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Une guerre de religion ?
dimanche 31 décembre 2023 par Francis Arzalier (ANC)
Le brasier de Gaza est volontiers présenté en France, qui a par ailleurs tendance à grimper aux rideaux d’indignation sitôt qu’elle soupçonne une atteinte à SA laïcité, comme une guerre de religion, voire ethnique. Ce qui est d’autant plus irrationnel que les Juifs ne sont pas une race, même pas une ethnie aux ancêtres communs, tout au plus un peuple disposant dans les divers pays où l’histoire l’a éparpillé, d’une culture similaire d’origine religieuse, et parfois d’une langue (yiddish) qui est née de l’Hébreu biblique d’il y a 2000 ans.
Et l’État d’Israël, qui réunit à peine dans ses frontières 9 millions d’habitants, ne rassemble qu’une minorité des Juifs, qui, selon les récentes enquêtes, seraient dans le monde une quinzaine de millions d’individus dans une quarantaine d’États différents. Encore faut-il ajouter que cet État d’Israël, né par la colonisation de peuplement de la Palestine, et décrété par sa constitution ÉTAT JUIF, inclut près de 2 millions de Palestiniens, culturellement musulmans et chrétiens.
Les peuples majoritairement de religion musulmane qui entourent le petit État d’Israël, du Maghreb à l’Asie du Sud-Est en passant par le Moyen-Orient et l’Asie centrale ne sont évidemment pas eux non plus une race ou une ethnie. Ils sont près du cinquième de la population mondiale, avec un nombre total d’humains d’un milliard, 600 millions. Évidemment, ce monde musulman est d’une diversité incroyable, n’en déplaise aux racistes français, qui le qualifient communément « d’Arabes ».
Faut-il rappeler que les Iraniens, par exemple, ont une identité nationale forgée par des millénaires d’histoire, une langue et une culture perse, et pratiquent même un Islam massivement Chiite (les Chiites sont en quelque sorte les Protestants de l’Islam, par analogie avec Calvinistes et Luthériens de l’univers chrétien). Il serait hors de propos dans cette courte analyse d’énumérer l’inextricable variété de nations, langues, pratiques religieuses et cultures (Turcs et Azéris, Kurdes et Druzes, Alaouites et chrétiens maronites, Bédouins arabes, etc…) dans cette mosaïque de peuples du Moyen Orient, un des berceaux des civilisations méditerranéenne et européennes.
Et si la langue et l’écriture arabe sont communes à la totalité de cet espace, c’est souvent sous la forme de dialectes régionaux, l’arabe n’étant que la langue commune de culture et de référence religieuse au textes sacrés du Coran.
En fait, le rêve multiséculaire de Califat, État unifié de l’Oumma Islamique, n’a jamais réussi à vaincre ces diversités nationales, pas plus sous la forme intégriste récente de Daesh qu’autrefois sous la forme laïque nassérienne des années 1960.
À l’inverse, le rêve sioniste, qui depuis les débuts du XXème siècle, aspire à occuper ou dominer l’ensemble de la Palestine au détriment de sa population massivement musulmane ou chrétienne durant des millénaires est en voie de réalisation progressive depuis la création de l’État Juif d’Israël en 1948, et la guerre actuelle à Gaza et en Cisjordanie veut en être le couronnement, en espérant éradiquer toute résistance du peuple palestinien, ce qui est aussi injuste qu’irréalisable.
Et cet objectif ne se poursuit que grâce au soutien idéologique et matériel hypocrite de tout l’occident, et au pont aérien qui alimente l’armée israélienne d’invasion en munitions depuis les USA.
Une complexité mouvante
Les massacres actuels en Palestine occupée ne sont pas une guerre entre Musulmans, Chrétiens et Juifs. C’est une situation coloniale, une guerre nourrie par l’Impérialisme au détriment des Palestiniens, majoritairement musulmans, et minoritairement chrétiens (notamment à Bethlehem, considéré comme lieu de naissance de Jésus, Dieu des Chrétiens et Prophète des Musulmans).
On ne peut rien comprendre à cette guerre immonde, sans prendre en compte la réalité complexe des dizaines d’États majoritairement musulmans, monarchies, républiques, dictatures militaires, qui s’étalent de l’Océan Atlantique à l’Océan Indien.
