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France des pauvres et des bourgeoisies
lundi 27 octobre 2025 par Francis Arzalier
Nous nous targuons souvent, avec plus ou moins de suffisance, d’employer un vocabulaire rationnel, voire « scientifique », parce qu’imprégné d’analyses marxistes des classes sociales. Elles sont certes des réalités bien concrètes, quantifiables, en termes de revenus, de patrimoine et de consommation. Et cependant, sommes-nous sûrs de tout savoir des concepts ressassés, celui de « Bourgeoisie française » par exemple, auquel on ajoute souvent les qualificatifs de « possédante » ou « dirigeante » ?
On peut déjà définir précisément ce qu’elle n’est pas. Les médias de grande écoute faisant mine de découvrir ces temps derniers que la France compte en 2025 près de 10 millions de « Pauvres », subsistant avec moins de 1280 euros par mois et par personne, montant considéré comme le seuil de pauvreté dans notre pays, un pourcentage qui s’est accru depuis l’année dernière.
Encore faudrait-il préciser que les travailleurs salariés payés au SMIC, ces chanceux dont le pactole mensuel monte à 1450 euros, ne peuvent se goinfrer de viande tous les jours, et qu’une majorité de Français, qualifiés arbitrairement de « classes moyennes « (revenu mensuel compris entre 1600 et 2400 euros par mois) ont souvent l’impression de voir gonfler périodiquement la note à la caisse du super marché !
Tous ceux-là, qui sont majoritairement les salariés de France, savent bien qu’ils ne sont pas là Bourgeoisie, qui possède et se transmet les patrimoines, et qui dirige le pays.
Mais ce n’est là qu’une définition en creux.
Qui sont précisément ces possédants qui assument les pouvoirs économiques et politiques depuis deux siècles au moins, et comment se les sont-ils transmis sur huit générations successives ?
Inégalités de revenus en France
Comme le disent pudiquement les services officiels français, « les données disponibles montrent une forte concentration des hauts revenus » (par personne) : 10 pour cent des Français disposent de plus de 3653 euros par mois, 1 pour cent de plus de plus de 2500 par mois, et 1 sur 1000 atteint même 20 000 euros de revenu mensuel.
À l’autre bout, près de 10 millions de Français vivent avec un revenu inférieur au seuil de pauvreté, et l’écart entre ces plus riches et ces plus pauvres s’accroît chaque année.
Il est évident que les Bourgeoisies incluent ces titulaires de très hauts revenus mensuels, mais ces indications ne suffisent pas à en trouver les limites précises. Elles relèvent plutôt de la distribution des Patrimoines.
Les patrimoines français, une concentration plus grande encore.
Les Patrimoines, propriétés privées transmissibles par héritage, peuvent être constitués de terres, de biens mobiliers ou immobiliers, d’entreprises industrielles ou commerciales, et plus souvent encore au 21e me siècle, de capitaux financiers qui en sont l’expression bancaire. Toutes propriétés, qui, certes, assurent à ceux qui les détiennent des revenus, mais leur assurent surtout par le contrôle des moyens de production et d’échange, les profits du travail effectué par les salariés, « prolétaires » au sens marxiste du terme, qui n’ont, eux, que le fruit de leurs travaux (manuels ou intellectuels) pour vivre.
La « Bourgeoisie possédante » est ainsi délimitée par la possession individuelle et transmissible d’une génération à la suivante de tout ce qui permet de contrôler et tirer profit de la production des richesses matérielles fabriquées par d’autres.
On ne peut guère compter sur les statistiques officielles pour la dénombrer avec exactitude, tant elles en embrouillent l’approche, grâce à des concepts délibérément flous, « classes moyennes », « professions libérales », « intermédiaires », etc. Seule indication « objective » : les 10 pour cent de Français les plus fortunés disposent d’un patrimoine supérieur à 700 000 euros, alors que les 10/100 les plus pauvres n’atteignent pas 4000….
Idéologie de la bourgeoisie et diversités bourgeoises
Bien sûr, cette emprise patrimoniale entraîne une conviction idéologique commune chez l’ensemble de ceux qui la détiennent : le caractère sacro-saint de la propriété individuelle transmissible, source de leurs revenus, et, en corollaire, l’opposition à tout mouvement révolutionnaire ou revendicatif qui la mettent en cause périodiquement. En ce sens, toutes les conquêtes sociales et le financement de services collectifs sont ressenties par la bourgeoisie comme une spoliation de ses droits patrimoniaux, toujours à remettre en cause si les rapports de forces le permettent.
Ce socle idéologique commun des Bourgeoisies ne contredit pas une grande diversité d’opinions et de comportements, parce que portés par des individus et des analyses très différentes, notamment en matière politique et de morale. Depuis les premières décennies du 19ème siècle, les Bourgeoisies françaises ont ainsi successivement pratiqué l’expansionnisme nationaliste bonapartiste, le monarchisme de la Restauration Orléaniste tournée vers le développement industriel plus que l’expansion internationale, et le Républicanisme opportuniste et colonial de la « Belle Époque ».
Une diversité politique, recouvrant une continuité réelle des objectifs économiques et sociaux d’une bourgeoisie par ailleurs morcelée en clientèles politiques et tactiques concurrentes. En 1900 encore, les Monarchistes français se divisaient en Légitimistes dont le patrimoine était plutôt terrien, et Orléanistes volontiers accrochés à leur portefeuille d’actions boursières. Sans parler des oppositions comportementales entre cléricaux réactionnaires et Républicains dreyfusards jusqu’à la veille du grand massacre impérialiste de 1914.
