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Afrique – une deuxième vague de libération ?
mardi 26 mars 2024 par Taher Al-Moez
Un très utile résumé de l’évolution de la situation en Afrique qui prend encore plus d’importance avec les résultats des élections au Sénégal. Même si on peut penser que sa lecture un peu puriste affaiblit tout espoir d’alternative véritable en renvoyant dos à dos tous les acteurs extra-africains, sans nuancer et percevoir l’émergence de dynamiques alternatives possibles à l’échelle mondiale. La question de savoir si la Chine est un pays capitaliste et si la Russie (ou l’Iran ou d’autres ?) sont des puissances capitalistes classiques ou des puissances émergentes contre-hégémoniques dirigées par des bourgeoisies nationales non impérialistes est en effet centrale. Justement sur la question palestinienne, on voit que l’attitude de la Russie et de la Chine envers la résistance palestinienne, dans toutes ses composantes y compris la résistance armée, illustre une différence qui pourrait être révélatrice de cette nécessité de nuancer les approches et de proposer une analyse de classe fine. (BD-ANC)
Introduction.
Le texte étudie les méthodes de l’impérialisme français pour dominer une partie de l’Afrique, depuis le XIXe siècle, avec une tentative de démanteler les étapes et les outils de domination comme modèle de contrôle direct et de relations entre le « centre impérial » et la « périphérie » sous domination, et les méthodes de pillage qui permettent à l’impérialisme d’obtenir le maximum de profit.
Lors des pseudo-indépendances de 1960, la France a imposé le franc CFA, qui a constitué un désastre pour les peuples des États membres et un butin inestimable pour les banques et les entreprises françaises, jusqu’à ce que la rupture se produise à partir du Mali, du Burkina Faso et du Niger, où les coups d’État militaires ont eu un soutien populaire, notamment après le refus de renouveler le mandat des forces militaires françaises.
Les accords de sécurité avec la France et le fait de déclarer les bases militaires américaines au Niger comme illégales a fait échouer les projets de l’impérialisme américain, qui avait tout fait pour étendre son hégémonie sur les anciennes colonies françaises, dans un contexte de compétition entre impérialismes pour le partage des régions du monde, et après la détérioration des relations entre la France, d’une part, le Mali , le Burkina Faso et le Niger d’autre part.
Les États-Unis ont tenté d’occuper l’espace colonial français, depuis le début du 21ème siècle avec le plan militaire « AFRICOM ». Les États-Unis ont renforcé leurs positions dans le nord du Mali, au Burina Faso et notamment au Niger, où les États-Unis disposent de trois bases, d’environ 1 500 soldats et d’une base de drones dans la région d’Agadez.
Les coûts de la réhabilitation de cette base s’élèvent à environ 250 millions $ (selon des déclarations américaines). Ces bases se sont renforcées suite à l’agression et le démantèlement de l’Etat en la Libye, à partir de 2011, sous prétexte de protéger la population civile de Benghazi, et « promouvoir la démocratie et les droits de l’homme en Libye. » C’est un moyen de mieux contrôler la région (Libye, Algérie, etc.).
Coups d’État contre l’hégémonie impérialiste
Après le coup d’État qui a renversé le président Mohamed Bazoum le 26 juillet 2023, la France a tenté d’étrangler le Niger, le Burkina Faso et le Mali, à travers la Communauté ouest-africaine (CEDEAO ). En réponse, la junte militaire du Niger a décidé de dénoncer les accords de coopération conclus avec la France en 1977 et exigé le retrait des forces françaises dont la présence s’était renforcée depuis 2023 sous prétexte de lutte contre le terrorisme. Une nouvelle alliance militaire a été conclue entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso. Les trois pays ont entamé un rapprochement avec la Russie et mis fin au travail de deux missions de sécurité de l’Union européenne.
