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Législatives : le décryptage du second tour par 8 politologues de Sciences Po

jeudi 11 juillet 2024 par Sciences-Po

C’est Sc.Po. mais "constitutionnellement" c’est sérieux.

...On n’est pas sorti de l’auberge car le NFP reste largement minoritaire en terme de voix ...et il est particulièrement hétéroclite en terme de choix ...ce que nous devrions bientôt constater avec les tractations de couloirs et d’appareils.
La crise du régime se poursuit, mais l’alternative tarde. (BD-ANC)

Quelques jours après le second tour historique des élections législatives du 7 juillet 2024, les chercheurs du CEVIPOF se mobilisent à nouveau : à travers leurs huit décryptages des résultats des législatives, ils offrent des clés de compréhension pour mieux appréhender cette situation politique inédite. Leurs analyses sont basées sur les résultats réels du 7 juillet, et les données de l’Enquête Électorale Française 2024 (Ipsos, CEVIPOF, Le Monde, Fondation Jean-Jaurès, Institut Montaigne).

Carte et graphiques à l’issue du second tour des législatives de juillet 2024

Par Pierre-Henri Bono, Économètre, spécialisé dans l’évaluation des politiques publiques dans le domaine urbain.

La carte des résultats

Cette carte présente l’ensemble des députés élus pour les 577 circonscriptions. Nous pouvons noter les faits saillants suivant :

Aucune coalition n’obtient de majorité absolue,
423 sortants (c’est-à-dire élus en juin 2022 ou issus d’une élection partielle entre juin 2022 et juillet 2024) sont réélus (soit 73 %),
Sur les 154 nouveaux députés, 141 n’ont jamais siégé à l’Assemblée Nationale,
Sur les 409 duels du second tour, 60 % (242) ont été remportés par le candidat arrivé en première position,
Sur les 89 triangulaires, 92 % (82) ont été remportées par le candidat arrivé en première position au premier tour,
Deux quadrangulaires ont été remportées par le candidat arrivé en tête.

Carte des résultats à l’issue du second tour. (crédits  : Pierre-Henri Bono (Sciences Po / CEVIPOF), Ministère de l’Intérieur et des Outre-Mer)

Les 577 députés par grande coalition

Le graphique ci-dessous présente la composition de l’Assemblée nationale en fonction des grandes coalitions et des partis des élus. Le choix de mettre un candidat dans une coalition plutôt qu’une autre dépend de l’investiture ou du soutien d’un parti de la coalition.

Graphique des résultats à l’issue du second tour. (crédits : Pierre-Henri Bono (Sciences Po / CEVIPOF), Ministère de l’Intérieur et des Outre-Mer)

Historique des réélections des candidats sortants

Le graphique ci-dessous présente la façon dont cette élection se situe dans l’histoire longue. Il indique au fil du temps et des législatures la proportion des candidats sortant réélus, c’est-à-dire déjà élus lors de l’élection législative précédente, qu’elle soit partielle ou non.

L’élection législative de juillet 2024 a vu le pourcentage de députés sortants réélus le plus important de la Ve République et parmi les plus élevés des trois dernières républiques. La fameuse prime au sortant n’a jamais aussi bien porté son nom.

Le pourcentage de députés sortants par élection. (crédits : Pierre-Henri Bono (Sciences Po / CEVIPOF), Ministère de l’Intérieur et des Outre-Mer)

Expérience des députés en début de législature. (crédits : Pierre-Henri Bono (Sciences Po / CEVIPOF), Assemblée nationale)

Historique de l’expérience des députés

Le graphique ci-dessous présente la durée moyenne, autrement dit l’expérience de celles et ceux qui composent la nouvelle assemblée, mesurée par le nombre moyen de jours des candidats élus en tant que députés avant l’élection.

À cet égard, l’élection de juin 2017 a été un grand choc. Jamais durant la Ve République l’expérience moyenne n’avait été aussi faible. Et si l’on regarde sur le temps long, on se retrouve dans des situations équivalentes à celles rencontrées lors de changements de régime ou après-guerre.

