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Cuba : 2 réponses à la dollarisation partielle
lundi 10 février 2025 par Bolivar Infos

Quand le nouveau magasin en dollars a ouvert, ça a été l’information et la polémique du moment.
Quelques jours auparavant, lors d’une session plénière de l’Assemblée nationale, le premier ministre faisait connaître la décision du Gouvernement d’avancer encore plus dans la dollarisation partielle de l’économie : « C’est un processus nécessaire pour pouvoir récupérer les devises qui circulent illégalement dans la société, qu’il y ait un contrôle du Gouvernement sur celles-ci, et pour les utiliser pour le bien-être de la population. »
« On confirme que, dans tous les programmes du Gouvernement, la voix à suivre et la dédollarisation de l’économie mais il faut passer par là auparavant. »
Le chef du Gouvernement a expliqué que ce phénomène est en relation avec l’existence d’un marché du change illégal dans lequel le dollar constitue la monnaie de référence pour fixer les prix bien qu’on paye en monnaie nationale.
Après avoir fait une longue queue, et avoir parcourue plus de 50 km, Yuri sort du « nouveau magasin » : « Il y a de tout. C’est la même chose qu’avant mais tout concentré et mieux organisé. »
Paula, une vieille accompagnée par un de ses petits-fils, réfléchit à une dure réalité : « Le problème, ce n’est pas le magasin, mais ce que nous avons là, ce n’est pas l’État qui le vend en monnaie nationale. Depuis des années, nous espérons que tout redevienne comme avant mais il semble que la bonne fée à la baguette magique ne viendra jamais ».
Il y a quelques jours, Elsa Ramos, dans Escambray, faisait la même réflexion :
« Le problème ne semble pas être le type de monnaie, ni même le fait de vendre des produits de première qualité dans une monnaie qui ne paie pas les salaires, car nous n’avons jamais été payés en CUC, et encore moins en MLC.
Ce n’est donc pas le magasin qui a enraciné les différences sociales qui existent depuis longtemps dans notre société. En tout cas, il les rend plus visibles.
En cherchant des réponses, Cubadebate à discuter avec deux économistes de ce problème très complexe.
A l’Assemblée Nationale du Pouvoir Populaire, le premier ministre a fait savoir qu’on allait posséder à la dollarisation de l’économie. En quoi consiste ce phénomène ?
José Luis Rodríguez : Un pays affronte un processus de dépréciation de sa monnaie quand celle-ci perd du pouvoir d’achat par rapport à une monnaie forte, c’est-à-dire, une monnaie librement convertible dans l’économie internationale. Cela se manifeste quand, sur le marché du change, il faut énormément de monnaie nationale pour pouvoir acquérir une monnaie forte, un processus qui peut se produire dans le marché non reconnu officiellement - dans l’économie informelle- ou se produire grâce à la dévaluation officielle de la monnaie nationale face à une monnaie forte sur le marché du change régulé par l’État.
La perte de pouvoir d’achat de la monnaie nationale reflète–dans son essence–le fait que la valeur qu’on reconnaît aux marchandises ou aux services créés dans le pays ne représente pas la somme de valeur qu’on attend nominalement de ceux-ci à cause de la basse productivité ou de l’efficacité réduite avec lesquelles ils ont été créés par rapport aux valeurs contenues dans une monnaie forte.
En résumé, la valeur que représente une monnaie et la reconnaissance de la force de l’économie du pays qui l’émet.
Par conséquent, les différents acteurs qui agissent dans l’économie -face à un processus de dépréciation ou de dévaluation de la monnaie nationale- cherchent à stabiliser leurs opérations en utilisant pour leur comptabilité une monnaie forte avec une valeur stable, par exemple le dollar des États-Unis ou l’euro de l’Union européenne. De cette façon, bien que cela ne soit pas reconnu officiellement, les opérateurs non étatiques dans une économie prennent comme référence pour fixer leurs prix la valeur de la monnaie forte acceptée le plus couramment dans le pays. Cette façon de procéder permet de réduire les risques qu’implique le fait de ne pas reconnaître la base réelle sur laquelle se sont formés les prix -au milieu d’une inflation élevée- et de projeter les coûts et les bénéfices de la gestion d’une affaire dans l’économie sur une base plus objective.
Alors, l’État décide d’autoriser l’utilisation d’une monnaie forte dans l’économie nationale face à la dépréciation ou à la dévaluation de la monnaie nationale, ce qu’il fait, c’est de rechercher cette base plus stable pour la gestion économique du pays.