De leur côté, les États-Unis ont évité une aggravation de la situation, ce qui a permis aux forces américaines de poursuivre leurs opérations dans la région du Sahara et surtout les missions de surveillance et d’espionnage grâce aux drones MALE (basés à Agadez) conçus pour missions de renseignement, de surveillance et de reconnaissance de longue portée, alors que l’armée française quittait le Niger et le Mali.
Cependant, le gouvernement américain a exigé du conseil militaire "la libération du président Mohamed Bazoum et le retour à l’ordre constitutionnel" et le Congrès décide (pour des raisons imposées par le droit américain) de "suspendre l’aide financière" et de réduire de moitié le nombre de soldats et officiers de la base aérienne d’Agadez.
Le colonel Amadou Abdel Rahman, le porte-parole de la junte militaire, a alors annoncé la suspension de l’accord avec les États-Unis - datant de la mi-2012 - et a exigé le retrait des employés militaires et civils du ministère américain de la Guerre travaillant au Niger. Cette décision a été annoncée par la junte militaire quelques jours après l’arrivée d’une délégation américaine à Niamey qui comprend la secrétaire d’État adjointe aux Affaires africaines, Molly Fee, la secrétaire d’État adjointe aux Affaires de sécurité internationale, Celeste Wallander, et le général Michael Langley, chef du commandement militaire américain en Afrique. (AFRICOM).
Le Conseil militaire a annoncé que l’arrivée de cette délégation américaine à Niamey « n’a pas respecté les principes et les pratiques diplomatiques ». Les deux adjointes du ministre des Affaires étrangères sont connues pour leur arrogance, leur impolitesse et leur langage grossier, alors que le commandant de l’AFRICOM est considéré comme un personnage de troisième ordre, ce qui a déplu au conseil militaire, dont le président a rejeté les manifestations de condescendance et de menaces américaines et a refusé de recevoir la délégation.
La cheffe de la délégation américaine a exigé « le retour à la voie démocratique tout en poursuivant la discussion des questions de sécurité et de développement », mais elle a mis en garde contre le développement des relations avec la Russie et l’Iran, selon les médias américains. Le gouvernement nigérien a affirmé « le droit de choisir les partenaires et le type de partenariat qui sert les intérêts du peuple nigérien ».
En revanche, le journal français a publié il y a environ trois mois - début 2024 - le résumé d’une audition à l’Assemblée nationale française, au cours de laquelle le chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhardt, a laissé entendre l’existence de projets de « bases communes entre l’armée française et l’armée américaine dans certaines régions d’Afrique », y compris les régions où la France a perdu ses positions.
Une autre source diplomatique déclare – en mars 2024 - que les discussions ont repris récemment sur ces projets après la détérioration des relations entre certains pays africains (Mali, Niger et Burkina Faso) et la France qui dispose de bases militaires au Sénégal, au Tchad, en Côte d’Ivoire et au Gabon, ainsi que des intérêts économiques stratégiques en Afrique de l’Ouest, où travaillent environ 200 000 Français.
Il faut signaler que la France (et les pays de l’Union européenne ) ferme hermétiquement les frontières pour interdire l’entrée des citoyens africains pour étudier, faire du tourisme, travailler ou rendre visite à leur famille, malgré l’affirmation de l’existence de prétendus « liens historiques et culturels » entre la puissance coloniale (la France) et les peuples africains colonisés.
La création de bases militaires communes (franco-américaines) s’inscrivent dans le cadre des alliances nées avec l’effondrement de l’Union soviétique et lors de la destruction de la Yougoslavie, de l’Iraq (1991), l’Afghanistan, la Libye, la Syrie, le Yémen, la Palestine et l’Ukraine…
Ces bases communes ont plusieurs objectifs, dont celui d’affronter la Russie et la Chine en Afrique. Cependant, la Russie et la Chine n’ont pas organisé - jusqu’à présent - de coups d’État contre les chefs de régimes qui ne servent pas leurs intérêts.
La Chine et la Russie se sont concentrés – jusque là - sur l’exploitation des ressources naturelles, ainsi que les investissements dans l’infrastructure, la construction d’écoles, de centres de santé et de routes ou ponts...
