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La Chine est-elle notre ennemie ?

samedi 3 février 2024 par Victoire Bech (ANC)

En décembre 2023, deux militantes de l’ANC ont été invitées par le département international du Parti communiste chinois à participer à une délégation « d’amis de la gauche d’Europe de l’Ouest ». Pendant une semaine, nous avons rencontré de nombreux dirigeants du PCC, nationaux et locaux, et visité plusieurs entreprises, projets pilotes économiques, culturels et environnementaux du pays.

Notre voyage a commencé à Beijing (Pékin), la capitale politique et administrative du pays, pour des rencontres avec les dirigeants du département international du PCC. Nous nous sommes ensuite rendus à Nanning, la capitale de la province autonome Zhuang du Guangxi, située à la frontière avec le Vietnam au sud du pays et qui abrite le siège de l’ASEAN.

Du fait de sa position géographique (elle est la seule province à partager une frontière terrestre et maritime avec les pays de l’ASEAN) et de sa composition ethnique (plus de 30% de la population est composée de membres des – nombreuses - minorités nationales du pays), cette province encore en voie de développement jouit aujourd’hui d’une attention particulière du Comité central, dans le cadre du projet de « revitalisation rurale », l’actuel nom du programme de lutte contre la pauvreté en Chine.

Enfin, notre voyage s’est terminé à Shenzhen, première zone économique spéciale du pays et l’une des villes les plus riches, où de très nombreuses multinationales étrangères et chinoises, travaillant entre autres dans le secteur financier et celui des nouvelles technologies ont pignon sur rue.

Cinq thématiques ont présidé toutes nos rencontres et visites : les programmes de revitalisation rurale, l’objectif double-carbone, le programme de développement scientifique et technologique, l’inclusion des minorités nationales, et la politique internationale de partenariat « gagnant-gagnant » et de respect mutuel et pacifique.

Les bureaux de revitalisation rurale, présents dans chaque ville et chaque province du pays sont une des composantes de la lutte contre la pauvreté en Chine. Ils prennent peu ou prou le relais des programmes de lutte contre la pauvreté absolue, que la Chine a éradiquée en novembre 2020. Leur objectif est de consolider cet effort majeur des dirigeants et du peuple chinois pour améliorer les conditions d’existence d’1,4 milliards d’habitants.
Car malgré les efforts fournis et les réussites indéniables (l’énorme majorité de la population vivait encore dans la misère en 1949), la Chine est encore marquée par de très grandes inégalités de conditions de vie entre les zones rurales et urbaines d’une part, et les régions de l’Est, côtières, très modernes et où vit une classe moyenne nombreuse et très formée, et les provinces de l’Ouest, beaucoup plus rurales et encore en voie de développement, de l’autre.

Les programmes de revitalisation rurale ont donc pour objectif de pérenniser les progrès réalisés en transformant en profondeur l’appareil productif des zones encore « pauvres » via la diversification de la production (via l’industrialisation des zones encore essentiellement agricoles), la poursuite de la construction d’infrastructures vitales (routes, raccordement à l’électricité, internet, eau, etc.) et de la création d’un système de protection social effectif et universel.

Pour ce faire, d’énormes investissements sont réalisés dont une partie est issue de la politique « les provinces les plus riches financent les provinces les plus pauvres ». Ainsi, la ville de Shenzhen utilise 20% de ses fonds propres pour financer des projets dans plusieurs provinces comme le Guangxi, le Tibet ou encore le Xinjiang, comme des aides au relogement des familles vivant dans des régions hostiles à la vie humaine ou très difficiles d’accès, des programmes de formation des jeunes ruraux, la construction d’industries de transformation des produits locaux, la prise en charge de la commercialisation en Chine et à l’étranger des produits de ces provinces, etc.

