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mercredi 14 février 2024
Cercle Manouchian : Soirée débat avec Vijay Prashad - "Une Brève histoire des opérations secrètes de Washington"
19 h - 22 h à l’UL CGT du 18 ème.
42, rue de Cligancourt (M° Château Rouge).
Vijay est un historien et journaliste indien. Il est l’auteur de quarante ouvrages, dont Washington Bullets, Red Star Over the Third World, The Darker Nations : A People’s History of the Third World, The Poorer Nations : A Possible History of the Global South, et The Withdrawal : Iraq, Libya, Afghanistan, and the Fragility of U.S. Power (2022), écrit avec Noam Chomsky. Vijay est le directeur exécutif de Tricontinental : Institute for Social Research, le correspondant en chef de Globetrotter et le rédacteur en chef de LeftWord Books (New Delhi). Il est également apparu dans les films Shadow World (2016) et Two Meetings (2017).
LES CRIMES DE WASHINGTON
(Vijay Prashad, Editions Critiques)
Peut-être le livre le plus important du XXIe siècle que ce ‘Livre Noir de l’Impérialisme’ de Vijay Prashad, spécialiste du Tiers Monde, dont les lecteurs du site d’Initiative Communiste connaissent les traductions d’articles et ceux d’Etincelles les fiches de lecture. Et pourtant il s’agit de son ouvrage le plus court, qui se lit pratiquement d’un trait.
L’auteur ne nous avait pas habitués à une telle concision dans ses autres opus. En effet, il veut insister sur le plus important, conscient que le lecteur désireux d’en savoir plus pourra se reporter à ses autres œuvres plus volumineuses ou à des livres spécialisés d’autres auteurs. Un ouvrage minimaliste donc, où pourtant chaque phrase en dit plus qu’un livre entier de Fabien Roussel.
Directeur de Tricontinental, Prashad est probablement le seul grand auteur depuis Samir Amin à tout considérer du point de vue du Tiers Monde, et il est significatif que son livre ait d’abord été publié chez lui en Inde. Passant en revue les méfaits de l’impérialisme du Pérou à l’Indonésie en passant par la Tunisie, l’ouvrage traite également du colonialisme. Les puissances coloniales, la France et la Grande-Bretagne (en particulier Churchill) en premier lieu, en prennent pour leur grade, même s’il rappelle que les USA, qui ont pris leur relève, en constitue également une, puisque le pays tout entier fut conquis aux dépens du Mexique et des Amérindiens.
Cela étant, au lieu du catalogue à la manière du regretté William Blum, récemment décédé (L’Etat Voyou, Les Guerres scélérates), l’analyse de Prashad est synthétique, avec des chapitres courts sur des problématiques précises pouvant s’appliquer à tout le Tiers Monde (et d’ailleurs au monde tout entier).
Il apporte cependant parfois des informations inédites sur des luttes anti-impérialistes moins connues, comme au début du XXe siècle à Haïti ou au Nicaragua. Visionnaire, il évoquait déjà en 2020, année de parution du livre, la nécessité de l’intervention de la Russie en Ukraine pour assurer sa défense !
L’auteur s’intéresse à la violence tant institutionnelle qu’armée déployée par les USA contre le Tiers Monde.
Tout d’abord il se penche sur le droit, déconstruisant les institutions internationales (l’Union Européenne, rappelle-t-il, a été conçue à l’université de Harvard aux Etats-Unis) et expliquant comment le droit international, de tous temps, a été mis en place pour servir les intérêts de l’Occident. Le droit militaire (la Convention de Genève par exemple) ne s’est jamais appliqué aux colonies. Quant au droit humanitaire, il sert à justifier les agressions de l’Occident au même titre que la lutte contre le communisme, puis la drogue, enfin le terrorisme.
L’auteur se tourne ensuite vers des questions plus proprement politiques, décrivant la méthode privilégiée par les USA pour changer les régimes qui lui déplaisent, rappelant au passage que pour les USA, les intérêts politiques coïncident toujours avec les économiques. A présent, la guerre pratiquée par les Américains est hybride, contenant une bonne part de propagande, diabolisant l’adversaire (le stigmatisant en « état voyou » alors que comme le disait W. Blum, les USA s’avèrent son incarnation la plus aboutie !) avant de passer à l’action, l‘intervention armée cédant de plus en plus la place aux assassinats, coups d’état et au soft power (désinformation, opérations de sabotage et corruption des élites). Il annonce enfin la vérité sur l’assassinat de Thomas Sankara (puisque quelqu’un a avoué, plus besoin de tourner autour du pot !) et remarque que les organisations internationales islamiques été créées avec le soutien américain pour s’opposer au communisme.
Il convient de remarquer que le nouveau Vijay Prashad n’exprime plus aucune réserve sur l’URSS, insistant au contraire sur les objectifs et intérêts communs du mouvement communiste international et du Tiers Monde.
Enfin, il décrit comment l’Occident utilise les institutions économiques internationales (Banque Mondiale, FMI) ainsi que les sanctions économiques pour saper les économies des régimes progressistes, attisant ainsi les problèmes sociaux pour faciliter leur déstabilisation. Pire, la prétendue mauvaise gestion économique, sociale et en particulier sanitaire de certains régimes tel que l’iranien, invoquée pour les mettre au pilori, est précisément due à ce travail de sape. Au passage, il n’épargne pas les ONG, qui se substituent aux politiques publiques d’états qui y perdent leur souveraineté.
Un seul regret pour les non-initiés qui n’auraient pas lu ses autres ouvrages (et pour lesquels ce livre constitue la meilleure entrée en matière qui soit), qui offrent pour leur part des perspectives d’espoir : le manque d’une conclusion qui pourrait suggérer des pistes de lutte à l’échelle internationale.
En bref, tout est dit dans ce livre indispensable à tout militant anti-impérialiste. Un bijou à consommer sans modération, émaillé de poésies et de citations toutes plus brillantes les unes que les autres.
J-P. Batisse pour ‘Etincelles’, janvier 2024