Quant à l’alliance militaire entre la France et les Etats-Unis, elle constitue une agression contre les peuples africains, et l’agression nécessite de la résistance.
Le passage de la France du colonialisme à « l’impérialisme usuraire » entre 1870 et 1945
Dès que le capitalisme est passé de la domination des marchés locaux à la conquête des marchés étrangers, il a commencé à piller directement les terres nouvellement découvertes en expropriant les peuples autochtones, en détruisant la production locale et les rapports de production correspondants. Ce processus s’est intensifié après la répression des révolutions en France.
La bourgeoisie et son appareil d’État - qui occupait de nombreuses régions de la mer des Caraïbes, d’Afrique et d’Amérique du Sud - et son armée ont réussi à écraser la Révolution de 1848 et la Commune de Paris en 1871, parallèlement au développement des bateaux à vapeur et des méthodes de prévention des maladies comme le paludisme, pour faciliter l’installation des colons, l’occupation de vastes territoires à exploiter par les colons sous les auspices de l’armée d’occupation, et ce avant la conférence de Berlin (1886) qui permit aux puissances impériales européennes de se partager le monde en exportant des capitaux sous forme de prêts ou d’obligations (au lieu de production).
Grâce aux colonies et à l’exportation de capitaux, l’impérialisme français a réalisé un excédent commercial et d’énormes profits entre 1870 (l’année de la défaite française face à l’armée prussienne dirigée par Bismarck). et 1914 (début de la Première Guerre mondiale) avant que le capital bancaire (basé sur la relation entre le créancier ou le prêteur et l’emprunteur ) ne domine le capital productif (basé sur la relation entre le vendeur et l’acheteur), la France est devenue un « impérialisme usuraire » qui représentait 20% du total des investissements directs étrangers dans le monde et la deuxième source de capitaux au monde.
C’était l’un des indicateurs du passage de la France du pillage direct et du contrôle des terres (colonialisme traditionnel) à « l’impérialisme usuraire » qui se caractérisait par l’exportation de capitaux financiers, même dans la zone occupée par (ou sous l’influence de ) l’Empire britannique, d’après les faits et documents de l’exposition coloniale de Paris des années 1931 et 1939.
L’adaptation de l’impérialisme français après la Seconde Guerre mondiale
La fin de la Seconde Guerre mondiale a marqué le début du déclin de l’impérialisme français (et britannique), ouvrant la voie à l’ère de l’hégémonie américaine et de son leadership mondial, malgré le renforcement du rôle de l’Union soviétique à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
La France et la Grande-Bretagne (et l’Europe en général) étaient détruites. Les deux pays avaient besoin d’importantes ressources financières pour réaliser la reconstruction de l’infrastructure et de l’appareil productif et tout ce qui avait été détruit par les bombes allemandes et américaines.
La lutte des colonies pour l’indépendance s’est intensifiée après la participation et la mort de dizaines, ou des centaines de milliers des jeunes colonisés à la lutte contre le nazisme.
L’impérialisme français n’a pas tenu ses promesses et l’armée « des résistants français » a tué 45 000 Algériens le 8 mai 1945, jour où l’Europe célébrait sa victoire sur le nazisme. Les soldats français ont tué des centaines de soldats sénégalais démobilisés qui ont survécu à la guerre et réclamaient leurs soldes.
La défaite de l’impérialisme français à Dien Bien Phu (Vietnam 1954) fut un catalyseur de l’expansion des luttes anti-impérialistes et pour l’indépendance. C’était l’époque de la contribution des organisations anti-impérialistes à la fondation du groupe des non-alignés (Conférence de Bandung en Indonésie en 1955), parallèlement aux projets américains de domination de l’Europe (et du monde) à travers le Plan Marshall, la reconstruction de l’Europe, la domination du dollar et la mainmise des Etats-Unis sur les institutions internationales créées à la fin de la guerre (Britten Woods, 1944).
