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Les causes de l’effondrement de l’État syrien

lundi 7 avril 2025 par Bruno Drweski (Tunis avril 2025)(URC)

Intervention de notre camarade Bruno Drwreski lors de l’Assemblée pour la souveraineté des peuples et le 79ème anniversaire patriotique de la Syrie, à Tunis.

Toute analyse scientifique du renversement d’un régime politique à l’heure de l’impérialisme doit poser la question du rôle des impérialistes dans cet événement et des causes de l’absence de cohésion suffisante de l’État renversé. Dans le cas de la Syrie il y a quelques faits qu’il faut d’abord rappeler.

La victoire des islamistes-takfiristes en décembre 2024 n’est pas le résultat d’une révolution populaire mais de l’arrivée à Damas d’une armée financée et entretenue par l’étranger, recrutant une partie importante de ses militants hors de Syrie et offrant à ses combattants, étrangers et syriens, des soldes importantes dans un pays rongé par le blocus, les destructions et donc la misère.

Le simple fait que l’armée régulière syrienne composée de conscrits aux maigres soldes ai tenu plus de treize ans face à ces milices armées et aux armées étrangères intervenant en Syrie, armées des USA, de Turquie, de l’entité sioniste et aux tentatives de corruption de ses chefs démontre que le régime qui s’est effondré en décembre 2024 avait longtemps gardé une base sociale importante.

Cette base a expliqué la combativité de l’armée syrienne, même si elle s’est au bout d’un moment lentement effritée dans un pays en partie occupé, sous blocus mortifère et privé de la majorité de ses ressources agricoles et énergétiques concentrées dans des territoires occupés par les groupes armés venus de l’extérieur et l’occupant US.
Sans parler de la destruction ciblée dès 2011 de ses usines, en particulier pharmaceutiques, toutes choses qui assuraient à la Syrie de 2011 son autosuffisance alimentaire et médicale.

C’est donc une société épuisée qui a « accueilli » les troupes parties de leur base sous protection turque d’Idlib pour atteindre Damas en quelques jours suite à une opération qui a démontré l’état de désarroi et d’épuisement de la société syrienne et de son armée et, sans doute aussi, l’achat de hauts gradés qui ont laissé leurs soldats à l’abandon et sans ordres.
Dans un contexte où les alliés de la Syrie, l’Iran et la Russie, n’ont pas pu ou pas voulu intervenir, chose qu’il faudra analyser plus profondément car nous avons encore trop peu d’informations sur ce sujet.

Nous devons donc analyser les causes externes et internes du changement de pouvoir à Damas, le rôle de l’impérialisme et de ses relais locaux, arabes et turc, les choix faits par les alliés de la Syrie, faire aussi le bilan du pouvoir baathiste et plus largement des échecs successifs du nationalisme arabe socialisant et voir en quoi son caractère au départ progressiste s’est heurté à des défis qu’il a été incapable au final de maîtriser.
C’est à partir de cet effort d’analyse que nous pourrons réfléchir dans quelle condition, avec qui et sur quelle base la lutte anti-impérialiste pourra redémarrer dans une Syrie qui reste un point nodal de l’aire arabe et ouest-asiatique.

J’appuierai mon argumentaire sur l’expérience de deux séjours que j’ai effectués en Syrie dans les années 2000 et au cours desquels j’ai pu constater l’évolution de l’État syrien d’une orientation se voulant socialiste vers une « économie sociale de marché » aux contours assez flous et sur le fait que, dès 2011, avec plusieurs camarades, j’ai animé à Paris le Collectif « pas en notre nom » dont l’objectif était de s’opposer aux ingérences impérialistes, d’abord en Libye puis en Syrie.

Défaite stratégique

Pour tous les authentiques révolutionnaires, communistes, socialistes, nationalistes, islamistes anti-impérialistes et antisionistes, ce qui s’est passé en Syrie en décembre 2024 représente une défaite certaine dont il faut mesurer l’ampleur au moment même où les impérialistes ont rencontré l’échec de ne pas avoir atteint leur but central visant à détruire les résistances palestinienne, libanaise et yéménite.

