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Pour sortir des impasses guerrières, repenser la lutte pour la paix
mercredi 7 août 2024 par Daniel Durand
Cette réflexion est très juridique et, du coup, elle ne tient pas vraiment compte des réalités sociales de base, systémiques, capitalistes, impérialistes, militaro-industrielles et de classe, à l’échelle internationale comme nationale. Mais les informations qu’on y trouve sont utiles et l’utilisation de certains arguments juridiques dans la propagande visant à mobiliser les masses, qu’on trouve dans ce texte peut aussi servir notre offensive idéologique contre la guerre, la militarisation et la fascisation, et pour la paix.
Il faudrait aussi commencer par faire la somme de toutes les dépenses du bloc USA/OTAN/AUKUS/Japon/Israël pour rééquilibrer la comparaison avec "le reste du monde" qui fonctionne plus "en ordre dispersé" même s’il y a des convergences entre les puissances contre-hégémoniques.(BD-ANC)
Aux lecteurs et lectrices : De manière inhabituelle, mon article de blog a une longueur inhabituelle. J’ai décidé de proposer en cette période de congés, peut-être plus propice à la réflexion, une véritable note de d’analyse sur la situation très préoccupante de la paix mondiale. J’y apporte mes propositions et réflexions et surtout, souhaite engager un large débat sur le renouvellement des objectifs de l’action sur la paix. J’espère que vous y trouverez un intérêt. DD |
Entre mai 2024 et mai 2025, nous commémorons et nous nous rappelons qu’il y a quatre-vingt ans, nous avons vaincu l’hydre nazie et rétabli la paix du monde.
Aujourd’hui, nos sociétés, sur tous les continents, semblent enclines à emprunter de nouveau des chemins guerriers et dangereux. En Europe, une guerre régionale menée par la Russie contre l’Ukraine menace de plus en plus de se transformer en conflit mondial majeur. En Asie, autour du détroit de Formose, les accrochages guerriers deviennent inquiétants. En Afrique, des conflits sanguinaires se poursuivent dans l’indifférence du monde occidental. Au Moyen-Orient, les attentats terroristes sanguinaires du Hamas ont débouché, au nom de l’archaïque loi du talion sur un carnage de populations civiles, de plus en plus qualifié de génocide. Sur le continent américain, l’incertitude politique régnant au sein de la plus grande puissance militaire est préoccupante.
Une militarisation accélérée
Ces situations sont aggravées par le fait que le montant des dépenses militaires atteint des sommets dans le monde. Plus de 2400 Mds de dollars pendant l’année 2023 selon l’institut suédois SIPRIi !
Avec des dépenses de défense atteignant plus de 916 milliards de dollars américains, les États-Unis se situent en première position. Suivent la Chine (296 Mds), la Russie (109 Mds) et l’Inde (98 Mds). Viennent ensuite l’Arabie saoudite (75,8 Mds) et le Royaume-Uni (74,9 Mds). L’Allemagne (66,8 Mds) et la France (61,3 Mds) étaient en 2023 les nations avec les dépenses militaires les plus élevées de l’Union européenne. L’Ukraine, pour sa part, a dépensé du fait de la guerre 64,8 Mds de $ en armementsii. Ces dépenses militaires nourrissent un commerce des armes florissant et inquiétant. Si les États-Unis sont de loin les premiers exportateurs d’armements dans le monde (42 % du total), la France se place maintenant au second rang devant la Russie (27 Mds de $ en 2022)iii.
Le sommet tenu à Washingtoniv, en ce mois de juillet 2024, par la plus grande alliance militaire dans le monde, l’OTAN, renforce les inquiétudes sur la militarisation des relations internationales. Deux nouveaux pays ont rejoint ce bloc militaire (la Suède, après la Finlande), qui compte désormais 32 membres. 23 d’entre eux consacrent aujourd’hui plus de 2 % de leur produit intérieur brut aux dépenses militaires.
Ce sommet a été marqué, malgré les affirmations de principe des dirigeants, par la volonté d’étendre le rayonnement de l’Alliance dans plusieurs régions du monde.
Sa déclaration finale est éclairante.v Les dirigeants déclarent clairement : « Nous nous réunirons avec les dirigeants de l’Australie, du Japon, de la Nouvelle-Zélande et de la République de Corée et ceux de l’Union européenne pour parler des défis de sécurité communs et des domaines de coopération. L’OTAN attache de l’importance à l’Indo-Pacifique, car l’évolution de la situation dans cette partie du monde a des incidences directes sur la sécurité euro-atlantique ».