La mise en œuvre de ces politiques s’appuie sur une vaste entreprise de cartographie sociale et d’enquête, réalisée au Guangxi par plus de 400 000 cadres du PCC et/ou membres des gouvernements locaux et nationaux, qui ont visité une par une les familles pauvres afin d’identifier leurs besoins et y apporter des solutions précises et individualisées. En d’autres termes, les programmes de revitalisation rurale s’inscrivent dans une stratégie de très long terme de développement par étapes du vaste territoire chinois et de redistribution des ressources collectées et produites dans l’Est développé et largement ouvert aux investissements étrangers vers les provinces les plus pauvres et les zones rurales.

C’est principalement cette politique qui permet aux dirigeants du PCC d’affirmer que leur parti est toujours communiste puisqu’une telle politique serait impossible à envisager dans un pays capitaliste.

L’objectif « double-carbone » est le nom donné par la Chine à son programme de développement « vert ». Il consiste à viser le pic des émissions carbone en 2030 et la neutralité carbone en 2060.
Cette campagne nationale de réduction de émissions de GES nous a été présentée comme une nécessité vitale pour la Chine, le développement industriel extrêmement rapide du pays ayant entraîné une augmentation importante de la pollution, avec des conséquences importantes sur la santé publique, l’augmentation des catastrophes naturelles (inondations, sécheresses, etc.) et l’épuisement des sols.

Pour résoudre ce problème sans sacrifier l’objectif de construction d’une « société de moyenne aisance » pour l’ensemble de la population, la Chine a choisi de s’appuyer sur le développement des connaissances scientifiques et sur le développement d’énergie renouvelables. Ainsi, outre les programmes nationaux de réduction du gaspillage alimentaire, de responsabilisation des différents secteurs de l’économie et de l’investissement massive dans l’éolien, le photovoltaïque et le nucléaire, la Chine a mis en place un certain nombre de projets dont nous avons pu voir un échantillon lors de la visite du parc des zones humides de Nankao à Nanning.

Située en plein cœur de la ville, la rivière de Nankao était jusqu’il y a peu un cloaque nauséabond, sujets à de fréquentes inondations en période de saison des pluies. S’appuyant sur les progrès de la science, la ville a fait semer sur les bords de la rivière des plantes capables de drainer l’eau de pluie et de la déverser par étape dans la rivière, enrayant ainsi les risques d’éboulement, selon le concept de « ville éponge ». Parallèlement, une usine de traitement des eaux usées a été installée sur la rive, par laquelle l’eau de la rivière passe inévitablement afin d’être assainie. Cela a permis de faire des rives de la rivière un lieu de promenade pour les habitants du quartier.

Nous avons également visité une usine d’incinération des déchets quasi-automatisée via le développement de l’IA, munie des technologies les plus avancées et dont le taux de rejet de CO2 dans l’atmosphère est inférieur aux normes des pays les plus développés. L’énergie produite est utilisée pour alimenter en électricité un centre sportif (avec piscine) attenant à l’usine et totalement gratuit.

Au cours de ce voyage, nous avons aussi rencontré le responsable aux relations entre minorités nationales de Nanning ainsi que le tout nouveau musée dédié aux cultures des minorités nationales. Les responsables nous ont fait part des problématiques rencontrées dans ce domaine, avec d’une part la nécessité d’intégrer les minorités nationales dans l’effort collectif de développement de la nation socialiste, et d’autre part, la nécessité de protéger le patrimoine culturel et historique de ces minorités ethniques.
Mises en valeur de leurs spécificités culturelles, campagnes de sensibilisation contre la disparition de leurs cultures, efforts de conservation des langues et écritures, etc. s’allient avec des programmes de construction d’une identité chinoise unifiée autour du projet d’augmentation du niveau de vie de l’ensemble de la population.

Pour résoudre cette question, le gouvernement favorise la mixité sociale (les mariages mixtes ont beaucoup augmenté et sont considérés comme la base du vivre ensemble puisqu’ils permettent de mélanger les cercles sociaux des époux : famille, amis, collègues, etc.) et le recrutement, au sein du PCC, de cadres issus des minorités nationales.