En effet, et quoiqu’on pense du régime au pouvoir en Syrie auparavant, l’effondrement du Baath et de ses partenaires communistes, socialistes et nassériens du Front patriotique socialiste représente la fin du dernier régime issu de la vague des mouvements de libération pan-arabes des années 1960-70.
Après l’Egypte, après le Soudan, après le Yémen du sud, après l’Irak, après la Libye, ce processus se termine aujourd’hui en Syrie, même si, par certains côtés, on peut encore considérer l’Algérie comme le dernier rescapé de cette vague qui s’est vue contrée par la montée en puissance des monarchies absolutistes affairistes et obscurantistes dans le monde arabe.

Monarchies qui se sont bâties sur deux piliers, l’alliance avec le colonialisme britannique (et français pour le Maroc) puis avec l’impérialisme des USA et l’instrumentalisation dans un sens sectaire, obscurantiste, réducteur et pro-capitaliste de l’islam. A l’opposé de l’histoire de ce que fut le mouvement réel de l’islam à ses débuts et des tentatives de promouvoir ce qu’on pourrait appeler en Occident une théologie de la libération islamique dans la foulée des luttes anticoloniales et des luttes de classe prenant leur source dans le Congrès des peuples d’Orient de Bakou en 1920 et l’insurrection d’Abd el Krim dans le Rif qui suivit.

Pour tout observateur extérieur, la chute de l’État syrien signifie un recul stratégique majeur pour la lutte anti-impérialiste en Asie occidentale et dans le monde arabe en raison de la position stratégique de ce pays qui constitue le débouché méditerranéen de la péninsule arabique et de l’Asie, et le point de passage quasi-obligé entre l’Europe orientale et le monde arabe.

C’est aussi, et le régime sioniste ne s’y est pas trompé, le château d’eau de tout le Levant (Syrie, Liban, Palestine, Jordanie) et la chaine de montagne le dominant. D’où la récente avancée des troupes sionistes à partir du Golan occupé vers le mont Hermon et la plaine syrienne au sud de Damas. Le nouveau régime syrien ne semble quant à lui pas décidé à rompre les relations anciennes que ses « djihadistes » ont entretenu avec Tel Aviv tout au long de la guerre en Syrie, de la même façon que la rhétorique antisioniste d’Erdogan, autre grand protecteur des « rebelles d’Idlib » aujourd’hui au pouvoir à Damas, ne l’empêche pas de continuer à faire transiter les hydrocarbures azéris et quantités d’autres biens vers l’entité sioniste depuis le 7 octobre 2023.

Aujourd’hui donc, nous avons de fait partout en Asie occidentale affaire à des Etats peu ou prou liés aux puissances impérialistes occidentales, malgré des enclaves de résistance tenaces et bien armées au Liban et en Palestine. Mais celles-ci ont perdu leur base arrière que constituait « l’hinterland » syrien.

Les objectifs impérialistes

Quant on parle d’objectifs impérialistes il faut commencer par mentionner le sionisme. Ce mouvement a été lancé au début du XIXe siècle par le premier ministre britannique Lord Palmerston dans le but de se servir des juifs pour créer une entité coupant en deux le monde arabe et islamique avec comme objectif ultime de garantir la division de la nation arabe et de contrôler la voie stratégique reliant l’Océan Atlantique, la mer Méditerranée et l’Océan indien.

