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Histoire populaire de la France

mercredi 14 novembre 2018 par Gérard Noiriel

En 1980, l’universitaire Howard Zinn publiait une « Histoire populaire des États-Unis » afin de redonner la parole à ceux qui en avaient été privés — les femmes, les Amérindiens, les esclaves… Trois décennies plus tard, Gérard Noiriel s’est lancé dans un projet comparable au sujet de la France. De la guerre de Cent Ans à nos jours, son ouvrage décortique les relations de pouvoir au sein de la société.

Moyen Âge

Les adeptes de l’histoire monarchique se contentent le plus souvent de raconter l’histoire de la guerre de Cent Ans en n’évoquant que les rivalités entre familles régnantes. En réalité, cette longue période de violences collectives résulta aussi de la grave crise économique qui secoua l’Europe dès le début du XIVe siècle. Les historiens ont expliqué cette dépression par plusieurs facteurs. Selon Édouard Perroy, la crise de subsistance de 1314-1316 agit comme un détonateur [1]. Elle provoqua un effondrement démographique, un rétrécissement de l’espace cultivé et un recul de l’activité industrielle.

Des travaux plus récents ont montré que la prospérité de la période précédente avait eu pour effet d’intégrer les paysans au sein des circuits monétaires. Un grand nombre d’entre eux complétaient les ressources tirées de leur terre par un salaire obtenu en travaillant sur une autre exploitation ou en exerçant une activité artisanale, comme le filage et le tissage, qui étaient déjà répandus dans les campagnes du Nord et des Flandres. Ce développement des échanges les plaça dans une dépendance accrue à l’égard des marchés, et donc de la fluctuation des prix [2]. Ce phénomène pourrait expliquer l’extension rapide de la crise économique dans une grande partie de l’Europe occidentale et le fait qu’elle ait affecté à la fois les paysans et le prolétariat urbain.

La récession ayant aussi réduit les ressources des seigneurs, ceux-ci réagirent en augmentant la pression fiscale, aggravant du même coup la misère paysanne. Ces facteurs économiques jouèrent un rôle déterminant dans les explosions de violence qui se multiplièrent sur tout le continent, et dont la guerre de Cent Ans fut l’expression la plus visible. La récession atteignit son paroxysme au moment de l’épouvantable épidémie de la peste noire. En cinq ans (1347-1352), le fléau provoqua plus de vingt-cinq millions de morts. On estime qu’un tiers de la population européenne disparut à ce moment-là.

Le royaume de France, qui comptait seize millions d’habitants au début du XIIIe siècle, n’en comptait plus que douze millions un siècle plus tard. La crise toucha surtout l’économie rurale. Les revenus seigneuriaux chutèrent fortement, ce qui affecta le niveau de vie de la petite noblesse. Pour tenter de redresser leur situation, les propriétaires exploitèrent encore davantage la force de travail des paysans. Le XIIIe et le XIVe siècle furent donc marqués par une reprise en main de la gestion seigneuriale. Même si les situations pouvaient varier fortement d’une région à l’autre, on assista alors dans beaucoup d’endroits à un renforcement du servage.

Ce fut le cas notamment sur les terres de l’abbaye de Saint-Claude — une grande seigneurie ecclésiastique située dans le Jura —, qui dépendait formellement du Saint Empire romain germanique [3]. Les petites communautés paysannes qui s’étaient constituées pour défricher des forêts jusque-là inexploitées perdirent alors leur autonomie, et la société locale se reconstitua autour de deux statuts : le bourgeois et le serf.

Le refus de travailler, une offense faite à Dieu

La crise toucha essentiellement les campagnes, mais les villes ne furent pas épargnées. Non seulement leurs habitants furent directement affectés par les fléaux de l’époque, mais ils durent aussi faire face à un afflux énorme de migrants que la guerre, les épidémies et la faim avaient chassés des campagnes. L’une des conséquences majeures de cet envahissement des villes fut que la misère devint tout à coup beaucoup plus visible. Jusqu’au XIe siècle, la faiblesse du développement économique rendait endémique une pauvreté massive, mais qui ne préoccupait pas les élites.

Dans les deux derniers siècles du Moyen Âge, les représentations de la misère se modifièrent profondément. La pauvreté cessa d’être perçue comme une affliction individuelle. Elle devint un fléau social et un délit. Comme le note Michel Mollat, « 30 à 40 % de “pauvres” dans une ville du XIVe siècle ou du début du XVe étaient plus pesants que 80 % dans les campagnes du Xe siècle [4] ». Comme souvent, le bouleversement des représentations se traduisit dans le langage. Le mot « bénéficence » (qui donna « bienfaisance » au XVIIIe siècle) s’imposa alors pour décrire la désacralisation de la miséricorde.

Dans cette société urbaine organisée en corps, où chaque groupe se protégeait en créant ses propres frontières, l’irruption de tous ces vagabonds provoqua une crise profonde du système antérieur d’assistance aux pauvres. Les institutions religieuses créées dans les siècles précédents pour prendre en charge les miséreux furent rapidement débordées. Leur rôle déclina dès le milieu du XIVe siècle au profit des institutions urbaines. Celles-ci s’adaptèrent aux nouvelles exigences en pratiquant une sélection fondée sur la domiciliation.

En imposant aux indigents des marques distinctives (jetons, plaquettes de plomb, croix cousues sur la manche et la poitrine, etc.), les agents de cette politique d’assistance inventèrent des formes embryonnaires d’identification des ayants droit. Dans le même temps, cette rationalisation aboutit à définir plus précisément la notion d’« indigence » en opérant une distinction fondée sur le critère de l’aptitude au travail.

