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Géopolitique et dialectique

mardi 13 juin 2023 par Francis Arzalier (ANC)

La géopolitique étudie les rapports de force entre peuples, nations et États qui les incarnent. En tant que discipline rationnelle, elle est un éclairage nécessaire sur un moment de l’histoire, pertinent à condition d’être nourrie de faits vérifiés, et éloigné des discours partisans au service de tel ou tel protagoniste. Aux antipodes du fleuve bavard porté par la plupart de nos médias, écrits, télévisuels, qui sont la pâtée quotidienne de la majorité des citoyens français.

Car le problème en les entendant n’est pas de savoir quelles convictions politiciennes, quels attachements partisans, sont celles de celui qui parle, comme si ces présupposés étaient obligatoirement l’expression d’un complot maléfique, mais seulement la critique nécessaire et citoyenne de la véracité des faits utilisés et des conclusions qui en sont tirées. Le plus bel exemple de cette distorsion nous est par exemple asséné par les préposés d’une chaîne télé française, ni pire ni meilleure que les autres en la matière.

Pourfendant les « fake-news » (en français dans le texte) publiés selon eux par la revue Omertà sur la guerre en Ukraine, grâce à cet argument irréfutable : « les auteurs soutiennent l’inverse de l’opinion générale en Europe », et de plus, « certains de ces auteurs ont des amis d’extrême-droite » !

Il ne manque pas pourtant de démonstrations imparables en rupture totale avec les discours inspirés par l’OTAN et la CIA, et repris par les officines ukrainiennes qui en dépendent.
C’est le cas d’auteurs comme Nikola Mirkovic, qui a notamment publié « l’Amérique-Empire « , fort rarement invité à s’exprimer par nos « petits écrans », interdits à tous ceux jugés coupables de sentiments anti-impérialistes, qu’ils soient américains comme Noam Chomsky ou Communistes français.

Quelques faits avérés

Certains observateurs, prenant parfois leurs désirs pour des réalités, annoncent le basculement géopolitique mondial en cours sinon réalisé, le passage d’un « Empire Américain » établi au XXème siècle à un « univers multipolaire » qui serait en voie d’échapper à son emprise.

Et certes, les rapports de force entre puissances bougent, comme ils l’ont toujours fait tout au long de l’histoire, qui a vu de multiples Empires dominant les peuples voisins grandir, puis décliner et finalement disparaître, en laissant des millénaires après leur empreinte culturelle sur les contrées qu’ils avaient provisoirement dominées.

Ce fut le cas, pour ne citer que ceux-là, de l’Empire Romain qui nous a légué nos langues et notre christianisme, de l’espace conquis par les Arabes, imprégné pour les siècles suivants de la religion coranique et sa langue. Et il y eut bien du 16éme au 20éme siècle un grand Espace-Empire colonial, créé et dominé par les Puissances Européennes maritimes, profondément marqué par leurs langues, religions et migrations, jusqu’à nos jours, au point qu’on parle encore d’Amérique Latine et Anglo-saxonne.

Et il y eut bien aussi celui constitué par ce fils monstrueux du précédent, les États Unis d’Amérique du Nord anglophones. Devenus au début du 20éme siècle le cœur du capitalisme mondial, aidés en cela par leurs guerres mondiales, qui ont multiplié leurs industries et leur rôle de prêteur mondial, pendant que les puissances européennes s’étripaient sur leur sol, les USA ont régné durant tout le siècle sur le reste du globe, politiquement, économiquement, militairement et culturellement.

Même si cet « Empire Américain » n’était qu’indirect, à l’opposé de ses prédécesseurs, même s’il fut durant 70 ans contesté par le Soviétisme et ses alliés,, ces derniers finirent par s’effondrer piteusement en fin de siècle, au point que ses thuriféraires disaient l’Empire US en 2005 promis à l’immortalité, tel un Moloch impérialiste écrasant le champ de ruines de ses adversaires impuissants.

Une de ces naïvetés que l’histoire n’a jamais accepté, pas plus au siècle 21 qu’il y a mille ans :
tout Empire nait, grandit et un jour, disparaît, en fonction des mutations économiques, sociales et politiques.

Les rapports de forces entre peuples et États ont certes profondément bougé depuis 30 ans, c’est une des lois du déroulement historique, qui parfois s’accélère.
La croissance démographique et économique exponentielle du continent chinois a changé les donnes au détriment de l’Empire États-unien, et ont permis incidemment au reste du monde (Russie, Afrique, Asie médiane et pacifique, Amérique Latine) de se libérer progressivement et en partie des liens de sujétion qui les rattachaient à l’Empire (monétaires, diplomatiques, etc ).
Dans le « grand jeu » compétitif de l’économie mondiale et de la diplomatie, les USA depuis 20 ans voient leur suprématie s’effriter inexorablement : c’est même pour cette raison qu’une grande partie des « Élites » dirigeantes des États Unis estiment devoir stopper ce déclin par la guerre, de l’Europe au Pacifique, puisque l’Empire est toujours mondialement dominant dans le domaine militaire.

