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Quelles perspectives militaires pour l’Ukraine ?

lundi 4 décembre 2023 par Jean Penichon

Cela a été reconnu publiquement par le chef d’état-major des forces armées ukrainiennes, le général Zaloujny : la contre-offensive est un échec, la situation est bloquée sur le terrain et l’armée ukrainienne semble, actuellement, dans une impasse stratégique. Il y a bien encore quelques chroniqueurs dans nos médias pour dire qu’il n’y a pas d’échec ukrainien, que c’est juste la « contre-offensive qui n’a pas fonctionné » mais, au-delà de la sémantique, la réalité est bien là.

Il ne semble pas encore être question de négociations avec la Russie, le président Zelensky s’y oppose fermement et on peut comprendre pourquoi. La position de l’Ukraine pour l’ouverture de discussions n’est guère favorable. Les exigences russes risquent d’être encore plus fortes que ce qu’elles étaient lors des pourparlers engagés en mars 2022. Les Russes exigeaient alors la neutralité de l’Ukraine, sa « dénazification » et sa « démilitarisation », et la reconnaissance de la Crimée comme territoire russe.

Selon un article du Financial Times publié le 16 mars 2022, les protagonistes semblaient proches d’un accord dont les principaux points étaient : le cessez-le-feu et le retrait des troupes russes, la déclaration de neutralité de l’Ukraine inscrite dans sa Constitution, le russe comme co-langue officielle et enseignée dans les écoles et, bien que la Russie ait parlé auparavant de la « démilitarisation » de l’Ukraine, elle demandait désormais à l’Ukraine des limitations à son armée et l’interdiction des bases militaires étrangères ou des missiles nucléaires sur son territoire. En échange la sécurité de l’Ukraine serait prise en charge par la Turquie, le Royaume-Uni et les États-Unis [1]. La question du statut de la Crimée était remise à plus tard.

Seulement, en mettant fin aux négociations, les Ukrainiens ont fait monter les enchères et, dans ces conditions, on comprend la volonté affichée par leur président de poursuivre la guerre avec un objectif politique inchangé, à savoir revenir aux frontières de 1991 sans aucune concession sur ses alliances (adhésion à l’OTAN).

Sur cette base, voici 3 scénarios militaires possibles (auxquels on pourrait rajouter toutes les variantes) avec leurs chances de produire l’effet politique recherché.

Scénario 1 : l’aide occidentale se renforce très fortement

Dans cette option, on imagine que les Occidentaux décident de doter l’Ukraine des moyens militaires lui permettant de réellement repousser l’armée russe. Cela implique que l’armée ukrainienne se place d’abord dans une position défensive, le temps de former et d’équiper à l’étranger 300 000 à 500 000 nouveaux soldats qui ne seront pas prélevés sur le front mais seront de nouvelles recrues.
Mais il faudra aussi que l’armée continue de mobiliser pour compenser ses pertes. C’est donc un double effort de recrutement qui sera nécessaire : trouver ces nouveaux combattants et combler les pertes pour tenir les lignes. Cela exigera aussi de la part des Occidentaux, non seulement de continuer à approvisionner l’Ukraine en armes et munitions, mais aussi de trouver les ressources pour totalement équiper les nouvelles recrues.

Dans ce scénario, la création de cette nouvelle armée devra se faire de manière plus rationnelle, en standardisant autant que possible les matériels (aujourd’hui les Ukrainiens mettent en œuvre 19 modèles différents de pièces d’artillerie) afin de faciliter la formation, la maintenance et les chaînes logistiques. Cela se traduira par la fourniture, en nombre, d’un ou deux modèles de chars, de pièces d’artillerie, de véhicules de combat d’infanterie … modernes.
On entend par « moderne » des équipements militaires qui ont une trentaine d’années au maximum ou qui ont été modernisés il y a moins de 30 ans. Mais il faudra aussi la création d’une force aérienne disposant, non pas de quelques dizaines de F-16 –, presque quinquagénaires pour les plus anciens – mais d’au moins 200 avions de combat réellement modernes (EF-2000, Rafale, F-16 Block 50 minimum, Gripen, F-18E, etc.).

