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Rony Bruman : l’Humanitaire intelligent
jeudi 8 mars 2018 par Jean Daspry pour Proche&Moyen-Orient.ch
Il arrive, fait rarissime pour être souligné, de découvrir dans le flot de livres assommants et « mainstream » fraîchement publiés, la pépite qui vous réconcilie, un temps du moins, avec les écrits contemporains.
« L’objectif de la guerre est une meilleure situation de paix » (Michael Waltzer). Tel est le cas du petit opuscule (126 pages) publié aux éditions textuel en ce début d’année 2018 par Rony Brauman sous le titre « Guerres humanitaires ? Mensonges et intox »1 dont la lecture rafraichissante vous fournit un véritable moment de bonheur par sa clarté et par sa lucidité. L’entretien, que l’auteur accorde à Renaud Girard grand-reporter au Figaro, complète utilement notre lecture2. Précisons pour nos lecteurs que, bien que le récit se présente sous forme d’un entretien avec Régis Meyran, il relève à l’évidence de la catégorie des essais.
Organisé autour de six parties (concept de guerres « justes » ; des « faits alternatifs » comme justification de la guerre – le cas de la Libye – ; Somalie, la première guerre humanitaire ; Kosovo, une guerre injuste justifiée sur le plan moral ; Afghanistan, Irak, deux guerres « pour la civilisation ; le droit humanitaire international, une utopie juridique et une rhétorique de pouvoir), l’ouvrage est plaisant à lire tant par sa clarté et son réalisme que par l’humilité de l’auteur qui reconnaît, à plusieurs reprises s’être fait intoxiquer par les médias dans son analyse d’une situation déterminée.
Suffisamment peu fréquent pour être signalé à l’ère de nos chers « toutologues » (Régis Debray) qui parlent de tout et de rien avec la science des incompétents mais qui ne se livrent jamais au moindre acte de contrition après de grossières erreurs d’appréciation (Cf. celle de toute la classe politico-médiatique sur les mal nommés « printemps arabes »). Rony Brauman ne vit pas dans la certitude, distinguant toujours dans ces situations critiques précédant un conflit « entre le possible et le factuel ».
Rappelons que Rony Brauman a un itinéraire intéressant qui le conduit de la pratique (médecin humanitaire de terrain) à la théorie (enseignant-chercheur de la chose humanitaire en France et au Royaume Uni) Il privilégie une démarche méthodologique intelligente consistant à définir un concept dénominateur commun à toutes ces guerres humanitaires modernes, celui de « guerres justes » grâce à quatre critères cumulatifs qui sont ceux de la fameuse « Responsabilité de protéger » (intervention décidée par le Conseil de sécurité, proportionnalité entre réponse et exaction, épuisement de la voie diplomatique et coercitive, existence de chances raisonnables de succès) pour passer à quelques exemples concrets avant de conclure sur une réflexion pertinente et équilibrée sur le droit humanitaire international.
Grâce à cette grille de lecture, il passe au crible de la raison les interventions occidentales récentes pour nous livrer son jugement sur leur légalité, leur légitimité, leur opportunité, leurs résultats… Et, le jugement est sévère, c’est le moins que l’on puisse dire tant nombre de ces interventions couronnent le règne du n’importe quoi, du bobard élevé au rang de raison d’État, du mensonge éhonté des pays occidentaux (États-Unis et France occupant une place de choix en tête de gondole).
Le meilleur exemple qu’il nous fournit est bien évidemment celui de l’expédition otanienne en Libye préparée par BHL et Nicolas Sarkozy. Le réquisitoire est sévère mais amplement méritée à la lumière de la situation actuelle. Nous ne déflorerons pas plus le propos pour ne pas influencer nos lecteurs et leur laisser découvrir l’argumentaire bien ficelé de Rony Brauman. Sans parler de son enthousiasme raisonné qui confère toute sa force, sa pertinence à sa démonstration qui évite le moralisme bon marché et les effets de style superfétatoires.
En peaufinant sa pensée critique et en pratiquant de manière positive la disputatio, Rony Brauman parvient à nous réconcilier avec la méthode expérimentale chère à Claude Bernard en évoluant constamment entre la théorie et la pratique des relations internationales. L’analyse est précise, le propos est direct, les conclusions sont tranchantes mais ô combien justes, plus que les guerres du même nom. Nous ne retiendrons à titre d’illustration de la démonstration de l’auteur les quatre citations suivantes :
- « Une décision légale n’est pas nécessairement juste, et inversement ».
- « L’Histoire ne peut tenir lieu de guide ou de morale, mais elle peut aider à réfléchir ».
- « De ce point de vue du rapport de la vérité en situation de guerre, démocraties et dictatures ne sont effectivement pas très différentes, à ceci près que les démocraties convoquent plus volontiers la morale quand les dictatures réclament de la sécurité ou de la souveraineté ».
- « Il n’y a pas de ‘guerre juste », il n’y a que de faux prophètes ».
À lire, relire et à méditer sans modération si l’on veut appréhender la complexité du monde en se prémunissant comme de la peste de la surinformation et de la désinformation ambiante pour ne parler de propagande à l’heure des « fake news » (Donald Trump) et autres « bullsshit » (Laurent Wauquiez). Rony Brauman nous change de ces humanitaires irréalistes qui peuplent les plateaux des chaînes d’information en continu par son approche réaliste, humaine et tempérée de l’humanitaire en ce début de XXIe siècle.