Cette diversité qui va jusqu’à la cacophonie politicienne au sein même d’une idéologie bourgeoise rassemblée sur ses fondamentaux est encore plus évidente aujourd’hui : Quoi de commun, si l’on ne s’attache pas à l’essentiel patrimonial, entre les « Bobos » des Métropoles bourgeoises françaises, naviguant volontiers du Centrisme macronien aux Écologistes bellicistes.
Et, phénomène typique du siècle 21, la Bourgeoisie est très présente dans les divers partis de la Social-démocratie : Issus originellement de la classe ouvrière, ces organisations « réformistes », professionnalisées et mues par le carriérisme, qui assument par exemple souvent le pouvoir d’État en Allemagne et au Royaume Uni, ont progressivement glissé vers les thèses ultra-Libérales et Impérialistes. Et ces réincarnations des Social-Démocraties embourgeoisées sont présentes dans le champ politique français de « Gauche », profondément renouvelé par l’effritement des idées communistes. Elles vont des groupes trotskistes affirmés à certains leaders de La France Insoumise, en incluant les courants Écologistes.
« Bourgeoisies dirigeantes » et « élargissement des élites »
Contrairement aux assertions intéressées de nos « chaînes d’infos », les patrimoines des Bourgeoisies ne sont pas d’abord l’occasion de dépenses somptuaires, mais leur confèrent surtout des Pouvoirs :
Pouvoirs économiques d’abord, par le contrôle des entreprises productrices de richesses matérielles.
Mais aussi pouvoirs de gestion politique de la population, par le biais de l’appareil très complexe de l’État national, et de ses administrations locales, massivement occupées par les hommes et femmes formés pour cela par un maillage serré de « grandes écoles » spécialisées, peuplées d’experts choisis pour transmettent, en sus de leurs connaissances, les dogmes fondamentaux de l’idéologie bourgeoise, HEC, ENS, Polytechnique, Sciences Po, Écoles de journalisme, filières d’Universités et de Recherche, etc…
Cet appareil de formation permet à de nouveaux « sachants » issus des classes populaires d’accéder à la bourgeoisie dirigeante, un élargissement nécessaire d’une génération à la suivante.
Cet élargissement des « élites » bourgeoises, nécessaire à pérenniser leur domination politique d’une génération aux suivantes, est très facile à deviner dans le compte-rendu publié au printemps 2025 par l’association des anciens élèves de l’Université Paris-Dauphine : Son Président s’y targue de « 110 000 ALUMNI « Le carnet d’adresses public de ce réseau d’influence ( une centaine de noms cités ) aligne leurs qualités de dirigeants d’entreprises, privées et publiques, leurs compétences, mais ne décompte pas ceux issus du sérail bourgeois, et ceux qui y ont accédé par leurs études à Dauphine ou ailleurs.
Un élargissement qui pérennise l’emprise
Car il ne suffit pas de choisir les directives de l’État, encore faut-il qu’elles soient acceptées par la masse des citoyens. Cette « fabrique du consentement » est obtenue grâce à un appareil médiatique qui ne fut jamais aussi efficace dans les siècles passés, grâce aux progrès des « technologies de l’information », audiovisuels, notamment les « chaînes d’infos télévisées » de grande écoute, dont le pouvoir de conviction est d’autant plus fort que la cohabitation-concurrence privé-public lui assure une image de pluralisme ( qui n’est exacte qu’entre les diverses idéologies bourgeoises).
Les controverses idéologiques sérieuses, qui exigeaient une solide capacité de lecture et d’analyse des participants, ont été rendues quasi-impossibles par les « réseaux sociaux », univers de pensées courtes, voire d’insultes anonymes.
Ainsi les idéologies bourgeoises ont-elles pu envahir massivement une opinion française manipulée.
Un demi-siècle de « contre-révolution idéologique » a ainsi réussi à réduire l’image du communisme à ses dérives criminelles et à l’échec économique et social, et ses militants à des groupes dépourvus d’influence.
Découragement ou optimisme lucide…
Faut-il donc à partir de ce constat de défaite, en conclure que l’impuissance est définitive, et qu’il ne nous reste plus qu’à partir en vacances en Albanie décommunisée comme la télé nous y incite ?
La signature par plus d’un million de citoyens de la pétition contre la loi Duplon, qui autorise les pesticides cancérigènes en France, au lieu d’interdire l’importation à bas prix de produits agricoles pollués le prouve. Cette loi inepte a été approuvée par la Droite et l’extrême- droite, ce que nos télévisions se gardent bien de dire, pour ne pas contrecarrer leur marche vers le pouvoir aux prochaines élections.
Cela démontre en tout cas que, le dos au mur, même face au rouleau compresseur médiatique, les militants des causes revendicatives justifiées, peuvent vaincre le consensus libéral et retrouver le chemin des avancées sociales.
À condition d’analyser avec lucidité les faiblesses de l’adversaire et de les dire aux citoyens qui les ignorent (le RN a voté la loi Duplon, et refuse que l’impôt pèse sur les milliardaires…), et de convaincre et rassembler l’opinion pour leur barrer la route.