Ceci étant, si cette évolution est un fait évident, la qualifier de basculement achevé relèverait de l’inconscient volontariste : les trois quarts des peuples du globe subissent encore, qu’ils l’acceptent ou non, la domination et l’exploitation de « l’Empire Américain »
Sous des formes différentes, c’est vrai aussi bien pour ses alliés-supplétifs d’Europe Occidentale et Orientale, que des États nationaux qui cherchant à lui échapper subissent les punitions économiques édictées par Washington (sanctions et blocus infligés à Cuba, au Venezuela, à l’Iran, la Russie, etc…) et pour certains, militaires (Russie, Corée du Nord, etc…).
Et le « roi-dollar », même si son règne est ébréché, sert encore de monnaie de compte aux trois quarts des transactions mondiales, ce qui lui donne une valeur bien au-delà de l’économie états-unienne, et permet à Washington de se nourrir d’une dette abyssale.

Pour une lecture dialectique des relations internationales

La guerre menée en Europe orientale par les USA et leurs alliés-supplétifs d’Europe Otanienne contre la Russie a rendu plus visibles encore les faits révélant les fissures de l’Empire :

  • - Isolement lors des votes à l’ONU des USA et l’OTAN sur l’Ukraine
  • - Effritement du roi-dollar comme monnaie mondiale, à l’occasion notamment des négociations entre Arabie Saoudite et Iran sous l’égide de la Chine.
  • - Cela ne signifie pas que le monde se divise désormais en méchants pro-occidentaux et gentils pro-chinois ou pro-russes. Toute vision dichotomique est erronée, tout fait avéré constaté porte en lui une réalité potentielle contraire.

Qui veut comprendre une réalité, agir sur elle en militant, doit en avoir une vision dialectique et raisonnée.

Les analystes les plus sérieux décryptent le monde actuel à partir de plusieurs grilles de lectures différentes, d’hypothèses scientifiques différentes :

1/ Un impérialisme mondial, dirigé par les USA, où plusieurs Impérialismes concurrents.

2/ Un camp impérialiste US-OTAN et contre lui des « bourgeoisies nationales » en quête de souveraineté (Russie, Iran, Venezuela, etc…), par opposition aux bourgeoisies dites « compradores », dévouées corps et âmes à l’Impérialisme extérieur, comme celles du pré-carré africain de la France de 1960 à 1990.

3/ Un camp impérialiste US-OTAN et contre lui un ensemble de peuples et d’États qualifiés « d’anti-hégémoniques », disparates, socialistes comme Chine ou Cuba, et capitalistes comme l’Inde, la Russie ou le Nigéria.

Chacune de ces hypothèses d’école a valeur rationnelle, et peut contribuer à la lecture des faits, à condition de ne pas les obturer pour se donner raison. Ce n’est qu’ainsi que progresse la recherche en économie et politique.

À condition que nous sachions respecter les contradictions des réalités observées, pour chaque peuple, chaque pays, à un moment donné.

En fait, si ces catégories peuvent être pertinentes en tant qu’hypothèses, elles ne peuvent remplacer la collecte de faits pour chaque pays étudié, comme le montrent quelques exemples parmi d’autres :

1/ l’Iran est l’exemple parfait de ces complexités. Son régime, mêlant théocratie des mollahs et système parlementaire, est tenu pour « état terroriste » par les USA et l’OTAN parce qu’il soutient les mouvements anti-impérialistes et anti-colonialistes au Moyen-Orient. Menacé d’asphyxie par les sanctions impérialistes et même de destruction militaire, il exprime indéniablement une bourgeoisie nationale contre l’impérialisme extérieur (US ou Israélien), prêt à soutenir toutes les subversions internes, par un discours hypocrite d’inspiration féministe.
Cela ne nous interdit pas de constater parallèlement la validité des revendications de militants iraniens, des communistes interdits par exemple, contre la brutalité répressive, l’exploitation sociale du prolétariat, et pour la laïcité.

2/ Ce cas de figure contradictoire n’est pas nouveau, il fut présent dès la fin du 20éme siècle, chaque fois que l’Impérialisme US ou ses alliés-supplétifs ont détruit par la guerre les États nationaux qui refusaient leurs diktats :

La Yougoslavie socialiste dépecée au profit de l’Impérialisme par les nationalismes rivaux
(1991-2001), y compris en intervenant directement au Kosovo et en bombardant Belgrade (2009). Les responsabilités premières des puissances occidentales qui ont sponsorisé et manipulé les nationalismes slovènes, croates, bosniaques, albanais et serbes, n’excusent en rien la fureur belliciste de ces organisations politiques locales.

