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Maupassant, reporter incisif (et anonyme) en Algérie française

mardi 24 juillet 2018 par Pierre Ancery pour Retronews

En 1881, Le Gaulois envoie en Algérie un de ses collaborateurs, qui en ramène une série de reportages très critiques sur la réalité coloniale. Son nom : Guy de Maupassant.

Le 20 juillet 1881, alors que des révoltes contre l’occupant français sont en train d’éclater dans l’Algérie colonisée, le journal Le Gaulois publie en une cette annonce :

« Un homme très considérable de l’Algérie, et qui l’habite depuis l’enfance, nous adressa la lettre suivante, la première d’une série sur l’état actuel de nos possessions algériennes.

Nous croyons rendre service au gouvernement lui-même en publiant ces études intéressantes, qui compléteront les correspondances plus spécialement militaires de notre collaborateur M. Guy de Maupassant, en ce moment bien près de nos colonnes expéditionnaires. »

C’est un mensonge : l’auteur de ces « Lettres d’Afrique » qui, pendant deux mois, vont être publiées sous le pseudonyme mystérieux d’ « Un colon », n’est autre que Maupassant lui-même. Durant l’été 1881, l’écrivain, alors âgé de trente ans, s’est en effet rendu en Algérie (il ira aussi en Tunisie) pour le compte du journal afin d’y décrire les soulèvements anti-français.

Il restera trois mois en Afrique du Nord, sillonnant les villes et les régions désertiques, où il s’efforcera de comprendre la situation algérienne, et en particulier ce qui n’en est jamais dit et jamais écrit par les colons.

Le Gaulois en aura pour son argent. Loin de reprendre à son compte la propagande colonialiste en vigueur, particulièrement vive dans les années 1880, Maupassant va signer des articles souvent incisifs sur la réalité coloniale, n’hésitant pas à en dénoncer les excès au travers d’observations très audacieuses pour l’époque – d’autant plus audacieuses que l’anonymat, en l’autorisant à se « glisser » dans la peau d’un personnage, va lui permettre d’aller très loin dans la critique.

Dès son premier article, il écrit :

« Il faut une connaissance approfondie de chaque contrée pour prétendre l’administrer, car chacune a besoin de lois, de règlements, de dispositions et de précautions totalement opposées. Or, le gouverneur, quel qu’il soit, ignore fatalement et absolument toutes ces questions de détails et de mœurs : il ne peut donc que s’en rapporter aux administrateurs qui le représentent.

Quels sont ces administrateurs ? Des colons ? Des gens élevés dans le pays, au courant de tous ses besoins ? Nullement !

Ce sont simplement les petits jeunes gens venus de Paris à la suite du vice-roi : les ratés de toutes les professions, ceux qui s’intitulent les ATTACHÉS des grandes administrations. Or, cette classe d’ATTACHÉS, ou plutôt de déclassés ignorants et nuls, est pire ici que partout ailleurs. On ne nous expédie que les tarés. »

Plus loin, il démonte implacablement les rouages des révoltes, guidées par la faim :

« Les soldats, qui ont besoin d’avancement, autant que nous avons besoin de calme, ont répandu et fait accepter par tout le monde cette doctrine que l’Arabe demande à être massacré ; et on le massacre à toute occasion. Quand on manque d’occasions, on le bat comme plâtre, on le pille, on le ruine et on le force à mourir de faim. L’Arabe demande à vivre et il ne se révolte guère qu’à la dernière extrémité.

J’ai vécu pendant des années au milieu des Arabes et surtout au milieu des Kabyles, et j’affirme qu’il n’y a pas de population plus douce, plus soumise et plus résignée aux abominables traitements que nous lui infligeons.

Je suis colon et je me révolte, et je proteste, comme homme et comme colon, contre les moyens qu’on emploie pour livrer à l’Européen cet admirable pays où il y aurait place pour tout le monde. »

Le 26 juillet, après avoir décrit sous son vrai nom les alentours d’Oran, Maupassant signe une seconde chronique à charge, toujours sous le pseudonyme d’ « Un colon » (il signera également un de ses articles « Un officier ») :

« Rien ne peut donner une idée de l’intolérable situation que nous faisons aux Arabes. Le principe de la colonisation française consiste à les faire crever de faim. Quand ils se révoltent, nous pardonnons trop vite peut-être. Mais que faire ? Nous sommes 300 000 Européens contre près de 3 000 000 d’indigènes, nous n’avons pas dans l’intérieur un colon pour cent Arabes ! […]

On sait l’histoire des massacres de Saïda, l’évacuation des champs d’alfa, les razzias des fermes et la déroute du colonel Innocenti, dont les approvisionnements sont restés aux mains des révoltés. C’est que les rebelles ne se battent aujourd’hui que pour les vivres, ou plutôt pour vivre [...].

En somme, tout se borne à une guerre de maraudeurs et de pillards AFFAMÉS.

Ils sont peu nombreux, mais hardis et désespérés comme des hommes poussés à bout. Mais, comme le fanatisme s’en mêle, comme les marabouts travaillent sans repos la population, comme le gouvernement français semble accumuler les âneries, il se peut que cette simple révolte, insurrection religieuse avortée, devienne enfin une guerre générale que nous devrons surtout à notre impéritie et à notre imprévoyance. »

Suite de l’article Ici

Légende photo : Algériens devant une habitation, photo de Jean Geiser, 1880-1890 - source : Gallica-BnF


Voir en ligne : https://www.retronews.fr/colonies/e...

   

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