Certains ont depuis 60 ans, comme Israël, étaient de solides alliés-supplétifs de l’Impérialisme occidental avec parfois ces temps derniers quelques velléités d’indépendance, comme ´l’Arabie Saoudite, les Émirats, la Jordanie, l’Égypte, etc. Ils n’ont en aucun cas été de fermes soutiens du Mouvement de Libération nationale palestinien, sauf en paroles. Dans ce vaste ensemble disparate, seul le régime iranien, quels que soient par ailleurs ses pesanteurs cléricales, exerce une solidarité matérielle réelle avec les mouvements de libération, Hezbollah libanais, Hamas et FPLP Palestiniens, Houthis yéménites. Jusqu’au début de ce siècle, quand l’un de ces États arabe émettait la prétention de s’opposer à la « protection » occidentale, une expédition militaire le détruisait, comme ce fut le cas de la Libye de Khadafi en 2001. Mais cela devint plus difficile ensuite, comme le montra l’échec des opposants pro-occidentaux contre la Syrie de Bachar El Assad.
Il est impossible d’analyser en détail les contradictions internes propres à ces divers « États musulmans », qui sont, sous des formes politiques diverses, tous contrôlés par des secteurs variés de bourgeoisies nationales aux intérêts parfois fluctuants en fonction de l’actualité. Ainsi les dirigeants Saoudiens, animateurs il y encore quelques mois d’un rapprochement décomplexé avec Israël, mais aujourd’hui impliqués dans le retour à la paix au Yémen et un rapprochement éventuel avec l’Iran sous l’égide de la Chine.
État juif d’Israël et Maroc islamique
À titre d’exemple de ces complexités géopolitiques, fort décalées des problématiques religieuses, on peut s’attarder sur les relations ambiguës entre l’État colonial-impérialiste d’Israël et le Royaume musulman du Maroc, à l’autre bout de la Méditerranée.
Le Royaume du Maroc est devenu un Protectorat lors de la IIIème République française en 1912, pour s’opposer aux ambitions coloniales de l’Allemagne, dans le contexte des concurrences impérialistes européennes, qui débouchèrent sur la guerre de 1914-1918. La victoire des « Alliés » occidentaux y confirma le Protectorat de la France coloniale, qui s’exerçait alors aussi en Syrie et Liban, et a duré jusqu’à l’accession à l’indépendance, arrachée à la France en 1956 (dont l’Empire colonial s’effondrait en Indochine).
Le protectorat, même s’il était de nature coloniale, était différent de la tutelle directe en Algérie française voisine, considérée comme départements français de peuplement. La domination française au Maroc s’exerçait en laissant de larges prérogatives aux seigneurs féodaux indigènes (El Glaoui) et au Monarque. La lutte pour la libération nationale a été menée au Maroc par des mouvements progressistes, mais le Monarque Mohammed V s’est donné une image de porte-parole national par son exil en Corse, puis à Madagascar.
L’Indépendance de 1956 a eu lieu de ce fait en faveur d’une monarchie séculaire et prestigieuse, qui en profitera pour renforcer son pouvoir autoritaire, notamment en éliminant les militants progressistes (assassinat de Ben Barka en.1965) et à l’asservissant par la corruption et le nationalisme.
Le régime marocain, présenté volontiers en France comme une sorte de « démocratie » d’inspiration gaulliste, est surtout un parlementarisme truqué, une monarchie richissime (selon Forbes, le Roi du Maroc est plus riche que l’Émir du Qatar, qui a un PIB très supérieur). La monarchie marocaine favorise le tourisme de luxe plus que les industries, et livre aux bourgeois français ou occidentaux des quartiers entiers de Marrakech, avec leurs palais privés (la Mamounia, les riads). Le pouvoir marocain est en fait d’autant plus absolu qu’il est d’ordre religieux : le Roi étant le « Commandeur des Croyants ».
Dès son indépendance, le Maroc s’est construit en champion de l’Occident en Afrique, contre la mouvance « tiers-mondiste » et anti-impérialiste qu’incarnaient alors l’Algérie de Ben Bella et l’Égypte de Nasser. La monarchie s’est aussi posée contre les opposants progressistes et en défenseur du nationalisme, glorifiant les conquêtes du passé en Afrique Noire, où les Sultans allaient se procurer l’or et les esclaves. Dans cette optique, la Monarchie de Rabat revendique, malgré les décisions de l’Assemblée Générale de l’ONU, et les militants sahraoui du Polisario, le vaste territoire du Sahara occidental, autrefois colonie espagnole.
