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Lycées pros : les enfants des gilets jaunes c’est nous !

lundi 17 décembre 2018 par Nadège Dubessay pour l’Huma

Souvent absents des mouvements de contestation, les lycées professionnels sont aujourd’hui vent debout contre la réforme de la voie professionnelle. En résonance avec les gilets jaunes, ils expriment leur angoisse face à l’avenir. Reportage au lycée Auguste-Perret, à Évry (Essonne).

De mémoire de profs, c’est du jamais-vu. Au lycée professionnel Auguste-Perret d’Évry (Essonne), ce jeudi 6 décembre, les élèves ont décidé le blocus de l’établissement. Il est 8 heures et, déjà, beaucoup sont à l’entrée du lycée où une pancarte en carton, « Non c’est non, non à la réforme », a été apposée à la va-vite.

« Il est très rare que les lycées professionnels se mobilisent, ils n’ont pas forcément les armes pour s’organiser, se structurer. Là, c’est inédit », constate Frédéric Moreau, professeur de lettres et d’histoire-géographie, responsable syndical CGT Éduc’action. Son collègue, prof de français, renchérit : « Mes élèves m’ont demandé comment écrire un slogan, comment organiser une manif. Quand on leur parle de grève, ils rétorquent : “Ah oui, c’est quand on brûle des pneus !” »

Comme eux, d’autres profs ont décidé de venir très tôt ce matin pour protéger les élèves et essayer de canaliser la colère. Très vite, certains lycéens cherchent des poubelles, des chariots qu’ils vont pouvoir brûler. À quelques mètres de là, une dizaine de CRS observent. Il y a trois jours, le blocus a mal tourné. Un môme s’est fait violemment arrêter devant les yeux médusés des enseignants. « Il y avait une véritable animosité de la part de la police, se souvient Frédéric Moreau. Nous avons peur pour eux, nous aussi sommes mobilisés contre la réforme de la voie professionnelle. Le 29 novembre, nous avons occupé le lycée pendant la nuit. Très vite, les lycéens ont suivi. Alors, nous avons une responsabilité face à ça. On ne veut pas qu’un gosse se retrouve en garde à vue, ou avec une condamnation figurant au casier judiciaire. Ça serait dramatique. Et, pour les sans-papiers, la porte fermée à toute régularisation. »

Thomas est occupé à ramener des poubelles. À 15 ans, c’est la première fois que cet élève de seconde participe à un quelconque mouvement. Plus tard, il veut être plombier. Là, il entend manifester contre la réforme du bac pro. « On va nous enlever des heures de français, de maths, tous les trucs utiles quoi ! » Dorian aussi veut être plombier parce que « ça gagne bien ». Après le bac, il veut travailler, être autoentrepreneur, son « propre patron ». « On a vu que d’autres lycéens bloquaient, alors on fait pareil. »

moins de maths, de français, d’histoire-géo...

Le lycée Auguste-Perret compte 350 élèves, en grande majorité des garçons. Il prépare en trois ans aux métiers de maçon, menuisier, plombier, chauffagiste, conducteur de travaux… « Ce sont des jeunes de milieu populaire, reprend Frédéric Moreau. Ils ont souvent été en échec scolaire au collège et se retrouvent en lycée professionnel sans forcément avoir choisi leur formation. Il faut les remobiliser, leur donner le goût du métier qu’ils apprennent, établir une confiance pour qu’ils soient capables de progresser et devenir des techniciens, pas de simples exécutants. Nous sommes sur des publics extrêmement fragiles. Pour beaucoup, c’est un sésame ce diplôme. »

Alors, la réforme de la voie professionnelle, c’est la goutte d’eau. Personne dans les médias ne s’en soucie vraiment, mais le bac pro concerne pourtant un tiers des lycéens. Dès 2019, certaines mesures s’appliqueront. Annoncées par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, le 28 mai, elles se traduiront par une réduction sensible des heures d’enseignement général et une déprofessionnalisation, avec une classe de seconde qui proposera un enseignement de découverte autour d’une grande famille de métiers. Au lieu de 80 classes de seconde différentes, il n’en restera plus que 15. Résultat : une année perdue et un bac pro qui se déprofessionnalise.

Autre nouveauté : la création d’unités de formation en apprentissage (UFA). Le gouvernement entend développer l’apprentissage au détriment du bac pro. Et tant pis si cela ne permet pas aux jeunes de disposer de compétences solides et utiles à l’exercice du métier. Il est aussi question de l’élargissement du dispositif d’accompagnement personnalisé – mais celui-ci ne s’appuie sur aucun programme –, de la diminution de la taxe professionnelle, de la baisse de la qualité du référentiel des matières professionnelles… Et, à la clé, la suppression de 2 600 postes d’enseignant.

la fin de l’accès aux études supérieures

« Le lycée professionnel est celui qui coûte le plus cher, a le plus d’heures de cours et n’est pas synonyme de réussite. J’assume qu’il peut y avoir moins d’heures (de cours), mais mieux d’heures. » Les propos de Jean-Michel Blanquer à l’Assemblée nationale, le 2 octobre, ont cristallisé la colère. Une semaine plus tard, le Conseil supérieur de l’éducation rejetait la réforme. « Je suis atterrée ! tempête Armelle Chéenne, professeur documentaliste à Auguste-Perret. Depuis des années, on enlève des moyens aux lycées pros. Nous sommes dans une logique comptable insupportable. Avec ce qui se profile, il sera complètement impossible pour nos élèves d’accéder à l’université, et très difficilement en BTS. Ce n’est pas un avenir qui se prépare pour eux. C’est terrible d’en arriver là. En tant qu’enseignant, on se demande à quoi on sert ! »

