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À propos du réseau de soutien au Hezbollah a été démantelé en Europe
mardi 15 avril 2025 par Philippe Arnaud, AMD Tours

Ce 14 avril, au journal de 20 h de France 2, à 23 mn 34 s, la présentatrice Anne-Sophie Lapix entamait ainsi un nouveau sujet : "Un réseau de soutien au Hezbollah a été démantelé en Europe et plus particulièrement en Espagne, à Barcelone. Les hommes interpellés envoyaient au Liban des éléments pour fabriquer des drones tueurs destinés à s’abattre sur le nord d’Israël. Arnaud Miguet et Cyril Théophilos." [ci-après A.M. et C.T.]
A. M. et C. T. "L’Europe en général et l’Espagne en particulier seraient-elles des bases arrière du Hezbollah ? A Barcelone, les coups de filet visant des membres du mouvement chiite libanais se multiplient. Comme ici, au début du mois. Trois hommes sont interpellés, soupçonnés de travailler pour le groupe terroriste. Ces derniers mois, dans le même appartement, interpellations et perquisitions. Les enquêteurs suspectent ces hommes d’acheter des éléments pour fabriquer des drones tueurs. Traduction, par une voix féminine, d’une déclaration en anglais : "Ils utilisent des sociétés-écrans ou de fausses compagnies pour se procurer des composants et des pièces qui sont ensuite livrées clandestinement au Liban." A. M. "Le Liban, où des drones comme ceux-ci sont assemblés. Et le Hezbollah aime à montrer, avec ces images de propagande, qu’il en possède et les utilise contre Israël, pour surveiller l’ennemi ou le cibler. Depuis neuf mois, en plus de l’Espagne, des arrestations en Allemagne, eu Royaume-Uni, en France, pour ce commerce de pièces de drones qui partent au Liban par la mer. Car le Hezbollah peut de moins en moins compter sur son proche allié, qui l’équipait jusqu’à présent." Raphaël Jérusalmy, ex-officier des renseignements militaires israéliens. "Alors, pendant un certain temps, c’étaient les Iraniens qui fournissaient au Hezbollah, au Hamas, et autres, des drones, mais ils semblerait qu’il y ait un ralentissement des la production iranienne..." Arnaud Miguet : "Le régime des mollahs affaibli, le Hezbollah se tourne vers l’Europe pour s’équiper. Une opération européenne anti-terroriste pour démanteler ce réseau logistique du Hezbollah a permis aux enquêteurs de déterminer que des centaines de drones ont pu ainsi être assemblés et certains frapper Israël". |
Remarque 1. Le vocabulaire utilisé pour parler du Hezbollah appartient au registre de la police et de la justice : on y parle d’un "réseau de soutien", comme on parlerait d’un "réseau de prostitution" ou d’un "réseau de trafiquants de drogue". Ce réseau est "démantelé" (verbe qui apparaît à deux reprises et qui évoque le succès d’une opération policière). Les termes de "sociétés-écrans" ou de "fausses compagnies" rappellent, pour leur part, des arnaques à la consommation ou des filières d’évasion fiscale, donc des activités illicites. Et pour souligner le côté illicite, il y a l’adverbe "clandestinement", ce qui, chez des sympathisants LR ou RN, amène le terme "clandestins", donc l’image de hordes de migrants syriens, albanais, kosovars, éthiopiens, guinéens, pakistanais, afghans... qui viennent en France vivre aux crochets de la Sécu et violer les femmes.
Remarque 2. Mais ces activités ne sont pas seulement illicites, elles sont aussi criminelles. Car les drones en question ne servent pas (comme dans les pays "civilisés"...) à prendre des photos pour office de tourisme, ou à repérer les chenilles processionnaires. Ce sont des drones qui servent d’abord à "cibler". Or, avec quoi cible-t-on ? Avec une arme à feu, avec un fusil, avec un canon, avec un obusier, avec un lance-roquettes à tubes multiples, avec un avion. Et on insiste, pour le cas où le message ne serait pas assez explicite : ce sont des "drones-tueurs" (deux occurrences), destinés à "s’abattre sur le nord d’Israël", à "frapper Israël", etc.
