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Le risque systémique chinois - automne 2021

lundi 22 novembre 2021 par Badia Benjelloun (ANC)

Comparaison abusive
Les échotiers et plumitifs de la presse spécialisée ou non se sont émus ces dernières semaines pour les difficultés du groupe chinois Evergrande, craignant en cas de faillite des évènements en cascade qui affecteraient l’économie chinoise, et par là-même l’économie mondiale.

La faillite de Lehman Brothers (LB) hante encore le ‘monde de la finance’ qui est tenté d’assimiler la disparition d’une banque qui a prospéré sur la spéculation et la vente de produits dérivés très risqués à celle d’une firme de construction et de promotion immobilière aux activités très diversifiées.

Evergrande est certes très endettée mais productrice de biens concrets, ses emprunts sont adossés à des actifs qui ne doivent rien à la magie de l’ingénierie financière.

Au moment de déposer le bilan et de se déclarer en faillite en 2008, la banque LB était endettée pour 617 milliards de dollars. Elle empruntait 30 dollars pour un dollar de capital quand les banques étasuniennes les plus audacieuses se contentaient de 25 pour un. En 2007, elle avait enregistré 7 milliards de bénéfices grâce aux opérations juteuses et risquées de titrisation des dettes incluant des dettes hypothécaires de mauvaise qualité.
Les emprunteurs insolvables n’ont plus pu rembourser les échéances de leur prêt alors que le prix de l’immobilier qui avait progressé régulièrement s’est infléchi puis s’est mis à chuter abruptement. Ce phénomène dont l’origine est localisée aux Usa a contaminé toutes les institutions financières qui ont investi dans les produits structurés dérivés de crédits hypothécaires à risque.

Les pertes massives des investisseurs ont induit une récession mondiale qui a été tempérée par la Fed puis par la BCE qui ont renfloué les institutions défaillantes. Lehman Brothers n’a pas été sauvé par la Fed, contrairement à Citigroup qui a reçu une injection de 100 milliards de dollars et une garantie pour les 300 milliards d’actifs toxiques et à l’assureur AIG qui a été ‘nationalisé’ puisque la banque centrale a pris le contrôle de son capital à 79,9%.
AIG, outre les activités traditionnelles d’un assureur, garantissait pour 400 milliards de titres obligataires pour plusieurs banques et donc fonctionnait comme une banque d’investissement. C’est la filiale britannique AIG Financial Products qui a été le point de départ de la débâcle au travers de sa succursale française qui avait émis 687 milliards d’instruments financiers à terme soit 1 200 fois son capital.

L’intervention non conventionnelle de la Fed illustre l’adage du capitalisme ’nationaliser les pertes et privatiser les profits’ et contredit le dogme du néolibéralisme qui se réclame de toujours moins d’État.

L’assimilation de la situation de l’immobilier chinois à la crise des subprime indique le degré d’ignorance ‘du monde de la finance’ très doué pour fabriquer de curieux objets très sophistiqués d’un contenu virtuel qui se vendent et s’achètent mais ne comprend même plus le Réel.
Son propre réel consiste en une captation de la plus-value générée par l’exploitation de l’ouvrier chinois et bangladais. Son environnement, taux d’intérêt négatifs, abondance d’argent facile qui fait grimper les valeurs boursières à des valeurs stratosphériques, ne lui permet pas une analyse concrète de conditions différentes et exotiques qu’un socialisme en voie de construction dans l’énorme continent chinois.
Il ne reconnaît d’ailleurs ses propres bulles boursières qu’une fois celles-ci éclatées.

Une toute autre configuration

Après quatre décennies d’expansion du marché immobilier chinois, les deux dernières années de pandémie combinées à des mesures de restriction au recours à l’emprunt sous forme de ratios prudentiels prises dès août 2020 par le gouvernement l’ont ralenti.

Près d’un logement sur cinq ne trouve pas acquéreur et reste inoccupé. L’immobilier est devenu trop cher pour la majorité des travailleurs (40% des salaires atteignent à peine 1 000 yuans soit 135 euros). Alors que les besoins sont importants car si le taux d’urbanisation de la Chine est de 60%, l’Académie chinoise des sciences sociales prévoit que ce taux atteindra 70% en 2035.

Le Secrétaire Général du Parti communiste chinois compte prendre des mesures pour que les prix des logements deviennent abordables et faire cesser la spéculation sur l’immobilier. C’est dans ce contexte de récession dans le marché de l’immobilier que Evergrande, la deuxième firme en importance dans ce secteur, est confrontée à un problème de manque de liquidités et éprouve des difficultés à honorer le paiement des coupons obligataires qu’elle a émis et les intérêts de ses emprunts bancaires.
Son endettement vis-à-vis des banques chinoises, les banques publiques chinoises sont le premier créancier, loin devant les investisseurs étrangers, a été estimé à 300 milliards de dollars, dont 80% à court terme.

