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Henri Guaino : « Plus efficace que les chèques et les aides ciblées, l’indexation des salaires »

mardi 16 mai 2023 par Henri Guaino

C’est pas moi qui le dit, c’est lui !
Une partie de la bourgeoisie française ne semble pas en phase avec les décisions criminelles de Macron. Rappelons que la CGT et l’ANC demandent le retour du système d’échelle mobile salaires-prix supprimé en 1983. Pour Info...

L’ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy estime que l’augmentation automatique des salaires en proportion de la hausse des prix est nécessaire pour répondre à la hantise du déclassement de la classe moyenne.

À un lecteur du journal Le Parisien qui l’interrogeait sur l’inflation, le président de la République a répondu :
« La clé, c’est que le travail paye mieux. Le smic continue d’augmenter, les autres salaires doivent suivre. »

En période d’inflation, les salaires doivent suivre la hausse des prix. A fortiori quand les minima sociaux sont indexés. Cette évidence s’impose même au président de la République. Mais pourquoi alors ajouter que « la clé est du côté des employeurs et du dialogue social ».
La loi indexe le smic, les loyers, les retraites, elle peut indexer tous les salaires selon des modalités à discuter avec les partenaires sociaux. L’indexation des salaires, c’est une opération de vérité. Présenter comme un cadeau une augmentation du salaire inférieure à la hausse des prix est au minimum un abus de langage.

Quand la hausse moyenne de l’indice du salaire mensuel de base dans le secteur privé est de seulement 3,9 % en 2O22 alors que l’indice des prix a augmenté de 6 %, il n’y a pas de cadeau aux salariés. Quand le point d’indice de la fonction publique, gelé depuis onze ans, n’est revalorisé que de 3,5 % en juillet 2022, il n’y a pas de cadeau aux fonctionnaires. Quand les enseignants reçoivent entre 100 et 230 euros de plus par mois et que 70 % d’entre eux subiront quand même une perte de pouvoir d’achat, il n’y a pas de cadeau aux enseignants.

On peut duper un peu les salariés quand l’inflation est très faible. Les économistes appellent ça « l’illusion monétaire ». Mais quand l’inflation est forte, l’illusion monétaire s’estompe rapidement. Et la frustration grandit dangereusement. Il devient alors urgent d’y répondre.

On a trop longtemps prétendu que les Français n’avaient pas de raison de se plaindre puisque les statistiques montraient que finalement leur pouvoir d’achat augmentait, comme cette étude, souvent citée, de l’Insee de 2021 qui faisait apparaître une augmentation du pouvoir d’achat des salaires nets du secteur privé de l’ordre de 0,6 % par an en moyenne pour la période 1996-2018.
Mais bien souvent les moyennes cachent davantage la vérité qu’elles ne la révèlent. Tout le monde par exemple n’est pas confronté au même taux d’inflation. En mars 2022, l’OFCE calculait que, pour une moyenne de 5,1 % sur un an, le taux d’inflation pour les dix pour cent ayant les revenus les moins élevés était de 10 % et pour les dix pour cent ayant les revenus les plus élevés il était de 2,5 %.

Près de la moitié des emplois est dans les métropoles de plus de 500.000 habitants. Que le coût de la vie y soit beaucoup plus élevé qu’ailleurs n’est pas qu’une impression. On a pourtant beaucoup glosé sur le fait que si la plupart des ménages ne se reconnaissaient pas dans les statistiques du pouvoir d’achat, ce n’était qu’une question de ressenti qui se heurtait à la vérité des chiffres.
Mais comme l’avait dit l’un des experts de la commission Stiglitz réunie à l’initiative de la France en 2008 pour réfléchir à ce genre de problèmes : « Quand la plupart des gens doutent de nos statistiques, ce ne sont pas les gens qu’il faut remettre en question, mais nos statistiques. »
En tout cas, ce qu’on leur fait dire.

