Ilan Pappe : Nazisme 2.0

Si l’on se demande quel est l’effet produit par le dernier discours insensé et délirant de Trump sur Gaza en Israël, il suffit d’apprendre l’hébreu ou de se faire traduire par quelqu’un qui connaît l’hébreu, le discours de la politique et des médias israéliens.

“Évidemment, personne ne veut du peuple cruel de Gaza, et je ne parle pas du Hamas, mais de tout le peuple de Gaza. C’est pourquoi la Jordanie et l’Égypte rejettent la fantastique proposition de Trump”,

a expliqué le principal commentateur des affaires arabes sur une grande chaîne israélienne à l’heure de grande écoute le 6 février 2025.

Je me demande si les nazis ont tenu un tel discours à l’égard des Juifs.

Toutes les limites humaines et morales possibles et imaginables ont été transcendées dans le domaine public en Israël.

Tous les abus sont permis quand on parle des Palestiniens en général et des habitants de Gaza en particulier. Pas comme des animaux, non, c’est bien pire. Ils sont dépeints comme la pire représentation de l’humanité dans le nouveau discours, qui absout Israël de tout crime à leur encontre.

Les politiciens s’expriment, les principaux médias légitiment leur discours, et les rabbins, dans les synagogues – des institutions plus peuplées de Juifs israéliens que jamais – prêchent le génocide des Palestiniens sans honte ni inhibition.

Les prochaines étapes du génocide sont en préparation.

L’accalmie toute temporaire du génocide n’est pas due qu’à la volonté de Trump de libérer les otages pour sa propre image de marque, et permettre ensuite aux Israéliens de faire comme bon leur semble.

Même si nous arrêtions de construire de nouvelles colonies, et cessions de voir des millions de personnes manifester pour la Palestine, nous nous mentirions encore à nous-mêmes. Rien n’est fini. La nation démente d’Israël compte maintenant plus de gens et de politiciens prêts à aller jusqu’au bout du génocide que ceux qui s’y opposent – si tant est qu’il en reste.

Je persiste à croire que cette absence totale de compassion, et cette cruauté sans précédent témoigne de la fin du pire chapitre de l’histoire moderne de la Palestine.

À vrai dire, j’espère, comme dans l’Allemagne post-nazie, qu’un plus grand nombre de Juifs israéliens que je ne l’espérais au départ se réveilleront et éprouveront remords et culpabilité pour leur silence face à l’holocauste qu’Israël est en train d’infliger aux Palestiniens.

Mais aujourd’hui, il s’agit d’un appel désespéré à ne pas être apathique ou complaisant à cause du cessez-le-feu. Trump a ravivé toutes les forces obscures en Israël avec son projet – ou sa lubie, qu’importe – d’expulser la population de Gaza et de métamorphoser la terre en une Riviera américaine.

Les gouvernements européens, y compris le gouvernement britannique, ont condamné l’idée, et c’est louable. Ils font donc preuve d’un brin d’humanité. Mais c’est insuffisant, et ils ne voient pas les implications plus larges, non seulement de leur inaction actuelle, mais aussi de leur complicité dans le génocide depuis le 7 octobre 2023.

C’est le temps des illusions. Des leaders comme le fanatique Naftali Bennett sont maintenant en tête des sondages en Israël, et oui, il pourrait battre Netanyahu, mais ne propose aucune approche humaine aux millions de Palestiniens sous domination israélienne, toujours considérés comme un problème qui ne sera résolu que par la destruction et l’élimination.

La politique intérieure israélienne est aux antipodes de l’attitude et des politiques unanimement partagées d’Israël à l’égard des Palestiniens.

La presse occidentale dominante – sans parler des fidèles alliés d’Israël, du Jewish Chronicle, porte-parole de l’Israël fanatique au Royaume-Uni, à Fox News aux États-Unis – assure la couverture internationale qui permet à Israël de s’en tirer malgré ce discours et le projet annoncé.

Les 41 idiomes dans lesquelles la BBC émet parlent toutes la même langue : déshumaniser les Palestiniens, et assurer l’immunité à Israël et à sa politique.

Nous devons encore croire qu’à long terme, aussi horrible que soit le scénario, il est le prélude à un avenir bien meilleur. Et que ce prélude peut et doit être réduit au minimum.

Je n’ai pas de baguette magique pour remédier à une situation aussi dramatique des événements – mais nous sommes nombreux à pouvoir unir nos esprits et nos efforts au-delà des querelles d’ego et de la désunion, pour trouver un moyen encore meilleur, en plus du travail extraordinaire déjà accompli en tant que mouvement de solidarité, et empêcher les prochaines phases de l’élimination de la Palestine en tant qu’idée, que peuple, et que pays.

Une chose est sûre : la résistance et la résilience des Palestiniens demeurent la plus belle garantie que ces plans démoniaques ne se concrétiseront pas complètement. Mais le prix à payer pourrait être très élevé, et peut être évité.

Nous en sommes au stade où nous avons désespérément besoin d’une direction et d’une orientation palestiniennes. Des manifestations d’unité pleines d’espoir sont là, comme notre rédacteur en chef Ramzy Baroud nous l’a récemment décrit.

Ce n’est pas suffisant, mais c’est une lueur d’espoir pour l’avenir proche.

Il est encore temps de secouer le Nord global – si ce n’est ses dirigeants, alors ses responsables politiques dotés d’une conscience, et si ce ne seront sûrement pas les médias dominants, alors les médias alternatifs.

Nous avons le droit d’exiger beaucoup plus du Sud, encouragés par l’exemple de la Colombie, et de demander où sont la Malaisie et l’Indonésie ? Où est le Pakistan ?

Il s’agit de justice mondiale autant que de Palestine, et de la décolonisation du monde dans son ensemble, pas seulement en Palestine, afin que l’unité mondiale puisse faire face aux formidables défis qui ne pourront être relevés qu’ensemble – du réchauffement climatique à la pauvreté mondiale en passant par les mouvements de millions de personnes du nord au sud en quête de vie et de survie.

C’est l’unique voie pour vaincre le populisme, le fascisme et le racisme, dont tant d’entre nous – et en particulier les Palestiniens – sont encore victimes aujourd’hui.

Photo : 17 octobre 2023 - Des Palestiniens se précipitent pour aider les blessés après une frappe aérienne israélienne sur le quartier Az Zaitoun de la ville de Gaza. Photo © Mohammed Zaanoun / Activestills