Association Nationale des Communistes

Forum Communiste pour favoriser le débat...

Accueil |  Qui sommes-nous ? |  Rubriques |  Thèmes |  Cercle Manouchian : Université populaire |  Films |  Adhésion

Accueil > International > Justice ou vengeance ? Le jeu de la peau des exilés

Justice ou vengeance ? Le jeu de la peau des exilés

mardi 19 juillet 2022 par Contropiano

La Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de Paris a publié les motifs de l’arrêt par lequel elle a décidé de refuser l’extradition demandée par l’Italie pour les dix exilés italiens qui ont fui notre pays il y a environ 40 ans et qui étaient poursuivis par des dizaines de mandats d’arrêt pour des crimes liés aux années de la lutte armée.
Ils avaient été arrêtés dans le cadre de l’opération "Ombres rouges" en avril 2021. Dans le sillage de cette sous-culture, l’actuel ministre français de la justice a ordonné au parquet général de se pourvoir en cassation. Il faudra voir avec quel timing et quel résultat.

Laissons de côté les pétitions de principe faciles utilisées dans la pire propagande politique, également reprises par le ministre Dupond-Moretti (quelle ironie de l’histoire...), et analysons les arguments soulevés par le tribunal français. Parce qu’ils illustrent avec une énorme clarté la différence entre un État de droit (bourgeois, certes) et un "État pénal" qui mérite des épithètes bien moins polies.

Il ne pouvait en être autrement, étant donné que les arguments avec lesquels les médias, le gouvernement et les partis qui le soutiennent ont "défendu" la demande d’extradition ne sont pas très différents des discussions d’ivrognes dans une taverne leghiste vers minuit.

Certes un peu fort, mais tout à fait en ligne avec les raisons avancées par les juges français.

Ils soulignent que les condamnations en Italie ont été prononcées lorsque les accusés étaient "fugitifs et contumaces", une condition qui n’est prévue par presque aucun code de procédure pénale européen (bourgeois, bien sûr).

C’était un argument juridique central à l’époque de la "doctrine Mitterrand" qui, trivialement, prenait acte de la différence abyssale entre les lois françaises (pas du tout tendres avec l’opposition sociale et politique, comme les gilets jaunes en sont encore bien conscients aujourd’hui) et les "lois d’urgence antiterroristes" votées en Italie par les gouvernements DC-PCI (puis aussi par le PRI, le PSI, etc.).

La France, même à l’époque, a fait remarquer aux gouvernements italiens qu’il ne pouvait pas faire partie de la culture et de la pratique juridiques libérales (bourgeoises, certainement) que les accusés soient "condamnés à la fin d’une procédure à laquelle ils n’étaient pas présents".

Comme on peut le voir, la justice française n’avait et n’a aucune objection à ce que les combattants révolutionnaires soient jugés et, si nécessaire, condamnés (ils l’ont fait là-bas aussi, avec les militants d’Action Directe), mais en suivant une procédure pénale "d’État de droit". C’est-à-dire avec les défendeurs dans la salle d’audience et défendus par un avocat de confiance.

Et non pas par un avocat commis d’office choisi par le tribunal lui-même sur une liste d’avocats disponibles (il n’y a évidemment rien de mal à se rendre disponible pour défendre presque gratuitement n’importe quel défendeur, au contraire, mais on peut certainement émettre des doutes sur la confiance et la connaissance des enjeux qui devraient nécessairement régner entre "client" et "défenseur").

Une furieuse approximation procédurale dont il n’a jamais été possible de sortir, à tel point que les juges français - aujourd’hui encore - sont contraints de rappeler que "les autorités italiennes n’ont pas été en mesure d’indiquer" si les prévenus "avaient été assistés par un avocat effectivement choisi" par les intéressés eux-mêmes.

Si l’on se penche ensuite sur la pratique concrète des tribunaux spéciaux italiens dans les années 1980, il est facile d’y voir une habitude du "procès de masse", dans lequel un grand nombre d’accusés étaient considérés comme un seul, défendus par des avocats "prêtés", uniquement pour couvrir un besoin "pro forma"....

On sait également que les peines ont été prononcées "en bloc", sans grande analyse des profils individuels et des responsabilités spécifiques, en utilisant comme "niveau" l’institution - unique en Europe - du "concours moral".

Traduisons pour les non-initiés ou les jeunes : tout accusé dans ces procès pouvait être condamné pour tout crime commis par l’organisation dont il était membre (et souvent même lorsqu’il n’était pas réellement membre), même s’il n’avait pas été matériellement présent lors de la commission du crime. Il suffisait de supposer l’existence d’une "complicité morale" résultant du "lien associatif".