Une telle armée totalement équipée et formée arrivant sur le terrain serait, pour le coup, un véritable Game Changer maintenant qu’il est admis qu’aucun missile, avion ou char miracle n’est, à lui seul, en mesure de modifier le rapport de forces. Cela poserait d’énormes problèmes aux troupes russes qui ne pourraient que très difficilement faire face à cet afflux de masse associé à un niveau tactique largement amélioré.
Difficile de dire si cela serait suffisant pour reprendre militairement l’ensemble des territoires conquis par la Russie maintenant qu’elle y est bien retranchée. Pendant ce laps de temps, la Russie aussi en profiterait pour se renforcer, mais cela placerait le gouvernement ukrainien dans une bien meilleure position pour des négociations, surtout que les perspectives de succès russes seraient très amoindries.

Toutefois, un tel schéma est soumis à de nombreuses contraintes. La principale est celle du temps : on estime à 5 ans la durée nécessaire pour créer et équiper une telle armée. Ce serait d’autant plus vrai pour la force aérienne puisqu’il faudrait former de A à Z des recrues sans aucune expérience de pilotage. La qualité de la formation est extrêmement importante : inutile de fournir un matériel de pointe si les utilisateurs ne savent pas l’exploiter correctement.
Il faut également poursuivre le soutien en armes et munitions pendant ces cinq années, tout en prévoyant le matériel et les munitions nécessaires à cette nouvelle armée. Voilà qui demandera aux pays occidentaux, sur une longue période, un effort budgétaire et industriel extrêmement important qui devra s’appuyer sur une volonté politique puissante et durable de soutien à l’Ukraine.
Il y a aussi un risque géopolitique puisqu’un tel effort siphonnerait probablement les capacités budgétaires, industrielles et militaires des pays impliqués, ce qui les rendrait plus vulnérables au cas où une autre crise internationale éclaterait. On en voit déjà les risques avec le Moyen-Orient où les États-Unis doivent « partager » leur aide militaire vers Israël entre l’Ukraine.
Se pose aussi la question de savoir si la population ukrainienne sera en mesure d’accepter encore plusieurs années de sacrifices même si ce scénario offre de réels espoirs de victoire militaire.

Ce cas de figure n’est, à l’heure actuelle, clairement pas le plus probable même si c’est celui qui permettrait au gouvernement ukrainien de se rapprocher le plus de ses objectifs politiques.

Scénario 2 : L’aide occidentale se maintient à peu près au même niveau

L’aide occidentale se maintient dans la durée, sans baisse majeure. Cela permet à l’armée ukrainienne de garder à peu près le même format, à condition d’arriver à recruter pour compenser les pertes. Cela restera sans doute insuffisant pour percer durablement et de manière significative les lignes russes. Dans cette hypothèse, le conflit se prolongera, faisant croître le risque politique interne en Ukraine.
En effet, quelle sera l’acceptabilité d’une guerre à long terme sans perspectives nettes de victoire ?

De plus, la position ukrainienne en vue de négociations ne sera pas améliorée car tout repose sur l’espoir de voir la Russie s’écrouler. En effet, son effondrement politique, ou économique sous l’effet des sanctions et du poids de la guerre, serait de nature à créer des conditions de négociations plus favorables à l’Ukraine.

La réalisation des objectifs politiques de l’Ukraine ne dépend donc pas de ses propres atouts mais de la capacité de la Russie à durer. Si l’effondrement économique et/ou politique russe reste une possibilité largement évoquée, voire prédite par certains, force est de constater que cela ne s’est pas encore produit et que rien ne garantit que cela se produira.