On voit clairement que l’adversaire désigné est la Chine. Il est dit que « La RPC continue de faire peser des défis systémiques sur la sécurité euro-atlantique ».
Ce sommet aux accents très belliqueux a confirmé qu’en Europe, l’OTAN entendait poursuivre sa politique d’expansion vers l’Est, en affirmant que « L’avenir de l’Ukraine est dans l’OTAN ». La poursuite de la militarisation nucléaire est affirmée sans complexe, « La dissuasion nucléaire est la pierre angulaire de la sécurité de l’Alliance », tout comme la course aux dépenses militaires : « Nous réaffirmons que, dans bien des cas, il faudra consacrer plus de 2 % du PIB aux dépenses de défense pour remédier aux insuffisances actuelles ».
Après ce positionnement belliqueux, la réaffirmation de principe en tête de la déclaration du Sommet de Washington, paraît une affirmation creuse : « Nous adhérons au droit international ainsi qu’aux buts et principes de la Charte des Nations Unies ».
L’Europe dans la militarisation
Une des décisions les plus préoccupantes du Sommet de Washington a été la décision prise par les dirigeants états-uniens de réimplanter au cœur de l’Europe des missiles à longue portée et de retransformer notre continent en scène de futurs confrontations militaires terribles. L’annonce a été faite dans une déclaration conjointe que les États-Unis allaient « débuter des déploiements épisodiques de capacités de feu à longue portée » en Allemagne en 2026. Le communiqué a évoqué des missiles SM-6, des missiles Tomahawk et des armes hypersoniques en cours de développement, ce qui accroîtra la portée des capacités US actuellement déployées en Europe. Cette décision rappelle les débats sur le déploiement des missiles Pershing américains et des SS20 soviétiques à la fin des années 1970vi. Les opinions européennes s’étaient mobilisées largement et avaient pesé sur la signature par les présidents Reagan et Gorbatchev d’un traité d’interdiction et d’élimination, le traité FNI (Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire), le 8 décembre 1987. Celui-ci imposait aux deux pays d’éliminer leurs missiles balistiques et de croisière à lanceur terrestre d’une portée comprise entre 500 et 5 500 kilomètres, pour une date fixée au 1er juin 1991.
Le déploiement des équipements américains annoncé mercredi serait contraire à ce traité FNI s’il était encore en vigueur. Malheureusement, le 1er février 2019, Donald Trump, après plusieurs années où les États-Unis accusèrent la Russie de développer de nouveau ces missiles, proclama son intention de retirer les États-Unis de ce traité.
Les négociations menées avec la Russie ayant échoué, le retrait américain a été officialisé le 2 août 2019. Moscou a répliqué le lendemain en annonçant, à son tour se retirer de ce traité.
Ce retour du surarmement en Europe est accentué par l’annonce, encore en parallèle du sommet de l’OTAN, que la France, l’Allemagne, l’Italie et la Pologne avaient signé une lettre d’intention actant un projet conjoint de développement et d’acquisition de missiles de longue portée, c’est-à-dire d’une portée de plus de 500 kilomètres (jusqu’à 1 000 km), dont l’Union européenne est dépourvue. Selon Ouest-Francevii, cet effort capacitaire, à l’initiative de Paris, portera sur la possibilité de « frappes dans la profondeur en sol-sol ».
Dans ce contexte, le fait qu’Ursula von der Layen, ait été renouvelée dans son mandat de Présidente de la Commission européenne, n’est pas un bon signe pour la paix, elle qui a marqué son action, par l’engagement de l’Union européenne, pour la première fois de son histoire, dans le développement des fournitures d’armes à un pays extérieurviii.
Il devient clair que l’Europe n’ambitionne plus d’être un acteur de la paix mondiale mais un participant aux rivalités de puissance du monde d’aujourd’hui.
La tonalité de la dernière résolution adoptée par le Parlement européen, le 17 juillet dernier, le montre clairementix. Elle s’y « félicite des résultats du sommet de l’OTAN et réaffirme sa conviction que l’Ukraine est irréversiblement engagée sur la voie de son adhésion à l’OTAN ».
L’inquiétude que l’on peut avoir envers cette ligne politique européenne basée sur l’exacerbation des tensions militaires ne peut être que renforcée par les informations révélées par le média allemand Der Spiegelx.
