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L’acte d’Aaron Bushnell réveille les souvenirs de la résistance de masse dans l’armée USAméricaine
jeudi 14 mars 2024 par Joe Piette
L’auteur, un ancien combattant contre la guerre du Vietnam, a pris la parole lors d’une veillée organisée le 3 mars à Philadelphie à la suite du sacrifice d’Aaron Bushnell, membre de l’armée de l’air en service actif, quelques jours plus tôt. Cet article est basé sur son intervention.
Aaron Bushnell était membre de l’armée de l’air usaméricaine. C’était mon cas il y a plus de 50 ans. J’ai été appelé sous les drapeaux en 1966 et finalement envoyé au Viêt Nam pour aider les impérialistes usaméricains à gagner de l’argent grâce à la mort de millions de personnes en Asie du Sud-Est.
Aaron Bushnell, plutôt que de participer au génocide usaméricano-israélien à Gaza, a pris la décision extrême de s’immoler dimanche dernier, le 25 février, à 13 heures, devant l’ambassade à Washington, D.C., du projet colonial US/britannique en Palestine.
L’ancien combattant Joe Piette prend la parole à Clark Park, Philadelphie, lors de la veillée pour Aaron Bushnell, le 3 mars 2024. Photo : Samantha Rise
Bushnell était l’un des rares membres de l’armée usaméricaine de la dernière décennie qui, à ma connaissance, ont publiquement mené un acte d’opposition à une guerre impérialiste usaméricaine. En tant qu’individu isolé profondément opposé à ce qu’on lui disait de faire, Bushnell a fait ce qu’il pensait devoir faire pour s’opposer à la guerre génocidaire usaméricano-israélienne à Gaza.
Nous espérons que son acte persuadera d’autres personnes de le suivre, non pas pour s’immoler, mais pour rejeter le statu quo et trouver des moyens puissants de s’opposer aux guerres de terreur impérialistes des USA.
La situation était différente lorsque j’étais dans l’armée de l’air. À la fin des années 1960, à une époque où les USA incorporaient encore des appelés dans les forces armées, une majorité de militaires en service actif étaient opposés à la guerre usaméricaine au Viêt Nam et ils ont agi de diverses manières pour y mettre un terme.
Certains sont passés du côté vietnamien. D’autres ont déserté en Europe ou au Canada. Beaucoup ont rejoint des groupes de GI opposés à la guerre, comme l’American Servicemen’s Union, qui comptait à elle seule des dizaines de milliers de membres. Beaucoup ont tout simplement refusé de se battre, et si un officier était assez stupide pour menacer quelqu’un pour son refus de se battre, il risquait de se faire “fragmenter”. Le fait qu’un officier ou un sous-officier soit “fragmenté” signifie qu’il a été tué ou blessé lorsqu’un GI a lancé une grenade à fragmentation dans sa tente pendant qu’il dormait. Entre 1969 et 1972, le Pentagone a enregistré près de 1 000 actes de “fragmentation”.
Lisez le livre de John Catalinotto “Turn the Guns Around” ou regardez le film de David Zeiger “Sir ! No Sir !” si vous voulez en savoir plus sur l’opposition au sein de l’armée.
Les Vietnamiens ont gagné en 1975
Le Pentagone a réagi à la menace d’effondrement de sa chaîne de commandement au Viêt Nam et à la résistance croissante aux USA en retirant ses troupes du maximum de 550 000 hommes prévu en 1969 et en confiant les combats à une armée fantoche composée de recrues vietnamiennes. C’est ce qu’on a appelé la “vietnamisation” de la guerre. Au début de 1973, le gouvernement usaméricain a mis fin à l’appel sous les drapeaux.
L’armée fantoche s’est effondrée en 1975 et le peuple vietnamien a gagné la guerre contre les impérialistes usaméricains cette année-là lors de la libération de Saigon.
Oui, applaudissez !
Après cette défaite, le département de la guerre des USA, connu sous le nom de Pentagone, a remplacé l’appel sous les drapeaux par des forces armées composées uniquement d’engagés.
Comment les USA peuvent-ils mener leurs guerres et occupations constantes dans le monde entier, dans plus de 750 bases militaires réparties dans plus de 80 pays, avec des forces armées composées de volontaires ?
Externalisation de la guerre
Il y a un appel d’air économique, ce qui explique pourquoi Aaron Bushnell s’est engagé dans l’armée de l’air. En outre, de nombreuses tâches et compétences militaires sont désormais confiées à des entrepreneurs privés et non plus à des militaires. Outre les quelque 1,4 million de militaires en service actif et les 813 000 réservistes, il y a 762 000 employés civils fédéraux équivalents à temps plein et environ 600 000 sous-traitants à temps plein. Cela fait un total de près de 4 millions de personnes, toutes sous la direction du ministère de la guerre, pour un coût de près de 1 000 milliards de dollars - plus de 1 000 si l’on compte les coûts des guerres passées, les intérêts et l’aide militaire à l’étranger.
Mais je veux parler de la manière dont les troupes usaméricaines sont motivées pour tuer des gens.
Tuer un autre être humain n’est pas naturel. Ce n’est tout simplement pas normal. Tuer quelqu’un vous perturbe l’esprit - c’est pourquoi cela conduit souvent au syndrome de stress post-traumatique (SSPT) - une affection courante chez les anciens combattants - et à de nombreuses dépendances et suicides.
Les généraux et les politiciens capitalistes se fichent éperdument de la souffrance des GI. Tout ce qui les intéresse, c’est de disposer de forces armées efficaces et agressives, capables de vaincre et d’occuper tout pays refusant d’être exploité pour les profits des grandes entreprises.
