Association Nationale des Communistes

Forum Communiste pour favoriser le débat...

Accueil |  Qui sommes-nous ? |  Rubriques |  Thèmes |  Cercle Manouchian : Université populaire |  Films |  Adhésion

Accueil > Voir aussi > L’austérité et la privatisation sont responsables du tragique accident (...)

L’austérité et la privatisation sont responsables du tragique accident ferroviaire en Grèce

mardi 11 avril 2023 par Matthaios Tsimitakis/Mihalis Panayiotakis

Et bientôt chez nous comme là-bas ? (JP-ANC)

Deux trains sont entrés en collision dans le centre de la Grèce, faisant 57 victimes. Les syndicats avaient depuis longtemps prévenu que les coupes dans le réseau ferroviaire, désormais privatisé, provoqueraient un grave accident, mais ni le gouvernement ni les médias du pays n’ont tenu compte de ces appels.

L’accident ferroviaire dévastateur survenu près de la vallée de Tempe, dans le centre de la Grèce, entre Athènes et Thessalonique, a eu un impact profond sur le pays. La majorité des cinquante-sept victimes (le nombre exact n’est pas encore connu) étaient de jeunes étudiants qui retournaient à l’université de Thessalonique ou rentraient chez eux après un séjour de trois jours à Athènes.

Cette collision est l’un des accidents ferroviaires les plus meurtriers en Europe depuis dix ans. Le train de passagers roulait à 160 km/h lorsqu’il est entré en collision frontale avec un train de marchandises roulant à 110 km/h. La force de l’impact a généré des températures suffisamment élevées pour faire fondre l’acier. Il est peu probable que les restes de certaines victimes soient un jour retrouvés. D’autres ne seront identifiés que par des tests ADN.

Aujourd’hui, des millions de personnes en Grèce s’interrogent : comment est-il possible que deux trains puissent circuler durant douze kilomètres sur la même voie ferrée, dans des directions opposées, sans que personne ne s’en aperçoive ?
Pourquoi la télématique ou d’autres mesures de sécurité n’ont-elles pas été mises en place ?

Les syndicats avaient tiré la sonnette d’alarme

De nombreux indices laissaient présager un accident grave. Les syndicats des chemins de fer grecs avaient prédit un tel accident, des semaines avant qu’il ne se produise. Une série d’avis syndicaux a publiquement mis en garde contre le danger.
Dans un avis officiel envoyé le 7 février à l’Organisation des chemins de fer helléniques (OSE), les syndicats décrivaient l’état de délabrement du système ferroviaire et avertissaient la direction de l’entreprise de l’imminence d’une action syndicale : « Nous n’allons pas attendre le prochain accident pour les voir verser des larmes de crocodile et faire des déclarations. »

En avril 2022, le responsable de l’ETCS (European Train Control System) a démissionné pour des raisons de sécurité des transporteurs et du public. Néanmoins, les grands médias, complices de la tragédie, ont ignoré toutes les sonnettes d’alarme.

Selon l’organigramme de la compagnie ferroviaire, il devrait y avoir au moins deux mille employés pour entretenir selon les normes. Or, au moment de l’accident, ils étaient moins de sept cent cinquante.

Trois accidents similaires sur la même ligne s’étaient déjà produits en 2022, sans faire de victimes, et il y a eu au total trente-sept incidents de sécurité au cours des dix dernières années. La Commission européenne a assigné la Grèce devant la Cour de justice européenne pour non-respect des règles du transport ferroviaire.

Les causes profondes

Depuis le renflouement de la Grèce, les conservateurs ont toujours diabolisé les syndicats. Dès son arrivée au pouvoir, la Nouvelle Démocratie a adopté une loi anti-ouvrière qui a rendu la plupart des grèves illégales, bâillonnant les efforts des travailleurs pour tirer la sonnette d’alarme sur la sécurité des chemins de fer.

Le gouvernement du Premier ministre Kyriakos Mitsotakis se targue de moderniser l’État par l’introduction (tardive) de systèmes numériques et l’ouverture des marchés par la déréglementation. L’un des principaux piliers du Plan national de relance et de résilience, financé par l’UE à hauteur de plusieurs milliards d’euros, est la numérisation des services publics.

Cependant, en raison d’une réduction constante de la main-d’œuvre, les conducteurs de trains grecs restent surchargés de travail et doivent composer avec un équipement vétuste, des mesures de sécurité insuffisantes et une communication interpersonnelle de fortune.

Ces conditions désuètes et dangereuses sont le produit du néolibéralisme. Elles sont le résultat d’un programme qui investit dans la faillite des actifs publics pour les réintroduire sous forme de monopoles privés, tout en garantissant un soutien politique par le clientélisme et la négligence.

À l’exception de la ligne unique qui relie les deux principales villes du nord et du sud, les chemins de fer n’ont jamais constitué une part importante du système de transport de la Grèce.
La privatisation des chemins de fer, une obligation de sauvetage imposée par la tristement célèbre troïka des prêteurs [la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international, NdT] il y a plus de dix ans, a entraîné une scission entre les sociétés d’infrastructure ferroviaire et les fournisseurs de services ferroviaires. Contrairement à l’expansion du réseau ferroviaire à travers l’Europe et à l’introduction de mesures de sécurité renforcées, le réseau ferroviaire grec s’est en fait rétréci.

