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Des identités manipulées, une constante de l’histoire ?
samedi 5 juillet 2025 par Francis Arzalier

Nous soumettons à la discussion cette première partie du texte de Francis Arzalier, qui sera suivie dans quelques jours par " Iran et Israël, deux identités antagonistes ? « (NDLR)
Dans le foisonnement actuel des sigles idéologiques, les « identités » ont mauvaise presse, et sont souvent utilisées pour qualifier des comportements excessifs : Ainsi, on dit couramment dans la France actuelle « identitaires » des groupes politiques souvent violents, xénophobes et de Droite extrême, qui ne répugnent pas au terrorisme raciste, et que révulse la Démocratie.
Et pourtant ….
Tout historien sérieux des idéologies le sait : la quête d’une identité, qui permet à l’individu isolé de se retrouver dans un groupe réuni par des comportements communs, est une dimension majeure des sociétés humaines dès la Préhistoire. L’Humain, cet animal particulier, est un « être social », et a besoin de s’inclure dans un groupe collectif, et c’est encore plus impératif dans un Univers mondialisé où les modes de vie et les idées semblent s’uniformiser d’un continent à l’autre. Dans le magma mercantiliste d’aujourd’hui, où chacun est réduit à un consommateur parmi des milliards d’autres, s’enquérir de l’éternelle question :
« Qui suis-je, et quelle est mon identité, qui me différencie des autres ? » est non seulement normal, mais nécessaire.
Depuis que nos ancêtres Homo Sapiens il y a plusieurs milliers d’années parcouraient les savanes africaines à la recherche de gibier et de fruits, cette quête d’identité a trouvé de nombreuses réponses différentes, mais elle permet toujours de s’identifier à un groupe social protecteur pour l’individu.
On peut attribuer son identité à un territoire qui nous est commun, à des liens familiaux, qui s’élargis à la tribu par des ancêtres supposés communs, à la langue que nous utilisons, au mode de vie qui permet de se procurer sa provende : c’est ainsi que durant des milliers d’années et parfois jusqu’à nos jours, certains peuples africains s’identifient comme peuples éleveurs, les Peulhs du Sahel, les Masai et les Tutsi d’Afrique orientale, alors que d’autres sont qualifiés d’agriculteurs sédentaires.
Plus récemment, les marqueurs identitaires revendiqués sont plutôt d’ordre culturel, religieux ou philosophique, même si l’aspect physique, la pigmentation plus ou moins foncée de la peau par exemple, a servi et sert encore aujourd’hui d’identité.
Le marqueur identitaire revendiqué le plus récemment dans l’histoire est la Nation, qui repose sur un choix subjectif, la volonté de ses participants (Citoyens) de former un corps politique, soumis aux mêmes lois, ce qui se traduit par un État. C’est ainsi que la Nation française, ébauchée depuis le Moyen Âge par la monarchie capétienne, s’est concrétisée grâce à la Révolution de 1789-94, par l’approbation commune des réformes antiseigneuriales et républicaines, réunissant sur cet objectif politique et social des Citoyens qui n’avaient au départ ni la même langue, ni les mêmes croyances religieuses ou philosophiques.
Dans cette optique, aucune identité revendiquée ne peut être toxique, seules leurs dérives manipulées peuvent le devenir. L’attachement des Citoyens à leur Nation commune qu’il faut parfois défendre comme en 1792 et qu’on dit Patriotisme est nécessaire, pas le nationalisme, dérive de l’identité nationale, qui amène à considérer sa Nation supérieure à toutes les autres, ce qui l’autorise à les exploiter.
On peut faire de ces dérives identitaires. Une illustration plus actuelle : Quand de jeunes Françaises d’ascendance maghrébine se couvrent le crâne et la chevelure d’un voile pour affirmer leur identité musulmane, face au discours omniprésent qui soupçonne l’Islam du pire, on doit considérer cette attitude pour ce qu’elle est, une affirmation d’identité légitime, même si elle relève un peu de la provocation adolescente. La vouer à la vindicte publique est imprégné de xénophobie, et totalement inacceptable. Comme serait inacceptable d’imposer le port du dit voile à qui n’en ressent pas l’utilité !
Conflits d’identités partout ?
Cette problématique des quêtes d’identité est présente d’évidence dans tous les continents, avec ses dérives provoquées ou manipulées par l’impérialisme, et parfois enfiévrées par les conflits de classe.
