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Les Fronts Populaires, du nouveau à l’ancien
mercredi 10 juillet 2024 par Francis Arzalir (ANC)
Le Front Populaire de 1936, qui est resté dans la mémoire collective française comme ayant accouché de progrès sociaux aussi bouleversants que les « Congés payés », confère à l’accord électoral et programmatique entre LFI, PS, PCF et Verts, une aura mythique qui n’est pas négligeable. Ce qui, dans le chaos politicien actuel, confirme que dans la France de 2024, politique et idéologie, y compris à « Gauche » se résument trop souvent à des « coups » de communication, autour d’objectifs électoraux.
Pas de quoi être très optimiste pour l’avenir de la France, mais il faut toutefois rationnellement faire une analyse historique de ce que fut le dit Front Populaire de 1934-39, éclairer le mythe qui s’est créé depuis autour de cet épisode historique, et son décalage avec les faits réels.
Réalités françaises des années 30
À l’issue de plusieurs années de gouvernements de la Droite française, et des conséquences de la crise économique née du Capitalisme (chômage, pauvreté massive) la démagogie d’extrême-droite, nourrie de racisme anti-immigrés et d’antisémitisme, était puissant, par le biais d’organisations inspirées du Fascisme victorieux en Italie ou du Nazisme qui gouvernait l’Allemagne depuis 1933.
Ces » Ligues » comme on les nommait alors, l’Action Française de Maurras, les Croix de feu du Colonel de La Rocque, les Chemises Vertes de Dorgères étaient puissantes, et dirigées par des chefs influents dans la bourgeoisie, mais aussi dans les milieux paysans et d’anciens combattants.
L’insurrection tenté contre l’Assemblée Nationale le 6 février 1934 était une véritable tentative de Coup d’État, et aurait pu réussir sans la détermination des forces de l’ordre et les manifestations syndicales et des partis de Gauche qui ont suivi en riposte.
C’est pour parer à ce danger fasciste concret que s’est noué l’accord politique électoral entre les trois grands partis de Gauche, Parti Socialiste, Parti Communiste et Parti Radical. Comme l’a fait remarquer à juste titre le Communiqué récent de l’ANC, il n’était absolument pas envisagé par l’accord triparti des Congés Payés pour les salariés français, même si les forces syndicales organisées (CGT à direction réformiste et CGTU d’inspiration communiste) voyaient cet accord antifasciste d’un œil favorable.
Certes l’accord dit de Front Populaire entre les 3 partis incluait quelques promesses sociales symbolisées par le slogan « Pain, Paix, Libertés » sont très modérées sur le plan économique, et font plus volontiers référence au New Deal de Roosevelt (Réforme de la Banque de France étatisée, etc…) qu’à la Révolution russe.
Les trois partis signataires ont des divergences idéologiques fondamentales : le Parti Socialiste dirigé par Léon Blum aspire à des réformes ne mettant pas en cause l’économie capitaliste que le jeune PCF récuse en proposant le modèle soviétique. Le Parti radical dirigé par Daladier est plus « droitier » encore que le PS, reflète les visées de son électorat lié aux petites entreprises, commerçants et artisans.
Les Communistes qui ont mobilisés leurs soutiens pour obtenir l’accord, ont d’ailleurs prévenu d’emblée qu’ils soutiendraient un éventuel gouvernement de Gauche, mais sans y participer, pour ne pas renouveler la néfaste inclusion de ministres Socialistes dans « l’Union Sacrée » durant la guerre impérialiste de 1914-18.
Les résultats électoraux de mai 1936 donnent une majorité au Front Populaire (57 % des suffrages, 386 députés sur 698, dont 147 socialistes. Le PCF y a obtenu 1 500 000 voix, le double de son score de 1932, et plus que le Parti Radical), ce qui permet l’installation d’un gouvernement PS et Radical dirigé par Léon Blum. Un gouvernement qui va pouvoir stopper la dangerosité des Ligues fascistes, mais dont le modérantisme social sera bousculé par les luttes sociales, grèves massives et occupations d’usines de juin 36, organisées essentiellement par les militants du PCF et de la CGT.
