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Qui diable était Henri Martin ? Que diantre s’est-il passé à Stalingrad ?

dimanche 5 février 2023 par Francis Arzalier (ANC)

A Paris, le seizième arrondissement, l’un des plus bourgeois d’une métropole qui eut un passé ouvrier, et n’a plus guère qu’un présent « bobo », disposé d’une longue avenue Henri Martin. Comme la plupart des noms de rues, en nos temps où le GPS guide le flot automobile plus que la connaissance des lieux, il n’évoque rien pour la plupart. Il est vrai que le nom Martin est un des plus courants des familles françaises. Les quelques retraités en promenade qui répondront à vos questions à ce sujet, citeront un peintre du dix-neuvième siècle de ce nom.

Ce n’est pas de lui qu’il s’agit, mais d’un obscur politicien de la même époque, qui fut plus tard maire de l’arrondissement parisien.

En tout cas, cette voie n’est en aucun cas en rapport avec notre Henri Martin, ce militant communiste qui eut son heure de célébrité subversive vers 1950. Il y a donc plus de 70 ans. Certains d’entre nous qui furent ses compagnons de lutte au sein du PCF, se souviennent encore de ce communiste exemplaire, modeste et souriant, fidèle jusqu’au dernier jour à l’idéal de sa jeunesse, ce qui lui a valu bien des désagréments personnels, et qui a toujours refusé d’en tirer la moindre ambition carriériste.

Peu de contemporains l’ont encore en mémoire en 2023, y compris parmi les militants actuels ? Certes, et c’est un des symptômes de la contre-révolution idéologique libérale, qui a déferlé en tsunami sur la société française, en effaçant autant que possible les mentalités héritées des luttes ouvrières, paysannes et intellectuelles des siècles passés.

Rafraîchissons donc quelques mémoires, au sujet du communiste Henri Martin qui n’a pas légué son patronyme à un boulevard parisien, ce qu’il n’a d’ailleurs jamais envisagé. Mais ce nom a fleuri fièrement sur des dizaines de milliers de murs et palissades, du Nord au sud de la France, peint par les militants, souvent de nuit, pour éviter les policiers. Ceux de certains quartiers populaires clamaient encore « libérez Henri Martin ! » à la fin du vingtième siècle, avant l’effacement définitif.

Adolescent de 17 ans en 1944, Henri avait tout de même eu le temps de participer à l’insurrection antinazie, au sein des Résistants FTP, organisés par le PCF de Duclos et Thorez.
Ce parti sut alors exprimer réellement les revendications du prolétariat de France, y compris en participant à un gouvernement issu de la Résistance qui put, grâce à lui, inventer la Sécurité sociale et de grands services publics aujourd’hui bien malades. Mais cette participation au pouvoir d’État ne l’a pas alors amené à trahir ses idéaux fondateurs, anti-impérialistes et anti-colonialistes, en même temps qu’il affirmait un patriotisme exacerbé par les fusillades de militants par les Nazis, avec la complicité de leurs valets Pétainistes.

Henri était comme un poisson dans l’eau dans cette contradiction : patriote affirmé, il n’hésita pas à s’engager dans l’armée française reconstituée, comme le firent des milliers de communistes issus des FTP, pour poursuivre le combat jusqu’à l’écrasement définitif du Nazisme européen et de ses alliés japonais en Asie.

Il était quartier-maître dans la marine nationale au large du Vietnam, à peine libéré des occupants japonais, quand le gouvernement français, aligné sur le protecteur américain et son « Plan Marshall », expulsa les ministres communistes en 1947. Le PCF, fidèle à ses convictions, avait en effet condamné avec force la « sale guerre » de reconquête coloniale engagée par la France en Indochine. Revenu en rade de Toulon, le jeune militant, en accord avec son parti, et ancré dans son idéal d’égalité entre les hommes et les peuples, n’hésite pas à braver sa hiérarchie en distribuant à ses camarades marins les tracts du PCF, dénonçant la « sale guerre » contre les patriotes vietnamiens dirigés par le communiste Ho Chi Minh.

