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Gaza : en parlant enfin de « génocide », les médias se préparent un alibi

mardi 26 novembre 2024 par Jonathan Cook

A travers l’exemple du quotidien britannique The Guardian, équivalent du journal Le Monde, Jonathan Cook met à nu la duplicité des médias occidentaux. En faisant la part belle au récit israélien et en reprenant docilement ses éléments de langage depuis le 7 octobre (et bien avant), ils sont devenus complices du génocide du peuple palestinien, et devront rendre des comptes.

Ce ne sont ni la Cour internationale de justice, ni les États non occidentaux, ni les organisations de défense des droits de l’homme, ni les Palestiniens qui ont utilisé le terme « génocide » avec une « légèreté excessive ». C’est le Guardian qui est arrivé à cette conclusion bien trop tard.

Avec une mauvaise foi caractéristique, le Guardian a permis à l’une de ses éditorialistes de publier un article d’opinion s’interrogeant sur l’opportunité d’utiliser, enfin, le terme « génocide » pour qualifier ce qui se déroule à Gaza depuis treize mois. Vous serez peut-être soulagés d’apprendre que le journal estime qu’il est désormais acceptable d’utiliser le mot tabou de « génocide » pour décrire l’anéantissement continu de l’enclave et de sa population.

« Nous assistons à la phase finale du génocide à Gaza », article du Guardian du 6 novembre 2024

Le Guardian ouvre ce débat dix mois après que les juges de la Cour internationale de justice – la plus haute autorité judiciaire au monde, peu connue pour son radicalisme – ont admis que les avocats sud-africains avaient présenté des arguments « plausibles » pour démontrer que les actions d’Israël à Gaza correspondaient à la définition stricte du génocide en droit international [lire le plaidoyer de l’Afrique du Sud à la Cour Internationale de justice : le comportement génocidaire d’Israël à Gaza et les intentions génocidaires d’Israël à Gaza]. Depuis cette décision rendue en janvier, les conditions de vie dans l’enclave se sont considérablement détériorées.

Comme je l’ai récemment souligné, le Guardian – comme l’ensemble des médias occidentaux – a maintenu une interdiction tacite de l’usage du mot « génocide », sauf dans les débats juridiques spécifiques à l’affaire portée devant la CIJ. Des employés lanceurs d’alerte ont confié à Novara Media qu’ils étaient soumis à un « contrôle étouffant » de la part des rédacteurs en chef, une pression qui, selon eux, n’existait que lorsqu’il s’agissait de publier des articles critiques envers Israël.

Alors, pourquoi ce changement soudain de position de la part du journal – à supposer qu’il ne s’agisse pas simplement d’une petite concession destinée à apaiser le mécontentement croissant d’une partie de ses lecteurs ?

Une des réponses pourrait être que l’article publié par Novara Media a causé un embarras considérable au journal. Le personnel du Guardian a également révélé à Novara que le journal avait retiré de ses pages un article d’opinion rédigé par Susan Abulhawa, une éminente auteure palestinienne, après qu’elle a insisté pour utiliser le terme « holocauste » afin de décrire ce qu’elle avait observé à Gaza.

La rédactrice en chef, Kath Viner, avait proposé à Abulhawa un « compromis » – que Viner considérait sans doute comme très généreux – en lui permettant exceptionnellement d’utiliser le terme « génocide » à la place. En refusant cette proposition, Abulhawa a pris le Guardian au dépourvu.

Cet épisode a attiré l’attention sur le fait que le Guardian a surveillé étroitement le langage utilisé à propos de Gaza, traitant comme extraordinairement controversée toute caractérisation du massacre comme un génocide, ce qui a contribué à permettre à Israël de poursuivre ce génocide.

Il y a une autre raison probable expliquant ce changement de position.

Le Guardian permet ce débat très tardivement — au moment où, comme le reconnaît le titre de l’article, le génocide atteint sa « phase finale ».

L’auteure de l’article d’opinion, Arwa Mahdawi, cite divers chiffres d’experts qui situent le nombre réel de morts dans les centaines de milliers, plutôt que dans les dizaines de milliers — un fait évident depuis de nombreux mois pour les observateurs ne s’inclinant pas devant les sensibilités d’Israël et de ses apologistes [voir Compter les morts à Gaza : une tâche difficile mais essentielle (The Lancet)].