A quoi s’est rajouté au XXe siècle, pour les impérialistes US, la nécessité de contrôler les ressources énergétiques de la planète pour empêcher la naissance et le développement de pôles de puissance concurrent. Mais le projet sioniste ne peut être stabilisé sur un territoire aussi petit que la Palestine sans contrôler toute la région avoisinante et donc avant tout la Syrie, qui constitue un des coeurs historiques du monde arabe.
Et si l’on élève son regard au-dessus de toute la région, on comprend que la Syrie constitue un point de passage clef permettant de garantir la pérennité des monarchies arabes clientes et leur rôle de contrepoids énergétique face à l’Iran et la Russie qui échappent aujourd’hui au contrôle des impérialistes occidentaux.

La Syrie représente en effet le « hub » nécessaire pour approvisionner par tubes l’Europe en hydrocarbures. Le projet de gazoduc Qatar-Turquie-Europe fut en effet une des causes de la rupture entre la Syrie, la Turquie et les monarchies du Golfe en 2011. Et si l’on élève encore plus haut son regard pour observer toute la région eurasiatique, on perçoit que la stratégie impérialiste visant à entourer et assiéger la Russie, l’Iran et la Chine nécessite aussi de prendre pied en Syrie.

Le sionisme donc n’est pas seulement une réalité régionale s’appuyant sur une histoire juive revisitée en Europe, il répond aux intérêts stratégiques des puissances occidentales impérialistes, ce qui explique que la plupart des dirigeants sionistes n’habitent pas Tel Aviv ou Jérusalem mais préfèrent habiter les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, et qu’à côté des sionistes juifs, on trouve de nombreux sionistes chrétiens qui coopèrent étroitement avec les néo-conservateurs qui sont souvent d’anciens trotskystes recyclés dans le mondialisme pro-impérialiste.

On comprend donc ici que le sort de la Syrie et de la Palestine sont intrinsèquement liés dans une perspective de contrôle de toute l’Asie occidentale. Il était donc logique que, n’étant pas parvenus à convaincre la masse des Arabes des bienfaits d’une « démocratie à l’occidentale » qu’ils savaient d’expérience corrompue, corruptrice et favorable aux fragmentations néocoloniales, les impérialistes aient soutenu un capitalisme compradore local « with an islamic touch » (« à touche islamique ») d’autant plus sectaire dans sa forme qu’il était vidé de tout appel à la justice qui constitue le fondement premier de la culture islamique.

Or l’islam syrien était connu depuis des siècles comme étant particulièrement tolérant et social, il fallait donc faire venir des « bataillons de barbus hirsutes » pour manipuler les masses et tenter de les soulever contre le pouvoir « mécréant » des socialistes arabes du Baath et de ses associés. Et c’est donc en distribuant des soldes mirifiques aux « djihadistes » tout en imposant un blocus à la Syrie, en détruisant ses usines, en pillant ses récoltes et en occupant les régions les plus riches du pays, qu’on a pu lever en Syrie mais aussi à travers tout le monde musulman, un nombre suffisant de combattants pour mener contre Damas une longue guerre d’usure.

A cet égard, il faut mentionner le rôle clef joué par les médias arabes liés aux régimes obscurantistes et kleptocratiques qui ont dès le départ paralysé toute tentative de développement d’un mouvement pan-arabe de masse opposé à l’ingérence impérialiste visant la Syrie. La Syrie s’est donc battue quasiment seule alors que les recruteurs de « djihadistes » écumaient les quartiers déshérités du Liban, d’Irak, de Libye, d’Egypte, du Pakistan, d’Asie centrale, du Maghreb pour trouver la chair à canon nécessaire à leur guerre.

Tout en créant en Syrie par des mises à mort spectaculaires, les fameux égorgements, l’effroi au sein des populations syriennes, en particulier celles appartenant aux minorités religieuses et qui, en fuyant, laissaient la place à des nouveaux venus, turkmènes, ouïghours, etc. plus prêts à prôner un islam dégénéré que la masse des musulmans syriens.

