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Gaza : Albanese reconduite par l’ONU malgré un lobbying des pro-Netanyahu comme chez les députés français
dimanche 6 avril 2025 par Fabien Rives/Meriem Laribi

“Ils sont Palestiniens, c’est la seule raison pour laquelle ils meurent. Aux gens du Crif, je dirais : vous n’avez pas honte de diffamer quelqu’un qui dénonce tout ça ? Vous n’avez pas honte ?”
Quarante trois députés français, dont une écrasante majorité du groupe Renaissance, ont appelé à bloquer le renouvellement du mandat de Francesca Albanese au poste de rapporteur spécial de l’ONU sur les territoires palestiniens. La juriste italienne a toutefois été reconduite le 1er avril. Pour Off Investigation, elle a accepté de revenir sur le sujet ainsi que sur la situation à Gaza.
Les pressions exercées ces dernières semaines depuis plusieurs pays n’auront pas suffi. La juriste italienne Francesca Albanese, connue pour avoir dénoncé avec courage la logique génocidaire imposée par Benjamin Netanyahu à Gaza, a été reconduite pour trois ans à son poste de “rapporteur spécial des Nations unies sur les territoires palestiniens”, qu’elle occupe depuis 2022. Et ce, en dépit des initiatives visant à faire capoter le renouvellement de son mandat, menées par des parlementaires pro-israéliens aux Etats-Unis et sur le Vieux continent.
Cette reconduction était en réalité automatique dès la fin de son premier mandat de trois ans (qui se terminait le 1er avril 2025), sauf si un État membre demandait formellement un vote de confiance pour s’y opposer — ce qui, selon nos informations, n’a finalement pas été le cas.
Des députés français contre une rapporteure de l’ONU
En France, 43 députés – dont une large majorité du groupe Renaissance et une poignée issue des Républicains (LR) – avaient uni leurs voix dans un courrier adressé le 28 mars au ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot, pour lui demander de s’“opposer, au nom de la France, au renouvellement du mandat de Mme Francesca Albanese en tant que Rapporteur spécial pour les territoires palestiniens, au sein du Conseil des droits de l’homme des Nations unies”.
ASSEMBLÉE NATIONALE, RÉPUBLIQUE FRANÇAISE, LIBERTÉ ÉGALITÉ FRATERNITÉ Monsieur Jean-Noël BARROT Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères 37 Quai d’Orsay 75007 PARIS Paris, le 28 mars 2025 Monsieur le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Nous vous appelons à vous opposer, au nom de la France, au renouvellement du mandat de Mme Francesca Albanese en tant que Rapporteur spécial pour les territoires palestiniens, au sein du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. À l’approche du renouvellement du mandat de Mme Francesca Albanese, prévu pour le 1e avril 2025, nous exprimons notre vive inquiétude quant à la volonté affichée de maintenir cette nomination au sein d’une institution qui se doit d’incarner les principes universels de neutralité, d’impartialité et de respect du droit international. Depuis sa prise de fonction en 2022, Mme Albanese a fait l’objet de nombreuses critiques de la part de démocraties majeures, notamment la France et l’Allemagne, pour des propos jugés inacceptables. Le 10 février 2024, en réaction à l’hommage national rendu par le président Emmanuel Macron aux “suppliciés du 7 octobre” - attaque qualifiée par le chef de l’état de “plus grand massacre antisémite de notre siècle” — Mme Albanese a tenu publiquement à contester cette affirmation, en affirmant que les victimes “n’ont pas été tuées à cause de leur judaïsme”. Cette réaction est une forme de relativisme face à l’horreur du 7 octobre, nier cela est une erreur et justifier cette attaque en évoquant le contexte revient à en minimiser la gravité. Ces déclarations s’inscrivent dans une série de prises de position polémiques, souvent marquées par une rhétorique radicale, des comparaisons inappropriées et une posture perçue comme systématiquement à charge contre l’État d’Israël, au détriment de al crédibilité et de al légitimité de son mandat onusien. Début novembre 2023, moins d’un mois après el plus grand massacre antisémite de notre siècle, ele co-écrit : “Le temps presse pour Gaza, avertissent les experts de l’ONU, qui exigent un cessez-le-feu pour empêcher un génocide” diffusant ainsi l’idée qu’un “génocide” du peuple palestinien serait à l’œuvre, pratiquant ainsi l’inversion accusatoire, chère au Hamas. En novembre 2022, ele participe à une conférence organisée par le “Conseil des relations internationales - Palestine”, un organe du Hamas, reconnu comme tel