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Lettre ouverte à mon camarade d’autrefois et d’aujourd’hui
lundi 24 avril 2023 par Francis ARZALIER (ANC)
Militants communistes tous deux, convaincu autant l’un que l’autre que notre idéal était tissé à la fois de raison et d’impératifs moraux, mais en aucun cas lié à un plan de carrière, nous nous sommes connus dans la décennie 1970, il y déjà un demi-siècle. Différents puisque l’un arrivait de Lozère et l’autre d’une Alsace encore plus éloignée culturellement de Paris.
Nous avons trouvé au « Colonel Fabien », siège central d’un PCF encore vigoureux, un cercle militant à la fois exigeant, fraternel et actif. Son sigle officiel se claironnait « Section de Politique Extérieure auprès du Comité Central du PCF ». On disait plus communément « la Polex ».
Les dizaines de militants qui le formaient, quelques-uns salariés temporaires au tarif d’un ouvrier qualifié, et les nombreux bénévoles qui y venaient participer, étaient plus que d’autres impliqués dans les rapports avec tel ou tel peuple étranger.
Pour ma part, avec ceux d’Afrique, car la « Polex » avait joué un rôle essentiel depuis les débuts du PCF dans les luttes anticolonialistes, en liaison avec les militants d’Indochine, du Maghreb et d’Afrique Noire notamment. Le prestige de la Polex, qui avait aidé à la formation des militants du RDA au Mali, des syndicats à Madagascar etc…, était encore très important de Dakar à Hanoï, d’Antanarivo à Brazzaville.
J’ai pu le constater en accueillant les délégués de leurs organisations, invités au Congrès du PCF avant 1980…
Un univers militant et fraternel, dont l’héritage exceptionnel a été fâcheusement fort oublié.
Nous y avons côtoyé quelques héros simples et tranquilles, l’Algérien d’adoption Henri Alleg dont j’avais diffusé clandestinement « la Question » durant la guerre coloniale, Henri Martin, au nom on ne peut plus français, emprisonné pour avoir refusé de faire la guerre au peuple vietnamien, les « soldats du refus » rétifs à celle faite au peuple insurgé d’Algérie, celui qui avait été poursuivi en Belgique pour un délit anticolonial du même ordre, et la Sud-africaine Dulcie September, représentante de l’ANC en lutte contre le régime d’Apartheid, que j’ai ramenée de Bruxelles à Paris, quelques semaines avant son assassinat par les tueurs de Prétoria et leurs amis du SDECE Français, parce qu’elle avait dénoncé la clandestine fourniture d’armes françaises aux dirigeants racistes sud-africains, malgré le boycott décidé par l’ONU.
Une vieille tradition française, en quelque sorte, reprise aujourd’hui en faveur des Nationalistes d’Ukraine.
Ces militants avaient tous payé cher leurs actes solidaires. Aucun d’eux n’espérait en tirer le moindre bénéfice matériel.
C’était une autre époque, celle de notre jeunesse, certes, mais aussi un autre monde, une autre France, un autre PCF…
Car la fin du XXème siècle a changé toutes les donnes, notamment dans notre pays.
1/ La désindustrialisation du territoire national par le biais des délocalisations décidées par les Capitalistes français vers les pays à bas salaires et à fort taux de profit, a démantelé en vingt ans la classe ouvrière des grandes concentrations industrielles, qui était depuis le 19éme siècle le terreau nourricier des organisations révolutionnaires, le PCF et la pléiade progressiste qui le secondait dans les luttes.
2/ À l’issue d’une période de déclin, l’URSS a littéralement implosé en 1990, moins du fait de ses ennemis impérialistes que des dérives bureaucratiques et carriéristes de ses dirigeants, dont une partie finalement ont accompagné à leur profit le rétablissement du Capitalisme, dans l’espace soviétique, mais aussi dans l’Europe centrale et Orientale réunis jusque -à dans le « camp socialiste. »
3/ Ce piteux effondrement, sans réactions défensives majeures des peuples concernés, fut un basculement du rapport des forces en faveur du Capitalisme et de l’Impérialisme, mais entraina aussi l’effondrement de l’espoir de progrès social et de libertés politiques que l’URSS et ses alliés d’Europe avaient incarné durant des décennies aux yeux de millions d’hommes et femmes : d’où l’effritement des partis et mouvements communistes et progressistes dans le reste du monde à partir des dernières décennies du 20éme siècle, en Europe, Afrique, etc.
4/ Ainsi, en France, le PCF fut progressivement envahi par le carriérisme et l’électoralisme de ses cadres dirigeants. Incarné par les compromissions idéologiques de « l’Union de la Gauche » dès 1980. Ces dérives sont parvenues à la direction du PCF à partir de 1994 avec Robert Hue, et la « mutation » de ce parti vers l’opportunisme droitier a provoqué rapidement, au début du 21éme siècle, la destruction de son influence dans l’électorat prolétarien.