Il est pratiquement impossible d’ignorer que le « plan des généraux » pour le nord de Gaza — intensification des bombardements israéliens, expulsion de 400 000 Palestiniens d’environ la moitié de leur minuscule territoire, et extermination de toute personne restant sur place qualifiée de « terroriste » — constitue un génocide au sens propre [voir Exterminer, expulser, recoloniser : les objectifs d’Israël au nord de Gaza].

Avec Gaza détruite, une grande partie de sa population morte ou grièvement blessée, affamée, privée des soins médicaux les plus basiques, il est peut-être déjà trop tard pour stopper ce génocide.

Le Guardian se prépare un alibi avant que la poussière ne retombe et que le véritable bilan n’effraie même les soutiens d’Israël. Le journal doit d’urgence rationaliser ses longs mois d’obscurcissement et de procrastination, et présenter ses excuses avant l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. Cet article d’opinion est son moyen d’y parvenir.

Malgré cela, le journal s’efforce de transformer en vertu ses longs mois d’échec — durant lesquels il a, avec le reste des médias du système, accordé à Israël la liberté de perpétrer un génocide à Gaza en le présentant à tort comme une « guerre contre le Hamas ».

Guerre Israel Hamas FF

Le retard obscène du Guardian à qualifier le massacre des enfants palestiniens de génocide est apparemment justifié par son expert en études de l’Holocauste — un Israélien, bien sûr — qui affirme que ce n’est que récemment qu’il est devenu clair que ce qu’Israël fait peut être qualifié de génocide.

Omer Bartov rend un service utile au Guardian en soutenant que, pendant la majeure partie des 13 derniers mois, les critiques d’Israël ont utilisé le terme de génocide « trop légèrement », diluant ainsi sa signification. Ou, comme il le formule : « Ce mot [“génocide”] a été utilisé si souvent comme une sorte de phrase anti-israélienne qu’il a perdu beaucoup de sa valeur. »

Ainsi, selon Bartov et le Guardian, ce sont les Palestiniens et leurs alliés qui ont nui à leur propre cause en dénonçant trop tôt le génocide. Nous aurions tous dû nous taire jusqu’à ce que Bartov et le Guardian nous donnent l’autorisation de parler.

Bartov et le Guardian pensent-ils également que les nombreux experts en droit international siégeant à la Cour internationale de justice et suspectant l’existence d’un génocide dès janvier ont eux aussi utilisé ce terme « trop légèrement » ?

Le rôle de Bartov ici est de faire apparaître le Guardian comme un acteur responsable — l’adulte dans la pièce — pour avoir refusé de qualifier de génocide les actes d’Israël pendant une année entière.

Le fait que le Guardian s’appuie sur Bartov pour excuser son interminable retard à envisager l’idée d’un « génocide » à Gaza pose des problèmes évidents.

Il ne s’agit pas seulement du fait que les dirigeants israéliens ont exprimé leur intention génocidaire — et leur capacité à mettre cette menace à exécution — dès le début de leur attaque contre Gaza en octobre 2023.

Ni du fait que les Palestiniens et les organisations de défense des droits de l’homme avertissent depuis des décennies qu’Israël et le sionisme poursuivent une seule ambition : éradiquer progressivement les Palestiniens en tant que peuple. C’est ce qu’ils entendent par une « Nakba continue », en référence à la destruction de la majeure partie de leur patrie en 1948 pour créer un « État juif » exclusif sur ses ruines.

Dès 2003, l’universitaire israélien Baruch Kimmerling a mis en garde contre l’objectif ultime d’Israël, le qualifiant de « politicide » pour contourner les objections prévisibles à l’utilisation du terme « génocide », dans son ouvrage éponyme. J’ai moi-même publié un livre sur ce sujet, Disappearing Palestine, en 2008.

