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Emmaüs : esprit de l’abbé Pierre, où es-tu ?

mercredi 14 août 2024 par Jacques Martinez

Emmaüs sur le déclin ? Les héritiers ou plutôt les simples successeurs de l’Abbé Pierre, ayant semble-t-il de plus en plus oublié le souhait du fondateur de sauver les plus démunis par des aides venant, principalement, de personnes un peu moins démunies : tant pour l’apport de dons que pour s’occuper de ces dons…
En effet, les dons venaient de mains, bien souvent, modestes, c’était les mains de personnes ayant eu un « accident de la vie » à cause de l’alcool ou de la drogue et pour lesquels leur place auprès de l’Abbé Pierre n’était pas qu’un simple « boulot » ! C’était également pour « faire du bien » à des personnes dans une situation morale et financière pire que la leur.

En 2024, les dirigeants d’Emmaüs, certes toujours attentifs au côté bienfaiteur de cette association, sont plus les responsables d’une entreprise nationale voire multinationale que caritative : ses effectifs sont actuellement et majoritairement composés, non par des “accidentés de la vie”, mais par des… migrants ! Et à 70%, comme le précise Le Point de ce lundi.

L’enquête du Point dirigée par Laurence Moreau, porte sur « l’affaire abbé Pierre, les conflits internes et les condamnations judiciaires » et est intitulée :
« Comment l’empire Emmaüs se fissure ».

Dès sa première phrase, il donne le ton des résultats de cette enquête :
« Y aurait-il quelque chose de pourri au royaume d’Emmaüs, le mouvement lancé en 1949 [1] par l’abbé Pierre pour lutter contre la misère et l’exclusion ? »

Pour le harcèlement sexuel, Le Point rappelle que c’était « un secret de polichinelle dans le mouvement. Lui-même d’ailleurs l’a confessé à demi-mot dans ses Mémoires d’un croyant.(…) Rattrapée par la vague #MeToo, l’icône tombe de son piédestal et l’image du mouvement en sort écornée… »


Mais ce n’est pas tout :
« …autre coup de tonnerre (…) Le tribunal correctionnel de Lille a condamné pour travail dissimulé » le responsable d’Emmaüs-Nieppe (Hauts-de-France) et les deux dirigeants de la Halte Saint-Jean à Saint-André-lez-Lille, (…) des « notables » des Hauts-de-France, le premier étant le fondateur du Relais, aujourd’hui l’un des principaux acteurs du recyclage de vêtements en France et en Afrique. La seconde est l’un des piliers de l’accueil des migrants à Dunkerque. »

Scandale révélé en juillet 2023 lors d’une grève -lancée par la CGT- des « compagnons de la Halte Saint-Jean, tous en situation irrégulière » ! Grève renforcée par leurs collègues de Grande-Synthe, Tourcoing et Nieppe (Avec l’appui de nos camarades du RC). Travailleurs sans papiers « depuis trois ans pour un salaire de misère et dans des conditions de vie déplorables sans que les dirigeants d’Emmaüs remplissent leur part du contrat moral qui les lie : les aider à obtenir leurs papiers » !

La justice donne raison aux grévistes et condamne les dirigeants à des peines de prison avec sursis et une dirigeante devra même verser 12 000 euros au total à deux compagnons pour « harcèlement moral » !

Comme le rappelle Le Point, ces dirigeants étaient « loin de l’accueil inconditionnel prôné par l’abbé Pierre depuis qu’en 1949 cet ancien du Vercors devenu député MRP a fondé une association pour accueillir les cabossés de la vie. Nourris, logés, payés (à peine), ceux que l’on appelle les compagnons récupèrent dans les poubelles des objets à recycler et à vendre tout en construisant des abris de fortune pour les centaines de sans-abri de l’après-guerre. »

À sa mort en 2007, Henri Grouès devenu l’abbé Pierre, est, que certains le veuillent ou pas, « l’une des personnalités les plus populaires de France et Emmaüs, quasiment un empire, avec quelque 123 communautés, 7 000 compagnons, 14 300 bénévoles et 5 500 salariés. »

Des compagnons qui « ne sont plus des bâtisseurs mais toujours des chiffonniers » et leurs clients toujours des « particuliers confrontés aux fins de mois difficiles, bobos adeptes de la décroissance ou brocanteurs, ils sont souvent des centaines à attendre l’ouverture des salles de vente d’Emmaüs (…) véritables supermarchés de la seconde main comme à Ivry-sur-Seine » dans le Val-de-Marne.


