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Marx et le ... Hamas

mardi 26 novembre 2024 par Karl Marx & Bruno Drweski

Quand Karl Marx dénonçait dans la presse libérale new yorkaise la propagande coloniale des médias, et quand on peut reprendre ses mots pour décrire la propagande néocoloniale sioniste des médias actuels. En 1857, la presse britannique menait une campagne contre les violences commises dans le cadre de la révolte des Cipayes aux Indes. Une propagande analysée par Karl Marx dans un texte profondément d’actualité, puisque nous pouvons le reprendre presque mot à mot (en italique) en remplaçant Hindous par Palestiniens et Cipayes par Hamas.
(La Rédaction)

Londres le 4 septembre 1857 / Paris le 25 novembre 2024

Les excès commis par les cipayes révoltés, aux Indes, sont en vérité horrifiants, hideux, ineffables, tels qu’on peut s’y attendre seulement dans les guerres d’insurrection, de nationalités, de races, et surtout de religion ; en un mot, tels que ceux auxquels la respectable Angleterre avait coutume d’applaudir, quand ils étaient perpétrés par les Vendéens sur les « Bleus », par les guérillas espagnoles sur les mécréants français, par les Serbes sur leurs voisins allemands et hongrois, par les Croates sur les rebelles de Vienne, par la garde mobile de Cavaignac ou les décembriseurs de Bonaparte sur les fils et les filles de la France prolétarienne.

Les excès commis par les Palestiniens révoltés, à Gaza, sont en vérité horrifiants, hideux, ineffables, tels qu’on peut s’y attendre seulement dans les guerres d’insurrection, de nationalités, de races, et surtout de religion ; en un mot, tels que ceux auxquels les respectables Etats-Unis avait coutume d’applaudir quand ils étaient perpétrés par les « Blancs » sur les « Rouges », par les guérillas des contras contre les révolutionnaires sandinistes, par les Albanais sur leurs voisins serbes, par les Ukrainiens sur les rebelles du Donbass, par l’armée indonésienne sur les communistes ou les mercenaires libyens sur les fils et les filles de la Libye.

Si infâme que soit la conduite des cipayes, elle n’est qu’un reflet concentré de la conduite de l’Angleterre aux Indes non seulement durant l’époque de la fondation de son Empire oriental, mais même durant les dix dernières années de sa longue domination. Pour caractériser cette domination, il suffit de dire que la torture formait une institution organique de sa politique fiscale. Il existe dans l’histoire humaine quelque chose qui ressemble à la rétribution ; et c’est une règle de la rétribution historique que ses instruments soient forgés non par les offensés mais par les offenseurs eux-mêmes.

Si infâme que soit la conduite du Hamas, elle n’est qu’un reflet concentré de la conduite des sionistes en Palestine non seulement pendant la période de fondation de l’empire anglo-américano-sioniste, mais même durant les dix dernières années de sa longue domination. Pour caractériser cette domination, il suffit de dire que la torture formait une institution organique de sa politique immobilière. Il existe dans l’histoire humaine quelque chose qui ressemble à la rétribution ; c’est une règle de la rétribution historique que ses instruments soient forgés non par les offensés mais par les offenseurs eux-mêmes.

Les premiers coups portés à la monarchie française venaient de la noblesse et non des paysans. La révolte indienne n’a pas été commencée par les ryot [cultivateurs], torturés, déshonorés et dépouillés par les Britanniques, mais par les cipayes, vêtus, nourris, choyés, gavés et gâtés par eux. Pour trouver des parallèles aux atrocités des cipayes, nous n’avons pas besoin, comme certains journaux de Londres le prétendent, de nous reporter au Moyen Age, ni même de pousser au-delà de l’histoire de l’Angleterre contemporaine. Il n’est besoin que d’étudier la première guerre chinoise, un événement de la veille, pour ainsi dire. La soldatesque anglaise commit alors des abominations, rien que pour le plaisir ; ses passions n’étaient ni sanctifiées par le fanatisme religieux, ni exaspérées par la haine envers une race conquérante et s’imposant par la force, ni provoquées par la farouche résistance d’un ennemi héroïque. Femmes violées, enfants embrochés, villages brûlés n’étaient alors que féroces caprices, enregistrés non par les mandarins, mais par les officiers britanniques eux-mêmes.