Les analystes de Goldman & Sachs déclarent éprouver quelques difficultés à évaluer les risques de défaut de paiement d’Evergrande tant l’architecture de ses filiales est complexe et opaque.
En effet, la firme a investi dans les véhicules électriques, l’embouteillement d’eau minérale, l’agro-alimentaire, le sport et la gestion immobilière. Elle tente de lever des fonds en cédant une partie de ses actifs, de ses propriétés aux participations dans des filiales, aussi bien en Chine continentale qu’à Hong Kong.

Evergrande a même contraint ses employés à lui prêter de l’argent, les menaçant de leur supprimer leurs primes et présentant cet emprunt forcé comme un investissement à intérêts élevés. Les autorités chinoises surveillent ses comptes bancaires pour s’assurer que les fonds sont bien utilisés pour achever les projets de logement d’un million six cent mille acheteurs qui ont déjà versé des acomptes. Le gouvernement chinois a demandé au fondateur de la société de puiser dans sa fortune personnelle pour solder les dettes.

Evergrande rembourse ses dettes in extremis mais à temps.

En octobre, la société a payé des intérêts en souffrance aux détenteurs d’obligations offshore. En novembre, elle a évité des défauts de paiements après avoir levé 273 millions de dollars en vendant en plusieurs fractions sa participation dans une société Internet. Sa cotation boursière s’est alors relevée de plus de 8% dans les échanges de la bourse de Hong Kong. Le cours des actions avait baissé de 80% depuis le début de l’année.

Par ailleurs, les autorités chinoises ont assoupli les conditions d’accès aux prêts bancaires pour faciliter la levée de liquidités pour les sociétés immobilières. Evergrande emploie 200 000 personnes et assure plus de 3,8 millions d’emplois indirects.

Hormis les difficultés de ce groupe, le deuxième en importance et en volume de surfaces construites, au moins six promoteurs immobiliers ont fait défaut sur des obligations détenues par des étrangers ces dernières semaines. En tenant compte de la construction et des services et autres biens liés à l’immobilier, l’activité immobilière représente environ 30% du PIB chinois.
Dans la plupart des pays dits développés, elle représente 10 à 20% du PIB. Cette dépendance en cas de récession immobilière peut fragiliser l’économie chinoise.

Les observateurs et analystes économiques redoutent un ralentissement de la croissance du PIB chinois, toujours scruté de près en raison du poids du pays dans l’économie mondiale, dû à des coupures de courant, à la reprise épidémique, aux perturbations des chaînes d’approvisionnement et à la situation de l’immobilier.

Au deuxième trimestre, le PIB a enregistré une hausse de 7,9% puis il a accusé un essoufflement au 3ème trimestre à 4,9%. La forte hausse du coût des matières premières, en particulier du charbon importé pour alimenter les centrales électriques qui tournent au ralenti, fait que l’électricité est rationnée, faisant bondir les coûts de production.
Les ventes au détail ont progressé de façon substantielle et le taux de chômage a reculé en septembre, s’affichant à 4,9% versus le record de 6,2 % enregistré en février 2020.
Le FMI prévoit une croissance de 8% pour 2021 quand le gouvernement chinois table sur un objectif de 6%.

Les publications du Bureau national des statistiques (BNS) chinois indiquent que les ventes dans l’immobilier résidentiel ont augmenté de 7,1% dans les dix premiers mois par rapport à la même période de l’année précédente. Les prix des logements neufs ont chuté de 0,2% pour le mois d’octobre mais sur l’ensemble des dix premiers mois de l’année, ils ont augmenté de 3,4%.

Nous sommes donc très loin à ce jour d’un effondrement du secteur de l’immobilier, d’autant que les investissements ont augmenté de 7,2% par rapport à 2020 pour la même période.

Nouveau plan quinquennal

Les autorités chinoises attentives aux firmes qu’elles financent ont restreint l’accès de la société immobilière au crédit, jugeant son niveau d’endettement trop dangereux et l’ont donc placée en situation d’illiquidité. Quand cette mise au pas l’a mise en danger de faillite imminente, elles ont décidé de relâcher le resserrement du crédit en lui imposant des règles de fonctionnement rigoureuses.
Ce renflouement assorti de conditions, ce n’est ni plus ni moins que ce qu’avaient pratiqué le Trésor étasunien et la Fed au cours du sauvetage d’AIG avec pour l’instant la nationalisation en moins.