Enfin, nous avons visité un très grand nombre d’entreprises chinoises à la pointe de l’innovation technologique. Il s’agissait de mettre en valeur une des spécificités du développement à la Chinoise : le développement économique par le développement scientifique et technologique du pays. Outre la nécessité, pour la Chine, de s’efforcer, après avoir été pendant trente ans « l’usine du monde », de développer une industrie à haute valeur ajoutée capable de lui octroyer une autonomie stratégique vis-à-vis des pays occidentaux, cette course au développement scientifique et l’innovation (le taux d’investissement des bénéfices des entreprises dans la R&D est un des plus élevé du monde – jusqu’à 20% du bénéfice net dans certaines entreprises nationales, publiques ou privées) est consubstantielle au projet de l’amélioration des conditions de vie du peuple : de même que la lutte contre le réchauffement climatique s’appuie sur l’innovation technologique et les découvertes scientifiques plutôt que sur un retour à la nature objet de tous les fantasmes en Occident, le progrès technique est pensé comme devant être mis au service de la résolution des besoins de la population.

Ainsi, des entreprises développent des drones réfrigérés pour distribuer les doses de vaccins dans les zones très difficiles d’accès, l’IA est utilisée pour améliorer les transports publics et améliorer la productivité agricole, etc. De même, les entreprises chinoises investissent dans l’automatisation, via l’IA, de certains métiers comme celui de mineurs, de chauffeurs, etc., particulièrement pénibles et mortifères. Des projets de reconversion professionnelle d’une partie de la main d’œuvre non qualifiée et réalisant des travaux pénibles vers des métiers plus qualifiées accompagne cette course à l’automatisation.

Plus généralement, le gouvernement chinois mène une politique systématique de mise en valeur et de formation aux métiers scientifiques et de nombreuses initiatives visant à développer un « esprit scientifique » parmi la population et à susciter des « vocations » sont mises en œuvre à toutes les échelles territoriales.

Un tel programme de visites n’est pas gratuit.
Au contraire, il recouvre une grande partie des attaques que le PCC appuie de la part des pays du bloc occidental et qui, depuis plusieurs années, se cristallisent autour du non-respect des droits de l’homme et des minorités nationales (avec l’accusation de génocide au Xinjiang et au Tibet), de l’augmentation drastique des inégalités depuis la « réforme et l’ouverture » et du dumping social et environnemental.
Ce, dans le contexte de l’augmentation des tensions mondiales et d’une hostilité grandissante à l’égard de celle qui est en passe de devenir la première puissance économique mondiale, notamment depuis le « pivot vers l’Asie » décrété par Obama en 2011.

Cette politique agressive à l’égard de la Chine a été reprise par les autres pays du bloc atlantique, avec une multiplication des sanctions économiques sur les industries à haute valeur ajoutée (voitures électriques, 5G, etc.) et des provocations militaires directes ou indirectes dans les pays où des capitaux chinois sont implantés (Afrique, Amérique latine) mais également aux frontières même du pays, les USA exigeant de pouvoir patrouiller librement et sans autorisation dans les eaux territoriales du pays ou dans leur voisinage immédiat et apportant un soutien financier et logistique important aux indépendantistes taiwanais.

Ces accusations portées par les élites économiques et financières occidentales, en pleine crise systémique de surproduction et de baisse du taux de profit, dans un contexte de transformation des équilibres économiques mondiaux, avec l’émergence de nouvelles puissances refusant l’hégémonie occidentale qui tente de les dominer depuis plusieurs siècles, ne sont pas surprenantes. Elles ne sont que le cache-sexe de leurs entreprises de déstabilisation et de leur refus d’accepter le processus de remise en cause du monde unipolaire. Le respect des droits de l’homme et de la démocratie ne sont ainsi, une fois de plus, qu’un prétexte pour justifier leurs politiques agressives à l’égard la Chine et faire accepter aux populations du « nord » manipulées sans vergogne par des médias détenus par des milliardaires, les conséquences sur leurs conditions d’existence matérielles.