Depuis le début du 21éme siècle, ce parti, balloté de défaite en déni, de désaveu en processus de disparition, jusques et y compris au Congrès non-événement de 2023, a perdu ses forces militantes, alors que se constituaient des groupes communistes extérieurs, chacun de quelques centaines de membres refusant d’abandonner leur idéal révolutionnaire ( Rouges vifs, PRCF, RCC, PCRF, ANC, etc ), et qui cherchent encore aujourd’hui à se regrouper dans l’action anti-impérialiste, en surmontant leurs différences
L’un des épisodes les plus significatifs de cette mutation fut la liquidation par la direction huiste de la « section de politique extérieure », jugée coupable d’attachement obstiné à l’anti -impérialisme.
À dater de cette épuration droitière, la plupart de mes camarades de la Polex ont rejoint comme moi ces groupes extérieurs au PCF, et espèrent toujours qu’ils soient plus efficaces et plus unitaires dans l’action contre l’Impérialisme et le Capitalisme.
Quelques autres, croyant comme Saint Augustin « qu’il n’est point de salut hors de j’Église originelle » quels que soient ses errements. Certains, soucieux de leur avenir professionnel plus que des fondamentaux marxistes, ont persisté dans la « vieille maison », et sont devenus élus du PCF, locaux ou européens, englués dans les compromis plus que dans les joutes idéologiques.
Mon ami alsacien d’autrefois fait une page en couleur dans le numéro post-congrès de l’hebdo l’Humanité Dimanche, aux côtés du « nouveau » Secrétaire National du PCF, qui, en plusieurs pages de programme (« Nous sommes prêts à gouverner, grâce à un « Front Populaire », avec qui le voudra ») trouve le moyen d’oublier les dangers mondiaux de guerre à partir de l’Ukraine, et la collaboration en armes de la France à ce brasier.
Il est vrai que d’autres au PCF font bien pire, par exemple en ne disant mot de l’énorme bévue faite il y a quelques temps par les députés PCF unanimes, qui ont approuvé une motion de soutien aux nationalistes ukrainiens proposée par les Macroniens, et qui, dans la foulée, se félicitait du renforcement de l’OTAN et de la « Défense Européenne », au mépris de tous les combats pacifistes menés par les Communistes français depuis 1945 !
Et dans l’Humanité quotidienne, dans la colonne commentant les interventions au Congrès sur l’international, l’auteur se félicite d’avoir constaté qu’on y avait parlé de la Chine, pas pour dénoncer les risques de guerre impérialiste au large de ses côtes, mais les persécutions, qui, selon la CIA, sont infligées aux terroristes Ouïgours !
Préposé en chronique à traiter l’international sous le titre « le monde, les gauches et la guerre en Ukraine », le député honoraire qu’il est devenu, reprend le constat fait par Le Monde du ralliement massif de « la Gauche de référence » (social-démocrate, comme on l’aime au Monde) aux thèses bellicistes de l’OTAN. Et il prend à juste titre la défense des « dissidents » (Die Linke en Allemagne, PTB belge, Podemos espagnol, etc, qui ne rejoignent pas la meute guerrière (en omettant au passage de dire que la pétition exigeant l’arrêt des livraisons d’armes à l’Ukraine, et qui a rassemblé 700 000signatures l’a fait malgré les dirigeants actuels de Die Linke).
Sur la base de quelles « valeurs de Gauche » selon lui ?
Les phrases suivantes en précisent les contours des dites « valeurs » :
1/ « Condamnation radicale de l’agression criminelle de la Russie de Poutine contre l’Ukraine. Éxigence du respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine » ( ce qui revient à oublier que ce sont les Nationalistes ukrainiens d’extrême droite parvenus au pouvoir à Kiev en 2014 par un coup d’état, qui ont engagé la guerre en bombardant durant plus de sept ans les russophones de Crimée et du Donbass, insurgés contre les mesures d’exclusion prises à leur encontre, et au mépris des accords de Paix de Minsk, parrainés officiellement par les Occidentaux, mais jamais appliqués par décision des USA - et la complicité avouée récemment de leurs alliés français, Sarkozy et Hollande ).
2/ Les phrases suivantes s’en tiennent à un humanisme consensuel sur « la guerre qui a déjà trop tué » et qu’il faudrait terminer avant « une improbable victoire », la seule envisagée étant ukrainienne. Mais ce qui les caractérise est surtout l’absence des deux marqueurs essentiels de toute analyse communiste d’une guerre :
Le concept d’impérialisme est totalement absent, comme si la guerre était devenue une calamité naturelle, tel un tsunami.
Plus révélateur encore, pas la moindre allusion aux livraisons d’armes et la formation de combattants pour les Nationalistes ukrainiens, y compris par la France, quand on sait bien que, sans ces aides, le conflit devrait se conclure en négociation.
Décidément, camarade, nos routes ont divergé !
Et pourtant je sais bien qu’au sein même du PCF et des JC de 2023, il existe toujours de véritables Communistes, pour lesquels l’Impérialisme est toujours présent et à combattre.
C’est avec eux aussi qu’il faudra reconstruire un authentique Parti Révolutionnaire français, pour les combats prolétariens de notre siècle, pour une France socialiste, héritière de 1789-93, 1848 et 1871, de tous les militants pour la paix et l’égalité entre les hommes et femmes et les peuples.
24 avril 2023