Le Pentagone s’appuie sur le racisme, le sexisme, le classisme et d’autres pratiques discriminatoires pour créer un contraste entre nous, les GI des USA, et eux (le peuple du pays ciblé) afin d’amener ses troupes à obéir aux ordres de tuer. Une forte propagande, des instructions constamment répétées et d’autres méthodes d’entraînement visant à manipuler l’esprit créent des soldats prêts à suivre les ordres et à tuer.
Cet endoctrinement vise à créer la réaction suivante : « Dites-moi qui est l’ennemi, et je me lancerai à sa poursuite avec toutes les armes que vous me fournirez ». Mais l’endoctrinement n’a qu’une portée limitée. C’est ce que les généraux ont appris au Viêt Nam qui les a persuadés de passer à une armée professionnelle.
Corps armés d’oppresseurs
L’esprit de corps est très important pour les chefs d’une armée professionnelle. L’esprit de corps est une expression française que le dictionnaire définit comme « l’esprit commun existant chez les membres d’un groupe, inspirant l’enthousiasme, le dévouement et une grande considération pour l’honneur du groupe ».
C’est à ces corps que Karl Marx, V. I. Lénine et d’autres communistes et révolutionnaires faisaient référence lorsqu’ils parlaient de l’État bourgeois, de sa police et de son armée permanente - les corps spéciaux d’hommes armés (ou de n’importe quel sexe aujourd’hui) placés au-dessus de la société et qui s’en éloignent pour protéger et combattre pour les riches dirigeants qui se trouvent au sommet de la société capitaliste.
Une fois que vous êtes en uniforme, l’esprit de corps signifie que vos compagnons de troupe sont des personnes (noires, brunes ou blanches) avec lesquelles vous passez vos journées, avec lesquelles vous vous entraînez, avec lesquelles vous sortez boire un verre. Ils sont votre famille, vos camarades, des personnes que vous êtes prêt à protéger et pour lesquelles vous êtes prêt à mourir. Si le groupe se sent menacé, le groupe dans son ensemble, lourdement armé, se défendra.
Cette dynamique de groupe extrême, en tant qu’outil des riches et des puissants, crée une machine de combat légère et efficace qui, lorsqu’elle est lâchée dans des lieux hostiles, peut entraîner la mort de centaines de milliers de personnes (le plus souvent des personnes de couleur) et des catastrophes comme celles de Wounded Knee aux USA, My Lai au Viêt Nam et le massacre de la farine qui a eu lieu il y a quelques jours à Gaza.
L’esprit de corps conduit à l’idée que si les soldats (ou les flics) se sentent menacés, ils peuvent riposter à volonté à l’ennemi pour se défendre. Combien de personnes de couleur ont été tuées par des flics - flics soutenus par la Cour suprême des USA - avec l’excuse : « j’étais justifié, parce que je me sentais menacé ».
C’est également ce qu’ont déclaré les Sturmtruppen des forces d’occupation israéliennes – « Nous nous sommes sentis menacés » - pour expliquer pourquoi ils ont massacré la foule affamée des Palestiniens le 29 février.
L’armée usaméricaine adore distribuer des récompenses - médailles d’honneur, Purple Hearts, étoiles de bronze, etc. La quasi-totalité d’entre elles sont décernées à des soldats qui se sont protégés les uns les autres. D’innombrables films ont été tournés sur la façon dont de soi-disant braves soldats ont défendu leurs compagnons d’armes en infériorité numérique contre l’ennemi maléfique. Chacun de ces films est de la propagande impérialiste.
Les personnes avec lesquelles nous devrions nous sentir solidaires ne sont pas les troupes usaméricaines présentées par les médias comme innocentes et ne faisant que se défendre, mais les personnes qui défendent leur pays contre l’impérialisme usaméricain.
Rue Aaron Bushnell, Ariha/Jéricho, Palestine occupée
“Nous ne le connaissions pas et il ne nous connaissait pas. Il n’y avait aucun lien social, économique ou politique entre nous. Ce que nous partageons, c’est l’amour de la liberté et le désir de nous opposer à ces attaques [contre Gaza]”(Abdul Karim Sidr,le maire, 10/3/2024)
Les peuples opprimés ont le droit de résister
Les Vietnamiens, les Irakiens, les Cubains, les Palestiniens, les Africains - au Soudan, au Congo, au Niger - les Coréens, les Philippins, les peuples du monde entier n’ont-ils pas le droit de se défendre contre l’occupation et l’exploitation impérialistes ?
J’espère que l’acte de Bushnell aura des répercussions au sein de l’armée et que d’autres soldats, marins, marines et membres de l’armée de l’air commenceront à remettre en question leurs ordres de déploiement. J’espère que cela brisera un peu l’esprit de corps.
Maidan Al Sabaïn (Place des 70 jours), Sanaa, Yémen, 1/3/2024
Le gouvernement usaméricain est l’ennemi des peuples du monde. Les USA n’envoient jamais, jamais, jamais, jamais, leurs militaires quelque part pour le bien des travailleurs de quelque pays que ce soit.
Les troupes sont envoyées dans l’intérêt des entreprises qui dirigent les USA.
Comme l’a dit Aaron Bushnell - avant qu’il ne puisse plus rien dire – « Liberté pour la Palestine ! ».
À cela, j’aimerais ajouter :
« Liberté pour les travailleurs partout dans le monde où le capitalisme et l’impérialisme les exploitent et les oppriment.
Le pouvoir au peuple, de la Palestine à Philadelphie !
Un peu l’équivalent de notre "crosses en l’air !"
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Voir en ligne : https://www.workers.org/2024/03/77428/
Joe Piette, Philadelphie, est un postier à la retraite militant, ancien combattant contre la guerre du Vietnam.