Celui-ci vient de révéler que Berlin prépare en secret un effort logistique gigantesque qui vise à permettre le passage, en quelques mois, de 800 000 soldats de l’OTAN sur son territoire, en route pour défendre l’Europe de l’Est contre Moscou. Cela montre que l’Alliance atlantique cherche à se préparer à une confrontation avec la Russie, quelle que soit sa forme et sa localisation. Cela montre également que l’Allemagne est bien entrée dans une nouvelle ère, où la dimension militaire n’est plus honteuse. « Nous sommes prêts à prendre les commandes », c’est par cette expression volontariste lancée le 9 mai dernier devant la presse, et rapportée par le Taggesspiegel, que Boris Pistorius, le ministre de la Défense allemand, a voulu définir la nouvelle position diplomatique que souhaite incarner Berlin, lors d’une visite officielle aux États-Unisxi.
Rappelons que le chancelier Scholz avait déclaré en juin 2022, après le sommet du G7, que « La plus grande armée conventionnelle en Europe dans le cadre de l’Otan est en train de se constituer [en Allemagne NDLR] »xii.
Du côté français, le président Macron, après s’être aligné sur les positions de Mme von der Leyen, pendant sa présidence de l’Union européenne en 2023, a choisi finalement de jouer les boute-feux en proposant l’envoi de troupes en Ukraine en février 2024xiii. Si sa proposition a été accueillie avec réticences par ses alliés européens et américains, cette idée a contribué à préparer les esprits à de nouvelles aventures guerrières. On peut considérer que c’est la même démarche visant à banaliser des sujets militaires sensibles qui l’a amené le 2 mai dernier à souhaiter un débat sur l’autonomie stratégique de l’Union européenne, et à déclarer « Je suis pour ouvrir ce débat qui doit donc inclure la défense antimissile, les tirs d’armes de longue portée, l’arme nucléaire pour ceux qui l’ont ou qui disposent sur leur sol de l’arme nucléaire américaine. Mettons tout sur la table et regardons ce qui nous protège véritablement de manière crédible ». Ces propos ont soulevé un tollé que les défenseurs du Président ont essayé d’éteindre en disant que Emmanuel Macron ne faisait que reprendre la vieille réflexion stratégique émise depuis Pompidou que « les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne »xiv. Il ne faut pas être naïf : dans le contexte politique de 2024, la réflexion présidentielle dépassait forcément le simple rappel de la doctrine classique de la dissuasion !
Emmanuel Macron a complété le tableau de son nouveau positionnement militaro-stratégique en annonçant de fait de nouvelles augmentations des dépenses militaires françaises pour les mois prochains. Il a déclaré le 14 juillet, vouloir « préparer un ajustement de notre programmation militaire pour 2025 »xv, programmation qui marque déjà un accroissement de 42 % des dépenses militaires françaises.
Mais, en ces jours d’août 2024 qui évoquent le souvenirs des bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki (6 et 9 août 1945), le danger nucléaire reste la menace la plus inquiétante pour la paix mondiale et il est très préoccupant de constater que, dans les discours politiques, et notamment dans celui des dirigeants russes, l’arme nucléaire, redevient un sujet de polémique politique. De plus, pour soutenir son offensive insensée et contraire à la Charte des Nations unies, ce pays développe une économie de guerre, qui plonge sa population dans la misère et sert de justification à tous les promoteurs de la militarisation du monde.
Comme le révèle un rapport récemment publié par la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN), les dépenses mondiales en armement nucléaire ont augmenté de 13,4 % en 2023xvi. Les États-Unis ont augmenté le plus leurs dépenses avec une hausse de près de 18 % de leurs dépenses dans ce domaine alors qu’ils dépensent le plus dans le nucléaire militaire et de loin : 51,5 milliards de dollars, contre 11,9 milliards de dollars pour la Chine, qui arrive en deuxième position. Pour les autres grandes puissances nucléaires, la hausse a été de 17 % au Royaume-Uni et d’environ 6 % en Russie, en France et en Chine. Par contre, en 2023, la Russie était le pays qui comptait le plus de têtes nucléaires au monde (4380 têtes), devant les 3708 têtes nucléaires américaines et les 290 de la France.