Tout ces éléments mis à part, il était évident qu’Israël ne cherchait pas à éliminer le Hamas, mais la population entière de Gaza, dès l’imposition d’un blocus sur l’aide humanitaire et d’un régime de famine aux 2,3 millions d’habitants de l’enclave, et dès qu’il est apparu que les hôpitaux de Gaza n’étaient pas frappés par des dommages collatéraux, mais systématiquement détruits.

Les actions d’Israël à Gaza ne prennent sens qu’au travers du prisme du génocide. Les enfants, les femmes, les malades et les personnes âgées ont toujours été les premières victimes de cette politique, et non les combattants du Hamas.

Si Bartov et le Guardian ont été si lents à comprendre ce qui sautait aux yeux, c’est uniquement parce que, pendant des décennies, ils ont perçu Israël de manière totalement anhistorique. Israël est un État colonisateur, et, en tant que tel, sa raison d’être est d’éliminer et de remplacer le peuple autochtone par trois stratégies possibles : le nettoyage ethnique, l’apartheid et le génocide.

Pendant des décennies, Israël a enfermé les Palestiniens dans sa propre version des bantoustans d’apartheid sud-africain, Gaza étant le cas le plus flagrant. Pendant 17 ans, il a tenté d’inciter les Palestiniens à fuir Gaza en y imposant un siège les soumettant à un « régime alimentaire strict » et en leur retirant toute dignité, tout en bombardant l’enclave par intermittence jusqu’à ce qu’elle tombe en ruines — ce qu’Israël appelle « tondre la pelouse ».

Au départ, Israël espérait qu’en intensifiant la destruction des infrastructures de Gaza et par un programme de famine — c’est-à-dire en amorçant un génocide — l’Égypte céderait et ouvrirait enfin le point de passage de Rafah pour que la population palestinienne restante afflue dans le Sinaï.

Le Caire ayant clairement indiqué qu’il ne le ferait pas, Israël n’avait plus qu’une seule stratégie coloniale : parachever le génocide.

Bien que le Guardian s’efforce d’enterrer cet aveu, Bartov concède à contrecœur que ceux qui avaient identifié un génocide dès le début avaient raison. Il remarque avec une certaine acrimonie :

« Il y a eu un effort concerté et intentionnel [de la part d’Israël] pour détruire les universités, les écoles, les hôpitaux, les mosquées, les musées, les bâtiments publics, les habitations et les infrastructures. Si l’on y réfléchit, on peut dire que cela a commencé dès le départ. »

Ainsi, le problème n’est peut-être pas que l’Afrique du Sud, la majorité des pays non occidentaux, la Cour internationale de justice, les organisations de défense des droits de l’homme, les Palestiniens et les observateurs indépendants aient utilisé le terme « génocide » de manière « trop légère ». Peut-être le vrai problème est-il que Bartov et le Guardian aient pris conscience de cette réalité bien, bien trop tard — à un moment où Israël met la dernière main à son génocide.

Un autre problème se pose pour le Guardian lorsqu’il cite Bartov comme autorité pour déterminer le moment où il serait permis d’utiliser le mot « génocide ». Le spécialiste de l’Holocauste admet lui-même qu’il a finalement conclu qu’Israël menait un génocide dès mai dernier, lorsqu’Israël a rasé Rafah, une zone qu’il avait pourtant déclarée comme sûre.

En d’autres termes, même Bartov estime que le génocide israélien a officiellement commencé il y a six mois. Cela représente une période incroyablement longue pendant laquelle le Guardian a traîné les pieds avant de reconnaître le génocide à Gaza comme tel.

Mahdawi écrit que Bartov « pense qu’il est temps pour les médias, qui hésitent à employer le mot commençant par “g”, de faire face à la réalité. Ce qui se passe à Gaza est un génocide. »

En publiant un article d’opinion qui laisse entendre qu’il serait désormais acceptable d’utiliser le terme « génocide » à propos de Gaza, le Guardian a admis qu’il avait été — même selon son propre expert en génocide — complice de l’occultation de ce génocide pendant six mois.

N’oubliez pas cela lorsque la rédactrice en chef Kath Viner viendra à nouveau, comme elle l’a fait cette semaine, mendier de l’argent auprès des lecteurs pour financer ce qu’elle qualifie de journalisme prétendument « indépendant et sans peur ».

   

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