Il faudrait toujours regarder le pouvoir d’achat par statut, par fonction, par qualification, par âge, en fonction de l’expérience.
Sur les 0,6 % de hausse annuelle du pouvoir d’achat des salaires du privé, les auteurs de l’étude de l’Insee estiment que 55 % sont imputables à l’évolution des qualifications. À qualifications identiques, il ne reste plus qu’une hausse d’à peine 0,27 %.
Un petit exercice arithmétique permet de saisir tout ce qu’un tel chiffre peut cacher. Si l’on divise les salariés en deux catégories, d’un côté les ouvriers et les employés représentant au départ les deux tiers des salariés, de l’autre les cadres et les professions intermédiaires qui forment le troisième tiers, les seconds gagnant en moyenne, à peu près comme aujourd’hui, 1,8 fois ce que gagnent les premiers.
Et si au bout de vingt ans les proportions se sont modifiées de telle sorte que les ouvriers et les employés ne représentent plus que la moitié des salariés et les cadres et les professions intermédiaires l’autre moitié, ce qui est à peu près le cas aujourd’hui, avec une perte de pouvoir d’achat de 6 % sur la période pour le salaire des cadres et des professions intermédiaires et pour celui des ouvriers et des employés, la hausse du pouvoir d’achat sur la période serait quand même de 5,4 % pour les salariés pris dans leur ensemble.

Les deux chiffres sont exacts, mais le deuxième nous masque une partie importante de la réalité. Les biais des moyennes ont moins d’importance quand le pouvoir d’achat des salaires augmente au rythme de 4,3 % par an en moyenne comme durant les Trente Glorieuses jusqu’en 1978, que lorsque l’on descend à 0,27 %.
Tout ça pour dire que, derrière les moyennes rassurantes, il y a des millions de Français qui ne sont pas imaginaires et, avec leur famille, des dizaines de millions qui ont vu laminer au cours des dernières décennies le pouvoir d’achat de leurs salaires et leur mode de vie se détériorer.

En poussant l’analyse, on ferait apparaître que pour chaque statut, fonction, qualification, âge, expérience, le pouvoir d’achat baisse, dans la plupart des cas, de génération en génération depuis quarante ans. Le cas des enseignants a été abondamment commenté. Mais on pourrait aussi parler de la perte de pouvoir d’achat de l’ordre de 20 % sur vingt ans des salaires d’embauche des diplômés d’écoles d’ingénieurs ou d’écoles de commerce.
Et encore le prix de l’immobilier n’est pas pris en compte.

Depuis trente ans, les charges fixes pré-engagées ou quasi obligées ont pris une part croissante dans les budgets au point que le pouvoir d’achat a fini par s’apparenter pour beaucoup à un reste à vivre, voire à survivre.
Ce que l’on appelle avec dédain le « ressenti » n’est que ce que chacun vit en fonction de ses contraintes et de celles que lui impose la société, de l’endroit où il habite, de son environnement, social, professionnel, familial.

L’OCDE ne parle pas à la légère de « la hantise du déclassement de la classe moyenne », dont le coût du mode de vie augmente plus rapidement que les revenus intermédiaires, à cause notamment de la hausse du coût d’accession à la propriété, qui est un marqueur de la classe moyenne. Comme l’a expliqué le sociologue Louis Chauvel, qui a beaucoup travaillé sur cette question, si jusque dans les années 1970 l’entrée dans la classe moyenne se faisait par le salaire, il est devenu beaucoup plus difficile de s’établir dans la vie quand on n’a pas de patrimoine.
Le déclassement résidentiel de la classe moyenne n’est pas un fantasme mais une réalité.

Dans une société déjà au bord de la rupture, le choc d’une inflation qui, selon l’enquête de 60 millions de consommateurs, atteindrait au mois d’avril 2022 17 % sur un an pour les produits de première nécessité, est violent.

En écartant l’indexation au profit d’aides ciblées qui manquent leurs cibles, on oublie que, toutes choses égales par ailleurs, si l’intégralité de la hausse des prix n’a pas été couverte par la hausse des salaires, la perte de pouvoir d’achat ne sera récupérée que si l’inflation devient négative.
Or, l’indice des prix à la consommation n’a baissé, sur un siècle, que durant les périodes de grandes dépressions économiques : à la sortie de la guerre au début des années 1920 ou pendant la grande dépression entre 1931 et 1935. En dehors de ces périodes, l’indice des prix n’a été négatif qu’une seule année, en 1953, de 1,7 %.

Sauf renversement du rapport de force sur le marché du travail ou forte augmentation des gains de productivité dont la tendance est à la baisse depuis vingt ans, en l’absence d’indexation, le problème des salaires va devenir encore plus aigu.

En principe, l’inflation allège le poids des endettements, ceux des ménages comme pour la classe moyenne salariée des Trente Glorieuses, ou ceux des États, accumulés pendant les guerres, les épidémies, les récessions.

