Accueil > Voir aussi > Billets d’humeur > « La peur prépare à tout accepter » et l’infantilisation de l’individu, c’est la (...)
« La peur prépare à tout accepter » et l’infantilisation de l’individu, c’est la mort du citoyen.
mercredi 3 août 2022 par JP(ANC)/Jean-Michel Djian
Le philosophe italien Giogio Agamben a prononcé la première partie de cette sentence en mars 2020, c’est-à-dire juste avant la première mesure de confinement due à la pandémie du Covid, et l’on en mesure encore les effets sur nos concitoyens. Et il confirme : « Il semblerait que, le terrorisme étant épuisé comme cause de mesures d’exception, l’invention d’une épidémie puisse offrir le prétexte idéal pour les étendre au-delà de toutes les limites. ». La peur de la pandémie étant elle-même en perte de vitesse, voilà que nous arrive la guerre en Ukraine avec la peur du manque de blé, de gaz et de pétrole…
Et pour bien enfoncer le clou les médias aux ordres nous bassinent avec des messages infantilisants.
N’en déplaise au ministère des Solidarités et à Marlène Schiappa, les Français savent encore décider tout seuls quand se laver les mains et comment partager les tâches ménagères. Les étudiants n’ont pas besoin qu’un président d’université leur dise pour qui voter, pas plus qu’un chef d’entreprise n’a besoin d’un Bruno Le Maire pour savoir quand augmenter ses salariés.
Le problème, c’est que chaque semaine qui passe est l’occasion d’une nouvelle charge de l’État pour nous débarrasser de nos responsabilités de base en tant que citoyen, en tant que travailleur, en tant que parents, et même en tant que simple être humain.
D’un côté les responsables politiques hurlent à « l’idiocratie » lorsqu’ils constatent des résultats électoraux qui leur déplaisent, et de l’autre ils font le maximum pour que, petit à petit, les citoyens se retrouvent définitivement infantilisés et oublient que l’on peut changer le système.
Nous ne sommes pas des enfants et Emmanuel Macron n’est pas le petit père des peuples. Après le mépris de classe sociale, voici revenu le temps du paternalisme à la Pétain.
Ci-dessous un petit texte sur la question découvert dans le Ouest-France du 3 aout.(JP-ANC)
Halte à l’infantilisation généralisée
Pas un jour sans qu’une publicité, un message gouvernemental, un panneau d’affichage, un arrêté municipal, un SMS de Doctolib ne viennent semer le doute sur notre capacité à nous sentir responsables de nous-mêmes.
Comme si, en 2022, à l’heure où la technologie est censée nous libérer des contraintes, elle venait en renfort pour exiger des gens qu’ils ne fassent aucun écart, obéissent à l’injonction et abandonnent tout libre arbitre.
Un exemple parmi tant d’autres. « Manger cinq fruits et légumes par jour », un slogan lancé en 2001 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) afin de lutter contre l’obésité. Bonne intention assurément.
Mais qui est dupe ?
Qui peut penser que la répétition massive du message sanitaire depuis plus de vingt ans a servi la cause en question ?
Si c’était vrai, on le saurait. Or, un sondage réalisé dix ans plus tard en France et au Royaume-Uni conclut que huit personnes sur dix ne respectent pas le conseil. Quant aux 2 % qui le suivent, « ils trouvent là un bon moyen de se déculpabiliser en mangeant plus gras et sucré qu’avant ».
Idem pour le tabac. Quels sont les accros de la clope encore sensibles au « fumer tue » imprimé en noir et en gros sur tous les paquets de cigarettes exhibés derrière les comptoirs des bureaux de tabac ?
Quant à la SNCF, la somme des injonctions qu’elle délivre à bord d’un TGV donne le tournis.
Non seulement les annonces sonores récurrentes invitant poliment les voyageurs à respecter les consignes de sécurité sont légion, mais les vitres des trains sont désormais tapissées de slogans du genre « découvrez le paysage » ou « laissez-vous rêver ».
Idem pour l’environnement : « penser au tri » ; « n’oubliez pas de recycler vos piles », etc., sont répétés comme des mantras. Rien de bien méchant, ni de comminatoire, mais un principe répétitif qui fatigue, génère de l’anxiété et surtout interroge sur ses finalités, eu égard au coût des campagnes publicitaires.
Espace public pollué
Quelle est désormais la frontière entre l’information et l’infantilisation, quand, dans le même temps, l’État exige de ses administrés d’être, à juste titre, toujours plus responsable de leurs faits et gestes ?
Quand l’école et les parents sont censés avoir préparé les jeunes esprits à savoir faire œuvre d’un minimum de civisme ?
Étant donné l’état de résignation générale qui traverse le pays depuis le début de la pandémie, il n’est pas déplacé de s’enquérir des raisons pour lesquelles on en arrive à polluer l’espace public d’une telle masse d’information écrite, sonore et visuelle.
Les Français seraient-ils si indomptables qu’il faille sans cesse trouver des astuces malicieuses pour les rappeler à l’ordre ?
L’académicien François Sureau met indirectement les pieds dans le plat dans son ouvrage Sans la liberté paru chez Gallimard en 2019 (collection Tracts). L’écrivain y rappelle :
« que personne d’autre que le citoyen libre n’a qualité pour juger de l’emploi qu’il fait de sa liberté, sauf à voir celle-ci disparaître » .
Mais le diable se nichant dans les détails, personne n’a encore pris le temps d’aller chercher, dans ces exemples de slogans infantilisants évoqués plus haut ce qui, du coup, fait de nous des citoyens de seconde zone.
Oui, l’infantilisation pacifique, ludique mais systématique des esprits est une tare. À terme, elle joue contre l’exigence de penser, de réfléchir et de prendre ses responsabilités ; elle met malheureusement les malveillants minoritaires comme les bienveillants majoritaires à égalité devant le sens commun, sans distinction aucune.
Jean-Michel Djian : Journaliste et écrivain.