Le gouvernement a conservé la gestion de l’infrastructure par l’intermédiaire de l’entreprise publique OSE, faisant en sorte que le monopole public des trains de passagers devienne un monopole privé, vendu à l’entreprise publique italienne Ferrovie dello Stato. La gestion négligente d’OSE a aggravé une situation déjà difficile en se soustrayant à sa responsabilité d’entretenir les infrastructures publiques.

Dans sa frénésie de privatisation des biens publics et d’externalisation des services par le biais de partenariats public-privé et de sous-traitants, le gouvernement conservateur a refusé d’embaucher suffisamment de cheminots pour compenser le nombre de départs à la retraite au sein de l’effectif d’OSE. Il en résulte un système ferroviaire dépourvu de mécanismes de sécurité élémentaires.
Selon le chef de gare de Larissa, un centre de télécommandes garantissant la sécurité des trains a fonctionné jusqu’en 2019, lorsque le gouvernement de gauche de Syriza a perdu les élections.

À tout cela s’ajoute la corruption politique. Le chef de gare, tenu pour responsable de la tragédie, a été embauché en tant qu’intérimaire, apparemment avec l’intervention d’un cadre haut placé de Nouvelle Démocratie. Il a été formé rapidement et autorisé à gérer les voies sans aucun soutien ni contrôle.

En 2010, la dette d’OSE atteignait 10 milliards d’euros, soit 4 % du PIB grec. En 2013, dix-neuf contrats pour l’installation de systèmes de signalisation avaient été attribués par la Commission européenne pour une valeur totale de 460 millions d’euros. Cependant, aucun de ces systèmes ne fonctionne dans les parties critiques du réseau, comme la vallée de Tempe.
Entre 2018 et 2020, la Grèce a connu plus d’accidents ferroviaires mortels par kilomètre parcouru que n’importe quel autre pays de l’UE.

La doctrine du choc une fois de plus

Depuis l’accident de Tempe, des manifestations de grande ampleur ont eu lieu en Grèce, avec la présence habituelle de policiers anti-émeutes, de gaz lacrymogènes et de brutalités policières. Néanmoins, les manifestations continuent de se multiplier, annonçant une nouvelle ère de tensions et de bouleversements sociaux.

Douze ans après le sauvetage de l’économie grecque par la troïka des bailleurs de fonds, une grande partie de l’infrastructure publique de la Grèce a été vendue, à la fois à des entreprises publiques ou privées européennes et, plus loin, à des entreprises publiques chinoises. L’État de droit et le fonctionnement général des institutions se sont tellement dégradés que l’on peut se demander s’ils répondent aux normes européennes.

Le pouvoir judiciaire, de plus en plus délégitimé dans l’opinion publique, fait l’objet d’une surveillance de l’UE quant à son indépendance, tandis que les médias dominants grecs sont sous le contrôle d’oligarques favorables au gouvernement, ou soudoyés pour qu’ils se soumettent.

Selon le classement de RSF sur la liberté de la presse, la Grèce se situe à la 108e place [https://rsf.org/fr/classement, NdT]. C’est le pays le moins libre de tous les pays de l’UE. Les crises s’accumulent en Grèce, mais en l’absence de médias rigoureux, les victimes enregistrées sont rapportées publiquement comme une sorte de phénomène naturel.
Il n’y avait rien de naturel dans les trente-cinq mille victimes du Covid-19 qui sont mortes à cause du délabrement et du manque de personnel du système de santé.

La Grèce subit toujours une thérapie de choc néolibérale. Au milieu de l’urgence Covid-19 et après la fin des accords de sauvetage en 2018, elle s’est poursuivie sans relâche. Il est révélateur qu’au lendemain de la catastrophe ferroviaire, le gouvernement a présenté deux projets de loi : l’un pour la privatisation du seul hôpital pour enfants atteints de cancer dans le pays et l’autre pour introduire une première étape dans la privatisation du service de l’eau.

Avec les élections législatives prévues en juillet de cette année, l’électorat grec est invité à voter pour quatre autres années de choc néolibéral. Les sondages d’opinion prédisent une nouvelle victoire de la Nouvelle Démocratie, mais à la lumière de la dernière tragédie, un tel résultat semble désormais moins probable.

Rédacteurs

Matthaios Tsimitakis est journaliste à Athènes, en Grèce. Il a été le responsable des médias sociaux d’Alexis Tsipras de 2016 à 19. Avec Mihalis Panayiotakis, il coécrit une lettre d’information sur l’actualité grecque.

Mihalis Panayiotakis est analyste web et journaliste, membre de l’équipe d’investigation Manifold Files, et chroniqueur d’opinion et analyste pour un certain nombre de médias grecs.

Source : Jacobin Mag, Matthaios Tsimitakis, Mihalis Panayotakis, 08-03-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

   

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?