Devant le lycée, une poubelle crame. Et les jeunes reprennent en chœur : « La réforme, c’est non ! » Ce qui était encore abstrait il y a peu commence à prendre forme concrètement, même si, avoue Sofiane, « on ne comprend pas tout, on est encore jeune ». Mais celui qui veut, lui aussi, être plombier en autoentrepreneuriat mesure bien que « la culture, c’est important ». Surtout, dit-il, « si on veut changer de métier, aller travailler à l’étranger. Comment faire si on n’a plus de cours d’anglais ? »

Julien, lui, aimerait suivre un master, se spécialiser dans les énergies renouvelables. Autour de lui, ses potes se marrent. « L’écoutez pas M’dame, c’est un bouffon ! » ironise l’un deux. Il a pourtant l’air sincère. Et lucide, lorsqu’il explique qu’avec la réforme, les portes de la fac se fermeront définitivement pour les futurs bacs pros.

« Je ne veux pas devenir professeur de lettres de motivation ! » s’insurge le prof de français qui avoue se poser pas mal de questions sur le sens de son métier. La montée en puissance de l’apprentissage, tellement vanté par les gouvernements successifs, inquiète particulièrement Frédéric Moreau. « J’ai le sentiment que le lycée pro va devenir une sorte de garderie, avec une fonction sociale parce que, tout de même, faut bien garder les mômes au chaud. Avec l’apprentissage partout, y compris dans les lycées professionnels, des apprentis seront mélangés aux autres, avec des rythmes différents, c’est d’une incohérence pédagogique totale ! Mais d’une cohérence politique : au final, on formera de bons ouvriers qui ne pensent pas trop. » Surtout, l’enseignant rappelle le dur parcours de l’apprentissage, avec des contrats très difficiles à décrocher chez les patrons. « Les plus discriminés sont les jeunes issus des quartiers populaires et les filles. Nous retrouvons toute la logique de Blanquer : sélection et tri social. »

Cette injustice, même si elle n’est pas clairement formulée, fédère aussi la colère des lycéens. Ces derniers jours, quelques slogans anti-Macron ont résonné jusqu’ici. « Il a une image détestable, reconnaît le prof de français. Pour eux, c’est le président des riches. » Mourad assure même qu’il « ruine le pays ». Élève en maintenance en chauffagerie, il aimerait plus tard faire un BTS. Il fronce les sourcils. « Ça va péter ! On nous prend trop pour des branquignols ! Ils sont en train de changer notre avenir et il faudrait qu’on reste là, sans rien dire ? »

« On avait de la colère, mais là, on a de la rage »

Progressivement, un petit groupe se forme. Ceux qui disaient par provocation « ne pas savoir parler » racontent. Un quotidien souvent fait de brimades, de contrôles policiers, de violences sociales, d’abandon des pouvoirs publics. Sofiane se souvient de ce premier jour de stage où, devant son patron, la police lui a demandé ses papiers. « Ça la fout mal, hein ! » Il sait, dit-il, que son nom de famille sera un handicap lorsqu’il cherchera un travail. Théo parle des fins de mois difficiles pour sa mère, aide-soignante, qui gagne à peine 1 200 euros. Le lien se fait naturellement avec le mouvement des gilets jaunes. « Ce sont nos parents », dit-il.

Beaucoup ont été surpris par une mobilisation lycéenne spontanée, inédite, souvent partie des quartiers populaires. Et des images resteront : la vidéo glaçante de l’arrestation de près de 150 lycéens à Mantes-la-Jolie agenouillés, entravés… Une répression policière exceptionnelle qui traduit, pour le président de l’Union nationale des lycéens, Louis Boyard, la peur du gouvernement. « On avait de la colère, mais là, on a de la rage », lance-t-il.

En résonance avec les gilets jaunes, les lycéens expriment leur angoisse face à l’avenir et dénoncent une politique menée par des logiques économiques. Et cette violence révèle, selon Frédéric Moreau, « une situation au quotidien qui se dégrade depuis des années. Des élèves qui pensent qu’ils ne valent rien, et dont le seul moyen de s’exprimer, quand il n’y a plus la parole, c’est la violence ». L’enseignant décrit « des élèves qui vivent dans des caves. D’autres qui passent d’un logement à un autre pour être hébergés. Ils sont sans papiers, mineurs isolés, vivent en foyer… » Son collègue craint que les moyens supprimés dans les lycées pros ne permettent plus de jouer le rôle de garde-fou. Et « ce ne sont pas les entreprises qui prendront le relais ! »

Le lendemain, les lycéens s’étaient donné rendez-vous place de la République, à Paris. Frédéric Moreau et ses collègues de la CGT Éduc’action étaient là pour les protéger. Pour que des enfants de 15 ans ne se fassent pas canarder par les CRS à coups de Flash-Ball.


Voir en ligne : https://www.humanite.fr/article-san...

   

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