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Allemagne : La défaite électorale de l’alliance Sarah Wagenknecht : un désastre politique
dimanche 9 mars 2025 par Rainer Balcerowiak.

Après ce qui vient de se passer aux États-Unis, après la Hongrie, l’Italie etc., suivre ce qui se passe en Allemagne pourrait s’avérer utile... S’il n’est pas trop tard pour empêcher l’extrême-droite d’arriver au pouvoir en France et ailleurs. L’article suivant -qui surprendra ou choquera peut-être des lecteurs français- est paru sur le site NachDenkSeiten [qui peut être compris à la fois par « Pages de Reflex(ion) » que par « Pense (de) côté »] plutôt favorable l’Alliance Sarah Wagenknecht (Bündnis Sarah Wagenknecht) aux lendemains des élections législatives allemandes du 23 février 2025. L’Alliance y a raté son entrée au Parlement pour 13 000 voix (pour atteindre les 5% nécessaires) et qui n’aura donc aucun député dans les quatre prochaines années. Dans ce texte, il n’est pas fait mention de la position de l’alliance BWS sur la Palestine, sans doute à cause du climat pro-israélien qui paralyse tout débat là-bas. Mais il faut noter la proposition des 10 députés de la BWS (ex Die Linke) dans le précédent parlement fédéral de faire une minute de silence pour les victimes de Gaza… et refusée par une sainte alliance allant de l’extrême-droite (AfD) au parti Die Linke (« La Gauche », en partie héritier des ex-communistes de RDA), en passant par la droite (CDU-CSU, FDP) et le SPD (social-démocrate)… [Les passages entre crochets sont des commentaires personnels ou des précisions pour permettre à tous de suivre]. HV
La défaite électorale de l’alliance Sarah Wagenknecht : un désastre politique
L’Alliance Sarah Wagenknecht (BSW en allemand) a raté de justesse son entrée du Bundestag. Comment cela a pu -t-il se produire ? Le parti encore très jeune - il a été fondé le 8 janvier 2024 – avait pourtant beaucoup à montrer. Avec la fondatrice homonyme au parti, Sahra Wagenknecht, une femme politique de pointe, l’Alliance a trouvé une reconnaissance et rencontré un soutien bien au-delà des milieux classiques de gauche, comme le montraient régulièrement les sondages . Le cœur de son positionnement – contre la poursuite de l’incendie de la guerre en Ukraine et la demande d’initiatives diplomatiques ainsi que le rejet d’un nouveau réarmement – le BSW a comblé un fossé dans la représentation fédérale du système partisan allemand, puisque ces positions sont soutenues par des couches notables de la population.
Cela s’applique également à la demande faite dès le départ en matière de réglementation stricte des migrations et, dans un premier temps, la formulation – quoique vague au départ- des exigences sociales de base dans des domaines tels que les retraites, l’éducation, le logement et les niveaux de salaire. En outre, il existait des propositions pour une politique orientée en faveur des entreprises de taille moyenne, et la demande d’une réévaluation profonde de la « politique corona » et de la politique de protection du climat qui n’exclut plus les questions sociales et économiques, mais les place au centre.
Sur le plan organisationnel, l’alliance BSW a été fondé jusqu’ici sur le principe d’un parti de cadres [on pourrait dire d’ « avant-garde » en français ?] . Pour de bonnes raisons sans doute, les membres ont été choisis de manière extrêmement restrictive et strictement hiérarchisée. Toutes les décisions à cet égard étaient entre les mains du cercle intime de la direction au niveau fédéral. Il a ainsi été très difficile de mettre rapidement en place une présence nationale et des structures correspondantes localement. Un millier de supporters ont ainsi été placés dans une sorte de boucle, avant de voir pour beaucoup leur adhésion rejetée.
Néanmoins, le nouveau parti a rapidement réussi à s’imposer comme une nouvelle force politique pertinente pour de nombreuses personnes. La présence dans les médias a été également énorme, comme quoi la constitution du groupe parlementaire BSW au Bundestag, avec dix membres ayant démissionné du groupe du parti Die Linke (La Gauche) , a joué un rôle important. Tout reposait cependant essentiellement sur la présence de Sarah Wagenknecht dans les media, qui assurait en plus la double fonction de chef du groupe parlementaire et de président du parti. Seule, la coprésidente du parti, Amira Mohammed Ali, a été identifiée dans une certaine mesure comme un autre "visage" du parti.