Malgré un soutien croissant parmi les pays non-nucléaires, le TIAN (Traité d’interdiction des armes nucléaires) qui a été ratifié par 70 états et signé par 93, butte toujours sur l’hostilité des pays nucléaires actuels et sur celle des pays membres de l’OTAN. Cela signifie que le risque de destruction nucléaire n’est pas écarté et que le monde est toujours sous la menace d’un dérapage ou d’une provocation autour des frontières OTAN/Russie ou autour du détroit de Formose.
Dans ce nouveau climat de militarisation mondiale, la planète se trouve donc confrontée à des risques de guerre les plus élevés connus depuis la fin de la Guerre froide.
Dans le même temps, il faut admettre que les mobilisations pacifistes sont faibles. La lutte contre la guerre en Ukraine divise les forces démocratiques, partagées entre un soutien au peuple ukrainien, impliquant le soutien aux livraisons d’armements fournies par le camp occidental, ou une exigence de négociations et de cessez-le-feu, assimilée à un soutien au régime de Poutine. Le virage des Verts allemands (ou des troskystes du NPA en France) sur ce sujet est éclairant.
Même dans la situation dramatique des civils à Gaza, le mouvement pour le cessez-le-feu a du mal à vraiment devenir un mouvement de masse, en étant caricaturé et accusé d’antisémitisme par le « mainstream » médiatique.
Comment agir dans cette situation, face aux dangers pour la paix du monde et la difficulté à mobiliser les opinions ? Ne faut-il pas dépasser les simples constats ou les analyses critiques, certes lucides mais impuissantes ?
Ne faut-il pas imaginer des solutions innovantes pour assurer la paix du monde au 21e siècle, qui puissent mobiliser les opinions publiques du monde entier et balayer les résistances des appareils étatiques ?
Réinventer la paix ?
Posons-nous la question : qu’avons-nous oublié après la fin de la Guerre froide ?
Ouvrons les yeux : tous les conflits dans le monde sont liés. La paix ne se réglera pas à la seule échelle de l’Europe. Nous avons oublié le pourquoi de la proclamation de la Charte des Nations unies et de la création de l’organisation.
Nous avons surtout oublié le fondement de son action énoncé dans son préambule et dans son article 1 : « réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix »xvii.
C’est ce principe et cette règle que piétinent toutes les grandes puissances. C’est cela que nous devons ré-imposer.
L’obligation, posée par le respect de la Charte des Nations unies, notamment pour les membres du Conseil de sécurité, n’est pas simplement de dire « la Russie ne peut pas et ne doit pas gagner cette guerre »xviii ou « de vaincre l’agresseur russe »xix.
Elle est fondamentalement, aujourd’hui, en Ukraine d’obtenir un cessez-le-feu, de créer les conditions d’un cadre de discussions diplomatiques conforme à la Charte des Nations unies donc au droit international, et ainsi, de permettre de construire des solutions de compromis dont certaines avaient été esquissées dans les accords de Minsk en 2014.
Plus de deux ans après le début de l’agression russe, il faut appliquer entièrement l’article 51 de la Charte des Nations unies, qui reconnaît au pays agressé son « droit naturel de légitime défense », mais qui ajoute « jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales ». Ce sont ces initiatives politiques et diplomatiques qui doivent être prises en priorité maintenant. Or, depuis plus de deux ans, le « bloc occidental » qui s’est reformé, a fait échouer toutes les initiatives diplomatiques pour explorer des issues politiques, qu’elles soient individuelles (le pape François, le turc Recip Erdogan) ou étatiques (Brésil, Afrique du sud). Mieux, les 15 et 16 juin 2024, la Suisse a organisé une conférence de haut niveau sur la paix en Ukraine, qui s’est tenue sans la présence de la Russie. « Malgré certaines avancées, la stratégie ukrainienne de ralliement des pays du Sud global n’a pas fonctionné, en témoigne le fait qu’aucun membre des BRICS+ n’ait signé le communiqué final », estime le chercheur de l’IRIS, Jean de Gliniastyxx. Un des seuls points positifs est le fait que le président ukrainien a ouvert, pour la première fois, la porte à la participation d’une délégation russe à un autre futur sommet pour la paixxxi.
Plus généralement, nous sommes arrivés à un tournant dans la vie internationale. La seule perspective, positive et porteuse d’avenir, est de faire, concrètement, de l’application du droit international le pivot du multilatéralisme planétaire.
