Accueil > ANC en direct > Actualité Politique et Sociale > Mayotte : Le temps de la dignité et de l’autonomie
Mayotte : Le temps de la dignité et de l’autonomie
dimanche 9 février 2025 par Nouriati DJAMBAE

Bien sûr le droit international et la notion même de nation exige le retour de Mayotte dans des Comores souveraines. En attendant il y a tout ce que la puissance coloniale a détruit y compris dans les têtes. Nouriati DJAMBAE nous donne ici une réflexion sur la réalité vécue par les Mahorais et les perspectives à construire (NDLR URC avec l’accord de l’autrice)
Depuis le référendum de 1974, Mayotte a pris un chemin différent de celui des autres îles des Comores (Anjouan, Mohéli, Grande Comore), créant ainsi un conflit diplomatique durable avec la France.
Le 22 décembre 1974, un décret issu des accords du 15 juin 1973 a posé la question suivante aux habitants des Comores : "Souhaitez-vous que le territoire des Comores devienne indépendant ?". La réponse a été sans équivoque, avec 99 % des voix pour l’indépendance des trois îles, contre 63 % à Mayotte pour le maintien dans la République. Ce référendum a définitivement scellé le destin de Mayotte et exacerbé un conflit historique entre la France et les Comores.
La situation actuelle de Mayotte reflète une forme de domination néocoloniale, marquée par des inégalités socio-économiques profondes. Bien que le référendum de 2009, suivi de son application en 2011, ait fait de Mayotte le cent unième département français, de nombreuses inégalités persistent. Même si Mayotte fait désormais pleinement partie de la France, la question de la responsabilité de cette dernière dans le développement de ce territoire demeure essentielle, d’autant plus que Mayotte détient le triste record de la pauvreté en France.
Lors du passage du cyclone Chido, le Premier ministre a choqué l’opinion en déclarant qu’il n’était ["pas d’usage que le Premier ministre et le président de la République quittent le territoire national en même temps"], alors même que le président était en déplacement à l’étranger. De plus, ce dernier, avec une attitude arrogante, a réaffirmé le mépris de la classe dirigeante envers les Mahorais, les traitant de manière paternaliste : ["Vous êtes contents d’être en France, vous seriez 10 000 fois plus dans la merde. Il n’y a pas un endroit dans l’océan Indien où on aide autant les gens."]
Abordons les prestations sociales, qui sont particulièrement faibles pour les populations les plus en souffrance. Par exemple, le RSA y est 50 % moins élevé qu’en métropole, les allocations familiales sont réduites par un barème spécifique à Mayotte, l’accès aux APL est plus restreint, et la couverture CMU-C y est aussi plus faible. Ces écarts sont en contradiction avec les principes fondateurs de notre République, qui doit garantir l’égalité pour tous ses citoyens. La loi doit être identique pour tous, qu’il s’agisse de la métropole ou des territoires ultramarins, trop souvent négligés.
Ne faudrait-il pas également souligner le manque de dispositifs d’insertion et de formation qui seraient pourtant cruciaux pour les populations locales ?
Dans un département dans lequel la précarité domine, l’eau potable, bien fondamental pour la survie de tout être vivant, coûte deux fois plus cher qu’en métropole, atteignant 8 euros le mètre cube.
Mais là où le mépris est encore plus flagrant, c’est dans l’attitude de la ministre de l’Éducation nationale qui n’a pas daigné répondre aux appels désespérés des Mahorais après les tragiques événements liés au cyclone. Malgré les appels à l’aide de la population, aucune réponse substantielle n’a été donnée. Cette indifférence illustre la déconnexion entre la classe politique parisienne et la réalité vécue sur le terrain.
Il est aussi important de saluer le travail des fonctionnaires restés sur place, qui ont fait preuve d’exemplarité en remplissant leurs devoirs, contrairement à certains de leurs collègues qui ont demandé leur rapatriement dès l’arrivée de la catastrophe. Ces derniers, bien que mieux rémunérés, ont fui leurs responsabilités, abandonnant ceux qui avaient tant besoin de leur soutien.
Le projet de loi d’urgence et le projet de loi de programmation "Mayotte Debout", dans leur version actuelle, semblent davantage renforcer le statu quo politique et administratif que de proposer des solutions adaptées aux défis locaux. Le projet de loi d’urgence, qui était censé répondre aux catastrophes naturelles, parait trop superficiel face à l’ampleur des destructions. Si des promesses de financement sont faites, l’absence d’infrastructures locales pour gérer ces fonds empêche tout changement réel.
Le projet de loi "Mayotte Debout", qui se veut une revitalisation économique, reste pour l’instant une déclaration d’intention sans tenir compte des spécificités locales ni des aspirations réelles de la population. Comment peut-on prétendre résoudre les problèmes de Mayotte sans inclure les Mahorais dans le processus décisionnel ?
L’absence de protection des populations vulnérables, qu’elles soient d’origine mahoraise ou issues de "l’immigration", est une autre réalité criante. La France doit rendre des comptes sur la gestion de la crise actuelle. Bien que les autorités annoncent une quarantaine de morts et autant de disparus, le bilan semble largement sous-estimé, et de nouveaux corps continuent d’être retrouvés, loin des chiffres officiels. Le monde attend une transparence totale sur la gestion de cette catastrophe humanitaire, et la population de Mayotte exige des réponses.
Comment l’État a-t-il pu ne pas anticiper la crise, alors que Mayotte est particulièrement exposée à de tels risques ? Pourquoi les autorités n’ont-elles pas pris les mesures nécessaires pour protéger les populations les plus vulnérables, en particulier celles vivant dans des zones à risques ?
Les habitants de Mayotte ne demandent pas seulement à être "reconnaissants" de faire partie de la France. Ce qu’ils réclament, c’est la possibilité de construire leur propre avenir, d’accéder à un développement réel, soutenu par des investissements intelligents, des politiques de justice sociale et un accès équitable aux services publics. Leur avenir ne doit pas se construire sous le joug d’une gestion parisienne aveugle, mais dans une dynamique locale d’autonomie et de dignité.
La France, au lieu de minimiser les souffrances et de revendiquer un monopole sur l’aide humanitaire, devrait privilégier l’autonomie de Mayotte, en soutenant des initiatives locales et en renforçant l’autosuffisance du territoire.
Enfin, il est particulièrement choquant de constater que le gouvernement ait choisi de confier l’accès à internet à l’entreprise américaine SpaceX, plutôt que de soutenir nos acteurs nationaux ou nos partenaires européens. Cette décision représente une double faute. D’une part, elle consiste à vendre notre infrastructure à une entreprise d’un pays qui nous mène une guerre économique depuis l’avènement de son nouveau président. D’autre part, elle soutient une entreprise dont le propriétaire est un soutien affiché de l’extrême droite allemande, un groupe politique avec lequel l’extrême droite française a rompu son alliance en raison de propos révisionnistes et de propositions racistes telles que la "réimmigration". Pour un gouvernement qui prétend lutter contre l’extrême droite, ce choix est incompréhensible, voire contradictoire.
L’histoire nous a prouvé qu’avec une gouvernance adaptée, il est possible de sortir de la précarité et de construire un modèle de développement réussi. Mayotte peut devenir un modèle pour tous nos territoires ultramarins, à condition qu’on lui accorde les moyens nécessaires pour réussir.