Le succès des test électoraux aux élections européennes et dans trois Länder (régions dotées d’une plus grande autonomie par rapport aux régions françaises)
Le premier grand test mené par le nouveau parti a eu lieu lors des élections au Parlement européen le 8. Juin 2024, avec une liste menée par Fabio de Masi, un autre poids lourd ayant rejoint l’alliance et qui représentait un candidat de premier plan. De Masi, lui aussi, avait acquis une renommée et une reconnaissance dans son rôle de combattant contre la corruption – en particulier dans le cas de fraude Cum-Ex et de Wirecard – au-delà des cercles militants habituels.
Malgré des déficits organisationnels considérables, le test a été réussi – à l’époque, le parti ne comptait que 650 membres et quatre associations régionales. Le BSW a atteint près de 6,2 % des voix aux élections européennes et donc six sièges au Parlement européen. Pour mémoire, le parti Die LINKE n’a fait que 2,7 % et obtenu trois sièges. Avec la capitaine du bateau sauvant les migrants en Méditerranée, Carola Rackete, placée dans les premiers sur sa liste, Die Linke espérait pourtant séduire une nouvelle classe d’électeurs. Une erreur finalement fatale, parce qu’un peu plus tard, lors d’un de ses premiers votes au Parlement européen, Rackete s’est positionnée comme une partisane de la livraison rapide des missiles de croisière (de longue portée) Taurus à l’Ukraine.
Le défi majeur pour le BSW a été ensuite la tenue des élections en septembre 2024 en Thuringe, en Saxe et dans le Brandebourg.
Sous une forte pression, il a fallu établir des associations régionales et établir des listes électorales. Malgré les déficits persistants - l’association de l’État de Brandebourg ne comptait que 36 membres - le parti a été en mesure de profiter de la lassitude des électeurs de vis-à-vis des « vieux » partis, particulièrement répandue dans ces Länder de l’ex-Allemagne de l’Est, pour une campagne électorale extrêmement réussie, dans laquelle la question de la guerre [en Ukraine] a joué aussi un rôle central. En Thuringe, BWS a atteint 15,8 % des suffrages exprimés, 13,5 % dans le Brandebourg et 11,8 % en Saxe.
Dans les trois Länder, le BSW est devenu le troisième parti, et il y a eu alors des discussions rapides et des négociations ensuite pour la formation de gouvernements de coalition – avec des processus et des résultats différents compte-tenu du poids acquis pr le parti d’extrême-droite AfD [« Alternativ für Deutschland », sonnant un peu comme le « Alles fur Deutschland » des Nazis...).
Dans le Brandebourg, un accord fut conclu dans les coulisses et avec succès avec le SPD, en Saxe, les négociations ont échoué principalement en raison de l’engagement exigé par la BSW des futurs gouvernements des Länder en faveur de solutions diplomatiques dans la guerre en Ukraine. En Thuringe, il y a eu pour la première fois un désaccord public entre les dirigeants fédéraux de BSW et la fédération du Land, dont la chanteuse Katja Wolf qui était apparemment prête à autoriser un préambule correspondant à un accord de coalition avec la CDU et le SPD. L’association régionale a même été menacée de dissolution. Mais d’une manière ou d’une autre, le différend s’est résolu et c’est maintenant cette coalition qui est au pouvoir dans ce Land.
Ensuite, le BSW voulait se concentrer sur le défi central : les élections au Bundestag [le Parlement national, fédéral, allemand] prévues initialement pour septembre 2025. mais qui ont été finalement anticipées pour le 23 février suite à l’éclatement de la coalition FDP-Verts-SPD [dite des feux tricolores à cause des couleurs emblématiques de ces partis, Orange-Vert-Rouge]. BWS a été alors cueillie à froid. Ce sont toutefois d’autres événements qui ont considérablement changé la donne. Le cœur du projet de BSW (contre la guerre et le réarmement) s’est considérablement déplacé dans les médias et donc également dans la liste des priorités de la plupart des électeurs, alors qu’il avait encore joué un rôle majeur dans les élections européennes et les élections des 3 Länder de l’Est. Les dirigeants de BWS n’ont pas réussi à maintenir ce sujet dans le débat public hors le débat parlementaire et au-delà de sa propre sphère d’influence.