Ce scénario implique aussi que les pays occidentaux fassent un effort substantiel pour produire davantage d’armes et de munitions car il semblerait que les stocks disponibles aient été largement vidés. Or, à ce jour, malgré quelques annonces, les possibilités d’accroître la production industrielle militaire restent modestes et il est possible que cette aide ait du mal à se maintenir au même niveau.
Ainsi, même ce scénario a, pour le moment, une probabilité moyenne de se réaliser.

Scénario 3 : L’aide occidentale s’arrête ou diminue fortement

C’est l’hypothèse qui apparaît aujourd’hui de plus en plus probable et qui ne va certainement pas favoriser la position ukrainienne dans les futures négociations qui s’ouvriront forcément un jour.

Il est évident que cette situation privera assez rapidement l’Ukraine, en quelques semaines ou mois, de toute capacité offensive. Il ne sera plus question de briser les lignes russes. Tout ce que pourra faire l’armée ukrainienne sera de tenir autant que possible la ligne de front et ralentir au maximum toute progression russe en la rendant la plus coûteuse possible en hommes et en matériel.
Si l’armée ukrainienne applique des techniques de guérilla et de guerre asymétrique derrière les lignes russes, elle peut rendre l’avancée et la tenue du terrain impossibles à long terme pour la Russie. Toutefois, si la Russie décide de rester sur une position défensive, cela figera le front durablement et entérinera plus ou moins officiellement ses gains territoriaux.

On notera que, même dans ce cas, la conquête militaire complète de l’Ukraine par la Russie reste hautement improbable, sauf très hypothétique effondrement complet du régime ukrainien. La Russie n’a ni les moyens humains, ni les moyens matériels pour conquérir et surtout tenir un tel territoire.

Là aussi, l’espoir ukrainien résidera uniquement, comme dans le scénario précédent, dans un hypothétique effondrement russe.

La guerre n’est qu’un mode d’action devant produire les conditions politiques souhaitées. En voulant poursuivre le conflit, le président Zelensky fait le pari, qu’à long terme, ces conditions s’amélioreront et lui permettront d’atteindre ses objectifs politiques. Cette stratégie est risquée car, dans aucun des scénarios, l’Ukraine n’est réellement maîtresse de son destin. Celui-ci repose à la fois sur le bon vouloir des Occidentaux et sur l’espoir de voir la Russie s’écrouler, deux paramètres sur lesquels le président ukrainien n’a que (très) peu de prise.

Un opposant à Zelensky propose de concéder à la Russie les territoires qu’elle a conquis au profit d’une adhésion à l’OTAN. Cela garantirait les nouvelles frontières d’une Ukraine, certes rognée, mais qui continuerait à exister dans le camp occidental. Difficile de dire si la Russie pourrait se satisfaire de ce compromis dans la mesure où l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est sans doute le point auquel la Russie est la plus opposée.
Néanmoins, compte tenu de ses pertes importantes (cette guerre lui a déjà coûté cher), les territoires conquis pourraient être présentés par les autorités russes, comme un « glacis » protecteur servant à repousser l’OTAN, leur offrant ainsi une porte de sortie honorable. Il n’est pas certain qu’une telle proposition soit vraiment meilleure que ce qui avait été négocié en mars 2022.

Le plus gros risque pour l’Ukraine, à mesure que la guerre se prolonge, est que les conditions de négociation lui soient de moins en moins favorables.
En rompant les pourparlers en mars 2022, l’Ukraine a peut-être perdu une occasion de sortir de cette guerre sans trop de casse et en gardant pratiquement tous ses territoires, excepté la Crimée. L’avenir nous dira si le pari du président Zelensky [2]aura été payant ou si l’histoire lui fera payer le sacrifice de son peuple pour un objectif qui sera resté hors de portée.


Voir en ligne : https://cf2r.org/actualite/quelles-...


Nous vous proposons cet article afin d’élargir notre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s’arrête aux propos que nous reportons ici.


[2En fait IMPOSÉ par l’Occident !(JP-ANC)

   

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