Car la Chine est bel et bien aujourd’hui un danger existentiel pour le bloc impérialiste occidental, USA en tête : cet immense pays assis sur des ressources naturelles très importantes et munis d’une population pléthorique et de plus en plus éduquée, après avoir été dominée pendant près d’un siècle par les puissances impérialistes occidentales et japonaise, est désormais en passe de devenir la première puissance économique mondiale, devant l’empire états-unien en voie de déliquescence et qui ne vit que grâce à la dette que la prééminence de sa monnaie sur les marchés internationaux lui permettent de créer.

Les profits des multinationales occidentales et leurs impérialismes sont donc sérieusement menacés par cette nouvelle puissance devenue en quelques décennies le premier partenaire économique d’un nombre croissant de pays du « sud », qui prétend révolutionner la coopération internationale en refusant de conditionner ses prêts et aides à l’adhésion à un régime politique ou économique précis et en promouvant les partenariats « gagnant-gagnant », permettant ainsi à de très nombreux pays de diversifier leurs sources de financement des infrastructures vitales et d’échapper ainsi, en partie, à la domination des impérialismes occidentaux et leurs exigences mortifères.

Que les élites capitalistes des pays du Nord et leur vassaux institutionnels cherchent, par tous les moyens, à instrumentaliser le respect des droits humains pour créer de toute pièce « un ennemi » n’a rien de surprenant et, bien qu’elle ait peu de chances d’enrayer la dynamique en cours de transformation des rapports de force mondiaux vers un monde multipolaire, ses effets sont désastreux tant pour le programme de développement interne de la Chine que pour la sauvegarde de la paix mondiale.

Plus étonnante, cependant, est la condamnation farouche de la politique du PCC par une partie des organisations occidentales se réclamant de la gauche radicale, voire révolutionnaire. Car elles non plus n’ont pas de mots assez durs pour condamner la Chine. Pollueur, dictatorial, génocidaire, exploiteur, impérialiste : le PCC, qui dirige la Chine de facto depuis 1949, aurait, depuis la « réforme et l’ouverture » mise en place par Deng Xiaoping en 1979 et qui a consisté à ouvrir une partie de son économie au marché, trahit la révolution et dérivé vers une forme de capitalisme sous contrôle étatique.

Or, cette analyse de la situation nous semble être une erreur désastreuse, tant d’un point de vue théorique – quelle est la nature du régime chinois ? - que d’un point de vue tactique – quelles sont, actuellement, les contradictions principales et les contradictions secondaires ?

Ces organisations justifient leur condamnation de la Chine en affirmant que « la réforme et l’ouverture » a consisté peu ou prou à permettre aux élites embourgeoisées du PCC d’opérer une transition vers le capitalisme à leur profit exclusif. Aujourd’hui, du fait de l’extraordinaire développement de ses forces productives ces dernières décennies, rendu possible par un régime de surexploitation des travailleurs et une gestion autoritaire de la population, elle serait passé au stade supérieur qu’est l’impérialisme.
Cet impérialisme chinois serait à combattre au même titre et en même temps que l’impérialisme occidental séculaire. De même, les conflits actuels ainsi que l’émergence d’institutions internationales alternatives aux institutions dominées par les pays de l’OTAN, comme les BRICS, l’OCS et autre, loin de représenter une étape importante dans la désoccidentalisation du monde, ne seraient en réalité qu’une nouvelle variante d’une guerre de « repartage du monde ».

Mais cette analyse est-elle juste ?
La Chine est-elle devenue capitaliste ou est-elle toujours socialiste ? Dans un ouvrage paru en 2019, Rémi Herrera posait cette question et n’y répondait pas. Apportant des éléments en faveur de l’un et de l’autre, il insistait sur le caractère inédit du régime politico-économique chinois. Car, indubitablement, le système économique chinois est traversé par l’économie de marché et des logiques d’exploitation des ressources naturelles et humaines, y compris à l’étranger.
Indubitablement, il existe en Chine une bourgeoisie capitaliste exploitant la force de travail.

