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Courage, (déf.) : terme archaïque
samedi 15 janvier 2022 par Evelyne Pieiller
D’après la notice biographique que lui consacre l’Académie française, Mario Vargas Llosa est un « écrivain pluriel ». C’est chic comme adjectif, mais énigmatique. Probablement réservé à l’élite, car il est rare de voir mentionné un « boulanger pluriel ». Il est précisé qu’il a connu très tôt sa « vocation d’écrivain » et que « le second mobile de son existence » est « la soif de liberté ». C’est beau.
Un peu cliché, peut-être, la « vocation », mais l’appel de l’art, c’est toujours émouvant. Et puis, la si romantique soif de liberté, vraiment, on se croirait chez les poètes maudits, comment ne pas saluer ?
On ne peut donc que féliciter les 18 membres de l’Académie qui ont choisi d’accueillir ce grand Nobelisé hispano-péruvien, sans se laisser influencer par des considérations étrangères à la littérature.
Quelle importance, qu’il soutienne le candidat d’extrême droite à la présidentielle chilienne ?
Est-ce que, comme le fait qu’il a été actionnaire entre 2015 et 2017 d’une société dans les Iles Vierges britanniques, ça entache son style ?
C’est entendu, il n’écrit qu’en espagnol, mais c’est un détail.
Parmi d’autres.
Comme on dit aujourd’hui, l’Académie s’est décomplexée. Fin des tabous.
Dommage.
Pluriel (adj.) : dans des emplois didactiques. Une lecture plurielle, qui propose différentes approches ou interprétations d’un même texte. Définition du Dictionnaire de l’Académie française."
On ne voudrait pas être suspicieux, mais il est difficile de ne pas se demander si nos autorités ne font pas une petite fixation négative sur le rock et apparentés. C’est vrai que l’opéra si cher à Mme Bachelot, ça vous a une autre tenue. Et que c’est de la culture. Et qu’on sait qui on croise dans le public. À côté, franchement, le rock et apparentés, c’est un peu débraillé.
On sait bien qu’il faut dire que c’est aussi de la culture, sinon on fait réactionnaire, et après tout Dylan a reçu le Nobel, c’est sans doute une preuve, mais enfin, les autres… Mais non, on ne le croit pas. Ce n’est pas un mépris de bourgeois des années 50 qui explique la sérénité avec laquelle ont été à nouveau interdits les concerts debout [1].
Ce n’est pas, mais non, un mépris de classe. Ce n’est pas, non surtout pas, un dédain dodu pour ce qui serait supposé des bruitages de non-diplômés qui en plus, ne votent probablement pas du bon côté. Mais alors, c’est quoi, la raison ?
L’APHP l’avait établi après le concert-test d’Indochine, la revue médicale britannique The Lancet, honorablement connue, le confirme, fin novembre 2021, et prolonge : « les concerts qui se sont tenus [ en configuration debout] entre fin mai et mi-août ne représentaient pas de risque supplémentaire de contracter le variant Delta », et les nouveaux variants ne remettent pas en cause ce constat.
Bien. Alors, la raison ? Mystère. Sauf si… voir plus haut.
Les principaux représentants du spectacle vivant, comme on dit, ont signé une tribune poliment fâchée affirmant « nous ne voulons plus être stigmatisés » et réclamant « un accompagnement à long terme » (Le Figaro, 7 janvier 2022). Pas question d’exiger la fin des jauges ou le retour des concerts debout. Mais une demande vigoureuse d’« accompagnement à long terme ». Il semble bien qu’il s’agit là tout bonnement d’argent.
Mais, attention, c’est pour aider le spectacle « qui rassemble et transcende les classes et les générations face à la tentation du repli qui nous menace ». Ah, on se tait et on admire le moment de communion dans la joie et l’harmonie enfin partagées, loin des vilains clivages, moment d’ouverture à « l’autre » — l’art-valium…
En Belgique, les manifestants, artistes et public, demandant la réouverture des salles de spectacle, ont gagné. En France, on préfère le sonnant et trébuchant. Pas de lyrisme déplacé sur le fait que les musiciens ont besoin de travailler, de jouer, devant un public. Non, pas de romantisme, des sous.
En particulier pour les structures, les entreprises. « Nous sommes désormais seuls à assumer nos risques financiers face aux frais d’annulation et de report ». C’est franc. Peut-être un peu court, quand même.
On aurait pu demander et le retour des concerts debout et la monnaie, par exemple. On aurait pu aussi demander aux artistes et aux spectateurs de signer la tribune, ou encore, mais là ce serait carrément fou, décider d’un grand mouvement de soutien, « les principaux représentants du spectacle vivant » accueillant des concerts debout.
Mais si la désobéissance civile fut naguère très à la mode, la désobéissance « sanitaire » , même sanitairement justifiée, est manifestement inenvisageable. Au mieux, mais ce n’est pas précisé dans la tribune, il est décidé d’ouvrir… à la date prévue-sauf-prolongation, le 24 janvier.