C’est ce mouvement inédit de la classe ouvrière française qui a contraint le patronat à accepter une vaste réforme sociale couronnée par les négociations dites de Matignon : hausse des salaires de plus de 10 pour cent, droits syndicaux, congés payés, allocations chômage, office du blé, actions d’aide aux arts et à la jeunesse, etc…
Ce bouleversement social n’était absolument pas prévu par les partis de gauche gouvernementaux, socialiste d’abord, puis radical. Dès 1937, leurs dirigeants, Blum, Chautemps, Daladier, ont d’ailleurs bifurqué en « pause sociale », et refusé de soutenir trop les Républicains espagnols contre les Franquistes et leurs alliés Nazis et Fascistes. Et dans la foulée, c’est la majorité Radicale et PS sous la houlette de Daladier qui signa en 1938 le criminel Traité de Munich, livrant à Hitler le droit de conquérir la Tchécoslovaquie, puis l’Autriche, avec l’espoir de détourner ainsi l’expansionnisme allemand contre l’Union Soviétique.
Pire, et trop souvent on oublie de le rappeler : ces députés socialistes et radicaux élus en 1936 sous le sigle Front Populaire sont demeurés les mêmes parlementaires qui ont approuvé massivement, avec leurs collègues de Droite, les pleins pouvoirs à Pétain après la défaite en juillet 1940. Après avoir sans états d’âme superflus, voté la mise hors la loi et l’emprisonnement des Communistes.
Loin du mythe créé par la suite, les élus PS et Radicaux « front populaire » ont majoritairement terminé leur mandat par une trahison au profit du fascisme anticommuniste. Telle est la réalité historique. Une réalité qui a coexisté avec l’admirable mouvement populaire et ouvrier de juin 1936 et ses conquêtes sociales inédites.
Le seul constat historique rationnel qu’on puisse faire de ce premier « Font populaire » de 1936, est que les progrès sociaux qui lui ont donné son visage mémoriel sont le fruit des luttes sociales postérieures à l’élection des députés, même si la défaite électorale de la Droite les a facilités.
Le « Front Populaire « 2024
L’annonce inattendue de dissolution de l’Assemblée par un Macron défait, et sa décision d’élections législatives précipitées, au début des vacances d’été et juste avant les JO, a tordu le champ politique autant qu’un tsunami peut l’infliger à une installation touristique en Thaïlande.
Coup de poker pour rafler la mise par le rejet des Extrêmes, comme le dit ce curieux stratège féru seulement de lui-même ? Décision longtemps mûrie en petit comité, pour faire exploser les diverses oppositions ? Bêtise pure et simple d’Emmanuel Premier et Dernier, qui se croit un génie d’envergure mondiale, et ne saurait gérer raisonnablement sa résidence bourgeoise du Touquet ?
Laissons, les soit-disant « experts » médiatiques en gloser : la seule certitude est que les Macroniens, qui ont depuis des mois cultivé les idées de la Droite extrême, xénophobes et sécuritaires, sous le prétexte inepte de lui prendre des électeurs, lui en ont apporté au contraire beaucoup, et s’affairent aujourd’hui pour conclure à les mettre au pouvoir par les urnes.
Dans ce chaos précipité, il ne nous restait plus qu’un objectif pour les scrutins des 30 juin et 7 juillet : empêcher l’accès à l’Assemblée d’une majorité réunissant les héritiers de Vichy et de l’OAS et les Ultra-Libéraux de Macron à Ciotti et Lemaire, qui ne pourrait qu’aggraver encore la destruction bien entamée des services publics, le gouffre de la pauvreté, et la marche à la guerre mondiale au service de l’Impérialisme.
C’est bien pourquoi il était hors de question pour nous de faire chorus avec la meute réactionnaire et médiatique, de critiquer en pleine controverse électorale ce sursaut électoral des partis de gauche aboutissant à des candidatures uniques dans chaque circonscription : c’est la conséquence directe d’un mode de scrutin d’inspiration majoritaire qui ne permet aux candidats d’être présents au second tour que s’ils ont réuni sur leur nom 12,5 pour cent des électeurs inscrits, soit un fort pourcentage des votants.
Aujourd’hui le vote a eu lieu, et le résultat est acquis, qui évite le pire à notre pays, même si le danger est encore là. Cela nous permet, nous oblige même pour éclairer les luttes nécessaires du futur, à analyser sans œillères, à postériori, cet accord dit de « Front Populaire 2024 », et ses faiblesses, qui nous ont amené à la situation actuelle.
De 1936 à 2024, quelques similitudes et de profondes différences.
