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De la révolution...
mercredi 18 septembre 2024 par Pepe Escobar
Alexey Soloviev a publié dans le numéro de juin 2024 du Postil un article très précis sur l’œuvre de Tocqueville, L’Ancien-Régime et la Révolution.
En le lisant et le relisant, les souvenirs de ma lecture de Tocqueville me sont revenus en mémoire. La Révolution française de 1789, c’est loin, mais c’est un modèle inestimable pour ceux qui cherchent une théorie générale des révolutions, capable de nous aider à comprendre la révolution en cours, qui est mondiale, ou si l’on préfère, planétaire, mais qui est aussi française.
Dans les marges de l’article de Soloviev, j’ai noté un certain nombre d’observations, dont ce bref article est la forme étendue. Ce que je propose ici n’est pas, à proprement parler, un commentaire ou une réponse à cet article, mais quelques remarques suggérées par sa lecture. Rien ne semble plus utile qu’une conversation à bâtons rompus sur le sujet le plus actuel qui soit : la révolution.
La faillite et la révolution
Nul ne peut douter qu’une révolution est en train de se préparer en France. Les dépenses de l’État et de l’État-providence dépassent largement les ressources, qu’il est presque impossible d’augmenter significativement par la croissance économique ou la fiscalité. Le seul moyen pour l’État de joindre les deux bouts est de s’endetter de plus en plus, ce qui ne peut être supporté que par des taux d’intérêt très bas, mais surtout par la possibilité d’émettre de la monnaie à l’infini, "à partir de rien", sans inflation significative, grâce au statut de monnaie de réserve de l’euro, lui-même dépendant du crédit allemand.
Si ces facilités devaient cesser, les financiers estiment que la France devrait réduire d’environ un tiers les salaires de ses fonctionnaires, ou en diminuer le nombre, et d’un cinquième les pensions de retraite de chacun. C’est évidemment irréalisable. Rappelons simplement que le président Macron, ayant voulu réformer le système de paiement des retraites, a mis trois ans à le faire, et n’a réussi qu’avec une extrême difficulté à faire voter une loi largement vidée de son contenu, face à l’opposition écrasante de la Nation, loi déjà rendue obsolète par la dégradation de la situation, due à la guerre en Ukraine et à la chute brutale de la démographie.
Ce qui est en réalité un déficit budgétaire et commercial est déguisé en dette, et aurait été purgé il y a trente ans par la dévaluation des monnaies nationales (Lire, Franc français, Peseta, etc.), avant la mise en œuvre des politiques néolibérales (voir, John Kenneth Galbraith, Money : Whence it Came, Where it Went).
Cet artifice, combiné au vieillissement de la population et à la stagnation à long terme des salaires et de la consommation, limite l’inflation au patrimoine des riches, qui semblent ainsi s’enrichir, tandis que les classes moyennes sont de moins en moins en mesure d’accéder à la propriété. La population ne cesse de râler, tout en vivant dans un rêve rose, dans l’ignorance totale de l’état de nos finances.
Les artifices comptables, la nullité du Parlement et la propagande quotidienne d’une presse superficielle et complaisante contribuent à créer l’illusion. Cela dit, la classe dirigeante est bien consciente de la situation, mais préfère ne pas en parler, car personne ne sait quoi faire.
On pense à l’indignation feinte des notables réunis par Louis XVI en 1787, puis en décembre 1788, quand enfin un ministre des Finances courageux leur fait un rapport précis et complet sur la quasi-faillite de l’État. Calonne propose de sortir de l’impasse budgétaire en instaurant un impôt sur les propriétés foncières, jusqu’alors exonérées d’impôt.
Les privilégiés refusent et il démissionne. La lâcheté, l’hypocrisie et l’égoïsme des notables obligent Louis XVI à convoquer les États généraux pour 1789. Aujourd’hui, avant même que la faillite ne soit déclarée, la perte de confiance dans les institutions, l’impuissance des pouvoirs publics, privés de prestige et d’autorité, et la détestation du Président, permettent de prévoir l’énergie de l’onde de choc que déclencherait la révélation du fiasco.
Un scénario "à la grecque" est peu probable en France. Mieux vaut miser sur autre chose.