En 2024, pour la XVIIe législature de la Ve République, on est dans une fourchette basse d’expérience moyenne.

Expérience des députés en début de législature. (crédits : Pierre-Henri Bono (Sciences Po / CEVIPOF), Assemblée nationale)

Les législatives les plus renversantes des 66 ans de la Ve République

Par Jérôme Jaffré, Chercheur associé au CEVIPOF.

Dix-septièmes dans la chronologie de la Ve République, les élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 sont les plus renversantes de toute cette série. Le phénomène était perceptible dès le premier tour avec, première nouveauté, un système de forces organisé en trois grands blocs antagonistes et puissants : la gauche, la majorité présidentielle et l’extrême droite du Rassemblement national.
La famille LR-Divers droite était trop faible pour figurer au même rang. Jusque-là, nous avions connu, depuis la mutation majoritaire de 1962, des partis dominants (gaulliste, socialiste ou macroniste en 2017).
Également des affrontements gauche-droite avec des compétitions internes et des désistements parfaits visant la conquête du pouvoir ou son maintien. Ce schéma a longtemps perduré malgré l’émergence du Front national.

Deuxième nouveauté, celle-ci est un bouleversement : pour la première fois sous la Ve, l’extrême droite avec le RN et ses ralliés est sorti nettement en tête du premier tour avec 33,2 % des suffrages exprimés. Les quatre partis de gauche ont dû s’unir pour accéder à la deuxième place et la majorité présidentielle a été reléguée à la troisième, loin derrière.
Ce jeu à trois, combiné à une forte participation, a abouti sur le papier à une multitude de triangulaires possibles pour le second tour : 306 exactement très au-dessus du record de 1962 : 129 triangulaires effectives en un temps où les conditions de qualification pour le second tour étaient beaucoup moins strictes puisque la loi de 1976 a mis comme condition d’accès d’être dans les deux premiers ou d’obtenir au moins 12,5 % des inscrits.

Il n’est pas exagéré d’affirmer que le premier tour s’était organisé contre Emmanuel Macron et ses candidats. Les deux autres blocs avaient tiré à boulets rouges dans cette même direction. Rien de tout cela n’a valu pour le second tour. Et c’est là que se situe l’événement sans doute le plus extraordinaire de l’histoire des législatives sous la Ve République : l’adversaire principal a changé entre les deux tours de scrutin !

C’étaient les macronistes au premier tour, c’est devenu le RN au second. Mieux, les partis de gauche – y compris mélenchoniste – et la majorité présidentielle ont procédé massivement à des retraits ou des désistements pour installer un candidat unique de second tour anti-RN. Le nombre des 306 triangulaires théoriques s’est trouvé réduit à 89. Le cocasse de l’affaire est qu’après avoir combattu avec tant d’ardeur les macronistes, la gauche a porté ses efforts et ses voix au second tour pour leur permettre de sauver de nombreux sièges et de transformer ainsi une débâcle annoncée en un recul plus honorable.

Si le jeu des forces politiques change entre les deux tours de scrutin, les électeurs ne sont pas en reste. Le vote du 30 juin avait été marqué par le score record du RN et le maintien de la domination des Insoumis dans le Nouveau Front Populaire (NFP).
Le vote du 7 juillet indique un retournement d’une partie du corps électoral. Avec 143 sièges ralliés compris, le Rassemblement national enregistre un gain qui eût été considéré comme remarquable (et le reste d’ailleurs) s’il n’avait annoncé à cor et à cri qu’il allait conquérir la majorité absolue.
À gauche, la France insoumise qui représentait en 2022 50 % des sièges de la NUPES, ne compte plus que pour 42 % du total du NFP.

Il n’en demeure pas moins que le RN, premier parti en voix au premier comme au second tour, va constituer le groupe parlementaire le plus nombreux à l’Assemblée nationale.
Mais, grande surprise du 7 juillet, la coalition du Nouveau Front populaire est arrivée en tête en nombre de sièges et se considère comme le vainqueur du scrutin.

