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La politique du désespoir

jeudi 7 novembre 2024 par Chris Hedges

À mesure que les démocraties occidentales se fossilisent, une classe de “voyous argentés”, comme Trump, se substituent aux élites politiques traditionnelles. La démocratie n’est plus qu’un simulacre. Et la France suit le même chemin !(JP-ANC)

Photo : The Morning After - by Mr. Fish / "Les stratèges démocrates tentent de comprendre comment une campagne brune et rose légèrement inspirée par Joe Biden et promouvant un message inspirant d’égalité, de civisme, de démocratie et de génocide n’a pas réussi à leur faire obtenir les clés de la Maison (du pouvoir) blanche”.

C’est le désespoir qui nous tue. Il favorise ce que Roger Lancaster appelle la “solidarité empoisonnée”, cette ivresse issue des énergies négatives de la peur, l’envie, la haine et la soif de violence.

En fin de compte, les élections n’ont été qu’une affaire de désespoir.
Le désespoir des lendemains qui s’évaporent avec la désindustrialisation.
Le désespoir lié à la perte de 30 millions d’emplois dans le cadre de licenciements massifs.
Le désespoir dû aux programmes d’austérité et à la redistribution des richesses entre les mains d’oligarques rapaces.
Le désespoir face à une classe libérale qui refuse de reconnaître la souffrance orchestrée par le néolibéralisme ou d’adopter des mesures de type New Deal qui permettraient d’améliorer ces maux.
Le désespoir devant les guerres vaines et perpétuelles, ainsi que le génocide à Gaza, où généraux et politiciens ne sont jamais tenus de rendre des comptes.
Le désespoir que suscite un système démocratique confisqué par le pouvoir des entreprises et des oligarques.

Ce désespoir se lit sur les corps des laissés-pour-compte : dépendance aux opioïdes et à l’alcool, jeux d’argent, fusillades de masse, suicides - en particulier chez les hommes blancs d’âge moyen -, obésité morbide et perte de notre vie émotionnelle et intellectuelle dans des spectacles sordides et l’attrait de la pensée magique, depuis les promesses absurdes de la droite chrétienne jusqu’à la croyance, à la manière d’Oprah, que les réalités ne sont jamais un obstacle à nos désirs.
Ce sont les pathologies d’une culture profondément malade, ce que Friedrich Nietzsche appelle un nihilisme agressif et désespéré.

Donald Trump est un symptôme de notre société malade.
Il n’en est pas la cause. Il est ce qui est vomi par la décomposition. Il exprime l’aspiration puérile d’être un dieu omnipotent. Cette aspiration trouve un écho chez les Américains qui ont le sentiment d’avoir été traités comme des déchets humains. Mais l’impossibilité d’être un dieu, comme l’écrit Ernest Becker, conduit à sa sinistre alternative : détruire comme un dieu.
Cette auto-immolation sera la prochaine étape.

Kamala Harris et le Parti démocrate, ainsi que l’aile de l’establishment du Parti républicain ayant fait alliance avec Harris, évoluent dans leur propre système de croyance hors sol.
Mme Harris, qui a reçu l’onction des élites du parti sans jamais obtenir un seul vote aux primaires, a fièrement mis en avant son soutien à Dick Cheney, un homme politique qui a quitté ses fonctions avec un taux d’approbation de 13 %.

La croisade “morale” arrogante et bien-pensante contre Trump alimente le show national de télé-réalité qui a remplacé le journalisme et la politique. Elle ramène la crise sociale, économique et politique à la personnalité de Trump. Elle refuse de confronter et de nommer les forces corporatistes responsables de l’échec de notre démocratie. Elle permet aux politiciens démocrates d’ignorer allègrement leur base - 77 % des démocrates et 62 % des indépendants soutiennent un embargo sur les armes contre Israël.

La collusion ouverte avec l’oppression des entreprises et le refus de tenir compte des désirs et des besoins de l’électorat neutralisent la presse et les critiques de Trump. Ces marionnettes du monde des affaires ne défendent rien d’autre que leurs propres intérêts. Les mensonges qu’elles racontent aux hommes et aux femmes qui travaillent, en particulier avec des programmes tels que l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), font bien plus de dégâts que n’importe lequel des mensonges proférés par Trump.

Dans “Le déclin de l’Occident”, Oswald Spengler a prédit qu’au fur et à mesure que les démocraties occidentales se fossilisent et meurent, une classe de “voyous argentés”, des individus comme Trump, se substituent aux élites politiques traditionnelles. La démocratie n’est plus qu’un simulacre. La haine est entretenue et donnée en pâture aux masses pour les encourager à s’entredéchirer.

Le rêve américain s’est mué en cauchemar.

La cohésion sociale, y compris les emplois qui donnaient aux travailleurs américains une raison d’être et une stabilité, qui leur conféraient un but et de l’espoir, a été réduite à néant. La stagnation de dizaines de millions de vies, le constat que la vie ne sera pas meilleure pour leurs enfants, la nature prédatrice de nos institutions, y compris l’éducation, les soins de santé et les prisons, ont engendré, en plus du désespoir, un sentiment d’impuissance et d’humiliation.

Elle a engendré solitude, frustration, colère et dévalorisation.