Ce n’est pas propre à la France, car la situation générale du monde laisse penser que l’Occident sera bientôt contraint de mettre fin à la politique d’endettement indéfini et d’émission de monnaie sans inflation significative. Il ne fait donc aucun doute qu’à l’heure de vérité où les États se déclarent en faillite, non seulement les partis au pouvoir, mais aussi les régimes politiques de l’Occident seront ébranlés, et certains sauteront comme des bouchons de champagne.
L’économie devra être réorganisée. Peut-être aussi le début d’une révolution culturelle. C’est la faillite de l’État qui, ne l’oublions pas, a provoqué la Révolution française. Mais, me direz-vous, pourquoi cela ne pourrait-il pas durer indéfiniment ?
C’est ce que nous allons découvrir, mais pas tout de suite.
Les pages qui précèdent, et celles qui suivent, ont été écrites avant la dissolution de l’assemblée nationale en France par le président macron suite à sa défaite massive aux élections européennes de juin 2024.
Je me suis longuement entretenu avec un brillant directeur financier d’une grande entreprise financière. Il vaut mieux que je résume ici ses excellentes observations :
- "Cette décision de Macron, incomprise et désapprouvée par tous ses soutiens dans la société, abasourdie et consternée, ne s’explique pas en termes d’intérêts, mais relève soit de la psychanalyse existentielle, soit de causes occultes, que nous connaîtrons peut-être un jour. Cela ne fait probablement que retarder d’un mois ou deux son inévitable démission. Il s’est "grillé" aux yeux de tous les gens sérieux. Sur le plan financier, il a considérablement aggravé la situation, bien plus que ses prédécesseurs. Le budget 2025 est irréalisable. Son ego refuse d’être celui qui déclare une faillite qui aurait pu attendre dix ans avant d’arriver à une crise de liquidité.
- Par orgueil, il se suicide politiquement plutôt que d’accepter l’immense humiliation du lendemain. Il est terrifiant de réaliser qu’un homme aussi psychologiquement compliqué détient les codes nucléaires. Il choisit donc de dégoupiller une grenade sur la place publique.
- Le Rassemblement national, s’il arrive au pouvoir, ne résoudra pas le problème, car le problème est insoluble.
- En 1789, il a suffi d’une augmentation raisonnable des impôts et de l’abolition des droits féodaux pour que le problème financier soit résolu. En 2024, les capitaux sont partis à l’étranger. Quelles sont les solutions ?
- Soit on dépossède la classe moyenne et les petites gens en faisant payer un loyer à l’État à tous les propriétaires, ce qui réduira les retraités à la misère ; soit on fait défaut sur la dette publique, et alors pendant trente ans pas un centime ne sera investi en France ; soit on emprisonne la grande bourgeoisie jusqu’à ce qu’elle ait rapatrié son argent, mais dans ce cas, on est parti pour un déchaînement à la 1792 ; soit enfin une autorité respectée émerge, qui ramène l’argent.
- Mais le Rassemblement national n’est manifestement pas à la hauteur. Il va jouer sur la xénophobie sans changer le problème ni le résoudre. Nous allons vers le chaos".
Il semble que le directeur financier ait oublié de mentionner une autre option : une inflation contrôlée et une dévaluation suffisante de l’euro - parce que la majorité des pays de l’UE sont aussi en faillite que la France. Le système de l’euro était censé forcer les pays à être financièrement sages et vertueux. Mais c’est tout le contraire qui s’est produit.
Et le crédit des Allemands a permis aux autres États de s’endetter à l’infini. Il est donc juste et raisonnable de dévaluer cette monnaie plutôt que de ruiner tout un peuple. Ce qui est déjà clair en France, c’est que la bourgeoisie a perdu le pouvoir qu’elle avait réussi à garder depuis 1789, et maintenant les "rentiers" vont devoir payer et les capitaux vont devoir revenir au bercail. Ce qui est difficile, non seulement pour les riches, mais aussi pour les pays émergents. Un nouvel accord international doit être conclu.
Le seul point positif est que l’on peut désormais espérer éviter que les complications psychologiques de Macron ne provoquent une guerre atomique. Ce qui est sûr, c’est que Macron restera dans l’histoire comme l’incompétent orgueilleux dont la névrose a précipité le déclenchement de la nouvelle Révolution française.
Et je reviens à notre sujet initial.