Au milieu du XIVe siècle apparut en effet un nouveau profil d’indigent. La séparation de plus en plus rigoureuse entre les bons et les mauvais pauvres aboutit à rejeter le vagabond valide dans la catégorie des criminels. L’augmentation du nombre de mendiants valides suscita partout des réactions visant à les mettre au pas. Le refus de travailler fut présenté comme une offense faite à Dieu qu’un bon chrétien devait absolument réprimer. Dans toute l’Europe, les mesures se multiplièrent pour endiguer ce fléau. Les autorités invitèrent l’Église à ne plus faire l’aumône aux « gens sains de corps et de membres ». Ainsi naquit la police des pauvres.

En 1351, Jean II, dit « le Bon », prit la première ordonnance du royaume de France visant ceux qui « se tiennent oyseux par la ville de Paris ». Il interdit aux ouvriers de fréquenter les tavernes les jours ouvrables et de quitter leur atelier pour chercher un meilleur salaire. En 1367, une nouvelle ordonnance royale obligea les chômeurs à réparer les fossés, sous peine d’être fouettés. Le texte est très clair, bien qu’il soit écrit en ancien français : « Et se apres lesdits trois jours sont trouvez oyseux ou jouans aux dez ou mendiants, ilz seront prins et mis en prison et mis au pain et a l’eaue ; et ainsi tenuz par l’espace de quatre jours, et quand ilz auront esté delivrez de ladite prison, se ilz sont trouvez oyseux ou se ilz n’ont bien dont ilz puissent avoir leur vie, ou se ilz n’ont adveu de personnes souffisans, sans fraude a qui ilz facent besongnes ou qu’ilz servent, ilz seront mis au pilory et la tierce foiz ilz seront signez au front d’un fer chault et bannis desdits lieux [5]. »

Cette ordonnance montre bien le rôle majeur de la contrainte dans le règlement de la question sociale. « Le système judiciaire et l’appareil policier sont, avant tout, dirigés contre les échelons inférieurs de la hiérarchie sociale », souligne Bronislaw Geremek [6]. Il faut toutefois préciser que les forces de l’ordre étaient à cette époque encore embryonnaires et ne formaient pas un corps détaché de la société.

À Paris, les effectifs de police étaient composés de 220 sergents, recrutés dans le milieu des artisans, auxquels s’ajoutaient les gardes personnels du prévôt, secondés par la garde royale. Néanmoins, la férocité de la répression fait frémir. Geremek estime que les plus pauvres furent alors placés « dans une situation terrifiante » : oreille coupée, femme enterrée vivante pour avoir volé son maître, etc. Les mesures réprimant le vagabondage furent systématisées par le parlement de Paris en 1473. Toute une hiérarchie de peines allant de la marque au fer rouge jusqu’au bannissement fut alors établie. (...)

Époque moderne

Paris comptait, au XVIIIe siècle, près de cinq cents établissements scolaires : chantreries, écoles paroissiales, pensions, fréquentées par la quasi-totalité des garçons des familles domiciliées et par une forte proportion de filles. L’enseignement secondaire connut lui aussi un fort développement grâce à la multiplication des collèges tenus par des ordres religieux, surtout les jésuites. Des établissements tournés vers l’enseignement technique virent également le jour, comme l’école de dessin pour les apprentis de la manufacture des Gobelins, créée en 1737, et, à un niveau plus élevé, l’École des ponts et chaussées, inaugurée dix ans plus tard pour former les techniciens et les ingénieurs.

Des espions pour mesurer l’état de l’opinion

L’étude des inventaires après décès a confirmé ces progrès de l’instruction dans les classes populaires de la capitale. La proportion des défunts possédant des ouvrages s’accrut fortement au cours du XVIIIe siècle, surtout dans le milieu des artisans-commerçants, mais aussi chez les domestiques [7]. La quantité de livres fabriqués dans les imprimeries du royaume quadrupla au cours de la même période.

Les journaux et les revues se multiplièrent, leur parution devint plus régulière, le nombre des abonnés ne cessa d’augmenter. Les cabinets de lecture, au service de ceux qui n’avaient pas les moyens d’acheter des livres, poussèrent comme des champignons dans toutes les grandes villes. Dans les campagnes, la diffusion des almanachs par les réseaux de colporteurs connut elle aussi une croissance exponentielle : plus de 1 700 titres ont été recensés pour la période 1700-1789. (...)

Suite de l’article Ici.


Voir en ligne : https://www.monde-diplomatique.fr/2...


[1Édouard Perroy, « À l’origine d’une économie contractée : les crises du XIVe siècle », Annales, n° 4 Paris, 1949.

[2Guy Bois, La Grande Dépression médiévale, XIVe-XVe siècles. Le précédent d’une crise systémique, Presses universitaires de France, coll. « Actuel Marx confrontation », Paris, 2000.

[3Vincent Corriol, Les Serfs de Saint-Claude. Étude sur la condition servile au Moyen Âge, Presses universitaires de Rennes, 2010.

[4Michel Mollat, Les Pauvres au Moyen Âge. Étude sociale, Hachette, coll. « Le temps et les hommes », Paris, 1978.

[5Cité dans José Cubero, Histoire du vagabondage du Moyen Âge à nos jours, Imago, Paris, 1999.

[6Bronislaw Geremek, Les Marginaux parisiens aux XIVe et XVe siècles, Flammarion, coll. « L’histoire vivante », Paris, 1976.

[7Daniel Roche, Le Peuple de Paris. Essai sur la culture populaire au XVIIIe siècle, Aubier-Montaigne, coll. « Collection historique », Paris, 1981.

   

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