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"Dans la classe de l’homme blanc"

L’enseignement du fait colonial des années 1980 à nos jours

mercredi 14 novembre 2018 par Laurence De Cock

Comme l’a montré la dernière grosse controverse sur l’enseignement de l’histoire en 2015, l’enseignement du fait colonial est devenu l’un des contenus scolaires les plus mobilisés dans les débats publics pour témoigner d’un malaise dans la République et son école. C’est en effet à l’occasion de la publication des programmes de cycles 3 et 4 par le CSP (Conseil Supérieur des Programmes) que certains ont pu laisser éclater leurs colères et angoisses face à cette « attentat contre notre identité » comme l’écrit Jacques Julliard dans Marianne [1] ; la plus éloquente réaction restant celle de l’académicien Alain Finkielkraut dans Le Figaro du 11 mai 2015 : « Les nouveaux programmes ne se préoccupent absolument pas de faire aimer la France. Ils appliquent à la lettre le dogme de la critique sociale : le mal dans le monde résulte de l’oppression ; c’est l’inégalité qui est la source de toute violence. Le fanatisme islamique, autrement dit, est le produit de la malfaisance coloniale et de sa continuation postcoloniale. Si l’on aborde l’histoire aux xviiie et xixe siècles sous l’angle : « un monde dominé par l’Europe, empires coloniaux, échanges commerciaux, traites négrières », le nouveau public scolaire retrouvera sa “self esteem“, l’ancien perdra son arrogance et tous les problèmes seront réglés. L’école des savoirs cède ainsi la place à l’école de la thérapie par le mensonge. »

La dramatisation excessive du lien entre l’apprentissage des faces sombres du passé colonial et le désamour national s’est progressivement construite et renvoie à la fois à la place occupée par l’enseignement de l’histoire en France et à l’histoire des relations que cette dernière entretient avec ses anciennes colonies, leurs habitants et leurs descendants.

Il est impossible en effet de comprendre la sensibilité politique de la thématique coloniale sans référer à la spécificité de la France, ancienne puissance coloniale et terre d’immigration coloniale (migrants arrivés du temps des colonies) et postcoloniale (migrants arrivés après la décolonisation). Or le système colonial a été fondé sur le principe d’inégalités juridiques entre les hommes, de la domination et de l’usage légitime de la violence. Il y a donc bien un hiatus entre la transmission des idéaux et valeurs républicaines dont se targue l’école et la réalité de certaines actions politiques passées de la République, antinomiques avec les principes dont elle se réclame et qu’elle défend.

C’est une contradiction que peuvent déplorer des catégories de populations en France susceptibles de se sentir exclues de ces principes républicains, victimes de différentes formes de discriminations et relégations, dont le racisme et la pauvreté, aggravées par la crise économique depuis les années 1970 ; mais c’est également une contradiction posée par la mission de transmission des valeurs et principes républicains par l’école. Un paradoxe est manifeste : comment convaincre du caractère universel des valeurs et principes républicains en donnant à voir leur violation légitimée par cette même République ?

Le passé colonial et son enseignement touchent donc en plein cœur le consensus national-républicain, ce qui en fait une question vive. C’est fort de ce constat que sa place dans les curricula [2] d’histoire – dans une école construite sur le paradigme de ce consensus national-républicain – reste intéressante à interroger.

Page du livre de lecture donné à cinq générations d’élèves des écoles de France, laïques ou religieuses (de 1877 aux années 1960).

