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Cachez cet assimilé que je ne saurais voir…
samedi 15 juillet 2023 par Descartes
Ce texte (ci-joint) ne règle pas la question des aberrations du nationalisme franchouillard mais il pose la question de la façon dont on a défait un peuple qui s’était plus ou moins bien constitué de 1789 a 1947/1968, et cela malgré les horreurs coloniales et l’éradication injustifiée des parlers locaux.
Ce texte devrait amener à poser LA question d’actualité, celle de savoir comment "refaire peuple", politiquement et territorialement.
À partir des éléments populaires aujourd’hui éparpillés, peuple travailleur en partie syndiqué, peuple de "province" en partie gilets jaunes, peuple précarisé des quartiers populaires en partie "émeutier", peuple issu d’ici et peuple venu de là-bas.
Quel projet territorial ?
Quel projet politique ?
Quel projet social (et non sociétal !!!) ?
Quel projet international(site) ?(BD-ANC)
Après les évènements de la Commune de Paris, la réaction catholique et monarchiste sema la France de croix votives pour expier les crimes que le peuple de Paris avait commis contre la religion. Cet acte d’expiation, qui selon certains a donné à Paris l’un des monuments les plus laids de son histoire, n’est pas, malheureusement, le dernier.
C’est ainsi qu’en 2004 on a transformé le Palais de la Porte-Dorée, construit pour l’exposition coloniale de 1931 et qui naguère abrita le « musée des colonies », puis le « musée de l’outre-mer » et enfin le « musée des arts d’Afrique et d’Océanie », en « musée de l’immigration ».
Depuis cette date, l’institution organise fréquemment des actes de pénitence publique – pardon, des expositions – destinées à montrer combien la France a été ingrate envers les différentes communautés immigrées et mettre en exergue la dette que notre pays aurait envers elles.
Le dernier de ces actes pénitentiels est affiché ces jours-ci dans toutes les stations de métro. Il consiste en une reproduction du portrait bien connu de Louis XIV par Rigaud, ainsi légendé :
« Louis XIV, mère espagnole, grande mère autrichienne. C’EST FOU TOUS CES ÉTRANGERS QUI ONT FAIT L’HISTOIRE DE FRANCE ».
On pourrait dire beaucoup de choses de cette aberration.
D’abord, que l’affiche commet un péché d’anachronisme en appliquant le mot « étranger » dans le sens moderne du terme à un personnage du XVIIème siècle. Un temps où la notion de « nationalité » telle que nous l’entendons aujourd’hui n’était pas encore construite, où l’individu se classait comme « sujet » d’un prince et non « citoyen » d’une nation.
On pourrait surtout noter que le mariage des princes était un acte politique, une manière d’établir des alliances avec d’autres couronnes. On pourrait ajouter que dans la logique de l’époque, alors que le mariage n’était concevable qu’entre personnes du même rang social, un prince de sang royal destiné à régner ne pouvait se marier qu’avec une princesse étrangère, dès lors que le mariage entre proches parents était interdit.
Mais tout cela est secondaire, et pourrait être regardé comme un trait d’humour, même si l’on est en droit d’exiger un peu plus de rigueur de la part d’une institution censée illustrer le public en matière historique.
Non, le plus grave se trouve ailleurs, dans l’affirmation que sa mère espagnole ou sa grand-mère autrichienne feraient de Louis XIV – né, rappelons-le, le 5 septembre 1638 à Saint-Germain en Laye – un « étranger ».
La direction du musée de l’immigration proposerait-elle de rétablir le « droit du sang » à la place de ce « droit du sol » qui a joué un rôle fondamental dans la construction de notre nation ?
C’est là une question que je voudrais poser au comité scientifique du musée en question. Est-ce qu’ils réalisent ce que cette campagne de publicité dit vraiment ? Est-ce qu’ils se rendent compte qu’avec cette conception, ils renvoient les millions de Français qui ont un parent ou un grand parent étranger à une « essence » nationale venue par le sang, et qui les séparerait, les rendrait « étrangers » en France ?
La Révolution et ses héritiers avaient pour ambition de faire de tous ceux qui habitaient notre pays des citoyens Français sans distinction d’origine. Et c’est sur cette base que les républiques successives ont conduit des politiques fortes d’assimilation, intérieure et extérieure.