Cependant, en déduire que la Chine est devenue un pays capitaliste et impérialiste au sens où l’entendaient Marx et Engels, puis Lénine, est contraire à l’esprit même du matérialisme historique, dont le premier enseignement est la nécessité d’analyser concrètement les situations concrètes. De ce point de vue, mettre la Chine et les pays occidentaux sur le même plan revient à occulter leurs différences fondamentales.
Car tandis que les pays du Nord ont réalisé leur processus d’industrialisation il y a plus de deux siècles en pillant de manière systématique les ressources naturelles et humaines du reste du monde et en exploitant éhontément sa propre main d’œuvre, le développement autonome de la Chine a connu un point d’arrêt lors de la première guerre de l’Opium et subi pendant un siècle la domination occidentale (puis japonaise). Et lorsque le PCC a pris le pouvoir en 1949 à l’issue d’une longue lutte de libération nationale, il a hérité d’un des pays les plus pauvres du monde, presque exclusivement rural et avec une industrie balbutiante.

Pendant plusieurs décennies, le PCC tâchera d’enrayer ce retard immense en fermant quasiment totalement son économie et en lançant des plans audacieux d’industrialisation basé sur une planification étatique centralisée qui allaient permettre, selon le point de vue officiel du PCC actuel, de créer les bases indispensables pour passer à un développement plus généralisé et plus qualitatif.
La décision, en 1978, de créer des zones d’ouverture aux capitaux étrangers aurait permis d’obtenir des sources de financement pour ses infrastructures, base à partir de laquelle elle pourra développer ses forces productives et, ce faisant, résorber l’immense pauvreté de sa population.

Or, 40 ans plus tard, malgré ses progrès fulgurants et son passage du statut d’usine du monde à celui de moteur de l’innovation mondiale dans de nombreux secteurs, la Chine assume d’être encore un pays en voie de développement : le niveau de vie de sa population y reste beaucoup moins élevé qu’en Europe, malgré l’enrichissement faramineux d’une minorité d’investisseurs et l’émergence d’une classe moyenne dont la consommation est boostée par l’augmentation des salaires et l’urbanisation du pays. Le processus de développement de la Chine, selon ses propres dirigeants, est donc loin d’être terminé.

Par ailleurs, le PCC a assorti cette politique d’ouverture et cette intégration tardive à la mondialisation capitaliste d’une poursuite du modèle politique antérieur, basé sur la direction du PCC et de ses 95 millions de membres sur tous les aspects de la vie du pays. Aujourd’hui encore, il existe une « double-ligne de gouvernance » : chaque échelon de gouvernance est pris en charge à la fois par les fonctionnaires du gouvernement (central, régional ou municipal et qui peuvent appartenir à d’autres organisations politiques que le PCC) et par les cadres du Parti, dont les cellules maillent l’ensemble du territoire géographique et économique du pays (il existe des cellules dans chaque ville, province, etc. et dans chaque entreprise).

Par ailleurs, la propriété de la terre et les principaux secteurs stratégiques du pays sont restés entre les mains de l’Etat, notamment les secteurs bancaires, énergétiques et de défense. Enfin, il est indéniable, comme nous l’avons vu plus haut, que les gains issus de l’ouverture aux capitaux étrangers, bien qu’ils aient permis la naissance d’une élite économique extrêmement riche, ont également été utilisés pour poursuivre le développement du pays et réduire la pauvreté.

Pour autant, malgré des éléments de continuité, il faut reconnaître que cette ouverture a transformé le modèle chinois, tant objectivement que subjectivement. En effet, l’intégration au marché mondial a considérablement augmenté la dépendance de la Chine à l’égard de l’importation et de l’exportation des capitaux et des marchandises et l’ont rendue plus vulnérable aux chocs exogènes.