Les premiers coups portés à la monarchie française venaient de la noblesse et non des paysans. Le révolte palestinienne n’a pas été commencée par les fellah, torturés, déshonorés et dépouillés par les sionistes, mais par le Hamas, vêtu, nourri, choyé, gavé et gâté au départ par eux et par les monarques qatariotes. Pour trouver des parallèles aux atrocités du Hamas, nous n’avons pas besoin, comme certains journaux de Londres et de Washington le prétendent, de nous reporter au Moyen Age ou au nazisme, ni même de pousser au-delà de l’histoire des Etats-Unis contemporains. Il n’est besoin que d’étudier la dernière guerre irakienne, un événement de la veille, pour ainsi dire. La soldatesque anglo-américaine commit alors des abominations, rien que pour le plaisir ; ses passions n’étaient ni sanctifiées par le fanatisme religieux, ni exaspérées par la haine envers une race conquérante et s’imposant par la force, ni provoquées par la farouche résistance d’un ennemi héroïque. Hommes violés, enfants bombardés, villes brûlées n’étaient alors que féroces caprices, enregistrés non par les notables irakiens, mais par les soldats américains eux-mêmes.

Dans la catastrophe présente, aussi, ce serait une erreur absolue que de supposer que toute la cruauté est du côté des cipayes et que tout le lait de la tendresse humaine coule du côté des Anglais. Les lettres des officiers britanniques suent la haine. Un d’entre eux, écrivant de Pechawer [Peshawar, actuel Pakistan], donne une description du désarmement du 10e régiment de cavalerie irrégulière, dissous pour n’avoir pas chargé le 55e d’infanterie indigène, comme il avait reçu l’ordre de le faire. Il exulte en rapportant que les hommes ne furent pas seulement désarmés, mais dépouillés de leurs vestes et de leurs bottes, et qu’après avoir reçu 12 pence par tête ils furent menés au bord de l’Indus, embarqués sur des bateaux, puis lancés au fil du fleuve, où, comme l’expéditeur de cette lettre s’y attend avec délices, chacun d’eux eut bonne chance d’être noyé dans les rapides.

Dans la catastrophe présente, aussi, ce serait une erreur absolue que de supposer que toute la cruauté est du côté du Hamas et que tout le lait de la tendresse humaine coule du côté des sionistes. Les vidéos des militaires sionistes suent la haine. Un d’entre eux, filmant ses camarades, montre l’arrestation des médecins et des infirmières, coupables pour n’avoir pas quitté leur hôpital et continué à soigner leurs patients, comme ils avaient reçu l’ordre de le faire. Il exulte en montrant les hommes qui ne furent pas seulement dépouillés de leurs instruments médicaux, mais dépouillés de leurs vestes, de leurs chaussures et de leurs chemises, laissés en caleçons et dont on retrouva les corps dans des fosses communes.

Un autre nous informe que, certains habitants de Pechawer ayant provoqué une alarme de nuit en faisant exploser des pétards de poudre à canon en l’honneur d’un mariage (une coutume nationale), les auteurs de cet incident furent chargés de liens le lendemain matin et « fustigés de telle sorte qu’ils ne l’oublieront pas facilement ». Informé de Pindi que trois chefs indigènes conspiraient, sir John Lawrence répondit par un message ordonnant qu’un espion assiste aux réunions. Sur le rapport de l’espion, sir Lawrence envoya un second message : « Pendez-les. » Les chefs furent pendus.

Un autre soldat nous montre que, certains habitants de Gaza s’étant rassemblés à l’appel de la prière dans une mosquée le vendredi (une coutume nationale), les fidèles furent bombardés. Informé que le poète palestinien Refaat Alareer continuait à écrire des poèmes, le chef du Mossad envoya un message ordonnant qu’un drône-espion le localise. Sur la base des informations rassemblées, le mossad envoya un second message : « Tuez le ! ». Et il fut tué par un missile.

Un fonctionnaire des services civils écrit d’Allahabad : « Nous avons pouvoir de vie et de mort, et vous assurons que nous ne faisons pas quartier. » Un autre écrit de la même ville : « Il ne se passe pas de jour sans que nous en branchions de dix à quinze (non combattants). » Un officier exultant écrit : « Holmes les pend par douzaines, en “bloc”. » Un autre, faisant allusion à la pendaison sommaire d’un groupe nombreux d’indigènes, dit : « Ce fut alors notre tour de nous amuser. » Un troisième : « Nous tenons nos cours martiales en selle, et tout négro que nous rencontrons, nous le branchons ou lui logeons une balle dans la peau. » Nous sommes informés de Bénarès que trente zamindar [collecteurs d’impôts] ont été pendus, sur le simple soupçon de sympathiser avec leurs compatriotes, et des villages entiers ont été réduits en cendres pour le même motif. Un officier de Bénarès, dont la lettre est publiée dans The Times de Londres, dit : « Les troupes européennes sont devenues des démons, opposées aux indigènes. »