Faillite et privatisation
En 1789, le prince de Talleyrand, alors évêque d’Autun, propose aux États généraux, aujourd’hui Assemblée constituante, la nationalisation des biens du clergé. L’historiographie évite généralement d’expliquer en quoi consistait cette "nationalisation". En quelques mots : "une privatisation à vil prix". Ou en deux mots, une "politique libérale", qui se formulerait aujourd’hui ainsi : suppression de l’enseignement primaire gratuit et suppression des assurances sociales.
En effet, le patrimoine du clergé, essentiellement foncier (dont les revenus étaient, il est vrai, en partie détournés et accaparés par les privilégiés, grâce au système du "profit"), servait néanmoins à financer, outre le culte, l’essentiel des dépenses de santé publique et d’enseignement primaire. [La propriété foncière se répartissait en chiffres ronds comme suit : Forêts : 15 % des terres sont entièrement détenues par la noblesse. Sur le reste des terres cultivées, 20 % appartiennent à la noblesse, 40 % aux roturiers et 40 % à l’Église. Une part importante des revenus de ce capital a été transférée du peuple à la bourgeoisie].
Les conséquences de la nationalisation/privatisation étaient prévisibles. Il a fallu une génération de mise en œuvre des lois scolaires Ferry (après 1885) pour que le taux d’alphabétisation de 1789 soit péniblement rétabli avant la Première Guerre mondiale. (Voir Roger Chartier, Dominique Julia, Marie-Madeleine Compère, L’éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle).
Ces biens fonciers ont servi à l’émission d’une monnaie fiduciaire, les "assignats", un papier-monnaie qui s’est rapidement dévalorisé. C’est grâce à ces moyens de paiement que les biens du clergé sont acquis par la bourgeoisie à un prix très bas. La nationalisation était en fait une privatisation dans des conditions scandaleuses. Voltaire disait de l’éducation populaire : "Si votre cordonnier sait écrire, vous fera-t-il de meilleures chaussures ?" Rousseau, dans un style larmoyant, disait à peu près la même chose.
C’est ce que nous appelons le "progrès".
Mais on aurait pu se demander, hier comme aujourd’hui, pourquoi il n’aurait pas pu se poursuivre indéfiniment. Et pourquoi n’aurait-il pas pu durer plus longtemps ?
Ce qui a déclenché la faillite, c’est le coût astronomique pour la France de la guerre d’indépendance américaine. Au moins, cette guerre a été gagnée.
Guerre, faillite et révolution
Le parallèle entre la guerre d’indépendance américaine, qui a conduit à la Révolution française de 1789, et la guerre ukrainienne, qui conduira à la révolution européenne du XXIe siècle, est susceptible d’émerger.
L’augmentation massive des prix de l’énergie résultant de la guerre en Ukraine détruit la compétitivité des industries européennes et déclenche l’inflation, non seulement sur les biens des riches, mais sur les biens de consommation pour tous. Elle réduit l’assiette fiscale et accroît les déficits. Tant que le privilège du dollar persistera, celui de l’euro se maintiendra, surtout si l’industrie allemande conserve sa force. Mais la guerre en Ukraine ruine avant tout l’industrie allemande. Et le privilège du dollar s’effondre en même temps que la domination occidentale sur le reste du monde.
Pour rétablir l’ordre américain et faire taire les dissidents, une victoire de l’OTAN était nécessaire. Elle aurait ramené les rebelles à la raison, mais il est clair pour tout le monde que la Russie ne peut être vaincue militairement dans cette guerre conventionnelle.
Allons-nous déclencher une apocalypse nucléaire par rage de ne pouvoir maintenir notre hégémonie ? Ce n’est pas forcément l’hypothèse la plus probable - à moins que tous les dirigeants occidentaux soient aussi suicidaires que Macron.
Nous ne sommes pas assez conscients des conséquences prévisibles de la défaite de l’OTAN. Le régime de la démocratie oligarchique survit en Occident parce que les gouvernements peuvent ouvrir leur chéquier dès que le mécontentement dépasse certaines limites. Mais ce crédit indéfini dépend de leur privilège monétaire, qui conditionne leur capacité à financer la supériorité militaire, laquelle garantit la crédibilité de la monnaie. Le privilège du dollar finance l’US Navy, et l’US Navy garantit le privilège du dollar, préservant ainsi l’empire, la pax americana.