Ainsi, les sanctions occidentales contre les produits de haute technologie chinoise - sur l’exportation desquels reposait en grande partie la stratégie de développement interne à moyen et long terme - a-t-elle contraint le régime chinois à ouvrir encore plus son économie, malgré les risques. Les dirigeants chinois en ont parfaitement conscience. Ainsi, un dirigeant de l’IDCPC qui nous accompagnait lors de ce voyage nous disait que « En ouvrant la porte, on laisse rentrer les amis mais aussi les insectes, de plus en plus nombreux à mesure que la porte s’ouvre plus grande ».

L’ouverture a également eu des conséquences sur la « mentalité » du peuple chinois. En effet, l’arrivée massive de capitaux a augmenté considérablement les possibilités de corruption à toutes les échelles et à l’intérieur même du Parti communiste. « Les Chinois sont des hommes comme les autres » écrivait Ruolin Zheng, un journaliste chinois vivant en France depuis de longues années. Et c’est bien de cela qu’il s’agit : dans un pays encore pauvre au regard du niveau de vie occidental, nombre de cadres du Parti, à toutes les échelles de responsabilité, se sont laissé corrompre par les entreprises privées, étrangères ou chinoises, afin d’améliorer leurs conditions de vie et celles de leurs proches.

D’autres ont amassé des fortunes considérables en vendant des terrains publics, etc. La lutte contre cette corruption endémique à tous les niveaux a fait l’objet d’une intense campagne lors de l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. Mais, comme tout ce qui touche à la Chine, cette campagne a été présentée en Europe comme une manière, pour le premier secrétaire, d’éliminer ses opposants à l’intérieur du Parti.

Outre la montée de la corruption, la naissance d’une classe moyenne de 400 millions de membres a entraîné une montée d’un individualisme bourgeois et par nature réfractaire au primat de l’intérêt collectif sur l’intérêt individuel hérité du confucianisme et qui a été le socle de l’effort collectif immense qu’a représenté le développement fulgurant du pays en une période si courte.

L’ouverture a également produit une classe d’authentiques capitalistes défendant leurs intérêts propres et dont certains des membres les plus éminents appartiennent aux hautes sphères du PCC.

En d’autres termes, il existe aujourd’hui en Chine, de fait et même si le PCC n’ose plus utiliser cette expression, une intense lutte des classes à l’intérieur même du Parti, entre les tenants d’un système économique contrôlant et bridant totalement les forces du marché et les tenants d’un système plus « libéral », partisans d’une moindre régulation par l’Etat. L’arrivée au pouvoir de Xi Jinping semble avoir réorienté le curseur vers davantage de contrôle étatique mais nous serions bien incapables aujourd’hui de prédire quelle sera le résultat de cette bataille interne, d’autant que des contraintes extérieures d’importances lient en partie les mains des dirigeants chinois : la vulnérabilité vis-à-vis des chocs exogènes, qu’ils soient liés aux contradictions interne du mode de production capitaliste auxquelles la Chine n’échappe pas du fait de son intrication dans l’économie mondiale (baisse tendancielle du taux de profit et crise de surproduction, etc.), aux attaques du bloc impérialiste occidental (sanctions, patrouilles militaires, tentatives de déstabilisation, etc.) ou à l’exigence des classes moyennes de davantage de liberté individuelle.

Dans l’état actuel des choses, affirmer de manière péremptoire que la Chine dirigée par le PCC est un pays capitaliste arrivé au stade impérialiste est donc non seulement pour le moins prématuré mais également erroné d’un point de vue scientifique. En effet, seul l’avenir nous dira dans quelle direction les contradictions internes à l’intérieur du PCC seront résolues : à l’heure actuelle, la Chine pourrait tout à fait devenir un moteur et un appui pour l’émancipation des peuples du monde ou bien une nouvelle puissance impérialiste, forte de son poids démographique, géographique et de son système non libéral et relativement centralisé (même si le caractère centralisé de la Chine est à relativiser compte-tenu de l’autonomie importante laissée aux provinces et aux villes dans l’application des directives nationales).