Le droit international au cœur de l’avenir
Comment faire comprendre l’importance du droit international, de ses organismes, du respect absolu de la Charte des Nations unies, du rôle central de celles-ci dans le monde d’aujourd’hui, pour surmonter l’obstacle des grandes puissances, pour donner sa vraie place à l’humain, à « We, the people » ?
Comment surtout le faire comprendre et soutenir à l’opinion publique dans sa masse, hors de sa seule partie informée et militante ?
Les grands problèmes posés à nos générations relèvent tous de solutions globales et planétaires.
JAMAIS, les humains n’ont pu dire comme aujourd’hui, nous sommes dans un « même bateau », un « bateau monde » qui peut couler, soit à cause de menaces physiques (liées au réchauffement climatique) ce qui est bien compris dans la jeunesse, soit à cause de menaces militaires (conflit nucléaire ou conflit régional incontrôlable, au Moyen-Orient ou en Asie), ce qui est parfois sous-estimé, sauf, peut-être par ceux qui ont connu les périodes de la Guerre froide.
C’est en s’appuyant sur la perception, peut-être répandue aujourd’hui de la globalité des enjeux planétaires climatiques, notamment dans la jeunesse, qu’il nous faut avancer sur la notion de « même bateau » ou « même maison ».
Je préfère, pour ma part, parler de « maison commune » dont nous nous serions les copropriétaires, très inégaux de statut.
Voyons bien qu’aujourd’hui, il n’y a rien en dehors de cette maison commune, G7, G20 ne sont que des squatters de la copropriété !
Nous avons réussi à établir au départ, en 1945, un « règlement de copropriété », la Charte des Nations unies, un Conseil syndical avec le Conseil de sécurité et des commissions de travail, avec toutes les institutions onusiennes.
C’est cette construction que nous devons revisiter, mieux faire fonctionner. Pour cela, il faut beaucoup plus l’expliquer, la populariser et la faire s’approprier par les peuples. Il y a donc une énorme dimension d’éducation populaire à mener, éducation populaire et j’ajouterai, mobilisation populaire. C’est là qu’une politique active d’éducation a toute sa place et représente un enjeu de prise en compte, dans tous les pays, par les structures d’éducation.
Quel est le cœur de cette Charte des Nations unies ? Il est de construire la paix, bannir la force et la guerre des relations internationales. C’est fondamental de le comprendre, de l’expliquer et de se battre pour le faire respecter !
Il nous faut franchir aujourd’hui une étape !
La question du respect du droit international basé sur la Charte des Nations unies puis sur toutes constructions qui en ont découlé est devenue centrale et sera l’enjeu des deux prochaines décennies.
Ce qui était difficile hier est-il plus à notre portée aujourd’hui ?
Oui, car il faut bien voir que ce monde a changé profondément depuis 1945.
Le nombre des États a quadruplé depuis 1945, la place des pays émergents et de ceux du Global South grandit.
Dans le même temps, s’est développé le système multilatéral onusien : agences, traités.
Nous sommes passés, en quelques décennies, de l’ordre exclusif des États en 1945 à un réseau de forces mondial complexe, où on trouve à côté de ces États, des entités non – étatiques, forces économiques et ONG.
Dernier élément à ne pas négliger : c’est la révolution dans les moyens d’information avec des technologies qui favorisent l’information et les possibilités d’interventions individuelles.
Malgré les obstacles, le droit international surgit déjà au centre des débats politiques, en particulier autour de la situation dramatique de Gaza.
Ce sont les attendus de la Cour internationale de justice et de la Cour pénale internationale qui apparaissent comme les leviers incontournables à utiliser pour résoudre la situation en Palestine.
Nous ne faisons pas assez, d’ailleurs, pour développer la pression pour que la France, l’Union européenne fassent respecter l’obligation édictée de cessez-le-feu immédiat à Gaza.
Sur le plan climatique, « l’Affaire du siècle » a été un tournant dans les actions. Quatre organisations d’intérêt général ont assigné l’État français en justice devant le Tribunal administratif de Paris pour inaction face aux changements climatiques. Le but était de faire reconnaître par les juges l’obligation de l’État d’agir pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C, afin de protéger les Français.es face aux risques induits par les changements climatiques. Le 3 février 2021, la faute de l’État a été établie ; la justice a reconnu aussi sa responsabilité et le préjudice écologique causé par l’inaction climatique de la France.