Les migrants, thème de campagne dominant
Au lieu de cela, une suite d’actes horribles [mais ne faudrait-il pas aussi qualifier ces passages à l’acte de désespérés ?] de violence commis par des migrants - qui devaient quitter l’Allemagne parce que le statut de réfugié leur avait été refusé, ou qui attendaient d’obtenir ce statut- la question des migrants est devenue le thème principal. Ce discours a été alimenté par la montée de l’AfD, qui a pu ainsi secouer avec plaisir les autres partis, ce qui a conduit au fait que les autres partis ont répondu de plus en plus aux anciennes exigences telles que le refoulement des migrants aux frontières, leur expulsion plus rapide vers des pays comme la Syrie et l’Afghanistan, la réduction des prestations pour les réfugiés, etc. Un chemin que la BSW a également pris.
Or, il n’y a probablement rien à gagner pour l’alliance BSW en matière de migration. L’expérience a montré qu’on choisit toujours l’original plutôt que la copie. Et l’étrange comportement de la BWS au Bundestag dans les votes sur deux motions de résolution présentées par la CDU [droite] et appuyées par l’AfD, et un projet de loi présenté par la CDU sur la politique migratoire, a fait beaucoup de mal à l’image de l’Alliance alors que c’était un combat totalement superflu.
Dans leur débat sur ces demandes, Wagenknecht elle-même a déclaré que tout cela était de la propagande, car ni les propositions de résolution déposées ni le projet de loi ne pouvaient être concrètement mis en œuvre. Par conséquent, en tant que groupe parlementaire, la BWS n’aurait pas dû participer au vote et faire simplement savoir être clairement en faveur d’une réglementation plus stricte de la migration. Au lieu de cela, l’Alliance a approuvé le projet de loi avec l’AfD et a une fois voté contre et s’est abstenue sur les deux résolutions. Ce que probablement personne d’autre que les concepteurs de cette « stratégie » ont compris.
Avec le risque que la CDU coopère avec les « fascistes » après ce qui s’était passé au Bundestag, on pouvait s’attendre à une forte renaissance des manifestations « antifascistes » à grande échelle… et que l’alliance BSW soit également fusillée en conséquence. Et c’est précisément sur cette vague émotionnelle de « l’antifascisme » , en grande partie apolitique, que le parti Die Linke a pu rouler merveilleusement dans la phase finale de la campagne électorale. Pour cette dernière, sa coopération avec les partisans des bellicistes du SPD et des Verts allemands [sans parler de leur soutien indéfectible au gouvernement d’Israël] n’était pas un problème, puisque Die Linke restait assez indifférente à la question de guerre. L’Alliance BSW n’y était évidemment pas préparée. C’est surprenant, car cela aurait pu être appris de l’époque du mouvement Debout [« Aufstehen » ; après que l’ancien président du SPD Oskar Lafontaine l’ait suggéré, la même Sarah Wagenknecht, sa compagne, alors à Die Linke, a créé avec quelques dirigeants du SPD et des Verts cette association éphémère en 2018 qui préfigurait un peu la BWS sur certains aspects, et qui promouvait un mouvement et un programme susceptible de faire gagner les élections avec une majorité de ces 3 partis, alors que les Verts et le SPD refusaient alors toute alliance avec Die Linke] et , le mouvement « Indivisible » [d’une certaine façon, son exact opposé en termes politiques] qui organisa une grande manifestation [avec les thèmes généreux à première vue comme "Pas de place pour les Nazis", "Unis contre le racisme", « Sauver les migrants en Méditerranée n’est pas un crime »] et qui afficha son opposition au mouvement « Debout ». [Depuis, entre 2018 et 2025, l’AfD est passée de 10 à 20 %.]