Cet accord 2024 des principaux partis de gauche (PS, PCF, LFI, et Écologistes) en faveur d’un candidat unique dans chaque circonscription s’est dénommé d’emblée « Front Populaire », astuce de communication, qui fait référence au mythe positif des événements de 1936, plutôt qu’à la réalité historique, en barrage contre l’extrême-droite.
Reste à juger si les similitudes de fait le justifiaient.
Toutes les Droites et les Macroniens, grâce à l’appareil médiatique à leur service, ont ressassé jour et nuit les divergences idéologiques inconciliables selon eux entre les électeurs et les leaders du » Front Populaire »2024.
Ces différences sont réelles, mais existaient aussi en 1936, entre un parti Radical très anticommuniste et un PCF de culture ouvrière et révolutionnaire, qui ne lui ménageait pas ses critiques. À l’inverse, on peut remarquer que l’attelage électoral FP de juin 2024 était porté par des partenaires dont l’ancrage idéologique et social s’est affadi, voire à disparu dans un électoralisme sans certitudes idéologiques ni enracinement social populaire.
Ainsi, pour ne citer que les aspects les plus importants, le Parti Communiste de 2024, réduit à des ancrages municipaux résiduels, n’a plus les capacités militantes d’antan (tractages, porte à porte, et affichages militants sont devenus rares, et les cellules d’entreprise ont disparu à l’issue de trente ans de dérives idéologiques), fruit du carriérisme en ses rangs et des complaisances électoralistes qui en découlent. Le voudrait-il, qu’il serait incapable d’impulser de fortes luttes sociales, d’autant que la classe ouvrière industrielle française dont il était la pointe avancée révolutionnaire a été démantelée par les délocalisations.
À l’inverse, ses dirigeants s’efforcent de se faire accepter en multipliant les renoncements (ils ont ainsi accepté un programme du « Font Populaire » sans la moindre nationalisation des activités essentielles, résume la guerre en Europe à « l’invasion criminelle russe » et prône le soutien militaire aux Nationalisme ukrainiens.
Le Parti Socialiste, quant à lui, a jeté par-dessus bord depuis longtemps ses quelques convictions marxistes affichées du temps de Léon Blum, n’est plus aucunement lié à la classe ouvrière, et a fait de Mitterrand à Hollande la preuve de son attachement au Capitalisme, de privatisations en reculs sociaux, et à l’impérialisme occidental, et l’OTAN, dont son candidat aux Européennes Glucksmann, se faisait encore le porte-parole il y a quelques semaines.
Les Écologistes, qui ont durant des décennies, justifié le discours de désindustrialisation, et, pour certains comme Mme Rousseau, l’action guerrière de l’OTAN, sont essentiellement l’émanation de la bourgeoisie des métropoles françaises.
Et les palinodies autoritaires d’un Mélenchon, très imprégné du présidentialisme Gaulliste qu’il a pourtant dénoncé, ont porté de rudes coups à la crédibilité de LFI, à la grande satisfaction de la Droite. D’autant que de Ruffin à Cattenens et quelques autres, les leaders de cette organisation se sont répandus en déclarations égotistes et irresponsables jusqu’au 7 juillet. Et ces disputes personnelles inadmissibles se doublent de dérives idéologiques évidentes.
Lors de la Conférence de presse des partis fondateurs de ce « Front Populaire » 2024 le 14 juin, Bompard pour la LFI a affirmé bien fort le soutien à l’Ukraine nationaliste contre le « criminel Poutine qui devra être jugé pour ses crimes » (formule utilisée dans le texte publié de l’accord FP), et Fabien Roussel pour le PCF a cru bon d’encenser Glucksmann : une façon d’approuver le nouveau leadership au sein de la gauche de la Social-Démocratie la plus droitière, au détriment de LFI.
Mais c’est aussi une véritable reddition collective en rase campagne devant l’idéologie dominante pro-impérialiste à laquelle on a assisté. PCF et LFI n’ont cessé de se rapprocher dans ce programme FP sur les positions les plus droitières de la « Gauche » et les plus soumises à l’impérialisme occidental. Un cadeau inespéré au RN, qui a permis à Marine Le Pen d’affirmer avant le vote que seul un Gouvernement de son parti saurait s’opposer à l’envoi de troupes françaises en Ukraine par le Président, éventualité rejetée selon tous les sondages par la majorité des Français.
Et jusqu’à Ruffin qui a éprouvé le besoin de se clamer Social-Démocrate….