Ces exemples montrent que le droit international est devenu un élément des solutions pour un monde de paix durable, élément de solution et aussi un outil de cette solution. Agir avec le droit international comme outil n’est pas se lancer dans des batailles de prétoire loin des opinions publiques, mais le moyen de pointer les responsabilités des puissants de ce monde et de contourner les blocages institutionnels qu’ils utilisent.
La réforme des institutions internationales est un champ d’action privilégié.
Au-delà de l’urgence, nous devons réfléchir à l’utilisation nouvelle du droit international et des décisions de ses organes comme la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale pour réformer le fonctionnement du Conseil de sécurité et sortir des blocages et de l’impasse provoquée par l’utilisation du « droit de veto » par les membres permanents du Conseil de sécurité.
Comment arriver à imposer le respect des décisions de la Cour internationale de justice et de la Cour pénale internationale, en obtenant qu’il y ait interdiction du veto par un membre permanent, après une décision de la CIJ ?
Comment obtenir que les membres du Conseil de sécurité soient obligés de faire respecter et appliquer les décisions de la CIJ et de la CPI, et, en cas de refus, qu’il puisse y avoir un vote contraignant par l’Assemblée générale de l’ONU. C’est possible aujourd’hui, lorsque le Conseil de sécurité considère qu’il y a une « menace contre la paix », dans le cadre du chapitre VII de la Charte, qui permet même l’utilisation de la force. Comment élargir cette situation, en obtenant que toutes les décisions de la CIJ, qui sont déjà contraignantes par nature, soient assimilées aux situations relevant du chapitre VII de la Charte et puissent ainsi être appliquées par la contrainte, si nécessaire ?
En cette année du 80e anniversaire de la fondation des Nations unies, ne faut-il pas déclencher une grande campagne d’opinion sur le thème : « pour la résolution politique des conflits, appliquons le droit international partout, par tous, pour tous » pour obtenir une résolution de l’Assemblée générale en ce sens ?
Cette proposition pourrait s’inscrire dans le cadre du Sommet de l’avenir qui se tiendra en septembre 2024. Il serait impensable qu’un Sommet de l’avenir discute des problèmes de développement durable, des problèmes de réchauffement climatique sans mettre au même plan et au même degré d’urgence, les questions de la paix dans le monde et de l’action contre la militarisation excessive actuelle.
Ne faudrait-il pas, dans le prolongement de cette idée, lancer la proposition mettre en chantier, rapidement, un cycle de discussions internationales, pour la résolution des conflits armés. Celui-ci pourrait être constitué de Conférences régionales de paix, assorties de trêves locales des combats, continent par continent, pour aboutir à des accords régionaux de pax et de sécurité communes. Ces accords permettrait d’entamer parfois la dénucléarisation, parfois la démilitarisation dans ces secteurs, ainsi que le renforcement des coopérations et des organisations régionales (OSCExxii en Europe, Union africainexxiii, ASEANxxiv, OEAxxv). Ces conférences décentralisées, sous l’égide des Nations Unies, pourraît contribuer à la construction d’une paix plus durable dans le monde.
Remettre le droit international, son respect intégral, sans double standard, est la seule voie pour sortir la situation internationale des glissements dangereux qui se produisent. Sinon, le retour à la prédominance des rapports de puissance va s’accentuer, en Europe avec l’expansionisme de l’OTAN, à l’est de l’Europe avec les dérives guerrières cyniques de la Russie, en Asie, avec les aspirations hégémoniques grandissantes de la Chine. On voit dans ce contexte se multiplier les dérives contraires au droit comme le pratique le gouvernement actuel d’Israël. La généralisation depuis deux décennies de l’assassinat ciblé des adversaires politiques extérieurs, sous prétexte de lutte anti-terroriste, comme les USA avec Oussamah Ben Laden, Israël avec Ismaïl Haniyeh, dans l’indifférence quasi-générale ouvre une voie dangereuse.
Seule le recours au droit international peut mettre un barrage aux dérives et permettre de trouver des solutions politiques aux crises.
Plus que jamais, se pose l’enjeu de transformer en grande revendication populaire ce défi : « pour sortir des impasses guerrières, 80 ans après sa fondation, ramenons les Nations unies, notre Charte commune, partout au cœur de la paix du monde ».
Daniel Durand – 6 août 2024
Président de l’IDRP (Institut de documentation et de recherches sur la paix)