L’hégémonie américaine a affaibli la position internationale de la France (et de la Grande Bretagne) dans le monde et dans les colonies. L’impérialisme français a choisi la solution la plus lucrative : installer dans ses colonies, en 1960, des régimes fantoches qui lui sont subordonnés,
La France a donc créé l’institution du franc CFA dans ses colonies africaines, pour conserver une partie de son influence et de son contrôle exclusif sur l’Afrique de l’Ouest, en liant le franc CFA au franc français puis à l’euro. Ainsi, l’impérialisme français a pu, à travers le Franc CFA, maintenir une ressource importante en matières premières pour le développement de l’industrie moderne en plus d’un vaste marché pour écouler les produits manufacturés et les armes.
Ainsi, l’impérialisme français a maintenu sa position au sein de la division internationale du travail, après la fin de la Seconde Guerre mondiale. ..
Le franc CFA est un instrument de l’hégémonie française
L’indépendance des colonies africaines en 1960 était formelle, car la puissance coloniale française maintenait des bases militaires, ainsi que sa domination culturelle à travers la langue française. L’impérialisme français maintenait sa domination économique à travers le monopole de ses entreprises sur les secteurs de base, les infrastructures et les ressources naturelles telles que le pétrole du Gabon ou du Congo, l’uranium du Niger, l’or du Mali et le cacao de Côte d’Ivoire.
Le Franc CFA assure la domination financière et le contrôle des institutions régionales comme la Communauté ouest-africaine (CEDEAO). L’impérialisme français n’a pas hésité à organiser des coups d’État et à assassiner tout dirigeant qui faisait obstacle à ses projets, comme Thomas Sankara, président du Burkina Faso. Et avant lui les dirigeants de l’UPC au Cameroun et d’autres.
Lorsque la domination du franc CFA était menacée par la création d’une banque africaine de développement et une monnaie africaine unifiée, l’impérialisme français était à l’avant-garde des instigateurs de l’agression contre la Libye, dont le président, Mouammar Kadhafi, préparait un projet pour remplacer le système du franc africain (CFA) par un système basé sur le « franc or » ou le « dinar or » africain qui pourrait menacer l’influence économique et financière française en Afrique, car le système du franc CFA n’était pas seulement une monnaie, mais plutôt un système monétaire institutionnel conçu par l’Etat français afin de maintenir sa domination à travers « l’Union financière africaine » (Bénin, Burkina Faso et Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo) et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Cameroun, Congo, Gabon, Tchad, Guinée équatoriale et République centrafricaine ), en plus de l’Union des Comores amputée de Mayotte par l’impérialisme français en la maintenant sous son contrôle direct.
La France a établi trois banques centrales régionales sous son contrôle : la Banque Centrale pour les pays de l’Afrique de l’Ouest, la Banque des États de l’Afrique Centrale, la Banque Centrale des Comores. Ces banques centrales n’ont aucune indépendance, les échanges entre elles s’effectuant à travers la Banque Centrale française, « garante » des monnaies des trois blocs…"
Le franc CFA repose sur certains piliers, dont les taux de change fixes, le contrôle par la Banque centrale française des réserves de change des États membres et la liberté de circulation des capitaux, c’est-à-dire le contrôle des autorités politiques françaises sur les États membres, dont les plans de développement, les relations économiques avec l’étranger, les revenus, les dépenses, les importations et les exportations ainsi que leur produit intérieur brut reste sous le contrôle de la France, de sorte que la région ouest-africaine reste un marché exclusif pour les produits manufacturés français et un support pour aider le capital français et les entreprises françaises à rester compétitifs sur les marchés internationaux, dans le cadre de la division internationales du travail...