Remarque 3. Enfin, pour ceux qui n’auraient pas saisi de quel côté penche France 2 dans l’actuel conflit au Proche-Orient, le terme terroriste vient à deux reprises pour qualifier le Hezbollah : "groupe terroriste", "opération anti-terroriste". Ce groupe ne procède pas à des opérations de communication ou à des déclarations officielles ou autorisées, mais à des opérations de propagande. Et il a des bases arrière (comme le FLN algérien, de 1954 à 1962, possédait des bases arrière en Tunisie, ce qui déclencha le bombardement meurtrier de l’aviation française, de Sakiet Sidi Youssef, en 1958 - 70 morts, 148 blessés). Cette évocation de bases arrière ne peut qu’éveiller des souvenirs chez tous les adhérents d’extrême-droite, pour lesquels la guerre d’Algérie est encore un souvenir cuisant. [On rappellera à cet égard, que le Hezbollah n’est pas plus "terroriste" que ne l’étaient, en 1942-1945, les FTP et FFI. Le Hezbollah est, d’abord, un mouvement politique libanais, né comme mouvement de résistance à l’occupation israélienne du Liban de 1982 à 2000].
Remarque 4. L’Iran, enfin, n’est pas qualifié de son nom officiel (République islamique), ou même plus sobrement, "d’Iran", mais, de façon très péjorative, de "régime des mollahs". Comme, à l’époque de la guerre froide, l’URSS était qualifié de "régime des Soviets". Et, ce qui est encore plus frappant, c’est qu’est appelé comme expert des armements, pour donner son avis, un ex-officier de renseignement israélien, c’est-à-dire le représentant d’un des belligérants ! Imagine-t-on France 2 solliciter l’avis d’un responsable des Houthis du Yémen, ou des Gardiens de la Révolution iranien ?
Remarque 5. En quoi cette présentation pose-t-elle problème ?
Elle pose problème en ce que la France, dans le conflit au Proche-Orient (entre Israël, d’une part et les Palestiniens, les Libanais, les Syriens, les Yéménites, les Iraniens... d’autre part) n’est nullement partie prenante. Ou même n’est pas censée pencher pour un camp. Or, au contraire, tout se passe comme si, inconsciemment, France 2 prenait position pour Israël et contre ses adversaires, et ce, sans même s’en rendre compte. Cela me rappelle mon étonnement lorsque, en 1964, j’avais lu ce que L’Humanité disait de la guerre du Vietnam. En effet, à cette époque, je ne lisais que ce qu’en disait La Montagne (journal de Clermont et de Montluçon), seul journal de mes grands-parents. Dans ce journal, en effet, le FLN sud-vietnamien (nommé péjorativement Vietcong) était présenté comme tendant des embuscades, lançant des roquettes sur les bases américaines, tuant des fonctionnaires du gouvernement de Saïgon, bref n’étant qu’un fauteur de troubles, auxquels l’armée américaine allait mettre bon ordre.
Remarque 6. Elle pose aussi problème en ce que les jugements de valeur négatifs sont complètement absents lorsqu’il s’agit de parler des Israéliens. On montre ainsi, sans commentaires, les films des avions israéliens, ciblant des bâtiments palestiniens ou libanais, et les explosions spectaculaires qui s’ensuivent. Ou bien les remarques louangeuses, extasiées, lorsque, en septembre 2024, les services secrets israéliens piégèrent des centaines de bipeurs et de talkies-walkies du Hezbollah, occasionnant 42 morts et 3500 blessés, estropiés, aveuglés, infirmes à vie, parmi lesquels nombre de civils, de femmes et d’enfants.