Mais avec une différence essentielle avec l’époque de l’abbé Pierre :
« …la plupart des compagnons venaient se réfugier chez Emmaüs après une dépression, une plongée dans l’alcool, la drogue ou un passage en prison, parfois pour terminer leur vie au sein des communautés. » !
Mais voilà… « Aujourd’hui, la plupart (70 %) sont des migrants en mal de titre de séjour. Parfois bien formés, ils recherchent moins un havre qu’un tremplin pour construire leur vie ailleurs. »

Donc, rien détonnant à ce que… « Depuis 2010, la plupart des communautés soient agréées Oacas (organismes d’accueil communautaire et d’activités solidaires) » qui ont le mérite de permettre à ces étrangers de s’assimiler à notre culture : cours de français, conseils d’un formateur, entre autres et d’être nourris, logés et de percevoir une allocation de 400 euros/mois.

Mais, ces nouveaux compagnons, n’ayant pas baigné dans « l’esprit de l’abbé Pierre », ont « fini par croire que travailler chez Emmaüs, c’était l’assurance d’obtenir des papiers. »

Mais voilà, les dirigeants condamnés avaient « refusé d’être Oacas afin d’échapper aux cotisations sociales et aux obligations afférentes » tout en « oubliant » les compagnons « peu dociles » !
Et Le Point décrit, souvent par le détail, ce conglomérat de petits… « Emmaüs » avec, entre autres…

Notre-Dame-de-Bondeville, à Rouen, spécialisée dans la récupération, et celle de la Roya fondée par Cédric Herrou et son « principe de fraternité »,Tero Loko d’« économie solidaire et insertion par l’agriculture bio » ou Emmaüs Connect pour l’informatique, Label Emmaüs, site de solidarité sur le marché de l’occasion dominé par Leboncoin ou Vinted.

Est-ce le « fossé entre les générations ? Les vieux de la vieille s’agacent parfois des certitudes de ces surdiplômés qu’ils accusent de vouloir faire carrière… » Ainsi, dans l’Hérault, la communauté de Saint-Aunès a même fondé les Communautés Ensemble pour Vivre Emmaüs pour défendre les « vraies valeurs » de l’abbé Pierre…

Et Le Point détaille également ce qui se passe à la communauté de Pau où vivent « d’irréductibles gaulois » sur 40 hectares cultivables avec château, musée, étable, espace enfants, 6 000 m2 de bric-à-brac et autant pour les ateliers !


« À Forbach, Emmaüs est le fournisseur des plus démunis, souvent d’origine immigrée. » Malgré les dons venus d’Allemagne et l’ouverture de centres de vente « toujours plus attractifs », cela ne suffit pas à redresser des comptes. Les causes ?
La crise de l’énergie et la concurrence des sites en ligne. Avec ses 40 compagnons (dont 80 % de sans-papiers et de 14 nationalités différentes !), Emmaüs Forbach lutte pour tenir. Pour son responsable, Jean-Luc Ferstler, « c’est l’inhumanité de la préfecture qui distribue les titres de séjour au compte-gouttes sans jamais expliquer ses refus, mais c’est aussi le centralisme qui menace le mouvement et lui fait craindre sa banalisation. »

Et les responsables d’Emmaüs n’ont rien trouvé de mieux à faire que d’apporter le discrédit sur la mémoire de son fondateur au lieu de se dire : « Bon, ce n’était pas bien mais doit-on ressasser des faits remontant au siècle dernier ou, plutôt, penser aux familles avec gamins actuellement en difficulté. »

Ah, esprit de l’abbé Pierre, où es-tu passé ?
Serais-tu parti avec lui…


Voir en ligne : https://resistancerepublicaine.com/...


[1
1949 : Fondation de la première communauté à Neuilly-Plaisance (Seine-Saint-Denis).
1954 : Création d’Emmaüs Solidarité, première association d’accueil et hébergement social du mouvement.
1971 : Lancement d’Emmaüs International (70 groupes issus de 20 pays autour d’un manifeste universel).
1985 : Mise en place de l’union Emmaüs France, devenue en 2000 une fédération chapeautant trois branches distinctes.
1995 : Premières entreprises d’insertion (52).
2016 : Lancement de la plate-forme Label Emmaüs qui fait entrer le mouvement dans l’e-commerce.
2024 : Numéro vert pour permettre de signaler les délits en interne.

   

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