Jamais depuis 1958 la coalition gagnante n’a été à ce point éloignée de la majorité absolue. Le NFP ne compte que pour 31 % des sièges, très loin des 50 %. Dans les trois cas connus de majorité relative sous la Ve, la force arrivée en tête en était beaucoup plus proche : 41 % des sièges pour les gaullistes en 1958, 48 % pour le PS et les radicaux de gauche en 1988 et 43 % malgré tout pour la majorité relative macroniste en 2022.

Jamais de toutes les législatives de la Ve République, l’Assemblée nationale élue ne s’était trouvée à ce point éloignée de la notion de majorité et, entre des blocs antagonistes, de la gouvernabilité du pays. C’est toute l’architecture constitutionnelle et politique de la Ve République qui se trouve mise à mal.

Le “vote de barrage” : un ressort décisif de la décision électorale

Par Anne Muxel, Directrice déléguée du CEVIPOF et directrice de recherches émérite au CNRS.

Depuis 2017, la disruption politique macroniste qui est venue profondément troubler le jeu et les équilibres partisans au cœur du système bipolaire de la Ve République a aussi entraîné de profonds changements dans les habitudes de vote des Français. Si une force centrale, certes affaiblie, s’est bien installée, une polarisation aux deux extrêmes de l’échiquier partisan s’est dans le même temps cristallisée, imposant des enjeux de positionnement réclamant de nouveaux types d’arbitrage pour les électeurs.

Depuis longtemps, les ressorts du vote contre ou du vote utile sont venus concurrencer les ressorts du vote d’adhésion. Mais cela prend une dimension nouvelle dans un contexte où les votes marqués par une radicalité politique, à gauche comme à droite, ont mis à mal les partis traditionnels de gouvernement. Le camp présidentiel ayant pu dans un premier temps profiter de cette donne, s’est retrouvé finalement dans la situation de l’arroseur arrosé.

Est-ce cette situation qui a suscité de la part du Président un tel besoin de clarification, payant le prix d’une dissolution et d’un chaos politique sans précédent sous la Ve République ?

De toute évidence, cette séquence électorale entièrement orchestrée par la mise en œuvre d’un front républicain ne lui a pas fourni une réponse claire puisqu’aucune majorité solide n’a pu se dégager entre les trois blocs politiques en présence. Le vote de barrage s’est présenté comme un ressort essentiel des arbitrages qui pouvaient être rendus dans un contexte aussi inattendu qu’imprévisible, ayant pour seule boussole la limitation des dangers ou des dégâts encourus pour le pays, et plus largement pour la démocratie.
Le front républicain, dont on avait pu mettre en doute l’efficacité, s’est avéré décisif pour contenir la vague du Rassemblement national et le ramener en troisième position à l’issue du second tour des législatives.

Le vote de barrage en soi n’est pas nouveau, étant de fait institutionnalisé par le scrutin uninominal majoritaire à deux tours ("au premier tour on choisit, au second on élimine"). Néanmoins, la campagne de l’entre-deux-tours des législatives a été entièrement consacrée au positionnement des acteurs par rapport à cette question, au détriment des programmes ou du débat politique de fond.
Jamais la question de l’accès au pouvoir d’une force politique extrémiste n’avait été autant à l’agenda des forces politiques en présence comme des motivations de vote des électeurs.

Si les deux tiers des Français (65 %) ont pu justifier leur vote au premier tour des législatives par leur volonté de faire gagner un candidat, un tiers d’entre eux (35 %) s’est rendu aux urnes avant tout pour faire barrage à un candidat. C’est une proportion significative ayant pu peser de fait sur les résultats du scrutin. Les femmes plus que les hommes (39 % contre 31 %), les cadres supérieurs un peu plus que les autres (38 %).
Ces votes de barrage se comptent en plus grand nombre dans la région Île-de-France (40 % contre 31 % en PACA et Corse ou 34 % dans les Hauts de France), et dans les grandes agglomérations (39 % contre 32 % en zone rurale).

