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Emmanuel Leroy Ladurie, histoire d’un homme et d’une nation
samedi 25 novembre 2023 par Francis Arzalier (ANC)
L’historien Emmanuel Le Roy Ladurie est mort.
Le professeur au Collège de France, administrateur général de la Bibliothèque nationale et historien de l’époque moderne et du climat, s’est éteint le 22 novembre à l’âge de 94 ans. J’ai eu la grande chance de travailler avec lui pour PIF/Gadget et la Cinquième chaine pédagogique. Un grand historien doublé d’un pédagogue. Une rareté !(JP-ANC)
À suivre une nécrologie de notre historien Francis Arzalier...
Un des grands historiens français du Vingtième siècle est mort le 22/11/2023, à peu près oublié des médias de grande écoute, ce qui n’a rien de surprenant compte tenu de leur dégringolade morale et intellectuelle.. Il avait 94 ans, pas loin d’un siècle, ce qui est convenable pour faire une fin.
Mais surtout, son parcours personnel fut significatif de quelques unes des évolutions majeures de la société française, ou plus précisément d’une certaine bourgeoisie intellectuelle depuis le milieu du siècle dernier.
Son père fut ministre de l’agriculture de Laval en 1942, convaincu comme une bonne partie des « élites » de France, que le Maréchal Pétain, héros vieillissant de Verdun et de l’extrême-droite catholique, était le mieux placé pour sauver la Nation vaincue et occupée, de l’action destructrice des syndicats et partis du Front Populaire et des excès des dirigeants Nazis.
À l’image de bien d’autres bourgeois français (un certain Mitterand par exemple…), il s’aperçût dès 1943, que ce « bouclier Pétainiste » ne servait que de cache-sexe au pillage par les Nazis des richesses françaises, et sut rendre son tablier ministériel pour protester contre la réquisition forcée de travailleurs français vers l’Allemagne, Il est vrai que la défaite nazie qui s’esquissait à Stalingrad aida ainsi bien des bourgeois français à voir plus clair, et même à se considérer Résistants en Juin 1944.
Dans l’atmosphère euphorique de la Libération nationale, où le gouvernement issu du CNR incluait un PCF auréolé de ses héros et des vastes réformes engagées (Sécurité sociale, nationalisations, etc), le jeune lycéen puis étudiant Emmanuel fut emporté comme bien d’autres jeunes bourgeois en quête d’un monde nouveau par cette grande lueur d’espoir venue des plaines russes autant que des maquis.
C’est en 1949 qu’il adhère, au sein de l’École Normale supérieure de la rue d’ULM au PCF, dont il restera adhérent jusqu’en 1956, jusqu’au drame de l’insurrection anticommuniste de Budapest et sa répression par l’Armée Rouge. Confronté à la brutalité du réel de la lutte de classes, le jeune » enseignant-historien que je connus en 1958 à l’Université de Montpellier, où il animait des « Travaux dirigés sur documents historiques ».
Il avait dévié vers cette « Nouvelle Gauche » intellectuelle, l’UGS alors, qui devint plus tard le PSU. Clairement détaché de la cohorte communiste, nous nous retrouvions néanmoins dans les manifs contre la guerre coloniale d’Algérie, et le Gaullisme naissant.
Le fringant jeune prof de Montpellier était encore militant, animé par les souffrances du peuple algérien, plus que par ses antécédents familiaux, qu’il cachait, ou ses ambitions personnelles. Il partit ensuite vers la capitale, et y accomplit une longue carrière à l’Université, finalement couronné par le Collège de France. Un parcours de carrière au sein de la bourgeoisie universitaire, que n’interrompit même pas le tsunami existentiel de mai 68, auquel il resta étranger.
Avec une évolution continue vers l’idéologie modérée, puis finalement conservatrice, en passant par la mouvance « libertaire-anti soviétique » de Raymond Aron, pour finir en 1999 aux côtés des opposants au PACS, « vivier de l’homophilie-pédophile », et choir en 2012 en soutien du candidat-Président Sarkozy.
Certes, il ne fut pas le seul fleuron de cette « nouvelle Gauche » à rallier ainsi les rangs de leur bourgeoisie d’origine ou d’affinités, les Gauchistes soixante-huitards furent légion à terminer leur parabole au Figaro Magazine ou au Medef. Cette dérive droitière durant la fin du vingtième siècle a été l’un des symptômes majeurs de la contre-révolution libérale qui a balayé les esprits, notamment en France.
Paradoxalement, le parcours d’Emmanuel Leroy-Ladurie fut celui d’un historien, dont les travaux et publications successives se nourrissaient à la fois de « l’école des Annales », d’historiens comme Braudel ou Marc Bloch, attachés à décrypter les mutations du quotidien des classes populaires, plus que des faits et gestes des Grands de ce monde. Mais Leroy-Ladurie n’a jamais caché que sa « méthodologie était d’inspiration marxiste » ( citation des années 1980 ).
C’est en effet évident dès sa thèse de 1966 sur les paysans du Languedoc, et par la publication en 1975 de ce que beaucoup parmi nous tiennent pour son chef d’œuvre, « Montaillou, village occitan de 1294 à 1325 », utilisant comme source essentielle les interrogatoires d’un inquisiteur.
L’objectif de ces travaux est l’évolution contradictoire des mentalités populaires, des « sans voix » dans le récit officiel des « élites » bourgeoises, cléricales ou aristocratiques. Suivant l’exemple de Braudel, son travail le plus connu porte sur un sujet historique majeur jamais abordé avant lui, l’évolution du climat mesurée notamment grâce aux changements des dates de vendanges (3 volumes en 2004 et 2009), qui montre notamment que le « réchauffement » dont nos intégristes de l’écologisme actuels font une simple conséquence de l’industrialisation, a existé il y a des millénaires.
Fait révélateur, le discours « Vert », fort peu scientifique qui encombre nos médias depuis dix ans, se garde bien de publier des extraits des écrits de Leroy-Ladurie, ou d’y faire allusion : l’approche historique et scientifique des climats est devenue incongrue pour les orateurs de la vulgate médiatique libérale !
C’est peut être cela que l’histoire devra retenir de Leroy-Ladurie, à son corps défendant !
le 24/11/2023