Qu’est-ce que cela signifie en pratique ? Ainsi, un "homicide" ou une blessure commis par quatre ou cinq combattants réunis en un "noyau opérationnel" peut également être imputé - avec une relative conviction - à vingt ou trente autres accusés qui, au moment du crime, se trouvaient à des centaines de kilomètres. Voilà pour la "responsabilité individuelle" prévue dans tout code libéral.

Ce chaos procédural n’aurait peut-être pas été un obstacle à l’extradition si l’État italien avait au moins été en mesure de garantir un nouveau "procès équitable" aux exilés, une fois qu’ils ont été renvoyés en Italie. Nous savons comment cela s’est passé, par exemple, avec Cesare Battisti.....

Mais bien sûr, "aucune version de l’article 175 du code pénal italien (qui organise le droit de recours contre un procès par contumace) ne donne au condamné par contumace le droit inconditionnel d’exercer un recours et d’être jugé à nouveau".

Toutefois, cet argument n’est pas non plus décisif.

Celle qui est constitutionnellement décisive - également en référence à la Constitution italienne - prend plutôt en considération l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Pour les juges français, en effet, "la passivité des autorités italiennes, qui a duré 30 ans avant de reformuler une demande d’extradition, a contribué à la construction d’une vie privée et familiale sur le sol français". Pendant laquelle ces personnes (et d’autres entre-temps disparues "par prescription") "ne commettent plus d’actes illégaux".

Mis à part l’ironie subtile - "Tu t’es réveillé maintenant, après 30 ans ?" - les juges français rappellent aux autorités italiennes la fonction que tout code libéral (bourgeois, bien sûr, mais nous vivons tous dans ce système, Draghi compris) attribue à la punition. C’est-à-dire à la privation de liberté.

Comme l’indique l’article 27 de la formule constitutionnelle italienne, "les peines ne peuvent consister en des traitements contraires au sens de l’humanité et doivent viser à la rééducation du condamné".

Les personnes qui ont vécu légalement dans un pays démocratique libéral pendant 40 ans sans commettre de "crimes" doivent en fait être considérées comme "rééduquées" ou "rétablies" (quel que soit le sens de ces mots). Alors, à quoi servirait-il de les enfermer - à 70 ans en moyenne - dans une prison ?

Certainement pas à la "rééducation". Tout au plus de les voir mourir entre deux barreaux, pour le plus grand plaisir d’un talk-show parafasciste.

La vengeance, en somme, et rien d’autre.
Pas de "justice", pas de "but supérieur".
Juste une médaille à coller sur la poitrine d’un dirigeant incapable de faire ou de penser autre chose pour paraître "socialement utile".

Enfin, les juges français ne s’occupent pas de la "douleur des familles des victimes" pour la bonne raison que - dans un État de droit (bourgeois, il est vrai) - c’est l’État lui-même qui s’occupe des intérêts des victimes en organisant un procès, une éventuelle condamnation et l’exécution de la peine.

Il est donc un peu acquis que les victimes sont représentées par les institutions républicaines et non ces dernières se " cachant " derrière la douleur des citoyens lésés par un quelconque délit. Sinon, nous en serions encore à la loi du talion, où c’est la victime qui détermine la punition et la compensation ("œil pour œil, dent pour dent"). La victime, même pour le vol d’un autoradio, pourrait demander la peine de mort...

Rappelons aussi, à notre petite échelle, que "la douleur des familles des victimes" est toujours aussi irréparable. Qu’il s’agisse de guerres civiles, d’accidents du travail, de "mauvaises pratiques" (dues à des réductions budgétaires), de centaines de personnes tuées "par erreur" par la police, etc.

La différence est faite par la "politique", c’est-à-dire par ceux qui dirigent l’État. Qui décide, en faisant des lois, quels "parents de victimes" ont droit à la "peine maximale" pour les décennies à venir, ou à rien du tout, ou encore à une satisfaction formelle.

Dans ce contexte, il apparaît clairement que l’"implacabilité" des dirigeants italiens envers les exilés de la lutte armée des années 70 est une vulgaire démonstration de force vindicative envers ceux qui ont osé défier le pouvoir (bourgeois, ce qui n’est pas une coïncidence) à d’autres époques.

Alors que "la douleur des victimes", dans tous les autres cas - des meurtres sur le lieu de travail aux catastrophes environnementales - compte pour moins que rien, aux yeux des "meilleurs".

Ainsi encadré, le jeu qui se joue sur la peau des exilés à Paris nous concerne tous. Parce que le type d’État auquel nous avons affaire, dans le conflit politique et social quotidien, prétend être "de droit", mais se comporte en réalité comme autre chose...


Voir en ligne : https://contropiano.org/editoriale/...

   

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?