Les causes internes de la débâcle de décembre 2024

Si l’ingérence extérieure, l’isolement du pays et la guerre d’usure expliquent en grande partie l’effondrement qui vient de se produire en Syrie, on ne peut pour autant négliger l’importance de facteurs internes dans ce processus de lente désagrégation de l’État syrien. Sans remonter aux sources premières et lointaines du problème, aux accords de partage Sykes-Picot, aux effets de la colonisation et de l’agressivité sioniste, force est de constater que la grande vague d’enthousiasme panarabe des années 1960 n’a pas débouché sur l’établissement de régimes stabilisés.

Les politiques socialisantes poursuivies en Syrie depuis l’arrivée des baathistes au pouvoir ont apporté aux Syriens des lois sociales certes impensables dans les pays arabes voisins comme le Liban ou la Jordanie, et c’est d’ailleurs pour ces acquis sociaux que beaucoup de Syriens ont accepté de se battre à partir de 2011 mais si la politique de dirigisme étatique des années 1960-2000 a permis de créer en Syrie les bases d’une industrie nationale et d’une auto-suffisance alimentaire, ce régime n’est pas parvenu à accélérer le développement du pays pour atteindre un point de non retour garantissant la stabilité définitive du socialisme syrien.
Le système imaginé par le Baath a toujours été marqué par une certaine ambiguïté envers le capitalisme et le culte de la petite propriété, ce qui a empêché de ponctionner les richesses provenant de l’agriculture pour les ré-investir vers le financement de l’industrialisation selon le modèle socialiste classique.

Et, à partir des années 2000, les effets conjugués de l’arrivée au pouvoir de Bachar el Assad, de la crise des modèles socialistes dans le monde entier et des sirènes du néo-libéralisme ont poussé le Baath à passer d’une « économie socialiste » à « une économie sociale de marché ». Il ne s’agissait ici pas de liquider totalement, comme l’Occident néolibéral le prônait, le secteur public mais il s’agissait toutefois d’aider à la formation d’un secteur privé et d’une bourgeoisie nationale autonome par rapport à l’État, dans un pays où la culture de la petite propriété héritée de la campagne et du petit commerce urbain dominait.

Le socialisme en Syrie n’avait en effet pas été le produit d’une révolution prolétarienne mais d’une prise en main de l’État par une armée constituée d’officiers venant souvent des campagnes et superficiellement « prolétarisés » au sein de la structure militaire, et donc sans lien avec la production industrielle. Ce qui ouvrait la voix à des conceptions souvent plus proches de celles de la petite-bourgeoisie ou de la bourgeoisie nationale que d’un prolétariat « qui n’a rien à perdre que ses chaines ».
Et c’est dans ce contexte que l’économie syrienne fut reprise en main dans les années 2000 par des hommes comme le vice-premier ministre aux affaires économiques, Abdullah Dardari, un homme ayant fait carrière au PNUD et à la Banque mondiale et qui fut chargé de développer un secteur privé dynamique, et de « restructurer » le secteur étatique. Quelque chose qui aurait pu rappeler le système chinois si ce n’est que le Baath syrien n’avait pas la discipline et la rigueur idéologique du Parti communiste chinois et qu’il subissait l’influence des sociétés arabes voisines encore marquées par l’archaïsme féodal.

Abdullah Dardari occupa son poste jusqu’en mars 2011 lorsqu’il démissionna dès les premières manifestations d’ingérence occidentale dans les affaires syriennes, ce qui en dit long sur ses véritables allégeances. D’autant plus qu’il allait à partir de ce moment là reprendre sa carrière dans les « institutions internationales » tout en prônant de l’extérieur pour la Syrie « une politique inclusive » compatible avec les désideratas des puissances occidentales.
Ce même Dardari vient d’ailleurs d’être reçu à Damas par le nouveau président auto-désigné du pays Al Julani-Sharaa qui a jeté son turban mal ajusté et sa barbe hirsute pour le complet veston cravate et barbe bien taillée des élites occidentalisées. Imagine-t-on un Nasrallah ou un al Houthi céder à une telle mode pour garder le pouvoir ? On voit bien là que, sur la forme comme sur le fond, « l’islamisme » de Julani-Sharaa n’est qu’un hochet identitaire face à l’islam enraciné dans l’histoire anticoloniale des musulmans indépendants dans leur coeur et leur esprit.

