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7 novembre. Entre guerre et crise de civilisation, l’Histoire se remet en marche

mardi 7 novembre 2023 par Sergio Cararo, rédacteur en chef de « Contropiano.org »

Nous sommes aujourd’hui le 7 novembre, date anniversaire de la révolution qui a « choqué le monde ». Les visions de la Révolution d’Octobre auxquelles nous avons été confrontés au cours de ce siècle peuvent se résumer à au moins deux récits :

1) Pour la bourgeoisie, ce n’était ni plus ni moins qu’un coup d’État, un coup d’État des bolcheviks qui ont ainsi empêché une issue libérale à l’effondrement de l’autocratie tsariste.

2) Pour la « gauche », il s’agit d’une révolution trahie par ses développements ultérieurs. D’où l’hypocrisie de l’anti-stalinisme qui a imprégné une grande partie de l’élaboration de la gauche occidentale, y compris la gauche alternative.

Contre ces deux visions, il était bon de se battre au cours des dernières décennies, et il est tout aussi bon de se battre aujourd’hui, surtout si, à juste titre, nous avons l’intention de rouvrir ou de maintenir ouverte la question de la « Révolution en Occident », qui reste la contradiction ouverte depuis que la Révolution d’Octobre [1] s’est trouvée seule à faire face à la rupture révolutionnaire dans le maillon faible de la chaîne impérialiste en 1917.

Il ne faut pas se cacher qu’il existe aussi une troisième attitude, plus authentique mais tout aussi trompeuse, qui consiste à réduire l’expérience révolutionnaire, la conception léniniste du parti et le processus de transition vers le pouvoir prolétarien, à une sorte de manuel d’instruction.

Les écrits de Lénine et de la direction bolchevique contiennent des analyses et des réflexions décisives et directes, dont certaines sont d’une extraordinaire actualité. Mais nous ne pouvons pas ignorer le fait que la Révolution d’Octobre a été la première dans l’histoire de l’humanité à porter la classe ouvrière au pouvoir sans qu’il y ait eu d’autres expériences dont elle aurait pu s’inspirer. La seule qui pouvait être considérée comme telle, même si elle avait été vaincue, était la Commune de Paris, qui avait eu lieu près d’un demi-siècle plus tôt.

Les bolcheviks, y compris Lénine et le groupe dirigeant, ont procédé par tâtonnements, essais et erreurs, décisions contradictoires, sur la base d’une analyse concrète de la situation concrète à laquelle ils étaient confrontés.

Affirmer que la Révolution d’Octobre a réussi uniquement parce qu’elle était cohérente avec le cadre théorique et analytique du mouvement ouvrier des 19e et 20e siècles est une exagération qu’aucun manuel de marxisme-léninisme ne peut se permettre de répéter.

En ce sens, nous pouvons dire que la Révolution d’Octobre et l’hégémonie des bolcheviks se sont imposées parce qu’elles constituaient la solution la plus crédible dans le cadre d’une gigantesque lutte pour la survie menée par les masses populaires d’un pays aussi exterminé et diversifié que la Russie.

Deux éléments doivent être pris en compte. L’un d’eux est décisif : la guerre.

La guerre, en Russie et en Europe entre 1914 et 1917, ce n’est pas seulement la brutalité et la férocité des combats de tranchées. Pour des sociétés essentiellement paysannes, les mobilisations de masse et la conscription ordonnées par les Empires centraux ou leurs ennemis, comme la Russie, étaient une malédiction.

Elles retiraient de la main-d’œuvre à l’agriculture dominante. Si des centaines de milliers de jeunes hommes sont arrachés à la campagne parce qu’ils sont contraints de devenir soldats, la situation dans les campagnes se dégrade.

Mais ce n’est pas tout. Dans une condition de vie matérielle étroitement liée à l’agriculture et donc au climat, la famine était à l’ordre du jour. Il suffit d’un hiver plus rigoureux ou d’un été plus sec pour anéantir les récoltes et réduire des millions de personnes à la famine, sans autre moyen de subsistance.

Le court-circuit entre la famine et le vide des campagnes dû à la conscription obligatoire a engendré la faim et la misère à une échelle souvent dévastatrice.

Ensuite, il y a eu la guerre proprement dite. La Première Guerre mondiale, le « grand carnage », est une guerre menée avec des schémas du XIXe siècle (l’assaut de masse) mais avec des armes modernes (mitrailleuses, avions, canons à chargement par la culasse, mines, gaz toxiques, etc.)

Le massacre de millions de jeunes hommes dans les tranchées en Europe a donné à la guerre cette dimension massive et insupportable qui a déclenché le phénomène des désertions, du refus de combattre, de la haine collective envers les officiers, les nobles et les riches qui, pour l’essentiel, envoyaient au massacre des paysans et des ouvriers en uniforme recrutés dans toute la Russie, y compris dans les régions asiatiques.

La révolution de février et le gouvernement Kerenski n’ont pas du tout compris ce besoin de survie de la population paysanne et des soldats, choisissant plutôt de poursuivre la guerre initiée par le tsarisme, et ont été submergés par elle.

Au contraire, les bolcheviks ont mieux compris que les mots d’ordre de « paix et de pain » (on ne parlait pas encore de terre ni de socialisation des moyens de production), étaient en phase avec les besoins de survie des masses prolétariennes exterminées de Russie et créaient les meilleures conditions pour que la lutte pour la survie évolue vers une lutte pour l’émancipation sociale.