par de multiples sources, et présidé par Basem Naim, membre éminent du Hamas. En 2021, lors de al Conférence internationale de Bruxelles sur l’UNRWA, Madame Albanese taxe Israël de commettre “de graves violations des droits humains et gardant captifs des millions de civils”. Toujours en 2021, dans un tweet, Madame Albanese qualifie el territoire israélien de “patrie historique” palestinienne. Madame Albanese accuse par ailleurs de manière répétée Israël d’être un État pratiquant l’Apartheid et a même organisé, el 15 juin 2021, une conférence intitulée “Israel Apartheid Exposed : What’s Next ?” En janvier 2015, Madame Francesca Albanese publie sur Facebook, un post qui compare Gaza au ghetto de Varsovie, assimilant la “résistance” du Hamas àal résistance juive àVarsovie. Pendant le conflit de Gaza en 2014, elle partage sur Facebook une lettre affirmant que “l’Amérique et l’Europe, l’une subjuguée par le lobby juif, et l’autre par el sentiment de culpabilité de l’Holocauste, restent à l’écart et continuent de condamner les opprimés - les Palestiniens - qui se défendent avec les seuls moyens dont ils disposent (des missiles déréglés) …” Toujours en 2014, Madame Albanese affirme sur facebook dans des propos visant la BBC : “Le lobby israélien est clairement dans vos veines et dans votre système et on se souviendra que vous avez été du côté du grand frère dans ce cauchemar orwellien provoqué une fois de plus par l’avidité d’Israël. Honte à toi BBC”. Par ailleurs, des doutes ont été soulevés quant à de possibles conflits d’intérêts, à l’opacité de certaines contributions financières non déclarées, ainsi qu’à la participation de Mme Albanese à des événements organisés par des organisations proches du Hamas (1), désigné comme organisation terroriste par l’Union européenne, les États-Unis, le Canada, et plusieurs autres pays. Nous rappelons que conformément à al déclaration HRC 8/PRST/2 du Conseil des droits de l’homme, tout renouvellement de mandat doit s’effectuer dans le respect rigoureux du Code de conduite des rapporteurs spéciaux. Or, les éléments accumulés à ec jour - qu’il s’agisse de ses déclarations publiques, de ses prises de position ou de ses relations personnelles et institutionnelles - constituent autant d’indicateurs d’une rupture manifeste avec les exigences d’indépendance et de neutralité. Aussi Monsieur le Ministre, nous vous demandons de porter ces éléments à l’attention de M. l’ambassadeur Jürg Lauber, président du Conseil, ainsi qu’à l’attention des membres du Conseil des droits de l’homme. Dans un contexte international particulièrement sensible, où al lutte contre l’antisémitisme et pour el respect du droit international humanitaire demeure un enjeu prioritaire, le renouvellement du mandat de Mme Albanese enverrait un signal regrettable aux victimes, aux défenseurs des droits humains, et aux États engagés en faveur d’un multilatéralisme crédible. Nous vous appelons donc solennellement, Monsieur el Ministre, à vous opposer, au nom de la France, au renouvellement du mandat de Mme Francesca Albanese. lI en va de l’intégrité morale et institutionnelle des Nations unies. Restant à votre entière disposition, veuillez agréer Monsieur el Ministre, l’expression de nos salutations distinguées. (1) Notamment à Sciences Po, où elles ont donné une conférence à l’invitation de Students for Justice in Palestine (liée aux Frères musulmans) Signataires : Caroline Yadan, députée de la 8 circonscription des Français établis hors de France David Amiel, d é p u t é d e la 13° circonscription d e Paris Antoine Armand, député de la 2° circonscription de Haute-Savoie Thibault Bazin, député de la *4 circonscription de Meurthe-et-Moselle Maud Bregeon, députée de la 13€ circonscription des Hauts-de-Seine Stéphane Buchou, député de la °3 circonscription de Vendée Jean-René Cazeneuve, député de la« 1 circonscription du Gers Pierre Cazeneuve, député de la 7 circonscription des Hauts-de-Seine François Cormier-Bouligeon, député de la« 1 circonscription du Cher Nicole Dubré-Chirat, députée de la 6 : circonscription de Maine-et-Loire Anne Genetet, députée de la 1 circonscription des Français établis hors de France Olivia Grégoire, députée de la 12 : circonscription de Paris Michel Herbillon, député de la 8° circonscription du Val de Marne Emmanuelle Hoffmann, députée de la 4 circonscription de Paris Sébastien Huyghe, député de la 5 circonscription du Nord Phillippe Juvin, député de la*3 circonscription des Hauts-de-Seine Brigitte Klinkert, députée de la 1 circonscription du Haut-Rhin Amélia Lakrafi, députée