Si l’OTAN est vaincue, il n’y aura plus de dollar ni d’empire. Aujourd’hui, l’OTAN est vaincue. [La situation est en effet asymétrique. Pour la Russie (et la Chine), gagner, c’est simplement ne pas perdre, et maintenir son régime et son indépendance. Pour l’OTAN, gagner signifie rétablir l’ordre mondial en ramenant les pays rebelles dans le droit chemin, à commencer par la Russie. Un succès russe, même médiocre, ou un échec partiel, n’équivaut pas à une défaite].
Ainsi, le jour même où commençaient les négociations pour formaliser la défaite ukrainienne, l’Occident était déclaré en faillite. Et la Révolution éclate en France. Et de la France, elle s’est répandue comme une traînée de poudre dans tout l’Occident.
Voilà ce que j’écrivais il y a dix jours.
Aujourd’hui, il semble que la révolution soit déjà en train d’éclater.
Pourquoi en France ?
Parce que c’est comme ça. La France est un pays explosif. Et surtout, c’est le pays dont la structure politique, l’histoire, la culture et la mentalité sont les plus réfractaires à l’assimilation américaine. Celle-ci n’a jamais été acceptée de plein gré. Le protectorat américain a longtemps été tolérable, voire avantageux. Il est devenu politiquement humiliant, militairement dangereux, économiquement ruineux et culturellement monstrueux.
Surtout, l’Amérique ne fait plus peur à personne, pas même à nous. Les tabous tombent. La révolution est mondiale, contre l’Occident postmoderne. L’Europe s’en éloignera ou se laissera entraîner dans la détestation du "ci-devant privilégié". La fin du dollar est en effet l’analogue de l’abolition des droits féodaux. Elle est inéluctable, mais elle coûtera cher aux Européens qui se sont soumis à la logique folle de l’endettement américain.
Là encore, le nationalisme xénophobe est inapte à gérer une telle situation, tout comme les classes politiques serviles actuellement au pouvoir. Alors, pourquoi le président Macron est-il en première ligne dans la guerre en Ukraine ?
Plusieurs explications, y compris psychanalytiques, sont possibles. L’une d’elles est qu’il pressent que l’explosion commencera en France, et qu’il sera sur le premier culbuto. Son idée était de gagner du temps en prolongeant la guerre (et donc en repoussant l’aveu de faillite) jusqu’à la mort du dernier soldat ukrainien. Et il a espéré jusqu’au bout un miracle, une surprise divine, une discorde chez l’ennemi, un coup d’État, etc.
Mais c’est comme un homme d’affaires désespéré qui achète un billet de loterie et espère s’en tirer en gagnant le gros lot. Pourquoi ne le ferait-il pas ? C’est ainsi que, grâce à la mort de la tsarine, Frédéric II de Prusse a gagné la deuxième guerre de Sept Ans qu’il avait perdue.
Le raisonnement précédent est rationnel.
Cependant, il ne faut pas minimiser l’irrationalité de la culture postmoderne. Si un homme peut être une femme, un déficit peut être un excédent, un équilibre des forces son inverse arithmétique, une démocratie peut être un totalitarisme, une défaite une victoire, une censure une liberté et une faillite une fortune.
Laissons de côté tous les faits, ils n’ont aucune incidence sur la question. Ce sont les mots qui comptent.
Jusqu’au jour où ce sera la révolution ?
La démythification
La Révolution française a fait l’objet d’une mythologie qu’il serait sans doute vain d’essayer de dissiper. Mais si je devais la démythifier, pour les happy few, voici comment je la caractériserais :
- Sur le plan économique, il s’agissait d’une politique ultra-libérale, pour les raisons que j’ai déjà évoquées. Sur le plan social, il faut distinguer le subjectif de l’objectif.
- Objectivement, malgré l’abolition des privilèges de la noblesse, c’est une concentration de la propriété privée, un accroissement des inégalités et un transfert à la bourgeoisie du pouvoir longtemps partagé entre elle et la noblesse ;
- Subjectivement, c’est une ivresse du sentiment d’égalité due à l’abaissement des privilégiés.