C’est là que réside le génie des intuitions révolutionnaires des bolcheviks et de Lénine et les forces qui les ont amenés à choisir « ce moment » pour lancer le processus révolutionnaire. Les choix qu’ils ont faits n’étaient pas définis dans un manuel et n’avaient pas été testés ailleurs.

Le projet et le processus révolutionnaires d’Octobre, c’est la capacité d’un parti composé essentiellement de cadres à intervenir dans les contradictions existantes et à les transformer en une rupture de la réalité existante : d’abord celle de l’autocratie tsariste qui avait épuisé sa domination sur le peuple, puis celles entre les attentes de survie des masses populaires et la continuité du massacre/misère incarné par le gouvernement « bourgeois » de Kerenski.

La révolution démocratique, pour les secteurs sociaux qui l’avaient hégémonisée, n’avait pas dans ses cordes la capacité de dépasser le parlementarisme et de regarder au fond des ventres vides et de la volonté de survie des paysans, des ouvriers et des soldats. Les bolcheviks l’ont fait, parce qu’ils faisaient partie de ce prolétariat et qu’ils avaient subjectivement choisi de l’être.

Se souvenir de la Révolution d’Octobre, c’est essayer d’avoir une vision globale de ses conséquences, des leçons à en tirer et de sa pertinence aujourd’hui.
Et c’est là que s’ouvre une réflexion.

Au cours des cinq premières années de ce XXIe siècle, de fortes contradictions telles que la guerre et une crise systémique du mode de production capitaliste émergent, mettant en danger la vie de millions et de millions de personnes. Comment les mêmes exigences de lutte pour la survie peuvent-elles être transformées en émancipation sociale ?

Au regard de l’histoire, la situation d’aujourd’hui ressemble beaucoup à celle de la fin de la première mondialisation (1870-1914).

La mondialisation capitaliste s’est faite, hier comme aujourd’hui, dans le monde entier à travers le réseau des domaines coloniaux. Il suffit de se rappeler que même de petits pays comme la Belgique avaient d’immenses colonies comme le Congo ou que même l’Italie avait ses domaines coloniaux dans la Corne de l’Afrique et en Libye.

Pourtant, la Belle Époque s’est terminée de manière dramatique en 1914, avec les principales puissances capitalistes et impérialistes engagées dans la guerre, d’abord dans les colonies, puis dans les tranchées en Europe.

Nous assistons à une domination de l’économie capitaliste qui prévoit et produit continuellement la destruction des capacités productives excédentaires, en particulier dans les phases de crise sans solution indolore comme celle en cours depuis la première moitié des années 1970.

Dans le passé, cette destruction de la capacité productive excédentaire, lorsqu’elle s’est croisée avec le développement inégal de pôles impérialistes concurrents, avec l’instabilité et la politique du fait accompli, a produit des guerres destructrices, désastreuses et "régénératrices" pour le système capitaliste, voyant un pôle impérialiste l’emporter sur les autres et ceux qui l’emportaient auparavant décliner.

Comme le souligne l’historien Graham Allison, le déclin d’une puissance impérialiste dominante au cours des cinq derniers siècles a engendré une guerre dévastatrice dans douze cas sur seize.

Aujourd’hui, l’excès de capacité de production semble se concentrer sur le capital humain. La restructuration de la production basée sur l’automatisation aura déjà mis au chômage 50 millions de personnes rien qu’en Europe d’ici quinze à vingt ans.

Le développement inégal et le vol des ressources entraînent le déplacement de masses migratoires croissantes vers les pôles les plus développés. Le vieillissement de la population met à rude épreuve les systèmes de protection sociale des pays capitalistes avancés.

L’excès de capital humain doit être réduit par la destruction d’une part croissante de celui-ci. C’est ce qui s’est déjà produit en Russie au début des années 1990, après l’effondrement du socialisme réel et l’avènement d’un capitalisme brutal. La Russie est le seul pays à avoir perdu de la population sans guerre, mais uniquement à cause de la misère et de la baisse du niveau de santé.
Un destin qui semble également se profiler en Italie.

Les technocrates en charge des pays capitalistes ont déjà indiqué qu’il s’agissait d’un scénario plausible pour réduire les coûts sociaux. Une sorte de génocide lent mais planifié des classes subalternes pour soumettre complètement ceux qui sont condamnés au travail salarié.

Dans certains cas, comme celui des Palestiniens, le génocide est mené de façon militarisée par des puissances technologiquement avancées.

Les gens meurent plus et plus tôt simplement à cause de l’augmentation de l’âge de la retraite, de la baisse des normes des soins de santé disponibles, du stress dû aux inégalités sociales, de l’empoisonnement de la planète et des crises cardiaques écologiques, et ils meurent ensuite dans des guerres qui sont redevenues des abattoirs d’êtres humains, comme celles qui se déroulent actuellement en Ukraine et en Palestine.

Mais si la lutte des classes devient aussi une lutte pour la survie, comment, où et quand commencer à chercher le point de rupture ?
Le pain et la paix semblent aujourd’hui des slogans efficaces. Il y a un siècle, ils ont déclenché une révolution victorieuse : celle d’Octobre 1917.

Des décennies plus tard, il vaut la peine de la regarder à nouveau, avec des yeux attentifs, des antennes droites et en nous mesurant à l’urgence d’une subjectivité capable d’en saisir l’élan et l’expérience.


[1Elle a lieu, selon le calendrier julien, dans la nuit du 25 octobre 1917, soit le 7 novembre dans le calendrier grégorien.

   

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