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Mayotte : Quartier Karobolé dévasté. À qui le tour ?
dimanche 10 octobre 2021 par Daniel Gros
Les bulldozers engloutissent à présent les ruines de Karobolé désertées de ses habitants. Toutes traces effacées, restent les images pour témoigner du traitement indigne que la France réserve aux populations pauvres sur son territoire. Tout juste si on les laisse vivre. Fin de l’épisode. Ce portofolio a été réalisé en collaboration avec Bahati, jeune habitante du quartier.
La mème façade de maison colorée de teintes vives illustrait les précédentes "Chroniques de la brutalité sous confinement" 6 et 7 consacrées à la démolition du quartier Karobolé. La façade branlante témoigne de la réalité de l’opération.
Toutes les photos qui suivent viennent démentir la communication du préfet et des journaux locaux [1] qui prétendent que la population, cette fois, aurait été relogée.
Bel aveu qu’il n’en fut rien lors des destructions précédentes. Contrairement à l’obligation écrite sans confusion dans l’article 197 de la loi ELAN que les autorités invoquent comme une excuse. Mais toute la communication au sujet de ces opérations lors de cette tragédie infamante n’est que mensonges ou dissimulation.
Les logements n’ont pas été détruits par les bulldozers et les pelles mécaniques. Ils furent démontés à la hâte durant une semaine, avec plus d’empressement dans les derniers jours. Lundi 27 septembre, les engins de chantier se mirent en branle sur un quartier déserté de maisons dépecées. Ne restaient que les fondations et quelques tôles rouillées inutilisables.
Cette photographie représente l’intérieur de la petite boutique de la photo de UNE. La propriétaire y vendait de l’alimentation générale de base et accueillait une amie qui proposait friperie et confection neuve. Devant cette petite boutique donnant sur la rue Bamana s’agrégeait un petit commerce de rue : vente de goûters aux enfants en chemin vers l’école, vente de petits tas de tomates, piments, et autres produits agricoles locaux ; petit commerce illégal que la préfecture pourchasse avec entrain.
Tout le monde a déguerpi emportant sa maison et ses biens. Les tôles ont été méticuleusement détachées des chevrons fichés dans le sol dont certains vestiges attendent un transport ultérieur. Où vont-ils replanter leur maison et leur existence ? Personne ne les suivra.
Laissons les habitants s’organiser et commencer une nouvelle vie tout aussi précaire, fragile, insalubre et menacée sans répit par un État qui refuse délibérément de considérer comme citoyennes à part entière les catégories pauvres vivant sur ce territoire d’Outre-mer.
Harcelées, privées de logement et de gagne-pain, tout juste laissées en vie.
L’intérieur des logements exposé au ciel et au vent montre combien les démontages ont été effectués avec un souci constant de la récupération. Seul résiste le béton, comme ces dalles revêtues de carreaux de céramique, qui attestent un investissement sur la longue durée. Ne pouvant être emportées, elles seront broyées lors du passage des engins de chantiers dans les jours ou semaines à venir. Quelques tôles s’accrochent durablement sur leur chevron.
Tache jaune dans un décor de ruine, le fauteuil insolite aura disparu le lendemain. Il montre a minima que le déplacement spontané de population s’est effectué dans la précipitation. En réalité, tous les meubles et équipements ménagers furent sauvés. Quelques fauteuils ou canapés crevés, signes d’un confort révolu, ne valent pas le tracas du transport.
Banga shababi. Logement d’adolescent. Traditionnellement, le jeune garçon quitte la maison de la mère à l’occasion de sa puberté. Il construit sa banga [2] , (qui signifie en comorien la maison d’une pièce et non pas le bidonville ou la maison en tôle), à l’orée du village dans un quartier spécifique où se regroupent les jeunes de sa nouvelle condition. Tous soulignent avec admiration la créativité des jeunes garçons dans la décoration intérieure et extérieure de leur premier espace personnel. Cette tradition se délite dans les familles mahoraises disposant de maison à plusieurs pièces où les garçons jouissent d’une chambre. La délinquance adolescente dont la presse et les autorités font leur choux gras trouve sans doute une de ses racines dans la déliquescence de cette tradition car les femmes peinent dans l’éducation des jeunes garçons qui ne leur revenait pas il y a peu. Ils se socialisaient à partir de leur treizième année dans un univers masculin et collectif du village où ils venaient d’être admis [3] .