Certains appelaient les marins français à « refuser de partir » pour cette guerre coloniale, ce qu’Henri lui-même a tenté de faire en dénonçant son contrat d’engagement. Sans succès, mais il est par contre inculpé en mars 1950 pour « entreprise de démoralisation de l’armée », une version minimale de la trahison !

Suivent des procès successifs, jusqu’à celui de Bret en juillet 1951, qui condamne le jeune militant anticolonial à 5 ans de prison. Et, durant plusieurs années, un des épisodes majeurs de la « guerre froide idéologique » qui divise les Français. D’un côté le camp pro-américain et anticommuniste, dont les porte-paroles sont les journaux quotidiens de la Droite, Le Figaro, l’Aurore, et en demi-teinte les chroniqueurs « de Gauche » du Monde, qui « se refusent à tout défaitisme profitant à l’URSS ».

De l’autre, une France dont un citoyen sur 4 ou 5 vote pour un PCF, entouré d’une pléiade d’organisations ouvrières, CGT, Secours Populaire, Mouvement de la Paix, diffusant sa presse en millions de lecteurs, tout un peuple d’anonymes et d’intellectuels célèbres, de Sartre à Picasso et Joliot-Curie, etc… qui pétitionnent, tractent sur les marchés et les gares, déploient inscriptions et banderoles aux endroits les plus visibles : une façon de combattre la « sale guerre » d’Indochine, jusqu’à la défaite humiliante de l’armée française à Dien Bien Phu en 1954.

Je n’ai connu Henri Martin que beaucoup plus tard, à la fin du vingtième siècle, quand, vieillissant, il terminait sa vie de militant en participant en anonyme au Collectif de
Politique Extérieure du PCF. Un organisme internationalement prestigieux, qui avait durant des décennies animé les luttes anticoloniales et anti-impérialistes françaises, notamment contre les guerres coloniales au Maghreb et en Afrique Noire, et contre le bellicisme des USA et de l’OTAN.

D’une absolue modestie, contrairement à bien d’autres cadres du PCF, qui n’avaient pas ses états de service, Henri Martin ne donnait pas de leçons appuyées de citations de Marx ou de Lénine, mais son parcours de vie militante était un exemple pour ceux qui l’ont approché. Il avait toujours obstinément refusé de transformer sa notoriété éphémère en avantages honorifiques ou matériels, alors même qu’à partir de la décennie 1970, le PCF déclinant s’engluait chaque année un peu plus dans les compromissions électoralistes et le carriérisme corrupteur.

Jusqu’aux jours de 1994, où sous la houlette de Robert Hue, il s’effondra dans la « Mutation » opportuniste, entérinant ainsi sa prise en main par des dirigeants nationaux et locaux qui avaient remplacé l’objectif de lutte de classes par celui de « lutte pour les places », pour pérenniser les emplois d’élu ou de permanent.

Henri, fidèle jusqu’au bout de sa vie à son Parti, était désolé de cette trahison. Tant et si bien que quand la direction du PCF « muté » expulsa sans états d’âme de la place Fabien les trublions militants de la Section de Politique Extérieure qui prétendaient maintenir leur ancrage anti-impérialiste, il se restreignit la mort dans l’âme à « l’Amicale des Vétérans du PCF ». Mais, en même temps, il cotisa de 2004 à 2008 à l’un des groupes communistes extérieurs au Parti, refusant la dérive suicidaire, sous le nom de « Polex rouges vifs », devenu par la suite le « Collectif Communiste Polex ». Jusqu’à ce que son cancer l’en empêche et cause son décès à 88 ans.

Son exemple, fait de modestie, de réflexion organisée et de fidélité quoiqu’il en coûte à l’idéal communiste d’égalité entre les hommes et entre les peuples, doit éclairer nos luttes présentés.

La mémoire obscurcie de ce Communiste français du siècle dernier n’est pas le seul indice de l’effacement dans notre pays, et ailleurs, de tout un héritage de luttes populaires qu’on croyait orgueilleusement éternel : la disparition des anciennes organisations révolutionnaires et progressistes, qui savaient combiner fonctionnement démocratique et analyse théorique, au profit d’ectoplasmes invertébrés idéologiquement ou de groupuscules impuissants ou sectaires marque fâcheusement la vie politique contemporaine de l’Espagne, de l’Italie ou de la France, pour ne parler que des plus proches de notre pays.