Cette volonté de faire barrage est plus prononcée dans les électorats macronistes (44 % des électeurs d’Ensemble) et de la droite de gouvernement (45 % des électeurs LR). Elle concerne aussi les électeurs du NFP (38 %), mais avec des variations notables selon les formations.
C’est parmi les sympathisants de LFI et du PCF qu’elle apparaît la moins prononcée (respectivement 26 % et 32 %), tandis qu’elle est nettement plus affirmée parmi les électeurs de EELV (42 %) et surtout du PS (46 %).
Les sympathisants du Rassemblement national sont quant à eux peu concernés (16 %).

Au second tour, la volonté de faire barrage s’est distribuée de la façon suivante : 43 % des électeurs Républicains, 38 % de ceux d’Ensemble, 35 % de ceux du NFP et seulement 20 % des électeurs du Front national.
Le vote de barrage a donc concerné au premier chef les électeurs des forces centristes et de la droite de gouvernement. Plus de la moitié d’entre eux (52 %) ont d’abord voulu faire obstacle au candidat du RN dans leur circonscription, un gros tiers (36 %) ont voté contre un candidat du NFP, enfin 12 % ont voulu contrer un candidat d’Ensemble.

Beaucoup d’électeurs ont donc voté pour un candidat pourtant très opposé à leur camp. Ainsi ce sont 43 % des électeurs d’Ensemble et 26 % des électeurs Républicains qui dans un duel entre un candidat LFI et un candidat du RN ont choisi de voter pour le premier (respectivement 38 % et 36 % se sont abstenus). Dans le cas des duels Ensemble / RN, 72 % des électeurs du NFP au premier tour se sont reportés sur le candidat d’Ensemble.

À l’issue de cette séquence électorale hors norme, enchaînant trois tours de scrutins depuis les Européennes jusqu’au second tour des législatives, aux rebondissements imprévisibles et dont les rapports de force ont pu s’inverser, une chose est sûre, les Français se sont particulièrement mobilisés.

Les niveaux de participation inégalés depuis longtemps ont eu une forte incidence sur la composition de la nouvelle Assemblée, et le vote de barrage y a joué une place décisive particulièrement dans le relatif échec du RN et la performance inattendue du NFP ainsi que dans la résilience de la majorité sortante.

L’écologie revigorée ?

Par Daniel Boy, Directeur de recherche émérite.

Dans la séquence électorale (inattendue) européennes / législatives, les Écologistes étaient mal partis. En obtenant au soir du 9 juin un résultat de 5,5 %, ils sauvaient leur représentation au Parlement européen, mais ce score, le plus mauvais de ces vingt dernières années à des élections européennes, augurait mal de leur performance électorale à une élection moins favorable en principe pour eux que le scrutin européen.

Or, la dissolution décidée par le Président Macron les met face à cette épreuve. Quelles que soient les raisons de cette dissolution surprise, elle tablait sans doute sur une incapacité de la presque défunte NUPES à se rassembler dans une nouvelle coalition électorale. Mauvais calcul, puisque les partenaires de l’ancienne NUPES se réunissent très rapidement et négocient en quelques jours un programme commun et un accord électoral destiné à présenter un candidat unique du Nouveau Front Populaire dans chaque circonscription.

Dans une logique d’urgence électorale, la convergence des programmes des quatre partenaires (PC, LFI, PS, Écologistes) ne surprend guère : on s’accorde aisément sur une série de mesures vigoureuses de relance économique et de justice sociale et fiscale. La défense de l’environnement et la lutte contre le changement climatique, enjeux bien peu présents dans cette séquence électorale, sont traités a minima dans l’accord programmatique en “oubliant” de mentionner les questions nucléaires, seul point de désaccord foncier entre les partenaires.

Quant à l’accord électoral, il profite aux Écologistes puisqu’ils bénéficient du même nombre de circonscriptions réservées à un écologiste que lors des élections législatives de 2022, une centaine. Dans la perspective du second tour, la mobilisation des Écologistes, incarnée par leur très convaincante secrétaire générale Marine Tondelier, contribue pour beaucoup à l’adoption par les partenaires du NFP d’une logique de “désistement républicain” qui se révèle très bénéfique pour le NFP.
La surprise du second tour révèle un réel progrès pour les Écologistes qui de 23 sièges acquis lors des législatives de 2022 passent à 33 dans la nouvelle assemblée.

