, ils sont en moins bonne santé financière, avec un endettement accru auprès de la Caisse des dépôts. Cela se traduit par une baisse de la production neuve, ou par des loyers de sortie trop élevés, que les pouvoirs publics acceptent pour pouvoir boucler les opérations. Ces logements neufs ne sont dès lors pas destinés aux plus pauvres.

Ceux qui paient vraiment les ponctions de l’État, ce ne sont donc pas tant les bailleurs sociaux et leurs salariés ; mais bien les gens qui ne pourront pas accéder au parc social ou qui y paient des loyers trop élevés.

Autre conséquence : la baisse des dépenses d’entretien – ascenseurs, isolation… – pour rééquilibrer les comptes. Le parc va se dégrader au fil des années... À un moment, il faudra faire des rénovations à grands frais.

Dans le parc privé, comment percevez-vous la progression de l’idée d’encadrement des loyers ?

Au début du quinquennat, nous étions très inquiets. Votée dans la loi ALUR en 2014, cette mesure avait été détricotée par le gouvernement Valls. Seules Paris et Lille l’avaient mise en place, avant que cela ne soit cassé par les tribunaux.

Puis, nous avons eu de bonnes surprises : d’abord, la juridiction administrative a acté la légalité de l’encadrement à Paris. La loi ELAN a clarifié ce point de droit, en affirmant qu’une collectivité pouvait mettre en place l’encadrement sur une seule partie de l’agglomération. Une sorte de compromis, reflétant l’avis mitigé de la majorité et d’Emmanuel Macron.

Après les élections municipales de 2020, beaucoup de collectivités se sont lancées. On compte aujourd’hui Paris et Lille, Grenoble, Lyon, Villeurbanne, Montpellier, Bordeaux, Plaine Commune depuis le 1er juin et bientôt Est Ensemble en Île-de-France...
Le projet de loi 4D va aussi prolonger l’expérimentation de 2023 à 2026. Les premiers retours à Paris sont assez positifs. Il n’y a pas de baisse massive des loyers, mais un écrêtement des loyers les plus abusifs. C’est un acquis important, qui n’était pas du tout gagné.

Nous espérons que les villes et les habitants se l’approprieront de plus en plus, que les propriétaires bafouant la loi seront davantage sanctionnés… Pour que l’on puisse envisager, dans un second temps, un encadrement plus strict dans les villes très chères. Aujourd’hui, on prend le loyer médian du marché, on rajoute 20 %, et il est interdit d’aller au-delà ; on pourrait passer à 10 %, ou 0 %...

Quelle place peut-on espérer pour le logement dans le débat politique de ces présidentielles ?

C’est un sujet que nous avons beaucoup de mal à politiser, ces dernières années. Au début du quinquennat Hollande, ce chantier était très investi politiquement, avec des mesures identifiées à gauche sur la production HLM ou l’encadrement des loyers. Puis il y a eu un retour en arrière avec le gouvernement Valls. Cette partie de la gauche a mis en sourdine ses revendications, parce qu’elle a fait tout et son contraire.

Emmanuel Macron, lui, est arrivé avec une idéologie de la dérégulation, du choc de l’offre. Il s’est aperçu que cela ne marchait pas et, face à cet échec, a également mis en sourdine ses ambitions.

En somme, plus grand-monde n’ose aborder cette question. Idem chez les écologistes, pris dans une tension entre la volonté de ne pas artificialiser davantage, de ne pas faire trop de densité, et en même temps la nécessité de faire du logement.

Les confinements ont montré que le logement était fondamental pour vivre, travailler, se protéger. Il faut arriver à transformer cette prise de conscience en une politique publique offensive. Notre crainte, c’est que cela ne se traduise que par des réactions individuelles : des cadres s’achetant des résidences secondaires, ou télétravaillant depuis une banlieue lointaine et verdoyante…

Et des gens vivant dans des taudis ou des logements surpeuplés qui y restent.

Pendant cette campagne, nous misons beaucoup sur le thème de la rénovation énergétique. Pour les politiques de tous bords, c’est un boulevard : il s’agit de relance économique, de diminution de l’empreinte carbone, de pouvoir d’achat des ménages, de santé des occupants… Même si, dans le fond, le sujet n’est pas si consensuel, car il pose la question des aides publiques pour les ménages les plus modestes, de l’obligation, de la planification.

Vous évoquez la difficulté de politiser le thème du logement. Du côté de la société civile, il semble également compliqué de mobiliser. En dehors des actions associatives, il n’existe pas de mouvement citoyen d’ampleur...

C’est en effet un gros écueil. Et c’est notre difficulté depuis toujours – sauf exceptions, comme l’appel de l’Abbé Pierre en 1954 ou les Enfants de Don Quichotte en 2006.

Les gens sont sensibilisés à des sujets comme l’encadrement des loyers, les impacts d’Airbnb... Mais les mobilisations demeurent ponctuelles, éphémères. À Lyon, le collectif Jamais sans Toit est porté par des parents d’élèves qui occupent des écoles pour loger des élèves sans domicile : c’est très intéressant, mais cela reste local. En ce moment, les mobilisations citoyennes ne sont pas florissantes.

Et puis le sujet est perçu comme très technique. Les personnalités politiques en campagne, tout comme nous, dirigeants associatifs, avons la responsabilité de montrer qu’il y a des solutions, nécessitant un peu de courage politique… Mais aussi des choix à faire entre groupes sociaux.
C’est cela qui n’est pas simple à expliquer.

Si vous faites du Logement d’Abord, cela implique d’attribuer des logements sociaux à des sans-domicile plutôt qu’à d’autres ménages. Si vous faites de l’encadrement des loyers, vous privilégiez les locataires du parc privé par rapport à leurs bailleurs. Ces arbitrages financiers font des gagnants et des perdants...

Il y a donc du conflit. Du conflit de classe. Mais c’est cela, politiser un sujet.

Recueilli par Maïa Courtois

Photo de Une  : Rassemblement « pour l’habitat digne et le droit à la ville » devant la Mairie centrale de Marseille, le 10 décembre 2018, en réaction à l’effondrement d’un immeuble insalubre dans lequel huit habitants sont morts / © Jean de Peña.

- Lire à ce sujet : Sous les immeubles effondrés de la rue d’Aubagne, les décombres de l’État de droit


[1Directeur des études de la Fondation Abbé Pierre.

[2Selon le ministère, les rendus des groupes de travail auront lieu au premier trimestre 2022.

   

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