Crise de la dette et programmes de réformes structurelles en Afrique : Avantages pour le « centre » et inconvénients pour les « périphéries »
Les pays africains ont connu une crise de la dette au cours de la dernière décennie du XXe siècle. La France qui pille les ressources, contrôle l’économie et les finances de ces pays n’a apporté aucun soutien financier aux membres de la zone franc CFA. Elle a renoncé à sa promesse d’être le garant du franc CFA et a imposé à ses « partenaires » les programmes « d’ajustement structurel" exigés par le FMI et la Banque mondiale.
La France a imposé une réduction de la valeur du franc CFA de 50%, ce qui a entraîné une inflation de la valeur des dettes libellées en dollars ou en d’autres devises étrangères. Les résultats ont été positifs pour la France et négatif pour ses anciennes colonies, car la France s’approvisionne en marchandises de la zone franc CFA à moitié prix (depuis la dévaluation de 50% du franc CFA) alors que les pays de la zone franc CFA ont été contraints d’importer leur production agricole et industrielle, médicaments et machines en dollars ou autres devises étrangères.
Là par conséquent, il y a eu une baisse significative des revenus des pays africains, de leur population et de leurs travailleurs, due à l’utilisation par la France du franc CFA comme mécanisme pour imposer une déflation des revenus. La contraction des revenus est l’un des mécanismes fondamentaux de l’impérialisme imposé à la structure productive dans les pays du « Sud » (les périphéries), tandis que le taux de profit du capital augmente dans les pays impérialistes (le centre).
La véritable fonction du franc africain est apparue comme une garantie des intérêts français aux dépens de l’Afrique francophone, surtout depuis les années 70 du XXe siècle, lorsque le conflit entre les impérialismes sur la division internationale du travail s’est intensifié (après avoir la fin de l’indexation – décidée lors de la présidence de Richard Nixon - du dollar sur l’or, parallèlement à l’usage exclusif du dollar sur les marchés internationaux des carburants, des céréales et des matières premières. L’impérialisme français a utilisé le franc africain CFA pour perpétuer et renforcer le modèle des échanges inégaux entre le centre et la périphérie et pour cristalliser la division du travail entre la France (le centre) et ses anciennes colonies (la périphérie), dans le but d’accroitre la plus-value soutirée aux anciennes colonies, et d’améliorer la capacité de l’impérialisme français à rivaliser avec d’autres pays impérialistes.
La France régule ainsi les prix de ses importations et exportations avec les pays de la zone CFA sans l’intervention du marché international et sans l’intervention de la loi de l’offre et de la demande (puisque c’est la France qui tire toute les ficelles du mécanisme). Ce qui a permis aux entreprises françaises (et à l’État) d’acheter des matières premières en provenance des pays de la zone CFA à des prix bien inférieurs aux prix du marché international, et vendre la production des entreprises françaises en Afrique à des prix supérieurs de 20% à 30% aux prix du marché international, ce qui permet à la France de réaliser plusieurs objectifs : imposer la dépendance du marché africain, compenser le déficit commercial avec d’autres pays (Allemagne, Japon ou États-Unis), augmenter le taux de rentabilité des entreprises françaises et renforcer la position du capitalisme monopolistique français sur les marchés internationaux...
Le système du franc CFA a créé un certain désaccord avec l’impérialisme américain car le franc CFA est lié au franc français puis à l’euro. C’est un système qui a été conçu dans le but de restreindre le commerce de l’Afrique et de lui éviter d’avoir besoin du dollar américain. Autrement dit, la France a créé une barrière entre les pays qu’elle domine (ses anciennes colonies) et le système mondial dominé par les États-Unis.
La France était le plus grand créancier international des pays africains avec une valeur de 1,125 trillion $ après la Chine (1,343 trillion $). La majeure partie de cette dette a été utilisée pour renforcer les infrastructures, les ports et les routes qui profitent aux entreprises françaises qui monopolisent les marchés africains, dont les produits étaient exportés d’Afrique vers la France.
Plus de 850 mds $ ont été transférés d’Afrique vers des paradis fiscaux entre 1970 et 2008, avec la complicité des dirigeants compradores, en plus des fonds de contrebande qui ne sont pas comptabilisés.