Je me rappelle avoir discuté avec Dardari en 2006 pour essayer sans grand succès d’ailleurs de lui faire préciser ce qu’il comprenait par « économie sociale de marché » et en quoi cela représentait ou pas une rupture avec le socialisme originel du Baath. C’est ce flou idéologique qui permit la montée d’une nouvelle bourgeoisie locale qui a contribué à affaiblir le tissu social syrien, en particulier dans les régions périphériques du pays, par ailleurs touchées par des vagues de sécheresse, au point où des masses de populations se déversèrent vers les villes créant à leurs franges de véritables quartiers défavorisés que les structures sociales affaiblies de l’État syrien ne parvenaient que très partiellement à maîtriser.
C’est dans ces faubourgs et dans ces régions périphériques mais aussi dans les bidonvilles du Liban et d’ailleurs que les islamistes-takfiristes allaient commencer à recruter leurs militants et leurs combattants. D’autant plus que, dans sa politique de détente et de coopération avec les monarchies du Golfe, le Baath commença à ouvrir ses portes à des « barbus » et que des imams syriens allaient se former dans ces pays pour revenir ensuite concurrencer l’islam largement consensuel et soufi de la tradition locale. Bachar el Assad aura au final été trahi deux fois par les monarques du Golfe, la première fois en 2011 et la deuxième fois en 2024. On doit poser la question pourquoi Assad a-t-il cru nécessaire de se rapprocher de régimes qui ont la trahison et le service au plus offrant comme fondement ?

La situation sociale, économique, idéologique et politique créée peu avant le mal nommé « printemps arabe » était censée permettre de renverser le gouvernement de Bachar el Assad dès 2011 selon la méthode appliquée dans les pays de l’Est et dans le monde arabe des « révolutions colorées » orchestrées par des médias extérieurs, arabes ou occidentaux, des réseaux « sociaux » et des provocations lors de manifestations décidées de l’étranger, les « fameuses manifestations du vendredi » au sortir des mosquées suivant des slogans choisis et diffusés chaque semaine par Al Jazeera pour faire lentement monter la pression.
Jusqu’à l’arrivée des « djihadistes » quand le scénario classique d’un « regime change pacifique » ne suffit plus et que le basculement du pays dans la guerre a laissé les impérialistes espérer dès lors pouvoir provoquer la désagrégation de l’armée syrienne. Tel ne fut pas le cas non plus, et, même si l’opposition « démocratique » dût vite céder la place à une opposition « islamiste », si certains dirigeants et hauts gradés syriens désertèrent et si les méthodes de répression utilisées par la police politique syrienne furent brutales, le gouvernement de Bachar el Assad parvint à garder le contrôle des troupes et l’appui d’une grande partie de la population qui allait subir plus de treize ans de guerre, de blocus, de misère, de meurtres sauvages, de destructions, etc …pour qu’au final l’opération de déstabilisation du pays réussisse.

Pourquoi un tel désastre ?

La question qui se pose à nous est d’essayer de déterminer l’importance relative des causes, externes et internes, de cette lente désagrégation de la société et de l’État syrien. Nous avons mentionné plusieurs éléments, en particulier la structure et la culture de classe de la société syrienne qui n’a pas abouti à la création d’un mouvement révolutionnaire ouvrier conséquent, ce à quoi le Baath n’est parvenu qu’en partie à répondre.

Voilà pour le côté matérialiste de l’analyse. A côté de cela, il faut prendre aussi en compte le fait que le monde islamique a été menacé et dominé par les puissances impérialistes occidentales et que cela a produit deux conséquences contradictoires dans les milieux qui n’ont pas voulu se soumettre aux pouvoir coloniaux et à leur successeur nord-américain.