“Quand la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, tout devient prétexte pour s’en débarrasser…” , écrivait Durkheim. “Il y a une humeur collective, comme il y a une humeur individuelle, qui entraîne les nations vers la tristesse… Car les individus sont trop étroitement impliqués dans la vie de la société pour qu’elle soit malade sans qu’ils soient affectés. Sa souffrance devient inévitablement la leur.”

Les sociétés décadentes, où la population est privée de tout pouvoir politique, social et économique, se tournent instinctivement vers les chefs de secte. Je l’ai constaté lors du démantèlement de l’ex-Yougoslavie. Le chef de secte promet un retour à un âge d’or mythique et jure, comme le fait Trump, de terrasser les forces incarnées par des groupes et des individus diabolisés qu’on rend responsables de leur misère. Plus les chefs de secte sont outranciers, plus ils font fi des lois et des conventions sociales, plus leur popularité s’accroît. Les chefs de secte échappent aux normes de la société traditionnelle. C’est ce qui les attire.
Les chefs de secte recherchent le pouvoir total. Ceux qui les suivent leur concèdent ce pouvoir dans l’espoir désespéré qu’ils les sauveront.

Toutes les sectes se fondent sur le culte de la personnalité. Les chefs de secte sont des narcissiques. Ils exigent des faveurs obséquieuses et une obéissance totale. Ils privilégient la loyauté à la compétence. Ils exercent un contrôle absolu. Ils ne tolèrent pas la critique. Ils manquent profondément de confiance en eux, un trait de caractère qu’ils tentent de dissimuler par une grandiloquence tapageuse.
Ils sont amoraux, émotionnellement et physiquement agressifs. Ils considèrent ceux qui les entourent comme des sujets manipulables pour renforcer leur pouvoir, s’amuser et souvent se divertir de manière sadique. Tous ceux qui ne font pas partie de la secte sont considérés comme des forces du mal, donnant lieu à des affrontements épiques dont l’expression naturelle est la violence.

Nous ne convaincrons pas ceux qui ont abandonné leur pouvoir aux chefs de secte et ont adopté la pensée magique au moyen d’arguments rationnels. Nous ne les contraindrons pas à la soumission. Notre soutien au parti démocrate ne nous apportera pas le salut, ni à eux, ni à nous-mêmes. Des pans entiers de la société américaine sont désormais prêts à s’immoler. Ils méprisent ce monde et ce qu’il leur a infligé. Leur comportement tant personnel que politique est délibérément suicidaire. Ils cherchent à détruire, même si la destruction entraîne la violence et la mort. Ils ne sont plus soutenus par l’illusion réconfortante du progrès humain, perdant ainsi le seul antidote au nihilisme.

En 1981, le pape Jean-Paul II a publié une encyclique intitulée “Laborem exercens” ou “C’est par le travail…”. Il s’attaque à l’idée, fondamentale pour le capitalisme, que le travail n’est qu’un échange monétaire contre du travail. Le travail, a-t-il écrit, ne doit pas être réduit à la marchandisation des êtres humains par les salaires. Les travailleurs ne sont pas des instruments à manipuler tels des objets inanimés pour accroître le profit. Le travail est essentiel à la dignité humaine et à l’épanouissement personnel. Il nous confère un sentiment d’autonomie et d’identité. Il nous permet de tisser un lien avec la société et de sentir que nous contribuons à l’harmonie et à la cohésion sociales, lien porteur de raison d’être.

Le pape a dénoncé le chômage, le sous-emploi, les salaires médiocres, l’automatisation et l’absence de sécurité de l’emploi comme autant de violations de la dignité humaine. Ces facteurs, a-t-il écrit, sont autant de forces qui nient l’estime de soi, la satisfaction personnelle, le sens des responsabilités et la créativité. En exaltant la machine, les êtres humains sont réduits à l’état d’esclaves. Il réclame le plein emploi, un salaire minimum permettant de faire vivre une famille, le droit pour un parent de rester chez lui avec ses enfants, ainsi que des emplois et un salaire décent pour les personnes handicapées. Il préconise, pour soutenir des familles nombreuses, une assurance maladie universelle, des pensions, un régime d’assurance contre les accidents et des horaires de travail ménageant du temps libre et des vacances. Il a écrit que tous les travailleurs devraient avoir le droit de se syndiquer et de faire grève.

Nous devons investir notre énergie dans l’organisation de mouvements de masse pour renverser l’État corporatif via des actions soutenues de désobéissance civile de masse. Cela inclut l’arme la plus puissante à notre disposition : la grève. en braquant notre colère sur l’État-entreprise, nous désignons les véritables sources de pouvoir et des abus. Nous dénonçons l’absurdité consistant à imputer notre déclin à des groupes diabolisés tels que les travailleurs sans-papiers, les musulmans ou les Noirs. Nous offrons aux citoyens une alternative à un Parti démocrate inféodé aux entreprises et impossible à réhabiliter.
Elle contribue à restaurer une société ouverte, au service du bien commun et non du profit des entreprises. Nous ne devons exiger rien de moins que le plein emploi, des revenus minimums garantis, une assurance maladie universelle, une éducation gratuite pour tous, une protection effective de la nature, et la fin du militarisme et de l’impérialisme. Nous devons créer les conditions d’une vie faite de dignité, d’objectifs et d’estime de soi.

Si nous échouons, nous nous dirigeons vers un fascisme christianisé et, à terme, avec l’accélération de l’écocide, vers notre anéantissement.


Voir en ligne : https://ssofidelis.substack.com/p/l...

   

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