- Sur le plan politique, la monarchie des Bourbons est remplacée par une succession chaotique de régimes bourgeois, certains dictatoriaux, d’autres plutôt faibles, mais tous aussi instables les uns que les autres. Leur point commun est le maintien du pouvoir de l’État jacobin centralisateur.
Le jacobinisme n’était, comme l’a bien montré Tocqueville, que la continuation républicaine rousseauiste de la monarchie absolue hobbesienne. J’ajouterai que cette dernière était la projection politique d’un certain rationalisme cartésien, auquel la langue française peut parfois être accueillante. Cet étatisme jacobin, contrôlé par la bourgeoisie, laissait à cette dernière les coudées franches.
[Cette bourgeoisie, avant d’être largement américanisée dans la dernière génération, était libérale-jacobine, mais trouvait plus commode d’utiliser la puissance de l’État pour maintenir les avantages d’une économie libérale, voir à ce sujetBeau de Loménie, Les Responsabilités des dynasties bourgeoises].
Sur le plan culturel, c’est le remplacement partiel de la religion catholique par la philosophie des Lumières. En France, ce qu’on appelle la laïcité, c’est l’existence d’une religion établie, une religion d’État philosophique, peu tolérante, dont les plus fervents croyants se réunissent discrètement dans une association philanthropique bien connue.
Seul Maximilien de Robespierre a tenté de transformer le culte ésotérique de la déesse Raison en religion civile. De Gaulle, réaliste, finit par résoudre le problème par une sorte de restauration républicaine de la monarchie, ou de stabilisation monarchique de la République. Dans son esprit, la bourgeoisie devait redevenir une aristocratie contrôlée, au service de l’État et de la Nation.
La bourgeoisie, sans doute, n’a pas apprécié. Mais cela n’a pas duré, surtout compte tenu des conditions extérieures. La bourgeoisie est ainsi devenue une aristocratie privilégiée à part entière, et a rejoint ses congénères de tout l’Occident dans une réaction aristocratique baptisée "néo-libérale".
Les monarques républicains de la Vème République, longtemps à contrecœur, puis avec enthousiasme à partir de Macron, ont soutenu cette réaction des "privilégiés".
Chateaubriand disait : "Plutôt la République que les Orléans". [Les Orléans étaient la branche cadette et libérale de la dynastie des Bourbons. Cependant, le nom de "Bourbons" est généralement réservé à la branche aînée, plus conservatrice]. C’est très français : la monarchie, en France, doit être démocratique (populaire, égalitaire, abaissant les féodaux). Si, au contraire, elle sert une réaction aristocratique, alors le peuple français préfère encore la République.
Son caractère étant ce qu’il est, la République parlementaire ou libérale ne fonctionne pas. Mais si la monarchie est aristocratique, le roi finit par être exilé ou guillotiné. C’est dire si la soumission de la France au modèle anglo-saxon est violente.
Privilèges et révolution
L’effet le plus certain et le plus justifié de la Révolution est l’abolition des privilèges de la noblesse. Et il serait trop cynique, mais pas absolument inexact, de dire simplement qu’ils ont été remplacés par les privilèges de la bourgeoisie.
Les "privilèges" de la noblesse consistaient en
- (a) l’exemption du paiement de l’impôt principal, la "taille", (
- b) l’accès privilégié ou exclusif à certaines fonctions, notamment militaires,
- (c) le droit de lever des impôts locaux, les "droits féodaux".
Ces privilèges ont fait l’objet d’abus. La faiblesse des revenus de l’État est principalement due à cette exemption et, à en juger par le désastre qui s’ensuivit pour eux, les privilégiés ont été particulièrement imprévoyants en s’obstinant à refuser l’égalité devant l’impôt.
Les rois, désabusés depuis longtemps par l’incapacité de la noblesse à éduquer sérieusement ses enfants, recrutent leurs meilleurs fonctionnaires dans la bourgeoisie, qui estime qu’il ne suffit pas de se donner la peine de naître.
Malheureusement, l’ambition des familles bourgeoises qui entrent au service du Roi est d’être anoblies. L’accès privilégié au métier d’officier aurait pu être plus défendable, mais après les deux désastreuses guerres de Sept Ans sous le règne de Louis XV, le peuple avait perdu confiance dans les compétences militaires de la noblesse, qui avaient longtemps assuré la pérennité de l’institution.
Traduction Victoire Bech (ANC)