Pour atteindre ce but, il peut décider que toutes les opérations de l’économie nationale se feront en monnaie étrangère. C’est, par exemple, en Amérique latine, le cas du Panama, du Salvador et de l’Equateur. Il peut aussi décider qu’une partie des opérations qui se réalisent dans l’économie seront exécutées dans une monnaie librement convertible. C’est ce qu’on appelle dollarisation partielle. La portée d’une dollarisation partielle dépend du niveau auquel l’État décide que les opérations seront réalisées dans chaque monnaie. C’est le cas du Venezuela qui a engagé avec succès, ces derniers années, un processus de dollarisation partielle, de son économie.
En général, les processus de dollarisation, qu’ils soient partiels ou complets, sont toujours adoptés dans une situation de crise. Les résultats positifs se font généralement sentir à court terme et les désavantages se manifestent surtout à long terme.
Les processus de dollarisation qui existent actuellement montrent des avantages et des désavantages qui se modifient quand il s’agit de dollarisation partielles. Mais les processus de dollarisation partielle montre qu’ils étaient réversibles, ce qui n’est pas le cas quand on prend le chemin de la dollarisation totale.
Les avantages qu’on attribue généralement à la dollarisation :
- Elle apporte plus de stabilité monétaire en réduisant le risque du change.
- Elle offre des avantages pour le processus d’investissement étranger en permettant d’opérer directement dans une monnaie convertible dans le pays.
- Elle opère comme mesure anti-inflation en réduisant l’émission de mon nationale.
- Elle facilite le commerce international
- Elle réduit les coûts administratifs et financiers
Les inconvénients qu’on a attribuent à la dollarisation :
- Elle limite l’autonomie monétaire.
- La dualité monétaire et la fragmentation économique s’amplifient
- Elle met en évidence les inégalités entre ceux qui ont accès à la devise, et ceux qui n’ont pas accès
Le pays a eu l’expérience, pendant les années 90, d’un processus de dollarisation quelle ressemblance et quelle différence y a-t-il entre les deux phénomènes ? Quel risque implique-t-elle ? Est-ce quelque chose d’adroit ?
José Luis Rodríguez : L’objectif du processus de dollarisation partielle qu’on a décidé d’appliquer et d’un objectif limité : prendre le contrôle de la circulation illégale des dollars dans le pays.
Pendant la période spéciale, l’application de la dollarisation partielle a touché des secteurs complets comme le tourisme et un système de captation des devises parmi la population, a été mis en place en partant de l’entrée des envois d’argent des émigrés comme source de revenus essentiels pour que ceux qui les recevaient achètent dans des établissements spécialement désignés à cet effet : les célèbres magasins de collecte de devises (TRD). Avec les revenus nets de ces établissements, on nourrissait un fonds destinés à couvrir les besoins de consommation et de développement du pays, en assurant la consommation régulée et les services sociaux de base de la population.
Les nouvelles sources de devises du pays -le tourisme international et les TRD- ajoutées au flux d’investissements étrangers directs à partir de 1994–95, ont exigé la réorganisation du système de direction de l’économie en créant la dualité monétaire et du change. Mais ce n’est pas tout. On a décentralisé la gestion du commerce étranger à des entreprises d’État, on a appliqué des formules nouvelles pour renégocier la dette extérieure. (on a appliqué le swap de dette par inversion dans le secteur du tourisme, et on a établi, à partir de 1994, un système de stimulation en devises, d’abord pour les travailleurs des secteurs clés de l’économie comme le nickel, la pêche, les ports, etc… qui leur permettraient d’accéder graduellement aux TRD.
À la fin de 1994, on a aussi mis en circulation les pesos convertibles (CUC) comme source de monnaie nationale transitoire entre le dollar étasunien et le CUP, ce qui a aidé à renforcer à nouveau une monnaie nationale dans une autre perspective. Tout le processus de dollarisation partielle se déroule parallèlement à un programme d’assainissement financier interne approuvé par l’Assemblée nationale en mai 1994, ce qui a permis de réduire le taux de change non officiel du CUP par rapport au dollar de plus de 50 pesos pour 1 dollar au premier trimestre à 35 fin 1995, quand s’est ouvert la CADECA.
La portée de la dollarisation partielle, à cette époque-là, couvre les ventes en gros, et en détail décidées ponctuellement et le paiement de droits de douane en devises. La dollarisation s’applique dans le tourisme, les maisons du havane, les cliniques, les pharmacies, les opticiens internationaux et les aéroports.