On a fait des Français avec des Polonais et des Italiens, des Espagnols et des Maghrébins, mais aussi des Niçois et des Savoyards, des Bretons et des Basques, des Provençaux et des Alsaciens. L’objectif était de donner à tous un cadre de référence et une sociabilité partagés.
C’était là un prérequis pour leur permettre de communiquer et de construire une solidarité inconditionnelle qui permettait le plein exercice de la citoyenneté, pour les inscrire dans un projet commun.
Aujourd’hui, nous assistons au mouvement inverse. On veut nous persuader que chacun de nous est un étranger, pire, qu’en étant étranger on est quelque part supérieur, plus tolérant, moins raciste que ceux qui n’ont pas le privilège d’un parent ou d’un grand parent venu d’ailleurs.
Ce qui revient à rattacher chaque Français non au cadre national qui leur est commun, mais à la communauté d’origine. Nous ne sommes plus définis par un projet partagé avec nos concitoyens, mais par une origine partagée avec ceux qui viennent du même coin.
Ce qui, bien entendu, participe à un processus de fragmentation, car si la catégorie de « Français » nous rattache à un cadre unique, celle « d’étranger » nous renvoie à une diversité d’origines.
Malheureusement, cet exemple n’est en rien un fait isolé. Non contents d’avoir désarticulé les mécanismes de l’assimilation, nos bienpensants s’engagent maintenant dans ce qu’il faut bien appeler une « désassimilation ».
Et le premier étage de la fusée est une dénationalisation sauvage, qui prétend transformer chaque français – et cela commence naturellement par les figures célèbres ou représentatives – en « étrangers ». Il n’y a pas que Louis XIV qui subit cette opération : il n’y a pas si longtemps, Carole Delga avait, dans une intervention publique, affirmé que Yannick Noah, Kilian Mbappé et Omar Sy « sont originaires d’autres pays ».
Ce qui est faux : tous trois sont nés en France, l’un à Sedan, l’autre à Paris, le troisième à Trappes, et sont donc tous trois nés français.
Beaucoup de bienpensants s’imaginent que si les Français étaient plus conscients de leurs origines « immigrées » ils seraient plus positifs envers l’immigration. Que cette prise de conscience aiderait à combattre le racisme. D’où cette répétition lancinante du mantra « nous sommes tous des immigrés ».
Ils ont tort : les immigrés ne constituent pas un groupe réuni par une expérience commune qui les pousserait à une solidarité entre eux. Chaque communauté a sa propre expérience, ses propres réseaux, défend sa spécificité et, lorsqu’elle en a conquis un, son territoire. Et ses rapports avec les autres communautés n’ont aucune raison d’être un long fleuve tranquille. Il ne faut pas oublier que les différentes « communautés étrangères » sont en compétition – entre elles mais aussi avec les autochtones – pour les emplois, pour les logements, pour les « bizness ».
Si nous sommes tous des « immigrés », et que cette origine nous constitue, alors nous devons solidarité non pas à l’ensemble de nos concitoyens, mais seulement à ceux qui ont la même origine que nous.
Car contrairement à ce que croient les bienpensants, les immigrés sont aussi racistes, aussi xénophobes que les Français « de souche », voire plus, dès lors qu’il s’agit de personnes en dehors de leur propre communauté.
La République l’avait bien compris : construire une solidarité inconditionnelle qui dépasse les cadres étroits de la communauté implique aller au-delà de l’origine et de l’histoire de chacun pour donner à tous une histoire et des ancêtres communs.
On a donné par la force des ancêtres gaulois à un Jean Ferrat, à un Georges Charpak, à un Henri Krasucki, et on en a fait des français.
Altri tempi. Maintenant, on convoque les ancêtres espagnols et autrichiens à Louis XIV… pour en faire un étranger !
C’est en me faisant ces tristes réflexions que j’ai appris la volonté du méprisant de la République de faire entrer au Panthéon les cendres de Michel Manouchian. Et j’écris bien « Michel », et non « Missak », parce que moi, contrairement à beaucoup de gens semble-t-il, je respecte le choix de Manouchian qui, de son vivant, s’est toujours fait appeler « Michel », et signé de ce prénom sa correspondance, y compris sa dernière lettre, dont les termes ont été popularisés par le poème d’Aragon [1]. Je ne sais pas si Manouchian a crié « la France » en s’abattant, comme lui fait dire le poète. Mais le fait qu’il ait choisi d’écrire en français sa dernière lettre à sa femme (alors qu’ils étaient tous deux d’origine arménienne) et de signer « Michel » et non « Missak » nous dit quelque chose de son état d’esprit à ce sujet.