Faiblesse de la campagne électorale et ressentiment de la base
Mais la faiblesse évidente du BSW dans la dernière phase de la campagne électorale a d’autres raisons. Le BSW n’a pas du tout atteint les jeunes et des primo-électeurs et n’avait évidemment aucun plan sur la manière dont cela aurait pu fonctionner. Au contraire, Die LINKE et son icône pop Heidi Reichinnek sont maintenant rock’n’roll [après une vidéo très populaire sur les réseaux sociaux quelques jours avant les élections, alors que les sondages prédisaient jusqu’alors moins de 5 % à Die Linke], tandis que les tenants de la BSW apparaissent comme de vieilles et vieux Cassandre qui finissent par ennuyer. Selon les recherches partielles, Die LINKE est devenu de loin le parti le plus fort parmi les primo-électeurs. Tandis que lors du rallye final de Sahra Wagenknecht, quelques centaines de personnes étaient perdues devant la Porte de Brandebourg (à Berlin), un jour plus tard d’énormes cortèges se formaient dans la même ville devant le cinéma Kosmos pour obtenir une place à la dernière fête branchée de la gauche… comme en 2018.
Mais ça craque aussi dans la BWS. La politique sélective « du parti de cadres » était certainement nécessaire, mais s’est également révélée clairement désavantageuse dans l’organisation d’une campagne électorale au Bundestag. D’autant plus que l’attrait de l’icône du parti Sahra Wagenknecht s’estompe progressivement. L’euphorie qui a mené la BSW avec succès après sa fondation dans la campagne électorale des Européennes et les élections des Länder a également eu tendance aussi à s’estomper. En outre, on ne pouvait pas empêcher que certains réseaux carriéristes régionaux se soient rapidement formés (souvent avec des ex-Die Linke), qui ne pouvaient avoir aucun intérêt à ce que le parti s’agrandisse. Dans les coulisses, il y avait des rivalités pour être le mieux placé sur les listes, mais même si vous n’y parveniez pas, vous, en tant que membre, vous aviez de bonnes chances d’obtenir un job bien rémunéré dans l’appareil parlementaire ou du parti après les élections. Dans le même temps, la frustration s’est accrue parmi de nombreux supporters vis-à-vis de ce « guichet fermé », qui a ensuite été exploitée en conséquence dans les media.
Il est possible qu’il y ait maintenant des mouvements de départ, toutes sortes de lavage du linge sale en famille et de « criticismes » contre la tête de l’Alliance. Pour ceux qui avaient relativement ouvertement opté pour une carrière rapide après l’élection, il n’y a rien à gagner, et certains iront probablement bientôt frapper ailleurs. La défaite électorale sera désormais également attribuée à la la direction de BSW, grâce au concours actif et manipulateur des principaux médias, tous anti-BSW. Il y a certainement quelque chose à faire, mais il est beaucoup trop tôt pour expliquer le mauvais résultat de manière globale.
Il est aussi trop tôt pour savoir si l’alliance BSW a encore un avenir ou pas. Sa direction veut continuer et rentrer au Bundestag en 2029. Mais l’ancien appareil de direction est d’abord politiquement lié dans une large mesure avec des structures parlementaires et d’autres structures institutionnelles et loin d’être un mouvement politique. On ne sait pas non plus si Wagenknecht veut continuer à jouer le rôle de figure pour l’Alliance. Tout cela est politiquement un désastre. La tentative d’occuper le véritable fossé existant dans la représentation du système des partis, en affichant un mélange passionnant d’engagement cohérent pour la paix, de politique conservatrice-libérale et de politique sociale social-démocrate de gauche a échoué. Cela accélérera encore la montée de l’AfD. Et surtout, le Bundestag n’aura plus de voix qui résiste au discours en faveur de l’augmentation de la « capacité militaire » de l’Allemagne et de l’Europe. Ce ne sont pas des perspectives encourageantes.
Texte paru initialement sur :
https://www.nachdenkseiten.de/?p=129254 (traduction réalisée avec outils internet, un bon dico et mes souvenirs de l’allemand ; possible que des erreurs se soient glissées. HV)