Les comparaisons qui peuvent être utiles
Le processus de dollarisation de l’économie a été discuté avec la population de façon exhaustive dans un processus dirigé par Fidel, d’abord à l’Assemblée nationale du Pouvoir Populaire fin 1993, et ensuite dans ce qu’on appelle les Parlements Ouvriers, au premier trimestre de 1994, ce qui a permis d’atteindre un consensus de soutien décisif en prenant en compte les inégalités naissantes avec l’autorisation des envois d’argent de l’étranger face à la limitation des revenus de la plus grande partie de la population. Mais les systèmes de stimulation en devises qui ont fini par atteindre des millions de travailleurs dans les années 90, ont permis d’amortir l’impact négatif de cette politique, nécessaire mais difficile, sur la population.
La portée du processus de dollarisation dans les années 90 a été beaucoup plus importante que ce qu’on a décidé d’appliquer en ce moment. En ce moment, il existe déjà un important secteur non étatique qui a pris du poids dans l’économie nationale et qu’il faudra prendre en compte, en particulier en ce qui concerne la façon d’influer sur le contrôle, et ensuite sur l’absorption du marché du change non officiel qui fixe aujourd’hui les prix dans notre économie. Pour cela, les mesures qui seront appliquées avec la dollarisation partielle ne suffiront pas si elles ne sont pas complétés par d’autres transformations dans l’économie qui supposent de prêter attention à des problèmes urgents pour affronter l’inflation intégralement, la production d’aliment et la sécurité énergétique, tout cela étant lié à la nécessité de renégocier la dette d’un point de vue souple, et d’établir un marché du change ajusté à nos besoins.
On peut dire que la dollarisation partielle de l’économie est une étape difficile mais nécessaire pour contribuer à la stabilisation de l’économie du pays. Mais on court le risque que, à cause d’une mauvaise communication avec la population, cette mesure ne soit rejetée par notre peuple, ce qui représente un coup politique dont il faut tenir tenir compte.
Aujourd’hui, le pays affronte de multiples difficultés économiques, de multiples risques et de multiples menaces dans un environnement extérieur dans lequel le nouveau Gouvernement nord-américain pense pouvoir liquider l’œuvre de Fidel et la Révolution.
Mais nous sommes arrivés jusqu’ici en résistant à l’attaque de tous nos ennemis mais ça a été avec beaucoup de courage et en profitant de toutes les occasions pour avancer avec notre peuple.
Nous avons réussi à surmonter toutes les difficultés en comptant sur l’unité de la nation. Ne vacillons pas dans ces moments complexes et difficiles et travaillons avec l’intelligence et le courage qui ont caractérisé notre Révolution.
Alors, pourquoi dollariser ?
─Ileana Díaz : La dollarisation partielle de l’économie existe dès l’instant où on utilise les devises, que ce soit en liquide ou par carte, pour acheter des biens et des services. C’est-à-dire qu’on privilégie une monnaie étrangère au-dessus de la monnaie cubaine, ce qui lui fait perdre de la valeur.
La question serait pourquoi on dollarise ? Pour collecter des devises ou pour dynamiser l’économie ? On suppose qu’on collectera des devises pour dynamiser l’économie mais ce n’est pas ce qui a été observé pendant toutes ces années pendant lesquelles sont apparus les magasins en MLC. La collecte en elle-même, sans but particulier, et sans qu’elle soit complétée par d’autres actions, ne se transforme pas en améliorations.
Dans les années 90, on a dollarisé partiellement l’économie mais cela est allé de pair avec l’application d’un paquet de mesure de différentes sortes : magasins en dollars étasuniens, bureaux de change, réduction des ministères (ce qui implique une réduction des dépenses budgétaires), élargissement du secteur du travail à son compte (ce qui signifie création de postes de travail), attraction du capital étranger et incitation importante à la production, changements structuraux avec l’apparition de la biotechnologie, du tourisme et d’un modèle patronal de direction économique décentralisé.
Quelle est la différence entre le paiement en MLC et l’acceptation du dollar dur en liquide ? Quel impact cela a-t-il sur la dévaluation du peso cubain ?