Fauteuils et canapés sont encore debout, un seul a basculé en bas à gauche. Un matelas délaissé. Maints débris jonchent le sol en céramique relativement coûteux qui dénote, soit un niveau de vie confortable des habitants, soit une longue patience. Vieilles guenilles usées par une existence déjà longue. L’occasion d’un nouveau départ dans une relégation qu’il faudra bien enjoliver.
Voilà ce qu’il reste d’une maison après que tout a été emporté. La dalle, recouverte d’une fine toile cirée imprimée en damier, donnait aux habitants qui n’avaient pas les moyens d’une véritable céramique l’illusion d’une pièce finie. Le procédé est courant, même dans les logements d’une pièce loués aux familles dans les maisons en béton ou parpaings des villes et villages, dont le niveau de confort attire peu. Les gens se logent en fonction de leur moyen et de leur relation.
Les arrêtés préfectoraux épargnaient jusqu’alors les maisons en parpaings ou béton. Leurs propriétaires de maisons en dur furent également sommés de dégager les lieux sans autre forme de procès. Tous avaient engagé beaucoup d’argent dans leur projet personnel d’accession à la propriété, sans aide de l’État. Qu’on se le tienne pour dit : dorénavant tout un chacun à Mayotte, français ou natif des autres îles de l’archipel, risque l’expropriation sans dédommagement, si l’État, le département ou la municipalité convoitent la parcelle sur laquelle il a construit sa maison.
Ici une palette de 48 sacs de ciment achetés pour une construction à venir. Projet tué dans l’œuf.
Ce premier niveau de maison non couvert représente un projet de toute une vie adulte préparé de longue date. Traditionnellement les habitants d’un village construisaient leur maison sur un terrain disponible avec accord du village [4] . La départementalisation et l’instauration d’un cadastre ont imposé la notion de propriété des parcelles sur tout le territoire, question qui dans la tradition ne se posait pas de manière aussi définitive. .
Ce type de construction progressive est répandue à Mayotte, seul moyen d’acquérir sa maison. Au début du projet ils vivent le plus souvent dans une petite case en tôle à proximité de la construction en cours.
Cette construction presque achevée ne sera jamais habitée. Les constructeurs en seront pour leurs frais.
Voilà ce qu’il reste après le départ forcé des habitants de Karobole : quelques ruines irrécupérables de vieilles tôles rouillées, des débris de construction, et les maisons mahoraises telles qu’elles sont construites partout dans Mayotte comme le montrent toutes les maisons saisies dans l’arrière-plan. Les banques n’ont pas encore imposé leurs usages dans une population encore pauvre où perdure dans toutes les couches de la société le système du shikoa. [5] Le crédit bancaire n’est ni une tradition ni une possibilité vu les taux d’emploi et de pauvreté.
Les engins de chantiers effacent toute trace du quartier , pour l’éternité, sans reste pour les archéologues du futur.
Voir en ligne : https://blogs.mediapart.fr/63811/bl...
Daniel Gros : Retraité de l’Éducation Nationale ; Ancien Cpe du Lycée de Mamoudzou ; Mamoudzou - Mayotte
[1] voir le Journal de Mayotte iciet ici, ainsi que le communiqué optimiste de la préfecture ici
[2] BANGA c1.5/6 Case d’une seule pièce. Case d’adolescent ou de célibataire. Abri sous lequel on cuisine dans la cour de la maison. Abri dans les champs. (Lexique Comorien, Sophie Blanchy, L’Harmattan).
[3] Lire à ce sujet le magnifique livre de Josy Cassagnaud, Rites de Mayotte ou chronique d’une mort annoncée ? Ed. Connaissances et savoirs, 2010 et aussi bien-sûr : Sophie Blanchy, La vie quotidienne à Mayotte (Archipel des Comores). Paris, L’Harmattan, 1990.
[4] Cf. Sophie Blanchy, Opus cité.
[5] SHIKOA c1.7/8 Tontine, système d’économies faites à plusieurs, chacun recevant à tour de rôle la totalité des cotisations. (Lexique Comorien, Sophie Blanchy, L’Harmattan).