L’invasion états-unienne de 2003, dont l’objectif inacceptable était de détruire l’État national d’Irak, a pu utiliser avec succès pour se justifier les frasques autoritaires de son chef Saddam Hussein, amplifiées par la propagande US, mais bien réelles au détriment du peuple irakien.

L’invasion de la Lybie par la France de Sarkozy au nom de l’OTAN en 2011, tout aussi condamnable, a pu se targuer elle aussi des dérives autoritaires et xénophobes bien réelles de son chef Khadafi pour justifier une opération criminelle au service de l’Impérialisme.

La décennie de guerres fomentées par les puissances de l’OTAN en Syrie (de 2011 à aujourd’hui), avec l’aide souvent de subversions islamistes, n’avaient pour but que de détruire son État national, rétif aux diktats impérialistes. Elle a finalement échoué grâce à l’aide de la Russie, autre État national ciblé par l’impérialisme US, même si elle a réussi à dépeupler ce pays de plusieurs millions de citoyens de ce pays dévasté.
Cela n’enlève rien aux responsabilités politiques de l’autoritarisme brutal d’Al Assad à l’encontre de son peuple insurgé en 2011, point de départ de cette décennie de désastres.

Le concept de « bourgeoisies nationales » à soutenir parce qu’ennemis de l’Impérialisme se justifie parfaitement, à condition de bien voir que leurs incarnations politiques sont parfois de féroces exploiteurs de leurs peuples, et que ces derniers sont donc en droit de les combattre politiquement, qu’il s’agisse d’Al Assad, des Mollahs iraniens ou de Poutine.

D’autant que les visions dichotomiques en prédateurs et justes sont continuellement remises en question par les mutations du réel.

La monarchie Saoudienne, qui fut longtemps considérée comme l’exemple parfait « d’État compradore » au service des USA, toujours foncièrement capitaliste et attaché à l’intégrisme religieux wahabite, est-il devenu de « bourgeoisie nationale « en se rapprochant de la Chine et l’Iran ?

La Turquie d’Erdogan, capitaliste, férue de démagogie islamiste et d’autoritarisme, toujours membre de l’OTAN, se contorsionne pour apparaître en potentiel médiateur entre les belligérants sur le sol ukrainien ; cela la fait-il passer dans la catégorie des « bourgeoisies nationales «  ?

Certains États d’Afrique, Maroc ou Gabon, foncièrement capitalistes, souvent tentés par l’autoritarisme politique, ont parfois refusé d’approuver à l’ONU les textes bellicistes occidentaux de « soutien à l’Ukraine ». Cela en fait-il pour autant des exemples de « bourgeoisies nationales » ?

Et le plus bel exemple de cette difficulté à enfermer les réalités dans un concept-hypothèse n’est-il pas la Russie actuelle, qu’elle que soit sa taille démesurée. Ce pays et son peuple dépecé après l’explosion catastrophique de l’URSS, converti au capitalisme le plus prédateur sans opposition organisée, pillé par les comparses oligarques d’Eltsine, était devenu le servile paillasson de l’impérialisme occidental après 1990.

L’État national reconstruit sous la direction de Poutine, sa volonté indéniable d’indépendance et de stabilité sociale, ont valu à ce dirigeant une popularité largement majoritaire encore, dont les dirigeants « élus »de l’Occident comme Macron, ne peuvent que rêver. Et l’intervention russe au secours de l’État national de Syrie, puis l’aide apportée aux minorités russes opprimés du Donbas et de Crimée, qui ont si fort irrités l’Occident, ont encore ajouté à cette aura nationale.

Cela ne saurait faire oublier que l’État de Poutine incarne une bourgeoisie russe nationaliste et autoritaire (hormis les oligarques qui louchent vers l’Occident), que les inégalités liées au capitalisme y fleurissent.

Mais ces contradictions-ambiguïtés sont telles que, jusqu’au sein du mouvement communiste mondial, on qualifie parallèlement la Russie de Poutine d’impérialiste, de « bourgeoisie nationale » ou de chef de file du conglomérat anti-hégémonique.

Ce qui n’interdit pas le combat commun pour imposer la paix aux belligérant, mais le freine forcément.

Cela ne doit-il pas nous inciter à l’usage prudent de ces catégories hypothétiques, contradictoires et fluctuants, au profit d’une analyse au cas par cas, pays par pays, en relevant les faits avérés, sans chercher obligatoirement à les aligner sur nos hypothèses ?

Notre souci exclusif ne doit-il pas se limiter à contraindre les bellicistes, à commencer par ceux de notre pays, de cesser d’alimenter le brasier ukrainien en discours enflammés, en hommes voués à la mort et en armes destructrices de vies et de richesses ?

12 juin 2023

   

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