─Ileana Díaz : L’apparition d’une carte classique et la mise au rebut de la carte MLC déjà opérationnelle est justifiée par le fait que les dollars qui soutenaient autrefois la MLC ne sont plus là. La question est donc de savoir quelle était leur destination : approvisionner les magasins d’État comme on l’a dit ? Ils remplissaient sûrement une autre fonction. N’est-il pas nécessaire de communiquer leur utilisation de manière transparente ? Quelle sera l’utilisation de la monnaie obtenue maintenant ? Cela a été un parcours, d’abord le dollar étasunien, puis le CUC, puis le MLC et maintenant le dollar étasunien classique plus. Chaque fois qu’une monnaie autre que le peso est utilisée, les salaires des travailleurs se liquéfient, leur pouvoir d’achat diminue.
L’autre côté du problème est que les secteurs dans lesquels on doit payer en devises, pour beaucoup d’entre eux en liquide ou avec la nouvelle carte, augmentent chaque jour : les impôts, pas seulement pour les personnes juridiques mais aussi pour les personnes naturelles, les importations non commerciales (sans que ces produits aient été définis), d’autres opérations de commerce extérieur, l’acceptation de liquide en devises dans le tourisme, les maisons du tabac, les pharmacies, les opticiens et les cliniques internationales, les aéroports et d’autres secteurs qui sont autorisés ainsi que les ventes en gros qui sont définies.
Est-ce que ce sera une mesure efficace pour récupérer les dollars qui circulent à l’intérieur de la frontière et qui est aujourd’hui échappe au système bancaire ? Quel impact cela aura-t-il sur le secteur non étatique ?
─Ileana Díaz : La dollarisation partielle de l’économie, sans marché du change officiel, n’exige pas que les devises transitent par le système financier officiel nique le prennent plus de valeur, bien au contraire, et n’élimine pas le marché non officiel. Il suffit d’observer la croissance des taux non officiels. C’est un exemple très simple de la façon dont cette mesure en elle-même ne résout rien et ne supprime pas les distorsions.
Le secteur non étatique, doit continuer à obtenir la devise sur le marché non officielle, sa demande augmente pour payer le combustible, les biens de commerce extérieur dont on a déjà parlé ainsi que parce qu’il s’agit de consommateurs comme le reste des Cubains.
De plus, la population cubaine qui souhaite et a besoin des produits en devises (parce qu’on ne peut pas les acheter en pesos) et a une famille à l’étranger reçoit de l’argent pour acheter dans ces magasins (il semble que ce soit quelque chose qu’on souhaite stimuler) mais la plupart de la population, pour obtenir ces produits, devra sacrifier une partie de son petit salaire sur le marché non officiel, qui est beaucoup plus rapide que celui qui existe de façon officielle pour les personnes naturelles.
Ce qui précède indique que la demande de devises augmente face à une offre relativement limitée, que les devises qui circulent hors du système financier officiel continueront d’exister, et que cela influencera les prix finaux des produits du secteur non étatique, alors que le secteur étatique continuera d’être déprimé.
C’est un cercle vicieux car on récupère des devises qui ressortent pour importer. On ne comprend pas qu’il n’existe pas une seule mesure de transformation des entreprises d’État pour simuler leur compétitivité.
Des changements intégrateurs dans l’économie sont nécessaires. Une fois de plus, il faut une réforme intégrale de changements macro-économiques, micro-économiques, d’incitation à la production et des changements structurels joints à la protection des travailleurs. Des groupes de mesures isolées ne résoudront pas le problème économique et social du pays.
Dans la situation économique complexe que traverse le pays et à cause de la nécessité urgente d’augmenter la disponibilité de devises, il est essentiel de mettre en place des politique qui fassent baisser les inégalités sociales croissantes, en particulier dans un secteur vulnérable en constante augmentation. Ces inégalités ont surgi suite aux transformations économiques qui ont découpé des mesures adoptées ces dernières années.
Le chemin à suivre est difficile mais il sera encore plus complexe si les décisions économiques ne s’accompagnent pas d’une stratégie de la communication efficace qui garantisse, à partir d’une perspective politique, les transformations nécessaire dans le modèle projeté dans la Constitution de la République.
Traduction Françoise, Lopez pour Amérique latine–Bolivar infos
Source en espagnol :
http://www.cubadebate.cu/especiales/2025/02/07/piedra-papel-o-tijera-dos-respuestas-al-fenomeno-de-la-dolarizacion-en-cuba/
URL de cet article :
https://bolivarinfos.over-blog.com/2025/02/cuba-2-reponses-a-la-dollarisation-partielle.html