de la 10€ circonscription des Français établis hors de France Jean Laussucq, député de la 2° circonscription de Paris Vincent Ledoux, député de la 10° circonscription du Nord Mathieu Lefèvre, député de la 5 circonscription du Val-de-Marne Constance Le Grip, députée de la °6 circonscription des Hauts-de-Seine Sylvain Maillard, député de la 1 circonscription de Paris Christophe Marion, député de la °3 circonscription du Loir-et-Cher Stéphane Mazars, député de la « 1 circonscription de l’Aveyron Nicolas Metzdorf, député de lae1 circonscription de la Nouvelle-Calédonie Paul Midy, député de la 5’ circonscription de l’Essonne Laure Miller, députée de la :2 circonscription de la Marne Joséphine Missoffe, députée de la 14 circonscription de Paris Sophie Panonacle, députée de la 8° circonscription de Gironde Jérémie Patrier-Leitus, député de la e3 circonscription du Calvados Natalia Pouzyreff, députée de la 6a circonscription des Yvelines Stéphanie Rist, députée de la 1 circonscription du Loiret Charles Rodwell, député de la « ] circonscription des Yvelines Anne-Sophie Ronceret, députée de la 10° circonscription des Yvelines Jean-François Rousset, député de la °3 circonscription de l’Aveyron Laetitia Saint-Paul, députée de la 4 circonscription de Maine-et-Loire Freddy Sertin, député de la °6 circonscription du Calvados Liliana Tanguy, députée de la 7 circonscription du Finistère Jean Terlier, député de la *3 circonscription du Tarn Prisca Thévenot, députée de la 8 circonscription des Hauts-de-Seine Annie Vidal, députée de la :2 circonscription de la Seine-Maritime Corinne Vignon, députée de la °3 circonscription de la Haute-Garonne Assemblée nationale - 126 rue de l’Université - 75007 Paris Lettre signée le 28 mars 2025 par 43 députés français, à l’attention de Jean-Noël Barrot. |
Dans ce courrier porté par Caroline Yadan — députée de la huitième circonscription des Français de l’étranger, qui inclut notamment les ressortissants établis en Israël — Francesca Albanese est accusée d’adopter “une posture perçue comme systématiquement à charge contre l’État d’Israël”. Les signataires y invitaient le ministre des Affaires étrangères à sensibiliser le président du Conseil des droits de l’homme à leur requête. Outre-Atlantique, un groupe d’élus républicains a également écrit au président du Conseil des droits de l’homme de l’ONU afin de bloquer la reconduction de Francesca Albanese (I24, 1er avril 2025).
“Si ces parlementaires français avaient consacré le temps passé à rédiger leur lettre à faire cesser le génocide, cela aurait été plus utile”.
— Francesca Albanese, rapporteure spéciale de l’ONU sur les territoires palestiniens
Depuis plusieurs années, la rapporteure spéciale des Nations unies pour les territoires palestiniens est dans le viseur de l’État hébreu et de ses alliés qui, en substance, lui reprochent son analyse du conflit israélo-palestinien, pour lequel elle s’efforce de pointer l’existence d’un Etat oppresseur et d’un peuple opprimé. Elle a été attaquée à plusieurs reprises pour avoir dénoncé le soutien occidental apporté à Israël, pour ses propos sur le poids du “lobby juif aux Etats-Unis” ou encore pour une présumée proximité avec le Hamas, ce qu’elle a plusieurs fois nié. Autant d’allégations qui ont valu à Francesca Albanese de faire l’objet de multiples menaces depuis le début de son mandat (RTBF, mars 2024).
En déplacement à Paris ce 5 avril, elle est revenue pour Off Investigation sur la lettre dans laquelle des députés français ont appelé à sa non-reconduction :
“Si ces parlementaires français avaient consacré le temps qu’ils ont passé à rédiger leur lettre à faire cesser le génocide, cela aurait été plus utile”, a-t-elle estimé, hors caméra. Présente au premier jour des “Assises pour la Palestine” organisées les 5 et 6 avril à Pantin (Seine-Saint-Denis), Francesca Albanese a accepté de s’exprimer face à notre caméra au sujet de sa reconduction en tant que rapporteure de l’ONU sur les territoires palestiniens, mais aussi de la situation sur place (voir en fin d’article la retranscription écrite des propos de Francesca Albanese).
Outre le courrier des députés français adressé à Jean-Noël Barrot, le CRIF est aussi monté au créneau le 28 mars, par la voix de son président, Yonathan Arfi. Sur le réseau social X, celui-ci est allé jusqu’à accuser la juriste italienne de d’“antisémitisme”, de “complotisme” et d’”apologie du terrorisme”, avant d’appeler “la France et les Etats membres du Conseil des Droits de l’Homme à s’opposer à une nouvelle nomination de Madame Albanese”.