C’est pourquoi la responsabilité actuelle des communistes des pays occidentaux est de chercher à comprendre cet objet étrange et inédit qu’est le régime chinois, d’en saisir les spécificités en contexte et en dynamique, d’en suivre avec attention les évolutions et d’œuvrer, autant que faire se peut, à peser dans la balance en soutenant ceux qui, en Chine et à l’intérieur du PCC, travaillent toujours à l’édification du socialisme.

Cependant, l’affirmation publique selon laquelle le PCC serait un ennemi de la classe ouvrière et donc, ce faisant, notre ennemi n’est pas seulement une erreur théorique. Elle est également une erreur tactique. En effet, en faisant abstraction du contexte historique que nous sommes en train de vivre, marqué par une crise économique mondiale d’ampleur et un déclin inévitable des impérialismes occidentaux menant tout droit vers une confrontation armée, elle entraîne les organisations de « gauche » à occulter les différences importantes entre les politiques extérieures de la Chine et des pays occidentaux.

Or, force nous est de reconnaître qu’aujourd’hui, ce sont bien les pays occidentaux qui, cherchant par tous les moyens à conserver leur domination dans un monde de plus en plus réfractaire à leurs injonctions, alimentent l’escalade guerrière en prenant des sanctions unilatérales contre tous ceux qui refusent de se soumettre, en se lançant dans une nouvelle course aux armements (au détriment de l’investissement dans la résolution des besoins sociaux des populations) et en cherchant l’appui des populations à la perspective d’un conflit ouvert via une propagande de guerre importante visant à créer un « ennemi » extérieur et via des mesures d’enrôlement de la jeunesse comme le SNU.

Or, face à ce discours belliciste qui prend chaque jour plus d’ampleur dans les pays occidentaux, la Chine continue de prôner un pacifisme qu’elle est le seul pays du monde à avoir inscrit dans sa constitution. Elle continue également de prôner une transformation des relations internationales basées sur le respect mutuel et une coopération véritable entre les Etats. Seule l’appartenance inconditionnelle de Taiwan à la Chine est présentée comme une ligne rouge à ne pas dépasser.

Beaucoup répondront à cette affirmation qu’il y a un monde entre le discours et la réalité. Pour autant, les résultats concrets de cette politique chinoise jusqu’à présent, l’absence de projection militaire à l’international, le travail diplomatique pour résoudre les conflits en cours ainsi que l’enthousiasme qu’elle suscite dans les pays du Sud nous amène à penser que ce monde n’est pas bien grand.
Par ailleurs, le pacifisme de la Chine est parfaitement cohérent avec son programme de développement interne : la paix en est la condition sine qua non. En d’autres termes, la Chine n’a aucun intérêt à la guerre, aux sanctions, aux restrictions du commerce international et à la nécessité d’augmenter les investissements de défense nationale (ce qu’elle fait, bien entendu, pacifiste ne voulant pas dire stupide).

Car, répétons-le, la Chine n’est pas les USA.
Elle est un pays en voie de renforcement de son économie tandis que les USA et ses vassaux sont des pays à l’économie déclinante du fait de l’impossibilité matérielle de conserver leur mainmise sur l’ensemble des ressources naturelles et humaines de la planète.
Ainsi, parler de conflit inter-impérialiste et de guerre de « repartage » du monde pour qualifier le conflit en cours est objectivement faux : il s’agit d’une tentative de reconquête qui n’aboutira pas mais entraînera (entraîne déjà) sur son passage des lots de morts, de destruction et de misère pour la classe ouvrière.

Les peuples du monde entier et les dirigeants du PCC ont bien la paix comme intérêt commun.
Alors ne nous trompons de cible : la Chine n’est pas notre ennemie.

   

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