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La Turquie tire avantage de sa position privilégiée avec Moscou, Washington et Téhéran au détriment de la Syrie

mercredi 30 novembre 2022 par Elijah J. Magnier

Il y a une semaine, la Turquie a lancé l’opération militaire « griffe – épée » (en turc Pençe – Kılıç Operasyonu) contre les Kurdes des « Forces démocratiques syriennes » alliés des Américains. Les USA, la Russie et l’Iran s’y opposent tous farouchement. Par conséquent, l’invasion militaire turque du nord-est de la Syrie a peu de chances de se produire réellement, malgré la menace sérieuse d’Ankara et le souhait ardent du président Recep Tayyip Erdogan d’établir une zone tampon de 30 km de profondeur dans les territoires occupés de la Syrie. 

Après l’attentat terroriste qui a frappé le secteur de la place Taksim à Istanbul le 13 novembre, qui a fait six morts et 58 blessés, la Turquie en a imputé la responsabilité aux Kurdes syriens du Parti démocratique syrien.
Les Kurdes syriens faisant partie des Unités de protection du peuple (YPG) accordent leur loyauté aux USA (plutôt qu’au gouvernement de Damas) et protègent leurs forces d’occupation dans le nord-est de la Syrie.

Ankara a ensuite lancé son opération militaire la plus importante depuis 2018, en frappant près de 500 cibles et en tuant environ 480 membres de groupes armés kurdes, comme le revendique la Turquie. Depuis 2016, la Turquie a lancé quatre opérations militaires dans le nord de la Syrie sous le prétexte de punir les séparatistes kurdes, et a déployé ses forces dans des dizaines de positions statiques à l’intérieur du territoire syrien.
La Turquie contrôle la ville syrienne de Jarablous sur l’Euphrate, le canton d’Afrin au nord-ouest de la Syrie et les villes de Tel Abyad et Ras al-Ain.

Ankara considère les forces des YPG comme une extension du Parti des travailleurs du Kurdistan(PKK), qui figure dans les listes des groupes terroristes des USA et de l’Europe. Les YPG n’ont jamais nié être la branche syrienne du PKK et ont reconnu leurs liens avec les groupes kurdes turcs et irakiens. Bien qu’elles soient officiellement considérées comme un groupe terroriste, les forces kurdes syriennes protègent depuis des années les troupes d’occupation américaines qui contrôlent des dizaines de gisements pétroliers et gaziers en territoire syrien, qui est l’une des principales raisons de leur présence continuelle en Syrie.

Les ressources énergétiques syriennes sont partagées entre les USA – qui pillent le pétrole en le faisant passer par la frontière avec l’Irak – et l’administration autonome kurde, qui contrôle une zone faisant un peu moins d’un quart du territoire syrien. Les provinces du nord-est de la Syrie contiennent les principales sources d’énergie syriennes et le panier alimentaire le plus important du pays.
Les USA empêchent les ressources naturelles d’atteindre la population syrienne et l’armée syrienne d’étendre son contrôle sur l’ensemble du territoire, dans le but de paralyser l’économie et de soumettre le président Bachar al-Assad à leur volonté, loin de l’influence iranienne. En outre, en violation flagrante des lois internationales, les USA imposent de lourdes sanctions à la population syrienne et Israël bombarde le pays, empêchant ainsi sa stabilité et sa prospérité.

Toutefois, la présence des forces US n’a pas empêché le déploiement de l’armée syrienne dans des zones allouées de manière sélective dans les provinces du nord, surtout lorsque la Turquie a annoncé son intention d’étendre son contrôle sur de nouveaux territoires syriens.
Moscou et Téhéran se sont employés à persuader le président turc de revenir sur ses plans d’invasion des provinces du nord-est de la Syrie. Indépendamment de la menace turque, les forces kurdes empêchent toujours le gouvernement central de rétablir son contrôle sur les régions où se trouvent les forces US, même si celles-ci n’assurent pas la sécurité des Kurdes. 

Pour se soumettre aux exigences américaines, en 2018 les forces kurdes fidèles à Washington ont préféré remettre la province d’Afrin, au nord-ouest du pays, aux mains de l’envahisseur turc afin d’empêcher Damas d’exercer le contrôle sur cette province.
Le canton d’Afrin, auparavant kurde, générait des milliards de dollars pour l’administration kurde d’alors. Mais les dirigeants kurdes ont préféré céder l’ensemble de leur territoire à la Turquie plutôt que d’en donner les clés à Damas. Des centaines de milliers de Kurdes ont alors fui Afrin pour se réfugier dans les régions orientales de Manbij, Ayn al-Arab, Hassaké et Qamichli, dans le nord-est de la Syrie.

La Russie et l’Iran s’opposent à la poussée des forces turques dans les régions syriennes, convaincus qu’Ankara n’a aucunement l’intention de se retirer des terres syriennes qui sont et qui seront sous son contrôle. La Syrie a été témoin de la « normalisation » que la Turquie opère dans les régions du nord-ouest qu’elle domine actuellement. Ankara a créé des universités turques, modifié les programmes scolaires et imposé la livre turque sur les marchés syriens et des plaques d’immatriculation turques sur les voitures.
Ankara a nommé un gouverneur turc à la tête de toutes les régions syriennes sous son contrôle et a établi des dizaines de bases militaires statiques.

Ces derniers jours, la Russie a tenu plusieurs réunions avec les dirigeants des YPG à l’aéroport de Qamichli, à Ain al-Arab et dans d’autres régions, sans toutefois parvenir à persuader les Kurdes de confier l’administration aux troupes syriennes. Damas ne peut pas se contenter de servir de forces frontalières aux Kurdes et laisser l’administration locale aux mains d’une entité indépendante du reste du pays. De plus, les troupes kurdes ont affronté l’armée syrienne à plusieurs reprises, faisant des dizaines de morts et de blessés, pour affirmer le contrôle kurde sur les provinces du nord.