Et la vague xénophobe anti-russe actuelle n’arrange rien, si on en juge par la façon dont les médias français ont rendu compte des cérémonies commémoratives de la défaite nazie de Stalingrad, il y a 80 ans. Après avoir plus ou moins moqué la commémoration organisée à Volgograd par les autorités de Russie, ils ont en chœur insulté le petit fils du Général De Gaulle, « qui a trahi l’Occident démocratique et sa famille » en y assistant.
Sans affinité aucune pour cet obscur descendant du « Grand Charles » en quête de célébrité, le simple bon sens aurait dû juger anodin et logique de rappeler qu’il y a 80 ans presque tous les Français apprenaient avec joie qu’à Stalingrad le monstre Nazi était enfin blessé à mort après une décennie de victoires incessantes.
Mais il est vrai que depuis on réécrit l’histoire, à tel point que la majorité des Français actuels, en toute bonne foi manipulée par le cinéma et les médias, croient que la France fut libérée en 1944 par nos seuls sauveurs états-uniens !

Il suffit pourtant de quelques chiffres pour rétablir la vérité historique. Ceux par exemple énoncés par les historiens Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, auteurs du livre intitulé « Joukov, l’homme qui a vaincu Hitler » (Ed. Perrin 2011). Deux historiens qu’on ne peut soupçonner de partialité pro-soviétique, tant leur prose dégouline d’un solide anticommunisme. Ils n’hésitent pas cependant à affirmer dès l’introduction :

  • « Le front germano-soviétique n’est pas toute la Seconde Guerre Mondiale. Mais il en constitue le théâtre principal. Sans minimiser l’action anglo-saxonne, déterminante dans l’affaiblissement économique de l’Allemagne et la destruction de ses forces aériennes, mais aussi par l’aide massive qu’elle apporta aux Soviets, la guerre s’est jouée dans la grande plaine Russo-ukrainienne. L’ampleur des opérations y a été sans commune mesure avec ce qui s’est vu en Afrique du Nord, en Italie où même en Normandie. El Alamein, la grande victoire britannique de la guerre, a aligné neuf fois moins d’hommes et cinq fois moins de chars que la bataille de Koursk. A Stalingrad, il est mort en cinq mois plus d’hommes que de soldats américains depuis la naissance des États Unis. La Wehrmacht, les SS, leurs alliés roumains, hongrois, finlandais, italiens, slovaques, ont laissé entre Volga et Elbe plus de 4 millions de tués, les trois quarts de leurs pertes.
  • En un mot comme en cent, c’est l’armée rouge qui a vaincu le nazisme.
  • Le coût de sa victoire est exorbitant : 25 à 27 millions de tués, un quart à un tiers de la richesse nationale détruite ».

Dommage de ne plus trouver ces contacts d’évidence dans les sondages de l’opinion française actuelle, abreuvée de xénophobie anti-russe…

Les luttes sociales atteignent ce mois-ci en France un niveau impressionnant, et, pour mieux dire, inattendu. Encore faudrait-il pour qu’elles aboutissent à des progrès politiques et économiques importants, que ses acteurs parviennent à se départir de cet effacement de la mémoire théorique et organisationnelle de l’histoire ouvrière. Un effacement libéral qui les limite trop souvent aux braillements corporatistes, qui n’ont jamais à eux seuls détruit l’inégalité sociale inhérente au capitalisme, et son fruit vénéneux, l’impérialisme guerrier.

Communistes, nous devons être au premier rang pour rétablir cette mémoire indispensable des luttes du peuple français.

5 février 2023

L’ANC était présente ce week-end lors de la cérémonie organisée par le PRCF pour les 80 ans de la victoire de Stalingrad contre le nazisme. Au micro Bruno Drweski.

   

Messages

  • 1. Qui diable était Henri Martin ? Que diantre s’est-il passé à Stalingrad ?
    6 février 2023, 21:42 - par Gérard Jugant


    Oui, l’exemple d’Henri Martin doit éclairer nos luttes. Merci, camarade, de nous l’avoir fait connaître, de l’avoir sorti de l’ombre. Gérard Jugant (ANC).

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