La confusion n’est pas levée par les résultats du second tour

Par Bruno Cautrès, Chercheur CNRS.

Les résultats inattendus du second tour des élections législatives doivent beaucoup, si ce n’est même l’essentiel, au changement capital opéré par les désistements de candidats au titre d’un “front républicain” que beaucoup pensaient ne plus fonctionner.
Les 1 094 candidats qui restaient en lice dans les 501 circonscriptions où le second tour se tenait, se sont départagés dans 410 duels, 89 triangulaires et 2 quadrangulaires, alors que l’on comptait 306 triangulaires potentielles au soir du premier tour.
Cette modification fondamentale a produit des effets majeurs en termes de règles du jeu électoral de ce second tour.

Ces effets ont été étudiés de longue date par la science politique et plus généralement les sciences sociales qui s’intéressent aux mécanismes de la décision. Dans son ouvrage, Pierre Favre nous rappelait en 1976 (La décision de majorité, Presses de Sciences Po), que pour toute décision prise à la majorité, le fait d’avoir deux options de vote plutôt que trois ou l’inverse, pouvait tout changer, y compris produire des résultats non-intentionnellement visés par les électeurs.

Ces paradoxes de la décision concernent habituellement les votes d’assemblées où les électeurs sont peu nombreux. Il faudra sans aucun doute que la science politique se penche avec attention sur les élections législatives de 2024 afin de savoir si les désistements ont simplement modifié la hiérarchie des préférences de nombreux électeurs (faire barrage au RN, voter pour un candidat de la raison plutôt que du cœur) ou s’ils sont allés jusqu’à produire un résultat inattendu en termes de choix social dominant du pays.
Il est bien trop tôt pour se prononcer.

Ce qui est certain, en revanche, c’est que quelques jours après ce second tour aux résultats inattendus, le sentiment de confusion domine toujours, loin de la clarification voulue par le chef de l’État en prononçant la dissolution.
La campagne de l’entre-deux-tours n’a pas été principalement orientée par les questions de politiques publiques (policies) mais surtout par les questions de gouvernance et de stabilité de celle-ci (politics et policy) ainsi que par les questions de crédibilité de certains des candidats du RN.

Cette campagne confuse, lourde des fractures sociales et des conflits de valeurs qui opposent frontalement des pans entiers du pays, ne s’est pourtant pas traduite par une démotivation électorale : la participation a été de même niveau qu’au premier tour (66,63 % de votants contre 66,71 % au premier tour), un résultat qui traduit la mobilisation des différents électorats.
On pouvait également faire l’hypothèse d’une augmentation très significative du nombre des votes blancs liée aux dilemmes moraux insolubles pour certains électorats face à des choix électoraux contraints par les désistements. Tel n’est pas non plus le cas : si l’on passe de 1,77 % de votes blancs au premier tour à 4,13 %, c’est en deçà de ce que l’on avait observé en 2022 où le vote blanc totalisait à 5,52 % au second tour.
Pour autant, le sentiment de confusion reste dominant pour le moment.

D’importantes pressions vont s’exercer sur différentes familles politiques susceptibles de former un gouvernement : vis-à-vis de cette question, tout le monde ne tirera sans doute pas les mêmes conclusions des résultats de ces législatives à l’intérieur du Nouveau Front Populaire ou de l’ancienne majorité présidentielle.

La confusion risque de continuer à régner pendant quelque temps encore, car la question fondamentale n’a pas été clairement tranchée par ces élections : quel est le choix social et politique dominant qui va conduire le gouvernement du pays durant les trois prochaines années ?

Le programme du Nouveau Front Populaire ou celui de l’ancienne majorité (relative) présidentielle ?
Et que dire aux électeurs du RN qui ont vu leur parti gagner les européennes, puis le premier tour des législatives ?
Non, décidément, ces élections législatives anticipées n’apportent pas, pour le moment, de réponses à l’état de confusion, d’anxiété et de doutes qui traverse notre pays.

Des élections qui ne règlent rien

Par Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS.