En Afrique surtout, du Sahel au Congo et au Soudan, encore meurtris par l’héritage de l’exploitation coloniale, des volontés nationales nouvelles tentent d’échapper aux séquelles de ce passé, avec d’autant plus de difficultés qu’elles sont menacées par des insurrections armées prétendument identitaires (intégristes religieux ou ethnicistes), suscitées ou alimentées de l’extérieur.
Des scénarios de manipulation des quêtes d’identité se discernent aussi en Amérique latine, en Asie (cf. les intégrismes religieux Ouigour et Thibétain contre la Chine, ou en Inde les effets délétères du Nationalisme Hindouiste contre les minorités musulmanes.
Et les mêmes désastres guerriers à prétextes identitaires parcourent le continent Européen. Il a subi dans la dernière décennie du siècle 20 les féroces guerres de Yougoslavie, l’affrontement sanglant entre identités nationalistes de l’ex-Fédération yougoslaves, manipulées par les Impérialismes occidentaux, et notamment ceux de l’Union Européenne.
L’Europe saigne à nouveau depuis qu’en 2014 : le nationalisme antirusse à pris le pouvoir en Ukraine, et mène la guerre contre les minorités russes du Donbass et de Crimée, et contre l’État russe, au service d’une coalition USA-Union Européenne qui lui fournit les armes nécessaires depuis plus de dix ans. Un conflit d’identités manipulées qui ne manque pas de complexités antagonistes. Ainsi si la prétention des peuples russes de Crimée et du Donbass de réintégrer la Nation russe dont ils ont été arbitrairement exclus il y a quelques 40 ans, cela ne justifie en rien la récente affirmation de Poutine niant l’identité ukrainienne ( « Russie et Ukraine sont un même peuple. »). Cette identité nationale, même si elle a largement dérivé en xénophobie et pro-Impérialisme occidental, a démontré depuis vingt ans qu’elle existait en combattant.
Embrasement des identités au moyen orient ?
Le Moyen-Orient est l’exemple le plus achevé d’une mosaïque d’identités, Nations, religions, langues, et de leurs manipulations par les Impérialismes extérieurs. Cette diversité d’identités est à la fois ethnique et linguistique : Même si la langue arabe y est la plus répandue, elle est parlée très différemment du Liban à l’Irak ou à la Palestine, en versions dialectales.
Certes l’écriture arabe coranique est un facteur d’unité culturelle et religieuse, mais toutes les tentatives de « Nation Arabe », de Nasser au Baas) ont échoué, pour des raisons internes plus que d’ingérences extérieures. Encore faut-il ajouter que l’Islam, majoritaire, est fort loin d’être une identité unifiée, tant s’y distinguent les rites Sunnites, dominants de la presqu’île arabe à la Syrie, d’avec les Chiites, ces « Protestants de l’Islam », dominants en Iran d’abord, mais présents aussi du Liban (Druzes) en Syrie (Alaouites), etc.
Ajoutons à cela que le Moyen Orient, qui fut le berceau de multiples croyances, et notamment de toutes les « religions du Livre », en conserve la trace, sous la forme de minorités religieuses, Chrétiens du Liban et de Palestine, et bien sûr, Juifs d’Israël, rassemblés par la migration sioniste du XXème siècle. Des différences cultuelles qui ont d’autant plus tendance à verser dans l’antagonisme que s’y confrontent les mythes historico-religieux de « Lieux Saints » et de « Terre Promise « .
Sur ce terreau fertile de divisions identitaires, s’appesantissent ici les ingérences de l’Impérialisme occidental, Étatsunien et Européen, coupables de les transformer épisodiquement en brûlots guerriers. Ils sont donc les premiers responsables du chaos régional, ce qui n’exonère en rien de leurs responsabilités des dérives identitaires bien réelles et sulfureuses.
Cette grille de lecture par la manipulation des identités convient au décryptage de l’histoire de tous les États de la région depuis un siècle, Syrie, Irak, Liban, États du Golfe, etc. Mais le présent article ne se prête pas à traiter de tous ces pays. Nous nous limiterons donc à ceux que l’actualité guerrière a mis au premier plan en 2025, Israël et l’Iran, et aux conséquences qui en découlent pour les peuples qui les entourent.
À suivre.