L’épisode Front Populaire 1936 n’a engendré des changements sociaux fondamentaux que grâce aux luttes ouvrières de juin. Même si la CGT a clairement et à juste titre affirmé son soutien au FP 2024 dans les urnes, ses dirigeants, et à fortiori ceux du PCF, sont incapables d’animer aujourd’hui la même vague de luttes. Affaiblis par leur recul militant, ils sont englués dans l’opportunisme conciliant, réduits à des combats défensifs locaux, voire corporatistes.
Dépourvues de l’ancrage ouvrier d’autrefois, ces organisations n’ont ni la volonté ni les moyens de « changer le monde de base ».
Il est plus que temps que se reconstitue une grande organisation communiste en France, fidèle à ses idéaux marxistes originels, qui ait la volonté d’animer les luttes de classe, sur la base des intérêts de tous ceux vivant de leur travail et non de celui des autres, pour la paix mondiale, le progrès social et une société socialiste à leur service .
L’histoire ne s’arrêtera pas en juillet 2024
On ne peut se voiler la face. Dès le premier tour du 30 juin, on devait constater le danger persistant des candidats RN, même s’il est d’abord un rejet détourné de Macron et ses œuvres. Mais il serait irrationnel d’ignorer le score catastrophique des députés sortants du PCF, y compris du secrétaire général Roussel, battu à Saint Amand les Eaux par un RN qui dépasse 50 pour cent au premier tour. Un autre élu PCF sortant a été balayé de même dès le 30 juin en Pas de Calais, et d’autres, comme Chassaigne en Auvergne n’ont sauvé leur siège que de justesse.
Un des premiers résultats concrets de cette alliance électorale NFP sera donc le démantèlement du groupe PCF à l’Assemblée. Quels qu’aient été ses errements et ses insuffisances, ce rééquilibrage en faveur de la Social-Démocratie droitière au sein de la Gauche parlementaire ne saurait nous réjouir.
Elle est le reflet, ne nous le cachons pas, d’une dérive massive des milieux populaires français vers les idéologies conservatrices ou réactionnaires, qu’elles s’incarnent dans des votes de droite extrême ou pas, des macronismes divers, ou de social-démocraties converties au capitalisme. Et la masse qui reste considérable d’abstentions moroses en fonction du « ils se valent tous ! » amplifié le constat d’une société française largement dépourvue de conscience de classe.
Des chiffres le disent, issus d’une analyse des votants du premier tour des élections législatives par l’institut scientifique de sondages Ipsos-Talan, pour France-Télévision. Ils révèlent malheureusement que 57 % des ouvriers ont le 30 juin 2024 voté pour le Rassemblement National ou ses alliés (Zemmour, Ciotti) et 21 % d’entre eux seulement pour les candidats du NFP, c’est à dire l’ensemble des candidats de gauche, dont le PCF, le PS, LFI, et les écologistes.
Même constat chez les employés, en moindre proportion, 44 % pour le RN, et 30 % pour les diverses Gauches NFP. Il faut observer les cadres et « professions intermédiaires » pour trouver un nombre de votants majoritaires pour les Gauches NFP, 34 et 35 %.
Autre indice, le vote RN est inversement proportionnel au niveau d’études : 49 % chez ceux qui n’ont pas atteint le niveau bac, 39 % chez ceux qui l’ont atteint.
Par contre, le vote Gauches-NFP monte à 28 % chez les bacs plus 2, et à 37 % en bac plus 3.
Ce qui indique une dérive massive des classes populaires vers l’extrême droite. Les gauches n’étant fortes que dans les catégories plus aisées, et encore faut-il mesurer le faible poids des votes communistes en leur sein.
Ce constat est d’ailleurs confirmé par le fait que les députés élus NFP viennent majoritairement des métropoles, et de sa bourgeoisie « bobo », qui d’ailleurs peuple aussi les rédactions de l’appareil médiatique, les cabinets ministériels et les états-majors des partis.
La seule issue pour sortir de cette phase mortifère de l’histoire de France par le haut est le retour aux luttes de classe lucides, que seuls peuvent impulser des organisations communistes renouvelées, ressourcées dans le combat pour les besoins des classes populaires, et les idéaux marxistes, pour une société socialiste, au service des spoliés de la terre, et de l’égalité et la paix entre les peuples.
Au travail, camarades, de lourdes tâches nous attendent pour reconquérir notre nation.
Le 10 juillet 2024