Le second tour des élections législatives a montré qu’une majorité d’électeurs ne voulaient pas du RN. Mais une majorité d’entre eux ne veut pas non plus ni de la gauche ni d’Ensemble puisqu’aucun des trois groupes ne peut avoir de majorité absolue. Les élections législatives ont donc débouché sur la nécessité d’une coalition gouvernementale alors même que la polarisation atteint des sommets : “nous n’accepterons aucun compromis dans la mise en œuvre du programme du NFP” dit Jean-Luc Mélenchon.

La crise de régime n’est pas loin car même le retour au parlementarisme, célébré par Raphaël Glucksmann qui parle de “démocratie apaisée”, semble désormais s’inscrire dans l’instabilité chronique de la IVe République. Ce qui devait passer pour un grand moment démocratique, un recours gaullien au peuple dans l’esprit d’Emmanuel Macron, pourtant peu suspecté de gaullisme depuis 2017, n’a fait qu’aggraver la situation politique dans des proportions inédites.
Et cela pour trois raisons.

La première est que l’attente de politique émanant des Français, souvent exprimée de manière violente depuis les Gilets jaunes, a débouché sur le retour des appareils partisans en qui ils n’ont guère confiance.
Union à gauche autour du NFP contre le RN de partis ne partageant aucune vision commune ni de l’économie ni de l’Europe ni de l’environnement, accords locaux de candidatures uniques LR-Renaissance-MoDem, et désormais projet d’un gouvernement technicien de centre gauche alliant Renaissance et la gauche modérée hors LFI ou avec LFI selon les interprétations.

Les Français voulaient de la citoyenneté et un horizon politique, ils ont des manœuvres politiciennes, des calculs, et sans doute des accords de couloir pour les maroquins. Toute coalition implique des compromis et des renoncements.

La seconde est que ces élections n’ont rien tranché ni rien réglé sur le fond. Leur polarisation extrême vient non seulement balayer les prétentions du macronisme à être et de droite et de gauche, mais elles n’ont pas non plus permis de choisir un modèle de société.
Le référendum anti-Macron du premier tour s’est traduit par un référendum anti-RN au second.
Mais personne n’a parlé des problèmes sociaux à l’origine de cette situation politique : la laïcité, la mobilité sociale, la demande d’autonomie économique, l’intégration des immigrés, la sécurité en Europe et dans la rue.
Se mobiliser pour ou contre le RN ne constitue pas un projet en soi.

La troisième, last but not least, est qu’elles alimentent des lectures politiques qui tordent une fois de plus l’esprit des institutions de la Vᵉ République. Le désaveu d’Emmanuel Macron a été systématique, aux européennes comme lors des deux tours des législatives.
Le général de Gaulle avait toujours interprété les législatives comme des élections de confirmation ou d’infirmation, mettant sa présidence en jeu, sans penser à une cohabitation. Emmanuel Macron n’a désormais plus l’autorité pour organiser le paysage politique français, il n’est plus le “maître des horloges”.
L’affaiblissement de la fonction présidentielle va se cumuler avec la réduction de sa base parlementaire. La question d’une nouvelle élection présidentielle peut donc émerger très vite.

Faut-il préserver le fait majoritaire ?

Par Martial Foucault, Professeur des universités en science politique et Titulaire de la Chaire de recherche sur les Outre-mer à Sciences Po.

En l’espace d’une semaine, les opinions sur les vertus et les limites du mode de scrutin majoritaire à deux tours ont évolué au gré des résultats des législatives 2024. La question de réformer le mode de scrutin pour instiller une dose de proportionnelle (projet initial d’Emmanuel Macron en 2018 avorté du fait de la crise des Gilets jaunes) ou imposer un scrutin proportionnel complet sur une base départementale (projet soutenu par La France Insoumise) refait surface en cette période d’absence de majorité absolue à l’issue du second tour des législatives.