Un fonctionnaire du gouvernement à Gaza relate : « Nous avons le droit de vie et de mort, et vous assurons que nous ne devons pas faire de quartier. » Un autre se filme dans la même ville en déclarant « je cherche les bébés mais il n’y a plus de bébés vivant » Un sniper exultant déclare : « J’en tue par dizaines. » Un autre, faisant allusion à la fausse commune où était ramassée un groupe nombreux d’indigènes, déclarait : « Ce fut alors notre tour de nous amuser. » Un gardien de prison : « Nous tenons nos cours martiales dès l’entrée de la salle, et le premier Arabe que nous croisons, nous le prenons dans la tente d’à côté et lui logeons une balle dans la peau. » Nous sommes informés de Jabaliya que trente vendeurs de rue ont été arrêtés et torturés, sur le simple soupçon de sympathiser avec leurs compatriotes, et des camps de réfugiés entiers ont été réduits en cendres pour le même motif. Un officier de Khan Younes, dont la lettre est publiée dans Maariv : « Les troupes israéliennes sont devenues des démons, opposées aux indigènes. »

Et il ne faut pas oublier que, tandis que les cruautés des Anglais sont relatées comme des actes de vaillance martiale, racontées brièvement, simplement, sans insister sur les détails révoltants, les excès des indigènes, si choquants qu’ils soient, sont délibérément exagérés. De qui provenait, par exemple, le compte rendu circonstancié paru tout d’abord dans The Times, et qui fit ensuite le tour de la presse londonienne, sur les atrocités perpétuées à Delhi et à Meerut ? D’un pusillanime pasteur, résidant à Bangalore, dans le Mysore [aujourd’hui Karnataka], à plus d’un millier de miles, à vol d’oiseau, du théâtre de l’action. Les comptes rendus authentiques, de Delhi, montrent que l’imagination du pasteur anglais est capable d’enfanter de pires horreurs que la sauvage fantaisie d’un mutin hindou. Les nez, les seins coupés, etc., en un mot les horribles mutilations commises par les cipayes, révoltent plus les sentiments des Européens que la canonnade à boulets rouges des habitations de Canton par le secrétaire de l’Association pour la paix de Manchester, ou les Arabes rôtis dans la grotte où ils étaient entassés par un maréchal français, ou les soldats britanniques écorchés vifs par le chat à neuf queues, sur l’ordre d’une cour martiale, ou tout autre des procédés philanthropiques en usage dans les colonies pénitentiaires britanniques.
La cruauté, comme toute autre chose, a sa mode, changeant selon le temps et les lieux. César, ce lettré accompli, relate avec candeur comment plusieurs milliers de guerriers gaulois eurent la main droite coupée sur son ordre. Napoléon aurait eu honte de le faire. Il préférait expédier ses propres régiments, suspects de républicanisme, à Saint-Domingue, pour y mourir de la main des Noirs ou de la fièvre jaune.

Et il ne faut pas oublier que, tandis que les cruautés de Tsahal sont relatées comme des actes de vaillance martiale, racontées brièvement, simplement, sans insister sur les détails révoltants, les excès des indigènes, si choquants qu’ils soient, sont délibérément exagérés. De qui provenait, par exemple, le reportage circonstancié visionné tout d’abord dans I24, et qui fit ensuite le tour de la presse parisienne, sur les atrocités perpétuées à Be’eri et à Sderot ? D’un pusillanime rabbin, résidant à Jérusalem, à plus d’un de 50 kilomètres à vol d’oiseau, du théâtre de l’action. Les comptes rendus authentiques, de Tel Aviv, montrent que l’imagination du rabbin est capable d’enfanter de pires horreurs que la sauvage fantaisie d’un mutin palestinien.
Les exécutions, les roquettes, etc., en un mot les horribles actes commises par le Hamas, révoltent plus les sentiments des Européens que le pilonage systématique de toutes les habitations de Gaza, ici par un dirigeant du syndicat histadrouth, ou là les Arabes rôtis dans la tente où ils s’étaient entassés après avoir dû fuir la maison bâtie dans leur camp de réfugiés de 1948, ou tout autre des procédés philanthropiques en usage dans les colonies pénitentiaires sionistes.
La cruauté, comme toute autre chose, a sa mode, changeant selon le temps et les lieux. César, ce lettré accompli, relate avec candeur comment plusieurs milliers de guerriers gaulois eurent la main droite coupée sur son ordre. Napoléon aurait eu honte de le faire. Il préférait expédier ses propres régiments, suspects de républicanisme, à Saint-Domingue, pour y mourir de la main des Noirs ou de la fièvre jaune.