La zone CFA a permis à la France de réaliser une plus-value élevée et lui a permis de maintenir la compétitivité de l’impérialisme français et sa bonne position dans les échanges internationaux. L’inégalité entre le centre français et la périphérie africaine a permis à la France d’avoir une bonne marge de manœuvre face à l’impérialisme américain dans le cadre des conflits inter-impérialistes.
La France a pu – grâce à la surexploitation de l’Afrique – de résister à l’hégémonie du dollar et de maintenir une position politique et économique indépendante sans avoir à collaborer entièrement dans le cadre de l’impérialisme américain… jusqu’à la présidence de Nicolas Sarkozy.
L’investissement de la Chine et d’autres puissances capitalistes en Afrique a conduit à des changements dans l’équilibre des forces entre les puissances capitalistes traditionnelles.
Les coups d’État au Mali, au Burkina Faso et au Niger s’inscrivent dans le cadre de la rébellion contre l’impérialisme français. Ces évènements récents ont créé un nouveau rapport de forces et de nouvelles relations entre les puissances impérialistes entre elles, ainsi qu’avec les dirigeants des coups d’État…
Illustration du déclin de l’influence de l’impérialisme français en Afrique
1. Niger
Les États-Unis ont suspendu leur coopération militaire avec le Niger après le renversement du président Mohamed Bazoum en 2023, mais ils ont maintenu une immense base militaire de drones à Agadez, avec pas moins de 1 200 soldats. Une délégation américaine s’est récemment rendue au Niger et a exprimé « la disposition des États-Unis à reprendre la coopération militaire et à maintenir la base de drones à Agadez ».
C’est une tentative de réparer les dégâts causés lors de sa visite au Niger de la sous-secrétaire d’État américaine aux affaires africaines qui n’a pas pu avoir un entretien avec le chef de la junte militaire. Le porte-parole du conseil militaire a officiellement annoncé la rupture de l’accord de coopération militaire avec les États-Unis, signé en 2012, parce que ce rapport est illégal, donc la présence des forces américaines sur le territoire du Niger est illégale, car c’est un accord imposé unilatéralement.
La dénonciation de l’accord avec les États-Unis constitue une partie d’un ensemble de mesures similaires prises par le Niger à l’égard de la France, avec le départ du dernier soldat français en décembre 2023, dans le cadre de la réorganisation des alliances. Le Niger, le Mali et le Burkina Faso ont quitté l’Organisation de l’Afrique de l’Ouest ( CEDAO) dominée par la France, qui a imposé un blocus aux trois pays... Les trois pays ont annoncé le renforcement de leur alliance pour lutter contre les groupes terroristes et rompre avec l’hégémonie française...
Contexte :
Quelques mois seulement après le retrait de l’armée française de ses anciennes colonies (décembre 2023), les dirigeants nigériens ont annoncé, le 16 mars 2024, suite à la visite d’une délégation américaine dont la cheffe aurait menacé les dirigeants nigériens de représailles en raison du développement des relations avec la Russie et l’Iran – que « la présence des forces américaines est illégale », ce qui pourrait constituer une atteinte au plan de l’armée américaine, qui envisageait d’exploiter la sortie de la France pour accroitre le nombre de ses forces dans la région.
Les Etats-Unis sont contraints de quitter trois bases militaires d’importance stratégique, dont la base de la capitale, Niamey, qui compte 1 200 soldats, et une base dans la ville de « Derko », au nord-est du pays, gérée par la CIA depuis 2016, en plus de l’une des plus grandes bases de drones au monde dans la ville d’Agadez qui accueille aussi d’autres avions dont l’avion de transport C-17. C’est la deuxième plus grande base américaine en Afrique après celle de Djibouti.
