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L’apartheid dans l’entité sioniste vu par ses dirigeants
mercredi 21 août 2024 par Jean Penichon
On se souvient de l’hostilité à laquelle avait été en butte l’ancien président des États Unis Jimmy Carter après la publication en 2006 de son livre « Palestine : la paix, pas l’apartheid ». Ce président qui avait somme toute laissé de lui une image assez sympathique dans l’opinion internationale avait pu être dès lors affublé du qualificatif infamant d’antisémite. Ce qui est certain est que ce livre qui a connu une large diffusion aura marqué une étape importante dans l’évolution de l’attitude des opinions publiques occidentales à l’égard de la cause palestinienne. Une évolution qui a abouti au soutien que rencontre la cause palestinienne dans les opinions publiques depuis l’offensive sioniste contre Gaza et les crimes qui l’accompagnent. Ce changement n’a malheureusement pas affecté au même niveau les élites dirigeantes qui restent en général ferment attachées à soutenir le régime sioniste quoi qu’il fasse.
Le terme apartheid diffusé largement par Jimmy Carter à propos de la situation en Palestine occupée reste encore fortement contesté par ceux qui voient dans l’État dit juif une démocratie soeur des démocraties occidentales. Il n’en reste pas moins, comme le relève Zachazy Foster, que la situation d’apartheid, soit comme état de fait, soir comme horizon de l’entité sioniste, est largement reconnue par les élites qui ont dirigé l’entité sioniste, que ce soit un ancien chef du Shin Bet (renseignement intérieur), un ex ambassadeur ou encore David Ben Gourion, celui-là même qui proclama la création de l’entité en 1948.
Zachary Foster ne le dit pas mais la solution la plus communément envisagée par la classe dirigeante de l’entité pour sortir de la situation d’apartheid et/ou l’éviter est l’épuration ethnique.
Une brève histoire des dirigeants israéliens sur l’apartheid
Pendant des décennies, les dirigeants politiques et militaires israéliens se sont demandés : Israël deviendra-t-il un État d’apartheid ?
Puis, une fois leur mandat terminé, et que leur titre devient ancien chef du Mossad, ou ancien chef du Shin Bet, ou ancien ministre du gouvernement, ils trouvent le courage de dire que, hélas, Israël est devenu un État d’apartheid !
En 1967, l’ancien Premier ministre David Ben Gourion déclarait, peu après la conquête de Gaza et de la Cisjordanie, qu’Israël « ferait mieux de se débarrasser des territoires et de leur population arabe le plus tôt possible… sinon, Israël deviendrait bientôt un État d’apartheid ». Par bientôt, voulait-il dire dans un an ? Dans dix ans ? Dans un demi-siècle ?
En 1976, le Premier ministre Yitzhak Rabin avait qualifié les colonies de cancer alors que seulement 3 000 civils israéliens vivaient illégalement en Palestine occupée. Pourtant, il fallait faire quelque chose « si nous ne voulons pas en arriver à l’apartheid », avait-il déclaré . Il avait commencé son discours en demandant à son interlocuteur de garder cette partie pour lui. « Je l’ai dit, et je demande vraiment que cela ne soit pas utilisé, je ne vais pas [le dire publiquement]… » Rabin comprenait que les colonies et l’apartheid étaient les deux faces d’une même médaille. Israël ne pouvait pas avoir les premières sans le second.
En 2000, le dirigeant israélien Ariel Sharon admettait en privé que « le modèle des bantoustans était la solution la plus appropriée au conflit ». La vision de Sharon pour la Palestine était celle d’un archipel de 11 cantons démilitarisés et déconnectés, soumis à la domination militaire israélienne. Sharon, comme d’autres dirigeants israéliens tels Rafael Eitan et Eliahu Lankin, pensait qu’Israël et l’Afrique du Sud se trouvaient dans des situations similaires. Il s’agissait apparemment de deux États confrontés à des « terroristes » déterminés à les détruire. C’est pourquoi il interrogeait fréquemment un responsable israélien connaissant parfaitement le régime sud-africain pour apprendre quelles étaient les meilleures pratiques en matière d’apartheid.
Au milieu des années 2000, le « processus de paix » d’Oslo était mort, ce qui rendait le régime d’apartheid israélien plus difficile à nier. C’est ainsi que commença une série de déclarations d’anciens et actuels responsables israéliens tirant la sonnette d’alarme sur l’apartheid :
En 2006, l’ancienne ministre de l’Éducation Shulamit Aloni publia un article dans le journal populaire israélien Yediot Ahronot intitulé « Un fait, l’apartheid en Israël ».