Parmi les conditions du crédit, il est fait obligation prioritairement de livrer les logements aux acquéreurs qui avaient versé un acompte, les créanciers passant au second rang.

Nous avons affaire ici à une crise provoquée et contrôlée par les autorités. Evergrande est le cas de figure qui illustre des réformes financières profondes du système chinois. Les responsables politiques ont décidé d’assurer une stabilité financière, or les emprunts excessifs sont un risque qui peut mettre en péril la sécurité économique de la Chine, voire mondiale, car des investisseurs étrangers se sont ravitaillés sur le marché des obligations émises par les entreprises (près de 1 000 milliards de dollars).

Cette démarche rentre dans le cadre de l’orientation imprimée par le Parti communiste qui a jugé trop importante l’influence des gros groupes privés, éloignés des principes communistes.

L’État y prend des participations, parfois minimes, limitées à 1%, ce qui lui donne le droit de nommer des membres au Conseil d’administration et d’orienter les projets et les orientations.
Les entreprises privées avec des investisseurs liés à l’État sont passées de 14,1% en 2000 à 33,5% en 2019, cela correspond à 130 000 entreprises privées organisées en co-entreprises en 2019 contre 45 000 en 2000.

À cela s’ajoute désormais la création de cellules du PCC dans les entreprises privées avec pour fonction de veiller à la cohérence de la politique de l’entreprise avec les objectifs macro-économiques fixés par l’État et le Parti, leurs représentants pouvant assister aux réunions de la direction.

Les ‘fonds d’orientation’, énormes véhicules d’État, investissent de plus en plus ($ 9,4 milliards en 2016 contre $ 125 en 2020) mais de façon préférentielle et soutenue dans le secteur de technologie de pointe et des semi-conducteurs. Le domaine des puces de l’Intelligence Artificielle, la robotique l’informatique quantique et les blockchain a été considéré comme une priorité dans le 14ème plan quinquennal.

Les investisseurs étrangers qui ont volontiers pris des parts dans ce secteur en plein essor hésiteront désormais dans ce contexte d’un contrôle étroit. Ce découragement, effet secondaire bienvenu, garantit la souveraineté dans un domaine de première importance pour lequel est interdite une croissance désordonnée du capital.

Les magnats de la technologie sont en voie d’être maîtrisés, ce qui modifie le paysage industriel et stabilise son arrière plan financier. Sans même attendre une intervention dirigiste de l’État, les dirigeants des firmes technologiques privées ont réduit les plages horaires travaillées, comme le recommande le PCC.
Cette forme de capitalisme d’État ne prend que des risques limités et n’exige pas un rendement exorbitant, positions de principe inaccessibles à l’intellect des gérants des fonds spéculatifs, espèce très répandue à Wall Street et à la City.

Autonomie et découplage

Dans le contexte complexe de la pandémie du Sars-Cov-2, la vitalité de l’économie chinoise et l’accroissement du marché chinois a permis la création de 700 millions d’emplois.

Ces dernières années, le modèle économique a évolué, le déploiement se fait selon une plus grande autonomie et une meilleure qualité de développement avec un renforcement de l’innovation scientifique et technologique et une amélioration de la chaîne d’approvisionnement pour l’industrie. La dynamique du développement s’appuie sur la libération du potentiel de la demande intérieure avec un accroissement de l’offre.

Le marché international n’est pas négligeable quand il permet un partage d’opportunités mais le glissement se fait irrémédiablement vers un découplage d’avec le marché étasunien. Dès que l’échange des matières premières ne sera plus libellé en dollar mais dans une monnaie (ou un panier de monnaies) adossée à l’or, on peut espérer que les pays européens sortiront de leur état de vassalité assumée vis-à-vis des Usa.

L’administration actuelle à la Maison Blanche poursuit avec assiduité la politique de la précédente. En finir avec des guerres coûteuses, c’est le sens de l’abandon de l’Afghanistan et ce sera le cas pour l’Irak bientôt.
Ramener des emplois sur le territoire des Usa, c’est l’objectif des travaux d’infrastructure non délocalisables par définition.

La seule guerre menée avec une rigueur implacable est la guerre économique à l’encontre des pays de la vieille Europe. L’annulation de la commande des sous-marins français par l’Australie rentre dans ce registre. Les sanctions imposées par les Usa contre la Russie ont réduit ses échanges commerciaux avec tous les pays, sauf le commerce avec les Usa.

Pendant ce temps, alors que la France est rétrogradée dans le classement des pays selon le chiffre de son PIB, on agite devant un peuple médusé et/ou en colère le chiffon rouge du grand remplacement.

   

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