Les infâmes mutilations commises par les cipayes rappellent les pratiques de l’Empire byzantin chrétien ou les prescriptions de la loi criminelle de l’empereur Charles V, ou, en Angleterre, les châtiments pour haute trahison, tels qu’ils étaient enregistrés par le juge Blackstone. Aux yeux des Hindous, dont leur religion fit des virtuoses en l’art de se torturer eux-mêmes, ces tourments infligés à des ennemis de leur race et de leurs croyances paraissent toutes naturelles, et elles doivent le paraître encore plus aux yeux des Anglais, qui, il y a quelques années seulement, tiraient des revenus des fêtes de Juggernaut [1], en donnant protection et assistance aux rites sanglants d’une religion de cruauté.

Les infâmes mutilations attribuées faussement au Hamas rappellent les pratiques de l’Empire byzantin chrétien ou les prescriptions de la loi criminelle de l’empereur Charles V, ou, en Angleterre, les châtiments pour haute trahison, tels qu’ils étaient enregistrés par le juge Blackstone. Aux yeux des musulmans, dont leur religion glorifient le sacrifice, ces tourments infligés à des ennemis de leur race et de leurs croyances paraissent toutes inimaginables, mais elles doivent paraître naturelles aux yeux des Américains, qui, il y a quelques années seulement, tiraient des revenus de la vente du napalm, de l’uranium appauvri et du phosphore blanc que les sionistes utilisent contre Gaza et contre le Liban.

Les rugissements frénétiques de « ce sanguinaire vieux Times », ainsi que Cobbett [2] l’appelait, sa façon de jouer le personnage d’un furieux, dans un opéra de Mozart, qui se complaît, avec les accents les plus mélodieux, à l’idée de pendre son ennemi, puis de le rôtir, puis de l’écarteler, puis de l’empaler, puis de l’écorcher vif – cette fureur de revanche paraîtrait assez sotte, si, sous les déclamations tragiques, on ne percevait distinctement les ficelles de la comédie. The Times charge trop, et non seulement par panique. Il fournit à la comédie un sujet qui avait échappé à Molière : le Tartuffe de la vengeance. Ce qu’il cherche, tout simplement, c’est à faire du battage pour soutenir les fonds d’Etat et à couvrir le gouvernement. Comme Delhi n’est pas tombé au souffle du vent, à l’instar des murs de Jéricho, l’Empire britannique doit être étourdi par les cris de vengeance, pour lui faire oublier que son gouvernement est responsable du mal arrivé et des dimensions colossales qu’on lui laissa prendre.

Les rugissements frénétiques de la presse sioniste et occidentale après le 7 octobre, sa façon de présenter des personnages de furieux, qui se complaisent à l’idée de massacrer leur ennemi, de rôtir des bébés dans les fours, puis de violer et d’empaler des femmes, puis de tuer les civils – cette fureur de revanche paraîtrait assez sotte, si, sous les déclamations tragiques, on ne percevait distinctement les ficelles de la comédie. The Times et tous les media mainstream occidentaux et sionistes ont trop chargé, et non seulement par panique. Il fournit un sujet : le Tartuffe de la vengeance. Ce qu’il cherche, tout simplement, c’est à faire du battage pour soutenir les fonds d’Etat et à couvrir le gouvernement. Comme Gaza n’est pas tombé au souffle du vent, à l’instar des murs de Jéricho, l’Empire anglo-américano-sioniste doit être étourdi par les cris de vengeance, pour lui faire oublier que son gouvernement est responsable du mal arrivé et des dimensions colossales qu’on lui laissa prendre.

Karl Marx le 4 septembre 1857, ce texte est paru dans le New-York Daily Tribune du 16 septembre 1857.
Repris et revu par Bruno Drweski le 25 novembre 2024


[1Mot dérivé du sanscrit qui signifie « seigneur de l’univers » et correspond à l’un des noms donnés au dieu Krishna.

[2Journaliste, pamphlétaire et homme politique britannique (1763-1835).

   

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