Clé de voute des institutions de la Ve République, le fait majoritaire s’est imposé comme critère de légitimation du vote permettant lors de toutes les élections de dégager une majorité absolue jusqu’en juin 2022 (exception faite de 1988). Cette règle a souvent été présentée comme le parapluie républicain contre la montée des extrêmes. Le scrutin du 30 juin dernier semblait rendre caduque ce principe (le RN est arrivé en tête dans 289 circonscriptions sur 577, totalisant 10,6 millions de voix et 33,2 % des voix). Renversement total au second tour puisque le RN totalise finalement 143 sièges, mais avec toujours 10 millions de voix, soit 37 % des suffrages.

Sans mode de scrutin à deux tours, il y a fort à parier que le Front républicain n’aurait pu voir le jour et renverser la tendance du premier tour. Alors, faut-il faire son deuil du fait majoritaire et mettre en œuvre un mode désignation des députés à la proportionnelle ?

Si une telle réforme devait voir le jour, elle remplirait au moins deux objectifs : garantir la représentation de toutes les forces politiques (et non plus celles qualifiées au second tour) et reparlementariser la vie démocratique du pays.

Les arguments contre la proportionnelle sont connus. Il s’agit du spectre de l’instabilité parlementaire de la IVe République et la difficile cohabitation avec un système semi-présidentiel. Or, les résultats du second tour des législatives de 2024 ont produit, sous l’empire du mode de scrutin majoritaire, une situation d’ingouvernabilité immédiate. Dès lors, les chefs de parti vont devoir tenter d’adopter une culture de coalition pour dégager une majorité suffisamment forte pour que le gouvernement puisse gouverner.

Alors que la France est le dernier pays européen à élire ses députés au scrutin majoritaire à deux tours, le temps est venu de réfléchir à l’évolution de nos règles institutionnelles qui, depuis la fin du XIXe siècle, ont vu le scrutin proportionnel ou le scrutin majoritaire à un tour (First Past The Post) s’imposer en Europe, sauf en France.

Quel gouvernement dans un paysage politique qui s’apparente à un miroir brisé ?

Par Pascal Perrineau, Professeur des universités.

Les 17e élections législatives de la Ve République viennent d’avoir lieu et débouchent sur un paysage politique et parlementaire qui n’a jamais été aussi éclaté.

De 1958 à 2017, toutes les élections avaient donné lieu à la mise en place de gouvernements stables, organisés autour de la force politique qui avait emporté les législatives (UNR, UDR, RPR-UDF, PS, UMP, LREM). Même en 1988, où le PS et ses alliés ne rassemblent qu’une majorité relative de sièges à l’Assemblée nationale, un gouvernement dirigé par Michel Rocard se constitue, fort d’un groupe pesant 48 % des sièges et allant chercher des soutiens parlementaires au cas par cas chez les centristes et les communistes.

En 2022, tout se dérègle et la coalition majoritaire n’attire plus à elle que 43 % des effectifs de députés (250 députés sur 577) et aura des difficultés à gouverner depuis deux ans. Il manque une quarantaine de sièges pour s’assurer de la majorité absolue et le camp majoritaire ne devra sa survie que grâce aux armes du parlementarisme rationalisé et particulièrement à l’article 49-3 et au soutien critique ou à l’abstention bienveillante de tel ou tel segment des oppositions. Le vote des projets de loi est dans ce contexte plus ou moins chaotique et s’apparente à une course d’obstacles (loi sur la réforme des retraites en 2023, loi asile et immigration en 2024).
Les gouvernements Borne et Attal ont fonctionné dans des conditions très difficiles.

Après le résultat des élections législatives de juin-juillet 2024, la situation est encore plus complexe. Alors qu’en 2022, la force politique arrivée en tête contrôlait 250 des 577 sièges, le Nouveau Front populaire, qui fait la course en tête et revendique Matignon, n’en gagne que 180 (auxquels on peut ajouter une dizaine de divers gauche). Juste derrière la gauche, arrivent les députés de la majorité sortante : environ 170 sièges. En troisième position, le RN et son allié Eric Ciotti a vu sa poussée de premier tour enrayée par la stratégie de “front républicain” mise en œuvre par la gauche et la macronie : 142 sièges sont acquis pour le parti de Jordan Bardella et ses alliés. À un niveau sensiblement plus faible, les Républicains et divers droite font de la résilience avec une soixantaine de sièges.