Remarque 7. Cette identification à l’armée américaine, et ce parti-pris anti FLN sud-vietnamien étaient sans doute d’autant plus spontanés, plus inconscients, que la guerre d’Algérie était achevée depuis à peine plus de deux ans, et que, pour la population française, le FLN sud-vietnamien ne pouvait qu’évoquer le FLN algérien, avec ses attentats dans les cafés d’Alger, ses soldats français tués, etc. A l’époque, on en était encore en plein dans ce que l’anthropologue Michel Agier appelle l’infra-pensée raciste, dont nous ne sommes toujours pas sortis, à preuve la tonalité générale des médias français lorsqu’ils traitent du Hamas, du Hezbollah, des Houthis, de l’Iran, de l’Algérie, de la Corée du Nord, de Cuba ou du Venezuela bolivarien. C’est-à-dire une tonalité néo-colonialiste, proche parente du mépris de classe, comme lorsque la presse bourgeoise, au XIXe siècle, parlait des ouvriers révoltés des Journées de Juin 1848 ou des ouvriers de la Commune, en 1871. [Olivier Le Cour Grandmaison a écrit que les généraux qui "pacifièrent" l’Algérie sous la Monarchie de Juillet - notamment à coups d’enfumades - furent les mêmes que ceux qui tuèrent les quelque 15 000 ouvriers parisiens en juin 1848, en courant "sus aux Bédouins de la métropole"].
Remarque 8. Cette insistance, cette obsession à propos des drones du Hezbollah est d’autant plus étrange lorsqu’on sait ce qui est livré en face. Par exemple, les États-Unis ont livré à Israël des bombes anti-bunker BLU-109. Ce sont des bombes de 874 kg, qui peuvent atteindre des objectifs à 7 mètres de profondeur. Une seule de ces bombes fait autant de dégâts qu’au moins une centaine de drones du Hezbollah. Or, pour assassiner Hassan Nasrallah, à Beyrouth, en septembre 2024, les Israéliens ont employé 80 de ces bombes... Et les Américains livrent aussi des bombes MK-84 de 907 kg. Et cela n’est qu’une petite partie de l’arsenal livré aux Israéliens, à 70 % par les Américains et à près de 30 % par les Allemands. L’accent mis sur les drones du Hezbollah suscite la même impression que quelqu’un qui se lamente d’un panaris en face d’un cancéreux...
Remarque 9. Or, il ne va nullement de soi que la France, en général, ou les médias français, en particulier, devraient obligatoirement prendre parti pour Israël (ou, plus exactement, contre l’alliance "musulmane" - c’est-à-dire contre la coalition, plus de fait que de droit, Hamas-Hezbollah-Houthis-Iran). Les Français pourraient ainsi se référer, dans leur passé, à une riche histoire de prises de position contre-intuitives :
9.1. Par exemple, à François Ier, tout "Roi très chrétien" qu’il fût, ne s’en allia pas moins avec le "Grand Seigneur" (c’est-à-dire le sultan turc Soliman), pour contrer les menées de son adversaire, Charles Quint, connu, en tant que Charles Ier, roi d’Espagne, comme "Roi catholique",
9.2. Par exemple, à Charles IX, l’un de ses successeurs, qui, à l’époque de l’affrontement entre Philippe II, roi d’Espagne (successeur de son père Charles Ier) envoya comme ambassadeur à Constantinople François de Noailles, évêque de Dax, qui, à l’époque de la bataille de Lépante, mena une diplomatie hostile au roi d’Espagne,
9.3. Par exemple, à Louis XIV qui, en 1683, par l’intermédiaire de ses ambassadeurs à Constantinople, Nointel, puis Guilleragues, poussa le grand vizir Kara Mustapha à assiéger Vienne (offensive qui fut un échec pour les Turcs).
9.4. Par exemple, en 1967, à l’embargo sur les armes décidé à l’encontre d’Israël par le général de Gaulle, après le déclenchement, par ce même Israël, de la guerre des Six-Jours.
9.5. Par exemple, au discours de Dominique de Villepin à l’ONU, en février 2003, et au refus du président Chirac de se joindre à la guerre de coalition contre l’Irak à raison des motifs controuvés du président Bush.