Mais là encore, l’idée qu’il ait pu aimer la France « à en mourir », qu’il ait choisi de franciser son prénom ou d’écrire en français à sa femme semble insupportable pour la bienpensance.
Car ce qui rend Manouchian méritant du Panthéon aux leurs yeux, ce n’est pas d’être un résistant – la résistance est bien représentée dans notre nécropole nationale, et d’autres pourraient prétendre à y rentrer au même titre.
Ce n’est pas non plus d’être un résistant communiste – France 2, en donnant la nouvelle de sa panthéonisation, a réussi à retracer la vie de Manouchian sans que le mot « communiste » soit mentionné une seule fois.
Non, le but de cette opération est de faire entrer au Panthéon un « étranger ». Hors de question donc de montrer que cet étranger a hautement revendiqué de son vivant une forme d’assimilation de la manière la plus solennelle qui soit. Non, il faut qu’il reste dans toute sa pureté d’immigré, d’étranger, sans quoi le message idéologique pourrait se retrouver brouillé.
Alors, Michel va redevenir Missak, même si pour cela on doit trahir le choix de Manouchian lui-même.
On avait eu droit à la même volonté de « dénationalisation » lors du décès de Charles Aznavour, transformé pour l’occasion en « Shahnourh Varinag Aznavourian » – nom qu’il n’a jamais utilisé – et en « artiste franco-arménien », alors que de son vivant Charles Aznavour avait rejeté explicitement cette étiquette [2].
Par exemple, dans un entretien avec Jacques Chancel le 22 mai 1980 :
« Quand j’étais en Arménie on m’a dit « vous ne chantez pas en arménien ». Je leur ai répondu « vous savez, je suis un artiste français avec un passeport français. Je suis d’origine arménienne mais je n’ai aucune raison de chanter en arménien » ».
Au cours du même entretien, à la question « mais s’il n’y avait pas eu ce passé (…), peut-être auriez-vous eu moins de force pour combattre », il répond sans ambiguïté :
« probablement, mais ça ce n’est pas parce que j’étais Arménien, c’est parce qu’il y avait la misère, ce n’est pas pareil. Tous les boxeurs ne sont pas Arméniens, tous les cyclistes ne sont pas Arméniens… mais il y a beaucoup de gens qui se sentent déracinés à la base et qui veulent réussir pour gagner une terre, pour gagner un pays. Et le langage est un pays ».
Le discours essentialiste, renvoyant chacun à ses origines plutôt qu’à ses choix ou ses œuvres, est trop cohérent, trop unanime, trop multiforme pour résulter d’une simple mode. On est en présence de quelque chose de bien plus puissant : il s’agit d’une idéologie dominante.
Le bloc dominant a choisi de détruire les mécanismes qui permettaient l’assimilation, et génère l’idéologie qui justifie cette destruction. Dans cette idéologie, l’étranger assimilé est une anomalie à éliminer, parce qu’il rappelle une France qu’on voudrait faire oublier, une solution au problème de l’immigration que les classes dominantes ne veulent surtout pas mettre en œuvre.
Et on élimine l’anomalie en niant son existence.
L’assimilé est rhabillé de force de ses habits d’immigré, d’étranger, sans même lui demander son avis. C’est pourquoi d’ailleurs l’opération se fait encore plus facilement quand le principal l’intéressé est mort.
On voit mal Michel Manouchian se lever dans son cercueil pour faire corriger le prénom que les bonzes du politiquement correct y auront gravé.
Voir en ligne : https://descartes-blog.fr/2023/07/1...
[1] Vous pouvez consulter le facsimilé du de sa dernière lettre ici : http://www.mont-valerien.fr/ressources-historiques/le-mont-valerien-pendant-la-seconde-guerre-mondiale/lettres-de-fusilles/detail-lettres-fusiles/lettres-de-fusilles/manouchian-missak/?no_cache=1
[2] J’avais longuement développé cette affaire dans un papier sur ce blog : https://descartes-blog.fr/2018/10/06/la-des-assimilation-posthume-de-charles-aznavour/