La représentation nationale est un miroir brisé.
Les trois piliers de l’espace tripolaire étaient bien distincts quant à leur force en 2022 : 250 sièges pour Ensemble, 151 pour les partis de gauche constituant la NUPES et 89 pour le RN. Aujourd’hui, il y a une tendance à l’égalisation de ces trois piliers, à leur neutralisation réciproque et au blocage. Aucun pôle ne se dégage nettement et donc ne peut prétendre à être, de manière évidente, l’ossature d’une nouvelle majorité parlementaire. La solution d’un pôle fort capable de rassembler autour de lui une majorité absolue de sièges n’existe pas : le RN est une puissance, mais une puissance solitaire et qui a perdu sa “pole position” ; la gauche, portée par une heureuse surprise de second tour, est peu assurée de son unité interne et aura peut-être du mal à dégager une capacité à trouver des alliés dans le bloc central. Enfin, la macronie, moins affaiblie qu’on voulait bien le croire, est également traversée de sensibilités différentes et ne peut apparaître comme une force de ralliement.

Alors reste la possibilité d’un gouvernement minoritaire cherchant de manière régulière des soutiens épisodiques ou des neutralités bienveillantes. C’est comme cela que le gouvernement a fonctionné peu ou prou au cours des deux dernières années. Le RN qui est stratégiquement isolé et exposé à une “stratégie de front républicain” destinée à renforcer cet ostracisme, ne peut mettre en œuvre une politique de compromis et d’alliance qui n’est pas dans son ADN politique.
La gauche, divisée qu’elle est entre une sensibilité réformiste éventuellement frottée de compromis social-démocrate et une sensibilité révolutionnaire hostile à toute négociation qui échapperait à son imperium, n’est pas en position de rassembler au-delà de son camp déjà divisé et partagé.
Quant à Ensemble qui a perdu plus du tiers de ses députés, la sanction électorale a été lourde et ce n’est pas à la force qui a le plus perdu de sièges de mener la danse.

Face à cette difficulté de concevoir un gouvernement durable de minorité, certains rêvent d’un gouvernement de concentration républicaine comme on l’imaginait à la fin du XIXe siècle pour éviter la victoire de la droite monarchiste. Cette formule politique a toujours été fragile et traversée de divisions internes, particulièrement entre radicaux et opportunistes.
En serait-il différemment aujourd’hui avec des tempéraments politiques aussi différents que ceux de Gérard Larcher, Edouard Philippe, François Bayrou, Marine Tondelier, Olivier Faure ou encore Fabien Roussel ?
Un tel type de gouvernement n’apparaîtrait-il pas avant tout comme une alliance des contraires, animée d’un seul objectif : priver d’une victoire éventuelle le Rassemblement national ?

Reste alors une dernière solution : celle d’un gouvernement de techniciens qui s’assurerait de la neutralité temporaire de nombre des forces en présence. Cette perspective saint-simonienne n’a jamais été pratiquée en France, elle a des relents de technocratie et d’énarchie dans un contexte où la révolte contre les élites de tout poil bat son plein.
Certes, en Italie, l’ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a été pendant un an et demi à la tête d’un gouvernement de ce type qui a eu l’avantage de remettre le pays sur les rails. Mais il eut le soutien de la quasi-totalité des partis au Parlement, l’art de la “combinazione” est un art transalpin et enfin ce gouvernement fut vite rattrapé par les intrigues des partis.

La France va découvrir les gouvernements expédiant les affaires courantes, les négociations interminables des appareils partisans entre eux comme ce fut le cas en Belgique… Il n’est pas sûr que la lisibilité du régime politique y gagne et que le pays puisse se payer trop longtemps le luxe d’une impuissance gouvernementale.

L’impuissance du politique à régler les grands enjeux de l’heure (pouvoir d’achat, immigration, insécurité, déficits publics…) a été à l’origine de la crise de la représentation politique, l’impuissance gouvernementale si elle perdure n’améliorera pas – tout au contraire – une situation déjà très détériorée.

   

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