Les séparatistes kurdes veulent établir leur État syrien, le « Rojava », qui serait une extension du Kurdistan irakien semi-indépendant, qui a d’ailleurs tenté sans succès de se séparer de Bagdad. L’occupation turque du canton d’Afrin a gâché le projet kurde de relier le nord-est au nord-ouest et d’avoir accès à la Méditerranée. La Turquie n’aurait d’ailleurs jamais autorisé un État kurde à sa frontière, pour éviter que les millions de Kurdes présents sur son territoire ne réclament leur indépendance.

Nonobstant le comportement des Kurdes à l’égard de Damas, l’armée syrienne a envoyé des troupes de renfort à Ayn al-Arab et à Qamichli, en espérant que les USA finiront un jour par quitter le pays. Le président Donald Trump avait déjà annoncé que la Syrie était un pays de « sable et de mort » et voulait sortir ses troupes de là avant que le Pentagone n’impose une remise en cause de sa décision au profit de la sécurité nationale d’Israël, et non de celle des USA.

Les YPG savent que la reprise du contrôle de Damas sur les provinces du nord mettra fin à leur rêve de sécession et d’autodétermination. En outre, les séparatistes kurdes craignent les représailles du gouvernement central après le retrait américain, car le président Bachar al-Assad a qualifié leurs dirigeants de « traîtres » pour la protection qu’ils accordent aux forces d’occupation US.

Les Kurdes ne sont pas dans une position confortable. Depuis deux semaines, les forces turques bombardent les zones kurdes. Chasseurs, avions à réaction, drones et artillerie turque ont pilonné sans relâche des dizaines d’objectifs kurdes. La Turquie se dit prête à avancer vers Manbij et Ayn al-Arab, sauf qu’il faudrait pour cela briser les positions défensives de l’armée syrienne, ce que rejettent la Russie et l’Iran.

Il ne fait aucun doute que la Turquie profite de sa position privilégiée. La relation américano-turque et les liens turco-russes-iraniens sont essentiels et mettent jusqu’à un certain point le président Erdogan en position de force par rapport à tous les autres acteurs dans le nord de la Syrie. Les USA ne veulent pas froisser la Turquie, le plus grand allié de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). La décision de la Turquie est cruciale pour accepter l’adhésion à l’OTAN de deux nouveaux pays membres (Finlande et Suède), ce dont Washington a désespérément besoin pour contrer la Russie et maintenir l’unité de l’OTAN.

Le président Erdogan jouit d’une position géopolitique cruciale aux portes du continent européen, notamment en fermant la porte aux immigrants se dirigeant vers l’Europe. Ankara assume également un rôle de pompier, qu’on pourrait qualifier de diplomatique, dans la guerre en Ukraine. La Russie ne veut pas non plus froisser Erdogan, qui prépare son pays à devenir le principal centre de collecte du gaz russe, la Turquie étant déjà devenue une plaque tournante des gazoducs TurkStream, qui acheminent le gaz russe.

En outre, Moscou considère sa relation avec la Turquie comme une brèche dans la solidarité de l’OTAN qui tourne en sa faveur, et traite Ankara comme un partenaire essentiel au Moyen-Orient. La poursuite de la partition de la Syrie n’est pas dans l’intérêt de la Russie, où se trouve la seule base navale de Moscou en eaux chaudes, à Tartous.

Pour sa part, Téhéran considère la Turquie comme un carrefour économique essentiel et des centaines d’entreprises iraniennes utilisent les villes turques pour contourner les dures sanctions américaines. L’Iran vend également son pétrole et d’autres ressources naturelles, ce qui donne lieu à des échanges commerciaux importants qui ont augmenté cette année de 20 à 49 % pour atteindre 7,5 milliards de dollars, et qui devraient augmenter à 30 milliards de dollars comme l’a annoncé le président Erdogan. L’Iran considère aussi la Syrie comme un élément essentiel de l’Axe de la Résistance et l’affaiblir menacerait l’ensemble de l’alliance.

Par conséquent, tous les acteurs, y compris les USA, qui souhaitent maintenir l’acheminement des ressources syriennes pour ravitailler leurs troupes en Irak et protéger les forces kurdes séparatistes, veulent empêcher la Turquie de grignoter de nouveaux territoires au détriment des intérêts des autres.
Si Washington permet à Erdogan de pousser ses troupes dans le nord-est de la Syrie, il passera pour un partenaire peu fiable, incapable de défendre ses alliés qui lui offrent leur protection depuis des années.

Le président Erdogan a déclaré que « personne ne peut arrêter notre action en Syrie ». Ses propos s’adressaient en premier lieu aux USA, qui protègent les YPG, accusés d’être responsables de l’attaque terroriste de la place Taksim.

La Turquie reste le premier et le plus grand bénéficiaire de toute mesure militaire prise en Syrie et est clairement consciente de sa position privilégiée. Néanmoins, Moscou et Téhéran sont déterminés à empêcher la perte d’encore plus de territoire syrien au profit d’Ankara.

Le président Erdogan devra se contenter de l’issue de l’opération militaire et éviter de gâcher ses relations multilatérales avec les USA, la Russie et l’Iran. Il devra se contenter d’apprécier le fait que tous ces acteurs lui restent simplement redevables et accepter que, pour la première fois, ils partagent tous le même objectif, à savoir empêcher Ankara d’annexer davantage de territoire syrien.

*Source : Elijah J.Magnier

Traduction : Daniel G.


Voir en ligne : https://ejmagnier.com/2022/11/28/la...

   

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