Pour les uns, il s’agissait de surmonter « le retard » du monde islamique en renonçant à l’islam perçu comme un facteur d’archaïsme, en adoptant les mœurs et idées en vogue dans les milieux occidentaux qui leur étaient abordables, donc anti-impérialistes, et ce fut le choix du marxisme. Marxisme voulant souvent dire à leurs yeux, et toujours à ceux de leurs concurrents, athéisme.
Ce qui a constitué un handicap majeur pour tous les mouvements communistes arabes perçus comme des « agents étrangers », même s’ils s’opposaient courageusement à la domination impérialiste.

Pour d’autres, il s’agissait de revenir à ses propres sources, celles de l’islam, ce qui a priori était d’autant plus acceptable que l’islam a un passé très riche et très diversifié, et que les grandes questions philosophiques et sociales que se sont posées les Occidentaux à partir du siècle des Lumières avaient déjà été traitées dans une large mesure au sein de la civilisation islamique, des IXe au XIVe siècle, et même plus tard encore. Ces derniers n’avaient donc que faire des idéologies « athées » importées des pays coloniaux.

Et c’est dans ce « creuset » que s’est formé le « nationalisme arabe », le « socialisme arabe », notamment le baathisme qui a voulu se situer à mi-chemin entre le communisme et l’héritage arabe et islamique. Tentative hasardeuse et difficile qui n’a jamais été pleinement réussie mais qui a donné lieu à un tangage permanent entre ces deux pôles idéologiques en apparence contradictoires, ce qui a souvent provoqué des répressions visant tantôt une aile tantôt une autre, dans des sociétés où la classe ouvrière était faible et où les fortes traditions commerciales prédestinaient à pencher pour une culture a priori pas très éloignée du capitalisme. D’où un certain opportunisme des partis baathistes qui ont souvent compensé par la répression leur manque de cohérence idéologique.

Cela même si, dans les faits et en opposition aux rêveries, l’impérialisme a assez tôt fait comprendre aux Arabes qu’ils n’auraient jamais leur place d’égal au sein d’un capitalisme centré sur l’Occident impérialiste. Il n’en reste pas moins que c’est cette ambiguïté du socialisme arabe non marxiste d’un côté et de l’islamisme sans cohérence qui a permis la formation et le développement des courants « islamistes » takfiristes en Syrie comme ailleurs et qui, s’ils sont partout minoritaires et idéologiquement composites, n’en restent pas moins un courant consistant et capable d’être propulsé au pouvoir dès lors que leur adversaire « laïc » est en position de faiblesse, ce qui fut le cas de la Syrie du début des années 2020 et malgré les victoires sur le terrain de l’armée syrienne.

Il restera donc à analyser comment faire redémarrer en Syrie un mouvement anti-impérialiste et antisioniste plus conséquent que le précédent et comment imaginer un nouveau socialisme arabe ayant une base de classe plus affirmée et sachant tenir compte des traditions islamiques à la base de l’identité nationale arabe et d’une spiritualité nécessaire dans notre monde plongé dans l’idéal offert aux pauvres comme aux riches d’un consumérisme individualiste et au final stérile.
La Syrie a souvent été un professeur positif dans l’histoire du monde arabe et sa lutte anticoloniale a été exemplaire, aujourd’hui elle est devenue un professeur par l’exemple négatif mais c’est aussi une étape sans doute nécessaire pour reconstruire des perspectives d’avenir de progrès social, humain, culturel et spirituel.

Tunis, 5 Avril, Assemblée pour la La souveraineté des peuples, de Syrie à la Tunisie

Vous pouvez retrouver toutes les interventions, vidéos, photos : https://albagranadanorthafrica.wordpress.com/2025/04/08/historical-event-on-the-sovereignty-of-peoples-79th-patriotic-anniversary-of-syria-in-tunis-alhamra-theatre-april-5-2025
   

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