Mais si les salaires ne suivent pas la hausse des prix, la charge des remboursements s’alourdit au lieu de s’alléger dans le budget des ménages. Les finances publiques sont logées à la même enseigne : pour que l’inflation fasse fondre les dettes, il faut que les recettes soient indexées sur les prix et donc les revenus du travail qui constituent l’essentiel de l’assiette des impôts et des cotisations sociales.
Si les pensions de retraite sont indexées sur les prix et que les salaires ne le sont pas, le déficit des retraites se creuse.
À partir des données fournies par le Conseil d’orientation des retraites dans son rapport de 2022, on peut calculer que si les salaires prennent chaque année 2 points de retard sur la hausse des prix, le manque à gagner pour le financement des retraites est d’environ 3,5 milliards sur la première année, et, toutes choses égales par ailleurs, d’environ 7 milliards sur la deuxième.

Au bout de quatre ans, le manque à gagner sur l’année atteint l’ordre de grandeur du déficit prévisionnel qui a servi à justifier le recul de deux ans de l’âge légal de départ à la retraite.

L’indexation des salaires, des tarifs de consultation des médecins, des pensions de retraite mais aussi du barème de l’impôt sur le revenu ne résoudra pas à elle seule le problème des salaires trop bas, elle ne protégera pas à 100 % le pouvoir d’achat de chaque salarié contre l’inflation, mais quand même mieux que les chèques et les boucliers.

Elle améliorera le climat des négociations salariales et les recalera sur l’évolution de la productivité. En rendant du pouvoir d’achat aux clients des entreprises, des commerçants, des artisans, des agriculteurs, elle élargira leurs débouchés.
Il faut naturellement pouvoir y déroger par des accords d’entreprises, notamment pour les PME et les TPE, dans le cas où la survie économique de celles-ci pourrait être compromise, tout comme il faut prévoir des aides pour des secteurs surexposés à la concurrence internationale.

À l’indexation automatique on oppose le spectre d’une spirale prix-salaires incontrôlable. Une telle spirale n’aurait, dit-on, été cassée en 1983 que par l’interdiction des clauses d’indexation, et le blocage des salaires.

Mais, à la même époque, l’inflation aux États-Unis a été jugulée sans blocage des salaires, ni interdiction des clauses d’indexation et la Belgique a maîtrisé la sienne sans abolir son système d’indexation généralisée.
Dans la France d’après-guerre, l’inflation, qui atteignait jusqu’à 50 % l’an, a été éradiquée sans que les salaires qui progressaient plus vite que les prix soient désindexés.
Les experts du FMI qui ont examiné 22 situations dans des pays avancés au cours des 50 dernières années où les salaires et l’inflation augmentaient n’ont pas constaté l’apparition de la fameuse spirale.

En avril 2023, la Belgique, seul pays d’Europe avec le Luxembourg à avoir conservé un système d’indexation, affiche une inflation de 4,9 %, quand la moyenne de la zone euro est à 6,9 % et celle de la France à 6,7 %.

Là encore, un peu d’arithmétique ne fait pas de mal. La part des salaires dans le PIB étant, en France, d’un peu moins de 60 %, si les salaires augmentent au même rythme que l’inflation de 6 %, et si cette hausse est intégralement répercutée sur les prix, l’impact sur ces derniers devrait être de l’ordre de 3,6 %.
Pour maintenir le pouvoir d’achat, la hausse des salaires qui s’ensuit devra être de 3,6 %. Celle-ci fera monter les prix de 2,1 %, ce qui engendrera une hausse des salaires de 2,1 % et ainsi de suite avec un impact sur les prix de plus en plus faible.

Donc, la seule préservation du pouvoir d’achat des salaires ne peut pas, en elle-même, engendrer une spirale explosive. Pour que les hausses de salaires accélèrent de plus en plus la hausse des prix, il faut soit que les entreprises en profitent pour accroître leur marge, soit que les hausses de salaires s’alignent sur des anticipations d’accélération de l’inflation.

Déconnecter les salaires des anticipations, c’est précisément ce que peut faire un mécanisme d’indexation automatique, comme c’est le cas avec les modalités d’indexation du smic, qui se fonde sur l’inflation constatée et intervient à chaque fois que l’indice des prix augmente d’au moins 2 % par rapport à la dernière revalorisation.

L’indexation n’est pas un remède à l’inflation, mais elle est un atout pour lutter contre celle-ci plutôt qu’un obstacle et elle évite au moins de le faire sur le dos des salariés qui ont déjà assez souffert.

   

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