Ce travail propose en outre d’affiner quelques hypothèses ou idées reçues relatives à l’enseignement du fait colonial. Cette thématique qui, aujourd’hui, suscite de très nombreux commentaires, pouvant varier d’un pôle à l’autre : soit qu’on l’estime trop insuffisamment enseignée, victime de censure ou de tabous ; soit, au contraire, qu’on la fustige comme le reflet d’une idéologie de la « repentance » dictée par le politiquement correct. Les premiers déplorent son insuffisance quand les seconds la voient au contraire partout. Entre les deux, l’enseignement du fait colonial est souvent vu comme potentiellement brûlant, surtout dans les classes à forte composante immigrée, dit-on ; on l’imagine suscitant une fébrilité spéciale chez les élèves, entre engouement, colère et demande de réparation. Quiconque ne maîtrise pas leur circuit d’écriture peut donc conjecturer des poussées de suées froides chez les concepteurs de programmes sur le sujet.

Naturellement, les faits sont plus complexes, et, comme toute étude inhérente à l’école, on y trouvera tensions, tâtonnements, et hésitations dans les décisions. Ce sont ces indéterminations qui nous intéressent ici pour ce qu’elles révèlent de la fragilité des relations entre l’école, son socle républicain et la société.

Forcément contrainte par la forme doctorale, nous n’abordons pas dans ce livre les pratiques de classe et restons à l’échelon des programmes scolaires et de ce qui conditionne et explique l’introduction et / ou la transformation d’un contenu d’enseignement, ce qui correspond au segment du curriculum dit « formel ».

Nous donnons donc à voir comment un contenu d’enseignement réagit à sa politisation, quelles résistances il offre ou non ; incorpore-t-il les dimensions de sa mise en tension ? reste-t-il immunisé à son traitement externe ? Ces différentes réactions influent-elles à leur tour sur les finalités civiques ou identitaires de l’histoire scolaire ?

L’origine de la sensibilisation de la question coloniale réside majoritairement dans la corrélation entre deux problématiques : celle de l’immigration et celle de la colonisation. Il faut citer ici les travaux pionniers d’Abdelmalek Sayad, sociologue, collègue et ami de Pierre Bourdieu, directeur de recherche au CNRS depuis 1977, et qui renouvelle l’histoire de l’immigration en la traitant, en référence à l’anthropologue Marcel Mauss, comme un « fait social total ». Pour lui, il n’est pas possible de travailler cette question sous l’unique angle économique et social.

Le couple émigré-immigré est au cœur de ses analyses, qu’il alimente également de sa propre expérience de migrant algérien. L’émigration-immigration provoque une « double absence » et on ne peut penser la condition de l’émigré-immigré qu’en considérant l’expérience coloniale qui détermine à la fois le départ (déstructuration économique, guerre) et l’accueil.

Sayad n’homogénéise pas la catégorie immigrée. Il s’intéresse aux stratifications sociales qui existent au sein des immigrants et de leurs descendants, parfois qualifiés d’« enfants illégitimes ». La « pensée d’État » produit des représentations et une législation qui assigne un statut spécifique aux immigrés. Elle peut fabriquer des illusions, notamment celle du retour, elle fabrique aussi de l’illégitimité.

Ainsi, Sayad est à l’interface entre un traitement social et culturel de l’immigration. Il existe bel et bien une spécificité de l’immigration coloniale et postcoloniale, des « paradoxes de l’altérité » qui seraient inexplicables sans transiter par le passé colonial commun [3] .

Lire la suite Ici


Voir en ligne : http://histoirecoloniale.net/Dans-l...


[1« L’école et la République », Marianne, nº 941, 1er mai 2015, p. 12.

[2Un curriculum est « l’ensemble institutionnellement prescrit et fonctionnellement différencié et structuré, de tout ce qui est censé être enseigné et appris, selon un ordre déterminé de programmation et de progression, dans le cadre d’un cycle d’études donné. Un curriculum est bien un programme ou un plan d’études, mais considéré dans sa globalité systémique, dans sa cohérence didactique, dans sa continuité chronologique, c’est-à-dire selon l’ordre de progressivité des situations et des activités d’apprentissage auquel il est censé donner lieu. »

[3Voir par exemple Abdelmalek Sayad, L’immigration ou les paradoxes de l’altérité, 1-2-3, Raisons d’agir, 2006-2014.

   

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