Dés 1975, le Roi Hassan II organise la « Marche verte » de plus de 300 000 marocains, qui envahissent le Sahara Occidental, début d’une colonisation de peuplement, qui dure toujours grâce au soutien des puissances occidentales, surtout France et USA. Alors que, sous l’égide du Polisario, la partie des Saharaouis qui ont fui l’occupation marocaine vivent en campements de réfugiés dans le désert algérien, près de Tindouf.
Ainsi, par son autoritarisme et son caractère religieux, et plus encore par son choix du « camp occidental. » et son colonialisme de peuplement au Sahara, le Maroc musulman a bien des similitudes avec l’État d’Israël.
Les projets Abraham, accords contre-nature ?
Depuis quelques années, se sont menées des négociations-rapprochement plus ou moins obscure entre les dirigeants de certains États musulmans et ceux Juifs d’Israël. Il a même été évoqué le projet d’un nouveau canal de Suez reliant Mer Rouge et Méditerranée par la Mer Morte et les territoires occupés par Israël. Ce que certains commentateurs de France n’ont pas manqué de qualifier d’accords contre-nature, car ils se faisaient évidemment sur le dos des Palestiniens. En fait, l’exemple du Maroc, fort actif dans ces accords de coopération de « réal-politik » montre qu’ils nouent des liens entre partenaires qui ont plus d’accointances que de différences.
Dans le Royaume du Maroc, qui proclame sa nature musulmane autant qu’Israël son essence hébraïque, la minorité juive (300 000 en 1948) a eu une histoire très différente de celle des Juifs de l’Algérie voisine, où cette minorité jusqu’alors bien intégrée a reçu le cadeau empoisonné du Décrét Crémieux(1870), par lequel la Troisième République lui conférait la citoyenneté française, en la coupant de la majorité des indigènes d’Algérie au bénéfice de quelques avantages coloniaux, jusqu’à la dérive criminelle d’une partie d’entre eux vers l’OAS en 1960.
Les Juifs du Maroc, non seulement ont été durant des siècles « les protégés » du Commandeur des Croyants, mais la bourgeoisie intellectuelle juive a fourni nombre de proches conseillers du pouvoir royal, dont le plus récent, André Azoulay, qui a joué un grand rôle dans les accords entre Rabat et Tel Aviv à partir de 2020. Une influence décisive, alors qu’il ne reste plus au Maroc aujourd’hui que quelques milliers de Juifs, plus de 100 000 d’entre eux étant partis participer à l’aventure coloniale israélienne après 1960.
Le rapprochement entre Israël et Rabat s’est traduit par une approbation symétrique des actions coloniales, israéliennes en Palestine, marocaines au Sahara occidental, mais aussi par une collaboration dans les domaines militaire et sécuritaire. En juillet 2018, une série de médias qui en ont été les victimes ont dénoncé l’usage intensif par les services secrets marocains du logiciel israélien Pegasus, fourni par la société NSO, qui leur permet d’écouter les conversations privées sur téléphones portables.
D’après l’écrivain marocain Broudsky, qui avait mis les proches du Roi en furie en dénonçant les connivences entre privilégiés marocains et occidentaux, notamment français comme BHL, 10 000 cibles marocaines sont visées par ce logiciel espion, sur un total de 40 000 au total, y compris certains dirigeants français « amis », ce qui a entraîné quelque mauvaise humeur à l’Élysée.
Évidemment, le silence à la Cour de Rabat est assourdissant depuis le début des massacres de la population de Gaza après le 7 octobre. Mais cette « ambiguïté » n’est pas unique au sein du monde musulman. Les gouvernements du Moyen Orient (Arabie Saoudite, Émirats, Jordanie, Égypte) se gardent bien de toute initiative militaire contre l’armée sioniste, même s’ils multiplient les proclamations de type humanitaire ) et ont dû geler tout rapprochement avec L’État juif : leurs opinions publiques étant massivement pro-Palestiniennes.
Quel avenir après la guerre ?
Il est encore trop tôt pour évaluer le bilan contradictoire du conflit. Remarquons toutefois que le coup de tonnerre déclenché le 7 octobre par le Hamas a stoppé les avancées des « accords d’Abraham » israélo-Arabes, qu’il a remis au premier plan la « question palestinienne. » qu’ils cherchaient à faire oublier, et que l’objectif d’Israël de détruire la Résistance palestinienne est inatteignable, mais le prix à payer, humain et matériel pour le peuple de Palestine risque d’être terrifiant.
Le 30/12/2023