Hardi.
Si la désobéissance civile fut naguère très à la mode, la désobéissance « sanitaire » , même sanitairement justifiée, est manifestement inenvisageable
Pourtant, il y avait une piste de réflexion dans cette tribune : « Sommes-nous les idiots utiles d’un discours censé rassurer face à une énième vague » ? Et peut-être même deux : « Nous n’avons été que trop responsables jusqu’alors »…
« L’intimidation sera vaine. Nous ne reculerons pas pour maintenir des programmations. (…) Nous appelons à la mobilisation sans faille de tous les pouvoirs publics. » Frédéric Hocquard, adjoint à la Mairie de Paris en charge du tourisme et de la vie nocturne, Carine Rolland, également maire adjointe à Paris pour la culture et la ville du quart d’heure, et Aymeric Seassau, adjoint à la maire de Nantes, préposé à la culture, signent ce texte déterminé le 12 décembre dans le Journal du Dimanche.
Le 7 décembre, la suédoise Anna von Hausswolff, dont la musique est classée par Wikipédia comme « gothique, entre art pop, drone et post metal », a un concert pour orgue programmé dans une église à Nantes. Il est annulé devant les manifestations et menaces de catholiques intégristes la traitant de « sataniste ».
Le 8 décembre, elle doit jouer dans l’église Saint-Eustache à Paris, le curé annule « pour des raisons de sécurité, (…) pour protéger le public et l’artiste ». Le concert aura quand même lieu, à l’initiative de Voulez-vous danser, ses tourneurs, peu enclins à plier, le même soir, dans un lieu tenu secret — un temple protestant.
Parmi ceux qui, malgré l’annulation, s’étaient regroupés, persévérants, devant Saint-Eustache, on a pu voir des membres de Civitas et du groupuscule d’extrême droite les Zouaves de Paris (qui vient d’être dissous). Discuter les raisons des empêcheurs dévots mais musclés est sans pertinence. Comme le rappelle le 9 décembre un communiqué de l’Observatoire de la liberté de création, qui réunit une quinzaine d’organisations autour de la Ligue des droits de l’homme, « empêcher un spectacle est un délit », et « la liberté des manifestants de s’exprimer ne peut en aucun cas dégénérer en entrave à la liberté de création ». Lesdits manifestants doivent donc être « poursuivis sur le fondement de l’article 431.1 du Code pénal » [2].
Il semble probable qu’une plainte sera déposée, y compris par les spectateurs.
À Bruxelles, le 13 décembre, Anna von Hausswolff joue sa musique sur l’orgue de l’église des Dominicains. Une trentaine de catholiques intégristes sont retenus derrière un cordon de police.
C’était donc possible en Belgique.
En France, non. « Le plus inquiétant est sans aucun doute le risque d’un silence assourdissant… Ce silence, c’est celui de l’État dont la responsabilité est précisément de défendre cette liberté de diffusion et de création artistique. Tel n’a pas été le cas lorsque des troubles manifestes à l’ordre public n’ont pas été empêchés » conclut la tribune des élus.
C’est perturbant. La préfecture de Nantes n’a pas bougé, quant à la ministre de la culture, elle a vaillamment mais sans précipitation twitté le 9 décembre « il est inacceptable que des militants extrémistes empêchent la tenue d’un spectacle ».
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Inacceptable serait-il synonyme d’illégal ?
Quant aux partis politiques, ils semblent bien avoir été d’une indifférence somptueuse. Seul Fabien Roussel, pour le Parti communiste français, a rappelé dans un tweet du 13 décembre au ministre de l’intérieur que « la liberté de création est une liberté publique » et lui a demandé « Que comptez-vous faire pour protéger les artistes ? ».
On ne peut que se demander avec un vif intérêt si l’absence de réaction tient au fait qu’il s’agirait d’un délit ma foi mineur puisque portant sur une musique mineure ou d’un regrettable moment de distraction. Nul ne peut penser qu’il s’agirait de ne pas fâcher l’extrême droite catholique.
Quoi qu’il en soit, la si fameuse liberté de création à défendre n’a pas mobilisé, à l’exception de Roussel, les leaders notamment de la gauche, pourtant assez portés sur l’indignation.
C’est stupéfiant.
C’est profondément grave.
Voir en ligne : https://blog.mondediplo.net/courage...
[1] Des jauges ont également été rétablies, 2 000 en intérieur, 5 000 en extérieur, le tout ne s’appliquant pas aux meetings politiques. D’où série d’annulations. Certains artistes ont alors proposé de remplacer le mot concert par le mot meeting sur leurs affiches, ce qui a eu l’avantage d’attirer l’attention des commentateurs, d’autres, comme Orelsan, bien sagement, envisagent de « profiter de ce délai pour faire un show encore plus fou ».
[2] Lire la série-enquête du journal en ligne Les jours, « Orgue et préjugés. Contre-enquête sur des concerts crucifiés.