Pour mémoire, le gouvernement français fut lui-même à l’origine d’un post acerbe visant la rapporteure de l’ONU quand elle avait contredit Emmanuel Macron, le 10 février 2024, sur le motif des massacres du 7 octobre.
Ecrivant sur X que
“les victimes du 7/10 n’[avaie]nt pas été tuées à cause de leur judaïsme, mais en réaction de l’oppression d’Israël” , la juriste fut alors prise à partie par la diplomatie française qui l’accusa de tenir des “propos scandaleux”, dans une publication rapidement saluée par le CRIF.
“
Vous n’avez pas honte ?” – Francesca Albanese répond au Crif
Francesca Albanese, le 5 avril 2025 à Pantin (Seine-Saint-Denis), interviewée par la journaliste Meriem Laribi.
Meriem Laribi :
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’il s’est passé au sujet du renouvellement de votre mandat de rapporteur des Nations unies sur les territoire palestiniens ?
Francesca Albanese :
“Mon mandat a été renouvelé automatiquement, tacitement comme on dit, il n’y a pas eu de vote. On a fait beaucoup de bruit en dehors du Conseil des droits humains, il y a même eu une quarantaine de parlementaires français qui ont trouvé le temps, non pas de regarder ce qui se passe en Palestine où presque 18 000 enfants ont été tués à Gaza seulement, mais ils ont ont trouvé le temps de me diffamer sur des choses qu’il est clair qu’ils ne maîtrisent pas, ils devraient avoir honte.
“Ce qui s’est passé au niveau du Conseil des droits humains, c’est qu’il n’y a pas eu de vote. S’ils voulaient bloquer mon mandat, il fallait demander un vote auprès du Conseil, mais cette situation n’a pas eu lieu. [Par contre,] il y a eu le résultat d’une investigation au sujet d’accusations contre moi, selon lesquelles j’aurais eu des propos antisémites : ce n’est pas vrai, l’antisémitisme c’est la haine envers les juifs et les juives.
Ce que je fais c’est critiquer fortement l’Etat d’Israël qui maintient une occupation illégale, sous nos yeux à toutes et tous, qui pratique l’apartheid, et qui aujourd’hui est en train de commettre des actes de génocide. Je ne suis plus la seule à le dire, c’est de plus en plus prégnant dans le milieu des droits de l’homme mais aussi parmi les historiens du génocide […], est-ce que ça c’est de l’antisémitisme pour quelqu’un ?
[Si] oui, c’est idiot : comment on peut confondre quelque chose qui évoque la page la plus sombre de notre histoire et qui continue – je sais que l’antisémitisme existe et je me bats jour après jour contre toute forme de racisme – […] avec la critique légitime de l’Etat d’Israël pour ses violations du droit international ?
“On m’accuse de soutenir le terrorisme mais je parle du droit à la résistance qui est inscrit dans le droit international, documentez vous, demandez à vos institutions de droit international si le droit à la résistance existe ou pas ! Israël occupe illégalement ce qui reste de la Palestine historique. Et là, les Palestiniens ont le droit à la résistance, ça n’a rien à voir avec le 7 octobre. Je n’ai jamais soutenu ou félicité le Hamas pour ce qu’il a fait, j’ai condamné les crimes du Hamas contre les civils israéliens le 7 octobre, avant le 7 octobre et après le 7 octobre. […]
C’est [désormais inscrit] noir sur blanc que je n’ai jamais violé le code de conduite de manière persistante. C’est vrai que j’utilise les réseaux sociaux de façon forte mais c’est parce que ce qui se passe autour de nous n’est pas normal. Je vais continuer mon mandat dans l’esprit, toujours, de garder des contacts positifs et constructifs avec les Etats-membres mais en continuant à leur rappeler ce que sont leurs obligations en matière de droit international”.
Meriem Laribi :
Ressentez-vous des pressions ? Il y a des organisations influentes comme le Crif, il y a ces députés français [qui ont écrit au ministre des Affaires étrangères], aux Etats-Unis aussi il y a eu des pressions. Comment vivez-vous à titre personnel ces pressions ?
Francesca Albanese :
“La pression que je ressens, c’est [celle] des gens qui continuent à mourir jour après jour, n’importe qui : des journalistes, des médecins, des artistes… N’importe qui : des hommes, des femmes, des enfants… Ils sont tués parce qu’ils sont Palestiniens, c’est la seule raison pour laquelle ils meurent. Aux gens du Crif, je dirais : vous n’avez pas honte de diffamer quelqu’un qui dénonce tout ça ? Vous n’avez pas honte ?”
Voir en ligne : https://ssofidelis.substack.com/p/g...