Les États-Unis n’ont pas réagi publiquement et n’ont pas publié de communiqué après 48 heures. Suite à cette annonce, la conférence de presse qui devait se tenir le dimanche 17 mars 2024 à l’ambassade américaine à Niamey, la capitale du Niger, a été annulée alors que des manifestants se sont rassemblés le samedi 16 mars 2024 (devant l’ambassade) pour dénoncer l’intervention américaine et exprimer le soutien populaire aux dirigeants de la junte militaire qui a renversé le président Mohamed Bazoum (une marionnette de la France).
Les putschistes bénéficient du soutien populaire et du soutien des syndicats, en raison du ressentiment contre la France, dont le gouvernement a d’abord refusé de retirer ses militaires après la fin ( en août 2023) de la période des accords conclus avec le Niger, puis a été contraint de retirer ses forces entre septembre et décembre 2023.
Les forces des autres pays de l’Union européenne se sont retirées dans la foulée. La France, qui n’a pas réussi à faire pression sur les nouveaux dirigeants du Niger, du Mali et du Burkina Faso, a décréter, à travers les autres dirigeants de l’Afrique de l’ouest, un blocus qui a eu pour conséquence des protestations populaires et le retrait des trois pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest en janvier 2024.
Les médias américains et européens ont également fait état d’un accord secret permettant à l’Iran d’acheter l’uranium du Niger. Le porte-parole du Conseil militaire a démenti cette rumeur, l’assimilant à l’accusation de possession d’armes de destruction massive par l’Iraq pour justifier l’agression américaine.
Les autorités militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont annoncé la formation de la « Coalition des États du Sahel » (septembre 2023) et la construction de relations alternatives avec les pays du groupe BRICS en lieu et place des relations qui existaient avec la France qui a causé beaucoup de tort aux pays du Sahel...
Afrique centrale
La République centrafricaine a perdu sa cohésion en tant qu’État unifié il y a une quinzaine d’années, alors que des groupes armés contrôlent de nombreuses régions du nord, de l’ouest, du centre et de l’est du pays, devenu un État fragmenté, notamment depuis le soulèvement de la « Seleka » en 2017.
L’expression « Séléka » en langue sango signifie « coalition », et était utilisée pour désigner une alliance de groupes de forces rebelles, notamment du nord du pays, dans le but de renverser le gouvernement du Président François Bozizé, soutenu par la France, ancienne puissance coloniale, et a été impliqué tout au long de son mandat – terminé en 2013 – dans un conflit avec les groupes armés dans la région nord du pays.
Avec le départ de Bozizé et l’arrivée des combattants de Séléka dans la capitale Bangui, les gouvernements successifs ont tenté de contrôler les zones entourant la capitale, avec le soutien de l’armée française, qui n’est là que pour défendre les intérêts des banques et des entreprises françaises. Elle est intervenue à sept reprises directement en Centrafrique, entre 1960 et 2013, pour garder le contrôle des richesses et de la position stratégique du pays.
La dernière intervention, en 2013, a été maquillée en « une intervention militaire multinationale » sous le nom de Sangares, et elle a été inefficace. Elle s’est officiellement terminée en 2016, mais le retrait effectif de l’armée française n’a pas eu lieu. Ce n’est que quelques années plus tard, et après la publication d’informations sur l’implication d’officiers de l’armée française dans de nombreux scandales que ce retrait est devenu effectif.
De nombreux groupes armés ont participé à la rébellion de Séléka, avant qu’elle ne se divise en plusieurs groupes, notamment le Front populaire pour la Renaissance de la République centrafricaine, qui a formé un nouvel État connu sous le nom de République du Logone, autour de la ville de Ndele. C’est un modèle pour d’autres groupes qui ont chacun tenté de contrôler une partie du pays, en l’absence d’un État central et d’une armée unifiée, ce qui a poussé des groupes de citoyens et d’anciens militaires à former des milices « anti-machette ».
