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Sinwar s’est-il suicidé ? Gaza s’est-elle suicidée ? Psychologie du suicide

lundi 13 octobre 2025 par Ing. Essam Al-Shami

Comment pensait Yahya Sinwar avant d’ordonner la mise en œuvre du 7 octobre ?

Dès les premiers instants où j’ai assisté au 7 octobre – l’opération qui a changé le cours de l’histoire – je me suis demandé : que se passait-il dans la tête de Yahya Sinwar ? Comment un homme qui sait que cette action ouvrira les portes de l’enfer à Gaza et à sa population peut-il réfléchir ? A-t-il perdu le contrôle ? S’est-il suicidé ? Gaza elle-même s’est-elle suicidée ? Était-ce une action purement militaire… ou était-ce autre chose, quelque chose de plus profond ?

De toute façon le 6 octobre la Palestine et Gaza étaient en train de mourir à petits feux alors le 7 octobre l’a révélé au monde entier et c’est Tel Aviv qui marche vers le suicide. (BD)

Au fil du temps, j’ai commencé à croire que ce que Sinwar avait fait n’était pas un suicide au sens émotionnel du terme, mais plutôt un suicide stratégique calculé, basé sur une prise de conscience cumulative, sur un sentiment profond que la Palestine, dans cette réalité, ne sera pas libérée par des accords sur les prisonniers ou des bureaux de l’ONU, ni par la mendicité dans des forums...

Il savait que continuer à gérer la « crise » était une acceptation implicite de la réalité de l’occupation, et que maintenir le « statu quo » n’était rien d’autre qu’une extension indéfinie de la tragédie..!

À ce moment-là, Sinwar n’était pas un individu ; il était plutôt l’incarnation psychologique d’une conscience collective qui avait vécu 17 ans de siège, respirant l’humiliation, mangeant la mort et grandissant avec un sentiment existentiel d’étouffement.

En psychologie sociale, Émile Durkheim explique dans son célèbre ouvrage « Le Suicide » qu’il existe un type de « suicide collectif conscient » qui se produit lorsqu’un groupe ressent inconsciemment que sa survie sans dignité constitue son véritable anéantissement. La conscience collective choisit de sacrifier le corps au nom de la survie du « sens ».

C’est précisément ce que Sinwar représentait à ce moment-là.

Sa décision n’était donc pas le reflet d’une déconnexion de la réalité, mais plutôt du fait que l’attachement à la réalité elle-même était devenu une sorte de maladie. La nation gazaouie avait atteint un moment où sa conscience collective déclarait : Nous ne nous soumettrons plus, quelles qu’en soient les conséquences.

C’est exactement ce que Frantz Fanon décrivait lorsqu’il disait : « Lorsqu’un peuple colonisé est tué, non seulement il se venge du colonisateur, mais il se rachète aussi. »

Lorsqu’il prit sa décision, Sinwar n’était pas politique. Il était le miroir émotionnel de deux millions de personnes assiégées, qui avaient vécu des années d’humiliation, de destruction, d’impuissance, de mort d’enfants, d’incendies de fermes et de négociations humiliantes. Cette psyché collective ne cherchait plus l’espoir ; elle cherchait à se venger du néant lui-même, du sentiment de marginalité, d’être des êtres invisibles sur la carte du monde.

Ainsi, le 7 octobre n’était pas seulement un soulèvement armé, mais un cri d’espoir.

Alors que beaucoup abordent l’événement sous l’angle de la question « Est-ce une décision rationnelle ? », la véritable réponse vient du philosophe allemand Walter Benjamin, qui a écrit : « Tout élan révolutionnaire naît non pas d’aspirations pour l’avenir, mais du désespoir face au présent. »

Le 7 octobre fut un moment d’explosion historique de désespoir, lorsque la soumission atteignit son apogée et se transforma en épée.

Étrangement, certains critiques continuent de se demander : « Sinwar ne savait-il pas qu’Israël riposterait ? » comme s’ils ne comprenaient pas, ou ne voulaient pas comprendre, qu’il en savait plus qu’eux. Mais il a décidé que ce moment serait une « révélation » majeure, non seulement sur le plan militaire, mais aussi sur le plan moral mondial.
Israël est une entité corrompue protégée par une gigantesque machine de propagande, apparaissant toujours comme la « victime idéale ».
Il voulait le forcer à tuer jusqu’à ce que ses masques tombent.

Sinwar a choisi la confrontation, non pas pour gagner militairement, mais pour pousser Israël vers la destruction morale. Et c’est ce qui se passe actuellement ; Israël n’a pas vaincu Gaza, mais s’y noie.
Son image s’est effondrée ; ce n’est plus l’« oasis démocratique » dans l’Orient « sauvage », mais plutôt un symbole du colonialisme, du nettoyage ethnique et du génocide. La raison n’est pas seulement le nombre de morts, mais le fait qu’ils ont été tués après s’être rebellés contre la peur. Contre l’emprisonnement de masse. Contre l’attente de la mort.

L’ironie est peut-être que les peuples libres du monde l’ont compris ; ils ont compris que ce qui se produisait était une révolution sans discours, une audace sans masque. Étudiants des universités occidentales, manifestants, intellectuels dans leurs articles : tous ont commencé à dépouiller l’entité de sa « légitimité morale ».
Cela n’aurait pas eu lieu sans l’explosion du 7 octobre. « L’action violente symbolique », comme l’appelle Pierre Bourdieu, est ce qui réorganise les significations avant de réorganiser la géographie.

Israël a gagné la bataille des armes, mais il perd la guerre de la légitimité, ce qui est plus dangereux. Car la défaite morale précède toujours la défaite politique. Il en a été de même avec l’Amérique au Vietnam, la France en Algérie et le régime d’apartheid en Afrique du Sud. Tous ont gagné par le feu, mais se sont effondrés lorsqu’ils ont été exposés moralement. Le mérite en revient à ceux qui ont choisi, comme le disait Jean-Paul Sartre : « de dire non même en sachant que rien ne changera demain. »

Alors, Sinwar s’est-il suicidé ?

Non. Il a simplement tiré la première balle au cœur d’un mensonge vieux de 75 ans. La balle ne détruit peut-être pas le corps maintenant, mais elle a commencé à détruire l’âme.

Et Gaza s’est-elle suicidée ?

Non. Gaza est aujourd’hui plus présente que jamais. Elle est désormais, dans la conscience de l’humanité, la terre des témoins, la terre des cris, la terre du rejet.

Photo : Les derniers instants de Yahya Sinwar

Transmis par (MBYF)

   

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