En 2007, le Premier ministre israélien Ehud Olmert déclara aux médias israéliens, juste après que sa « Conférence de paix » d’Annapolis n’ait pas réussi à apporter la paix à qui que ce soit : « Si le jour vient où la solution à deux États s’effondre et que nous sommes confrontés à une lutte à la sud-africaine pour l’égalité devant le droit de vote (également pour les Palestiniens dans les territoires), alors, dès que cela se produira, l’État d’Israël ne sera plus. »
En 2008, l’ancien ministre de l’Environnement Yossi Sarid punlia un article similaire intitulé « Oui, c’est de l’apartheid » dans lequel il tentait d’interpeller le courant dominant israélien : « Les Afrikaners blancs avaient eux aussi des raisons pour justifier leur politique de ségrégation ; eux aussi se sentaient menacés – un grand mal était à leur porte, et ils étaient effrayés, prêts à se défendre », avait-il écrit.
En 2010, l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak déclara lors d’une conférence sur la sécurité à Herzliya : « Tant qu’il n’y aura qu’une seule entité politique appelée Israël dans ce territoire à l’ouest du Jourdain, elle sera soit non juive, soit non démocratique… Si ce bloc de millions de Palestiniens ne peut pas voter, ce sera un État d’apartheid. »
Pour les premiers ministres israéliens, même les anciens, l’aveu de l’apartheid a toujours été trop difficile à accepter. Barak, tout comme Olmert, Rabin et Ben Gourion, préféraient parler au futur. Israël ne pouvait pas être un État d’apartheid aujourd’hui. L’étiquette d’apartheid était réservée à une date future indéterminée, la catastrophe imminente se profilant toujours à l’horizon.
En 2013, l’ancien directeur général du ministère des Affaires étrangères et ancien ambassadeur en Afrique du Sud, Alon Liel, déclarait sans détour : « Dans la situation actuelle, tant qu’un État palestinien n’est pas créé, nous sommes de fait un seul État. Cet État commun – dans l’espoir que le statu quo soit temporaire – est un État d’apartheid. » Bien que Liel ait également tenté de se dédouaner, décrivant la situation comme un « mur de l’apartheid » ou comme « une sorte d’apartheid israélien ».
Comme d’autres responsables israéliens, Liel avait dû souligner que c’était précisément à cause de son sionisme qu’il insistait pour utiliser le mot « apartheid ». C’est son désir de sauver l’État juif qui l’a conduit à le qualifier d’État d’apartheid. Cette appellation devenait alors un symbole du centre-gauche sioniste comme arme rhétorique contre la droite sioniste.
Ces dernières années, le chœur des sionistes libéraux qualifiant Israël d’État d’apartheid n’a fait que s’amplifier.
Dans ses mémoires de 2020, l’ancien chef du Shin Bet Ami Ayalon écrit qu’Israël « ne peut être décrit que comme un État d’apartheid ». Il poursuit : « deux ensembles de lois, de règles et de normes, et deux infrastructures… nous avons déjà créé une situation d’apartheid en Judée-Samarie où nous contrôlons les Palestiniens par la force, leur refusant l’autodétermination ».
En 2022, l’ancien procureur général d’Israël, Michael Ben-Yair, a déclaré : « C’est avec une grande tristesse que je dois également conclure que mon pays a sombré dans de telles profondeurs politiques et morales qu’il est désormais un régime d’apartheid. Il est temps que la communauté internationale reconnaisse également cette réalité. »
En seulement un an ou deux, cette vague d’alertes s’est transformée en avalanche. Le grand journaliste Ron Ben-Yishai a publié en février 2023 un éditorial (en hébreu) intitulé « La révolution judiciaire a un autre objectif : l’apartheid » ; l’ancien commandant du secteur nord de l’armée israélienne Amiram Levin a déclaré en août 2023 qu’« il existe un apartheid absolu » en Cisjordanie ; l’ancien chef du Mossad (de 2011 à 2016) Tamir Pardo a déclaré en septembre 2023 qu’« il existe ici un État d’apartheid… Dans un territoire où deux personnes sont jugées selon deux systèmes juridiques, c’est un État d’apartheid » ; l’ancien directeur général du Premier ministre Ehud Barak a convenu en juin 2024 qu’« Israël se transforme en Afrique du Sud ».
Le schéma est remarquable. Les responsables israéliens passent leur carrière à défendre, renforcer et faire respecter un régime d’apartheid, puis, une fois à la retraite, ils se lamentent sur le travail de toute une vie. C’est presque comme si l’accusation d’apartheid agissait comme une soupape de sécurité pour leur culpabilité collective. La question subsiste : quand les dirigeants politiques et militaires actuels d’Israël auront-ils le courage d’affirmer l’évidence alors qu’ils sont encore en mesure de faire quelque chose pour y remédier ?
Par Zachary Foster,Palestine Nexus17 août 2024
Traduction Google amendée par Djazaïri
*Source : Mounadil al-Djazaïri