Tous ces groupes, ainsi que l’armée gouvernementale et l’armée française qui la protège, ont été accusés d’avoir commis des violations des droits de l’homme. Ces accusations ont servi de prétexte au déploiement de la force de maintien de la paix des Nations Unies (MINUSCA). Cela signifie que la fragmentation et l’instabilité continueront pendant des décennies. Au lieu de rétablir la stabilité, la MINUSCA est devenue une faction supplémentaire participant à la guerre civile, en raison de la tentative d’affronter directement les milices, ce qui a provoqué des réactions.
Les soldats de la force des Nations-Unies (MINUSCA) sont accusés de commettre des actes violents, d’exploitation sexuelle et des actes de torture et des violences contre les détenus, les mêmes accusations qui ont également été dirigées contre l’armée française.
Ni les forces françaises ni les forces portant l’insigne des Nations Unies (MINUSCA) n’ont pu avancer dans la résolution du conflit, à cause du soutien interne et externe dont bénéficient les groupes en conflit.
Le gouvernement a alors demandé à la Russie de l’aider (en 2018) avec des conseillers militaires et des armes, ainsi qu’environ 1 500 mercenaires du groupe russe « Wagner » pour récupérer les terres contrôlées par les milices. L’intervention « Wagner » a été efficace, grâce à laquelle la Russie a pu obtenir des concessions dans le domaine des métaux précieux, comme les diamants, et malgré ce que les journaux français et américains ont publié sur les violations commises par le groupe Wagner, les citoyens de la République centrafricaine, mais aussi du Niger, du Burkina Faso et du Mali, considèrent la présence russe comme positive, contrairement à la présence militaire française et américaine, considérée comme négative et indésirable, tout comme les forces des Nations Unies.
Les États-Unis ont proposé au gouvernement de la République Centrafricaine, vers la fin de l’année 2022 (soit environ dix mois après le début de la guerre en Ukraine), un programme de formation de l’armée et l’augmentation de l’aide humanitaire, à condition d’expulser les Russes, mais la République Centrafricaine a été l’un des 32 pays qui se sont abstenus de voter et de condamner la Russie aux Nations Unies.
La fin de l’influence française n’est pas la fin de l’impérialisme
L’impérialisme français, ses entreprises et ses banques ont continué à exercer une grande influence sur les anciennes colonies après la vague d’indépendance formelle de 1960, à travers le franc CFA, à travers le contrôle des ressources, à travers la langue française et les bases militaires. Après plus de six décennies, la situation a changé et l’impérialisme français a commencé à perdre ses positions depuis le début du XXIe siècle.
L’impérialisme américain a tenté de le remplacer.
Après la fermeture stricte des frontières françaises et européennes et le soutien continu des autocrates (dont la plupart étaient des agents installés par la France) et les restrictions imposées à tout ce qui provient d’Afrique, l’opinion publique est devenue ouvertement anti- française.
La situation au Mali, au Niger, au Burkina Faso et en République centrafricaine illustre « l’humeur populaire ». Ces évènements symbolisent un changement dans l’équilibre des forces au niveau international et le début de la fin de l’influence française en Afrique, dans laquelle la Chine a commencé à investir et à exploiter ses ressources depuis plus de vingt ans, sans dicter de conditions politiques.
La Russie élargit son influence en distribuant gratuitement des quantités symboliques de blé. Les pays d’Afrique n’ont pas voté les projets de résolutions américaines ou européennes – contre la Russie – à l’ONU.
Ce sont là des signes de restriction de l’influence militaire et économique française qui a permis à la Russie et la Chine d’exploiter la situation et soutenir les régimes qui les ont sollicités. Ces événements reflètent le lent déclin de l’impérialisme américain et européen et la montée d’autres puissances capitalistes qui ne visent pas à construire un système socialiste ou à des changements fondamentaux dans les relations internationales, mais à remplacer le système capitaliste « unipolaire » par un système capitaliste « multipolaire ».
Cela constituerait une légère transformation qui ne sert pas les intérêts des travailleurs et des peuples opprimés et dominés ou colonisés, comme le peuple palestinien, car le silence complice de la Russie et de la Chine reflète l’image de ce monde multipolaire promu comme une alternative....